Dortoir des 4èmes années: Filles

Epuisée, Harmony regagnait son dortoir, après avoir souhaité une bonne nuit à Yvain et aux autres élèves de sa Maison, regroupés dans la salle commune, se réconfortant tant bien que mal au rythme du flottement paisible des eaux profondes. Cette soirée, qu'elle avait tant attendue, encore plus que les années précédentes, avait tourné à l'horreur. Les blessés se comptaient par dizaines et tous les lits de l'infirmerie seraient occupés cette nuit. Trois élèves ne fouleraient plus jamais les couloirs pavés du château. Parmi eux, Alicia Davis, une jeune fille brillante, au Sang-pur, parmi la crème de la maison Serpentard.

Harmony n'arrivait pas à réaliser. Elle ne cessait de se répéter que tout ceci ne s'était pas passé devant ses yeux. La scène terrible d'Angel Johnson, tremblante, confuse après la mort brutale de sa camarade n'avait rien suscité en elle. Elle était restée interdite, comme une spectatrice de la réalité. Le danger passé, la peur qui l'avait gagnée s'était évanouie en un instant, la laissant fatiguée, intriguée. Mais pas horrifiée. Elle avait balayé la salle du regard, comme pour l'analyser, sans buter sur les corps étalés, sans ressentir le besoin d'une chaleur humaine, sans ciller.

Puis elle avait essayé de comprendre ce qui venait de se passer. Il lui semblait évident que l'attaque provenait du camp des Ténèbres. L'utilisation de la magie, des sortilèges impardonnables, étaient des indices clairs. Mais quelque chose lui échappait. Pourquoi Alicia Davis ? Pourquoi risquer de verser du sang écarlate au sein de l'école ? Et pourquoi s'exposer à la division des Partisans ?
Enfin, ce n'était pas ce soir qu'elle répondrait à toutes ces questions.

Une fois la porte passée, elle inspira profondément. La solitude était déjà reposante. Elle s'approcha de son lit et chercha à tâtons la fermeture de sa robe. Elle se souvint alors du cadeau que lui avait fait Yvain. Dans un geste précipité, elle retira la broche, manquant de la faire tomber. Elle la rattrapa tant bien que mal, se perçant l'index, nouvelle preuve de sa maladresse.

Cela aurait pu n'être qu'une bête gaucherie d'une adolescente ensommeillée, mais lorsqu'Harmony mit son doigt à la bouche pour l'empêcher de saigner, elle fut prise d'un vertige. La pièce aux lourdes tentures vertes disparut dans un éclair de lumière. Face à elle, un paysage verdoyant, qu'elle n'eut pas le temps de détailler. Au loin, l'image floue d'une large bâtisse grise se dessinait. Elle plissa les yeux mais fut distraite par un éclat de rire. Spontanément, elle tourna la tête vers la gauche, mais... rien. Elle était de retour dans son dortoir, plus désorientée que jamais.

Elle se laissa tomber sur le lit. Qu'avait-elle vu ? Une image lointaine, datant de sa petite enfance ? Non. Les couleurs, les paysages, étaient typiquement britanniques. Etait-ce une réminiscence de ses trajets en Poudlard Express ? Un souvenir paisible de lorsque Poudlard était une destination sûre. Mais il n'y avait aucun manoir à proximité du chemin de fer.
Elle n'était jamais sortie de Londres autrement que pour aller vers l'Ecosse, à la rentrée. Comment ces images auraient-elles pu s'imprimer en elle, si elle ne les avait pas vécues ?
Et ce rire. Elle ne l'avait jamais entendu. Et le dortoir était résolument silencieux. Ce n'était pas une illusion, elle en était certaine.

Puis, une idée la traversa. Ces souvenirs appartenaient à quelqu'un. Fébrilement, elle chercha la broche et l'observa avec une attention renouvelée. Yvain l'avait peinte lui-même. Ce détail qui lui avait inspiré de la tendresse à l'égard de son cavalier, résonnait étrangement.
Le bijou n'avait pas été acheté, le Gallois n'en avait certainement pas les moyens. Ou bien l'avait-il trouvé en occasion. Dans tous les cas, il avait appartenu à quelqu'un d'autre. Etait-il possible que cet objet contienne les pages de l'histoire de son précédent possesseur ?

Harmony ne connaissait rien à la magie des souvenirs. Elle savait que les Pensines existaient, voilà tout. Demain, elle poserait la question à Yvain. Non. Ce serait impoli de lui rappeler que son cadeau était bricolé à moindre coût. Comment lui demander ? Peut-être en cherchant à savoir si la broche était dans sa famille ? Mais alors, pourquoi l'aurait-il décorée autrement ? Son esprit s'embrumait, et son raisonnement en pâtissait. Elle irait à la bibliothèque.

A peine avait elle reposé le bijou sur la table de nuit qu'elle s'endormit, la fermeture de sa robe de satin bleu à moitié ouverte, son Boursouflet assis sur son épaule dénudée.

C’était un doux rêve qui portait Harmony au milieu des limbes nocturnes. Son sommeil avait toujours été lourd, d’un repos tranquille. Sept heures trente de rechargement. Au lever, elle était fraiche et dispose - ou du moins, faisait en sorte de l’être.

Vers sept heures du matin, cependant, ses soupirs s’étirèrent, son apaisement l’emmenant dans un ailleurs calme. Délicatement emportée par la femme du souvenir, elle ne perçut pas immédiatement le changement de circonstances. Il lui semblait être arrivée simplement à une étape suivante de son rêve. L’état de conscience qui la gagnait ne l’en fit pas douter immédiatement.

Et la silhouette connue, à ses côtés, aurait très bien pu être la manifestation d’une préoccupation latente ; car la broche n’avait plus rien manifesté d’étrange depuis quelques semaines, au point même, qu’elle ose la porter. Ne sachant pas bien ce qu’en pensait Yvain - était-ce puéril ? Personne ne savait qu’ils étaient liés dans la pénombre. Personne ?
C’était comme un signal - elle appartenait à quelqu’un. Et cette loyauté du coeur, premier sentiment, neuf, devait être rappelée sur son apparence. Quand bien même le cadeau ferait certainement ricaner un Zabini débordant d’opulence. Elle portait une bricole, certes, mais son importance dans les jeu était bien plus grande que celle de Blaise, n’est-ce pas.

Finalement, la voix lui fit réaliser la dimension de la scène. Entre deux mondes, elle était accrochée. Tout comme le malheureux personnage dans ce cercueil, prêt à rejoindre un au-delà certain. Quel était ce dialecte ? Elle ne l’avait jamais entendu.
“ Ne vous excusez pas”, dit-elle dans un murmure. Elle contemplait le rituel avant de se détourner vers sa jumelle des ombres. “Puis-je vous demander quelque chose ?” Elle n’hésitait pas, mais cherchait à ménager son interlocutrice. Leurs précédentes entrevues étaient des accès de conscience difficilement atteints, le contact était brusquement perdu. Elle osait espérer que sa demi-conscience lui apporterait cette fois des réponses.

Elle n’éprouvait plus de méfiance pour cette étrange silhouette blonde, depuis qu’elle lui avait demandé de l’aide. Sa prétention aurait peut-être raison d’elle, mais il ne lui semblait pas que la jeune femme lui mente et soit malfaisante.
“Pourquoi avez-vous besoin de moi ? Je veux dire, que puis-je faire pour vous ?”

Elle pointa du menton le cercueil et, suivant une intuition qu’elle ne se connaissait guère, elle lui adressa un triste sourire. “Mes sincères condoléances, je suis vraiment désolée pour vous. Je…” Cette fois-ci, sa voix se perdit dans un souffle.
Elle dut rassembler un peu de courage pour poursuivre. “Je… J’ai senti votre tristesse.”
En réalité, elle ne la notait pas à présent et ça la troublait. Car à la Saint Sylvestre, elle avait bel et bien été parcourue de cette ondée mélancolique et tragique. Et elle pensait l’encourager en lui disant ainsi la comprendre.

Le rituel avait ceci de fascinant qu’il lui était inconnu. Dans son monde de rationalité mal accommodé à sa condition d’apprentie sorcière, Harmony n’avait pas fini de découvrir des choses à première vue incroyable, même pour cette habituée des créatures étranges et des ombres sinueuses. Tout ce qui dépassait du cadre de la grille qui lui permettait d’analyser le monde environnant était troublant.
Ses yeux quittaient difficilement les mains, les lèvres qu’elle distinguait mal au travers de leur barbe épaisse. Leurs mouvements étaient flous, rappelant qu’elle échappait à l’instant à la dimension familière.

Happée à nouveau par l’atmosphère si particulière, la mélancolie doucereuse, Harmony présenta ses condoléances à la jeune femme. Elle songeait cependant à ce qu’impliquait sa phrase. Prisonnière de l’artefact. Ainsi donc la broche l’abritait bien. Mais de quelle manière ? Elle avait parcouru les grimoires et ne voyait pas quelle magie pouvait être à l’oeuvre. Car les Pensines servaient à sauvegarder les souvenirs. Et, en même temps, il lui semblait que son interlocutrice dépassait la matière simple de souvenir laissé là. Elle était dotée d’un libre-arbitre, s’adressait directement à elle. Elle avait bien entendu les rumeurs quant au scandale, arrivé l’année avant son entrée à Poudlard, de l’ouverture de la Chambre des secrets. Certains avaient mentionné un carnet, un journal intime.

Ainsi donc c’était son père. Et le lien qui était souligné par la femme du souvenir glaça le sang de l’adolescente. “Que.. comment sais-tu que je n’ai plus mon père ?” murmura-t-elle. Elle fut soudain envahie d’une peur rampante : quelle place s’était faite cette femme dans sa conscience ? Si elle pouvait briser sa normalité pour s’inviter dans ses pensées, ses rêves, était-elle toujours plus ou moins présente, planant, observant son esprit ?
Et la rumeur du journal intime lui revint à l’esprit. On disait que c’était la magie du journal qui avait permis l’ouverture de la porte. Quel dessein servait cette femme ?

Sa réflexion fut brisée par l’empressement de sa requête. L’accepter auprès d’elle ? C’était plutôt cocasse quand on notait qu’elle pouvait s’inviter dans son esprit à tout moment. Harmony la dévisagea un instant avant de lui offrir un souvenir aimable. D’une voix douce, elle répondit : “Je veux bien vous aider, bien sûr. Mais j’aimerais mieux comprendre.” Elle ne comprenait rien de la situation. Elle ne savait pas qui “ils” étaient. Qui “elle” était. Ils étaient peut-être la chimère semblable à un Détraqueur, ou bien l’homme qui lui avait intimé de ne pas avoir peur. A moins que ce ne fût son père ? Un père n’appelait pas sa fille “ma chère amie”, cependant.

Sa voix se fit plus sèche, plus assurée. Après tout, pour elle, il ne s’agissait que d’un rêve. “Qu’attendez-vous exactement de moi ? Et que vous arrivera-t-il si je refuse ?” Si elle était enfermée dans cette broche, peut-être y-avait-t-il une raison, également. Son sourire restait figé - elle était méfiante : “Vous comprendrez que je ne sois pas rassurée à l’idée d’accueillir une inconnue. Et vous savez tant de moi.” Elle serrait le poing, attendant une réponse rassérénante avant de sceller leur concorde.

Elle ne comprenait pas. Elle ne saisissait pas ce que ce souvenir de fumée lui voulait. Ou plutôt, pourquoi elle ? Etait-ce simplement la conjoncture - c'en aurait été une autre, ou un autre, si la broche lui avait piqué le doigt plutôt que le sien. Ç'aurait pu être Yvain, s'il avait été maladroit pendant qu'il peignait le bijou.
Alors Harmony se méfiait. Elle n'avait rien demandé de tout cela.
Et doucement, la peur l'envahissait. Elle refusait de s'engager plus avant auprès d'un être sans, au bout du compte, aucune matérialité. Pour ce qu'elle en savait, cela aurait pu être une banale illusion.

Les âmes dans les limbes devaient y rester. Les morts appartenaient au passé. Elle, Harmony Sharen, n'appartiendrait pas à un fragment du passé. Elle vivait dans le présent monde, vivait pour le futur trouble.
Et la jeune femme refusait de répondre à ses questions.

Non, elle ne lui faisait pas confiance. Tout ceci était trop romancé, trop abstrait, pour qu'elle morde à l'hameçon. Elle éprouvait de la sympathie pour cette femme dont elle avait ressenti toute la crainte ; elle voulait la connaître. Mais si elle ne se dévoilait pas plus, elle ne pourrait pas lui faire confiance.
Elles devaient être à égal niveau.

Quelle était cette permission qu'elle lui demandait ? Après tout, elle savait déjà pour son père. Elle devait savoir bien d'autres choses. Qu'est-ce qu'elle pouvait en avoir à faire, de l'énergie qu'elle dépensait - elle s'invitait sans sommation dans sa conscience. Que voulait-elle de plus ? Et surtout, pour quoi ?

Elle avait refusé de lui dire ce qui adviendrait d'elle si Harmony refusait sa présence. La noirceur se propageait, dévorante, brûlante de froid et Harmony ne lui répondait pas. Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire, après tout ? Peut-être que sa place dans un cauchemar était méritée.
La paix. C'en était presque drôle.

Enfin, l'image s'évanouit. Harmony reprit conscience, se réveilla.
Elle était en paix, elle.
S'asseyant sur le rebord du lit elle prit son peigne sur la tablette. Démêlant ses cheveux, elle triait ses pensées et sentiments. Avec application. La femme reviendrait certainement dans son esprit. Si c'était le cas, Harmony la questionnerait.

L'anxiété allait s'accroissant alors que les examens étaient tout proches. Elle avait beau s'échiner sur ses parchemins, souligner frénétiquement ses notes de cours, tourner avec avidité les pages de ses manuels, elle ne pouvait échapper à une forme de distraction qui la laissait, le regard au loin, fixant un rayonnage aléatoire de la bibliothèque. Comment se concentrer sur de banals examens de fin d'année quand rien n'allait ?
Yvain semblait presque plus désorienté que lorsqu'il avait à nouveau passé la porte de Poudlard, un mois auparavant. Elle le sentait faible.
Elle souriait à présent à son frère quand elle le croisait dans les couloirs – il le fallait. Ils avaient besoin d'être unis. Mais à quoi bon suivre des plans élaborés par deux jeunes hommes : l'un évaporé, l'autre perdant pied ?

Elle voyait peu ses amis. (En avait-elle seulement?) Aston s'était éloigné d'elle sans qu'elle en comprenne réellement la raison, depuis qu'ils s'étaient chacun trouvé quelqu'un à aimer. Alycia les avait rejoints et, plus que jamais, la blonde observait son aînée. Mysie la collait toujours autant, Morange l'ignorait – il était devenu spécialement arrogant depuis peu. Au final, elle se retrouvait souvent, assise à une table, Ona en face d'elle, une montagne de grimoires les séparant artificiellement. Elle était complètement recluse.
Seuls ses entraînements avec Gabrielle lui constituaient une forme de loisirs. Elle redoublait d'efforts, laissant se développer en elle une rage, une fureur qu'elle avait longtemps entendu ronronner au dedans d'elle, et qu'elle se devait d'apprendre à maîtriser. Elle progressait. Les sorts étaient simples pour l'instant, mais enchaînés rapidement ; elle arrivait à un résultat sensible. Et revenait épuisée.

Ce soir, elle s'était couchée relativement tôt, avait joué avec Plum un court instant, avant de s'assoupir. Son sommeil était généralement lourd, ces derniers temps.
Les ondées fantastiques s'instillaient aisément en elle, alors qu'elle s'enfonçait dans une nuit noire. Sa poitrine se soulevait régulièrement, doucement ; son esprit était inerte, s'abandonnant à quelques heures de répit. La voix, pourtant, elle la reconnut. Cela faisait bien longtemps. Et, alors qu'elle dormait profondément, sa conscience fut stimulée par cette femme qui ne la laisserait jamais à son aise. Elle luttait, s'agitant et geignant entre ses draps. Elle ne voulait pas se réveiller. Elle ne voulait pas être tenue dans cet état de demi-sommeil, dans un voyage glauque à travers l'espace et le temps, pour rejoindre une femme, certainement morte, sûrement sans avenir. Elle n'était plus maître de son corps, ni de son esprit, dans ces instants-là. Et c'était une sensation intolérable.

Bien pire que tout cauchemar. Car ce qu'elle vivait n'était pas le fruit des élucubrations de son inconscient – oh non ! Aucune imagination derrière tout cela ! Mais bien les fils tenus par une entité dont elle ignorait tout, mais dont elle savait qu'elle était la marionnette, au plus profond de son intimité. C'était insupportable.

Une autre voix résonnait toutefois. Celle qui répétait son prénom.
Et, dans un sursaut inespéré, Harmony se réveilla. Le front luisant, la respiration saccadée, elle s'était redressée, assise sur son matelas, sous des draps chiffonnés. Les yeux écarquillés, elle cherchait le regard de Hope. Inquiète.
Elle reprit ses esprits et soupira.
« Oh, pardon, je t'ai réveillée ? J'ai fait un cauchemar, je pense, comme des lianes qui m'enserraient. » lâcha-t-elle d'une voix encore fatiguée. Elle porta la main à son visage pour décoller les quelques mèches blondes salies par la sueur. Puis remit de l'ordre à ses couvertures, avant de ramener ses genoux contre elle. Il lui faudrait un moment avant de pouvoir se rendormir – si toutefois la femme de la broche la laissait tranquille pour cette fois.