Filature, embrumes et crottes de nez (ou pas...)

Jeudi 30 janvier 1997, fin d’après-midi.

Quinlan se méfiait de ce qui était simple à première vue. Haveirson lui avait au moins appris à faire ça. Il avait bien reçu la missive de Megan à laquelle il n’avait pu s’empêcher de répondre de façon très particulière. L’humour en tant que défense, Quinn connaissait bien. Cette mission lui trottait en tête désagréablement depuis quelques jours, et il espérait vraiment qu’il s’était opposé à Dumbledore à raison. Dût-il échouer qu’il aurait l’air vraiment con pour le coup.

Aujourd’hui avait été un jour un peu étrange aussi. Le Comte ayant, comme il l’avait pensé, espionné ses échanges épistolaires avec Isolde, il n’avait pas manqué de lui envoyer un message de menace particulièrement sordide, le tout en faisant réapparaître le miroir au-dessus du lit, un miroir qui n’était plus le bienvenu depuis quelques semaines déjà. Quinlan avait eu une nuit horrible traversée de cauchemars, un réveil passablement désagréable, et une rencontre inattendue à la piscine où il avait décidé de passer ses nerfs. Améthyste Miller n’était pas exactement de mauvaise compagnie, mais on ne pouvait pas dire non plus qu’elle fut particulièrement souriante.

Du coup, Quinlan n’avait pas vraiment réussi à se pencher sur ses travaux personnels dans la journée, alors même qu’il s’agissait de son jour de repos. Tant pis. Il y avait des jours comme ça. Regardant l’heure, il soupira et alla s’habiller pour l’occasion : un jean tout simple, ainsi qu’un t-shirt et du seul pull qu’il avait dans son armoire, le tout dans les tons noirs et gris, quelque chose de sobre et surtout, de discret. Il mit par-dessus son énorme robe de sorcier en laine noire, et quitta son appartement. Il avait laissé un mot à Clemens au cas où ce dernier viendrait en son absence.

Il s’était ensuite dirigé vers la zone de transplanage d’Haveirson, où il vit Megan qui était déjà là à l’attendre. En arrivant à portée d’oreilles, Quinlan la salua poliment et inspira un grand coup.

— Prête ?

Il voyait bien qu’elle stressait et faisait tout ne pas être dans le même cas. Ils ne seraient pas avancés sinon.

Ils transplanèrent et arrivèrent en avance, comme prévu. Devant l’apothicaire où devait se rendre leur cible se trouvait un petit café où ils s’installèrent pour surveiller les environs. Un café devant lui, Quinlan écarquilla les yeux en entendant Megan lui demander s’il avait un plan. Elle n’en avait pas, elle ? Ah bah bravo. Bon, il n’allait pas se mettre à râler aussi tôt, et mit en action son cerveau.

— Pas là comme ça, je m’attendais à ce que ce soit déjà décidé. J’ai pris la liberté d’emporter un sédatif, au cas où.

Pas de véritaserum, malheureusement. La potion se faisait rare, et avec tout ce qu’il s’était passé au mois de janvier, Quinn devait avouer qu’il avait fait un bien piètre membre de l’Ordre. Trop dispersé. Trop indépendant. Trop détaché. Au point même d’accepter ce qui, de l’extérieur, paraissait impossible à imaginer.

Un plan commençait tout de même à se former dans la tête de Quinlan, qui en fit part à voix basse à Megan.

— Hmm… On pourrait le filer à sa sortie jusqu’à ce qu’il soit dans un endroit isolé. On le sédate, on l’emmène dans un endroit désert et là, on le questionne.

Bon, ils savaient tous les deux à quoi risquait de tourner cet interrogatoire, mais le mot torture était un peu fort pour le moment. Si Quinlan pouvait s’en sortir sans se tacher les vêtements, ce serait pour le mieux. Et sans faire de victime inutile aussi, ça pourrait être bien.

Par contre, il avait sûrement loupé un détail mais…

— Il est censé savoir quoi lui déjà ?

P’tain. L’Ordre des Bras Cassés, quoi. Mais il fallait un peu se mettre à la place de Quinlan. Haveirson le rendait fou, tout comme les récents événements avec ses proches. L’Ordre avait été bien loin de ses considérations pendant tout le mois de janvier, et maintenant qu’il était au pied du mur, il prenait conscience de son manque cruel de préparation.

— Au pire on improvise.

Vive le professionnalisme, hein.

Quinlan ne voyait pas pourquoi elle fronçait les sourcils. Ils auraient pu avoir un plan tout prêt non ? Non…? Bon tant pis. Il lui exposa son idée, à laquelle elle répondit en objectant tout de même. Elle n’avait pas tort. Le filer dans les rues pouvait s’avérer encore plus dangereux. Pensif, il réfléchit à une autre solution, quand elle la proposa d’elle-même. Un Impérium. Ouais, pourquoi pas.

— Hmm… Si tu sais lancer ce genre de sorts ok. Moi je suis pas sûr d’y arriver correctement.

Il était bon en sortilèges, mais on n’apprenait pas les sorts impardonnables à Poudlard, malheureusement. Quinlan avait beau penser ce qu’il voulait à propos du contrôle, du libre arbitre et de la paix dans le monde, rien de tout ceci ne s’appliquait lorsqu’il partait en mission. Il avait un objectif à remplir, et les fins justifiaient amplement les moyens.

Par contre, s’il était médium, ils avaient du souci à se faire. Il les verrait sûrement arriver avec leur plan bancal, et aurait tôt fait de trouver une parade. À moins que… Voir l’avenir, ce n’est pas forcément être en mesure de l’empêcher de se produire. Et ils ne savaient pas non plus s’il pouvait voir clairement ou non. Quinlan était fermement convaincu que le futur n’était pas unique, mais que chaque choix menait à un futur différent. Tout pouvait changer au moindre détail modifié. En n’ayant pas de plan réellement solide, ils avaient peut-être un avantage. Megan eut exactement la même réflexion que lui, signe qu’après tout, ils n’étaient pas obligés de se haïr.

— Bien. On improvise. Tu sais que je suis pas calé en magie offensive, mais je connais deux ou trois trucs de médicomages plutôt sympa claqués hors contexte.

Il soupira longuement et prit une longue rasade de café.

— Alors, on y va, on le choppe et l’emmène hors du Chemin de Traverse ? Au pire on fait diversion en s’engueulant, personne ne le remarquera en train de nous suivre.

Lançant un regard vers Megan, il attendait de voir si elle était d’accord ou non. Il ne la portait pas dans son cœur, mais elle était sa partenaire de mission, et elle n’était pas dénuée de qualités. Peut-être qu’avec un peu de temps, ils pourraient devenirs amis ? Mouais. On verra.

Spoiler:

Elle devait le prendre pour un fou, lui qui d’habitude hurlait dès qu’on portait atteinte au libre-arbitre de quelqu’un, il tiquait à peine à la mention de l’Imperium et balançait sur le ton de la conversation qu’il n’était “pas sûr d’y arriver”. Le Quinlan en mission n’était pas celui qui enseignait à Haveirson. Sa morale était bien plus souple qu’il n’y paraissait, et il se prit même à songer qu’il devrait apprendre à lancer les sorts impardonnables. Juste au cas où.

Bon, il avait quand même de la ressource, chose qu’il précisa à Megan pour la rassurer. Il n’allait pas être totalement inutile non plus. Un fin sourire étira ses lèvres quand elle lui demanda d’être un poil plus précis.

— Oh, il y a certains sorts curatifs qui peuvent être assez violents si on les lance sur quelqu’un de bien portants. Sans oublier les sorts d’anesthésie ou d’amnésie qui peuvent être pratiques, même si je ne les utilise pas très souvent. Et ce que j’appelle la bulle, un sort qui isole phoniquement un espace restreint. Pratique quand un patient veut parler de choses sensibles. Bref.

Ce n’était pas là le cœur du sujet, mais Quinn réalisa que s’ils n’étaient pas en mission, il en aurait bien parlé plus en détail à Megan. Non seulement ces sorts lui seraient extrêmement utiles pour son métier, mais aussi pour ses missions au sein de l’Ordre et pour sa vie quotidienne. Une façon de pouvoir se défendre et parvenir à ses fins sans avoir recours à la magie noire, en somme.

Quant à l’endroit où ils l’amèneraient… S’ils pouvaient passer les Aurors avec un Imperium claqué sur leur cible, ils pouvaient aller presque n’importe où. Par réflexe, Quinlan pensa à un endroit en particulier où les cris ne feraient tiquer presque personne.

— Si on peut aller jusque là… La Cabane Hurlante…? Et au pire, Londres regorge d’endroits isolés.

Ce n’était pas comme s’il n’y avait pas de stations de métro abandonnés ou d’abri anti-aérien dans la capitale britannique. Le plus difficile serait encore d’y amener leur cible sans éveiller les soupçons. Quinlan finissait son café lorsque Megan l’informa que leur homme était arrivé. Lâchant quelques pièces — Quinn fit de même — elle se leva. La talonnant, le guérisseur la rattrapa et passa devant elle pour entrer le premier dans la boutique. Il ne fallait pas y voir là un sursaut de virilité mal placée mais une simple volonté de la protéger, au cas où une surprise les attendait à l’intérieur.

Il hocha la tête. Oui, c’était ça la bulle, un sort d’insonorisation, très pratique quand on était médicomage, ou qu’on voulait interroger des gens à l’abri des oreilles indiscrètes. Quinlan pourrait l’enseigner à Megan si elle le souhaitait. De toute façon, lors de sa prochaine séance de travaux avec ses spécialistes, il en parlerait. C’était un de ses sorts que la plupart des apprentis médicomages mésestimaient, bien à tort. Pour Quinn, c’était essentiel.

Il ne rebondit pas là-dessus : ils auraient tout le temps d’en parler plus tard. D’autant plus que Megan déplaçait la conversation sur un sujet bien plus brûlant. Où amener leur cible pour l’interroger ? Quinlan balança le premier lieu qui lui passa par la tête, oubliant dans le même temps que sa bulle pouvait régler le problème du bruit. Enfin, on n’était jamais trop prudent. Megan semblait approuver. Parfait !

Les deux coéquipiers se levèrent ensuite pour rejoindre leur cible chez l’apothicaire. Quinn entra le premier, et n’avait pas songé à le stupéfixer directement. Disons que ça manquait un peu de finesse, non ? Mais Megan n’était pas de cet avis. Ils feraient deux beaux témoins tiens !

— Stupéfix !

Reportant son attention sur Megan qui essayait de lancer son Imperium sur Krockwell, Quinlan hésita un instant à tenter lui aussi. Heureusement, elle y arriva avant, et se tourna vers lui et l’apothicaire. Avant de le stupéfixer, Quinlan sortit une petite fiole d’un liquide verdâtre. Oh, il devait savoir ce que c’était non ?

— Bois.

Ils étaient menaçants, avec leur baguette prête à lancer des sortilèges impardonnables… Et puis il fallait aussi avouer que Megan et Quinlan n’étaient pas les moins intimidants des sorciers. L’apothicaire but la potion d’amnésie légère — quelque chose de très agréable, qui se rapprochait un peu de son Jabberwocky — et le stupéfixa ensuite, en récupérant la fiole vide.

— Au cas où, murmura-t-il comme pour se justifier.

Ils purent enfin sortir dans la rue, ce qui posait la question de la formation à adopter. Quinn, gardant un air le plus naturel possible, se mit à côté de Megan.

— Marchons comme ça et si jamais on nous regarde un peu trop, tu n’auras qu’à m’embrasser. Les gens détournent le regard dans ces cas-là, même les plus entraînés.

Quinlan ne put s’empêcher de ricaner.

— Pas que ça m’enchante mais ça sera drôle à raconter après. Et puis, t’es pas moche.

En réalité, rien que le fait de faire la conversation comme si de rien n’était pouvait déjà endormir la vigilance des Aurors. Quinlan comptait aussi là-dessus, en espérant qu’ils ne fassent pas trop attention au vieux habillé comme pour sortir d’un bal qui traînait tout près d’eux. Beaucoup trop près, même.

HJ:

Quinlan avait bien fait de penser à prendre quelques potions de médicomagie modifiées pour l’occasion. Bon, même si le Jabberwocky était quelque chose de plutôt récréatif qu’autre chose… Il avait encore le sédatif, d’autres fioles de potion d’amnésie légère, et un remontant au cas où ils seraient obligés d’abîmer un peu trop le Krockwell. Connaître le corps humain avait aussi ses avantages. On savait où ça faisait mal, et on savait comment ne pas laisser de traces.

Et même sans ça, il estimait ne pas être dépourvu de ressources. Il évoqua un moyen plutôt agréable de faire diversion lorsque lui et Megan furent enfin dans la rue, mais elle sembla dubitative. Dommage. Elle ne savait pas ce qu’elle perdait ! Il avait bien envie de lui dire que c’était comme ça que commençait l’histoire entre Leïa et Han Solo, mais il n’était pas sûr qu’elle saisisse la référence. De toute façon, ils arrivèrent bientôt à la zone de transplanage… Où surgirent plusieurs Mangemorts, les prenant par surprise.

Ni une ni deux, Quinlan eut le réflexe de transplaner directement, emportant avec lui Krockwell et Megan. Cette dernière fut projetée en arrière et se fracassa le dos sur un escalier, provoquant un sursaut d’inquiétude chez son coéquipier. Il faillit crier son prénom, se retenant au dernier moment. S’il était vraiment clairvoyant, leur cible connaissait déjà leur identité, mais sinon… Ce serait une info lâchée gratuitement et stupidement.

— Ça va aller ? T'es sûre ?

Pas spécialement rassuré mais puisqu'ils avaient des choses plus urgentes à régler, Quinlan lui obéit et emmena le vieux sorcier à l’intérieur, où il le ligota magiquement. Il lui lança un incarcerem un peu modifié par ses soins — Quinn adorait bidouiller ses sortilèges — et Krockwell fut alors ligoté de façon particulièrement inconfortable. Les bras tendus en arrière, étroitement ficelés, et les jambes repliées sur elles-mêmes avec les pieds dans l’alignement, ce qui faisait que Krockwell devait prendre appui principalement sur ses genoux. Le vieux aurait au moins des courbatures le lendemain.

Voilà. Il était seul, avec ce mec qu’il allait devoir interroger pendant que Megan se retrouvait à guetter dehors. Quinn eut un sursaut d’inquiétude pour elle, avant de se tourner vers le vieillard. Il fit les cent pas devant lui, jouant avec sa baguette d’aubépine en attendant que l’Imperium ne se dissipe. Patient, Quinlan attendit quelques minutes avant de le voir s’agiter. Il lança alors sa bulle autour d’eux. Un rictus déforma son visage alors qu’il se concentrait pour savoir exactement quelle question poser.

— On sait pour qui tu travailles, vermine, et on connaît ton petit talent secret…

Il s’accroupit devant lui, et le regarda dans les yeux sans se départir de son petit sourire.

— Quel est l’objet que recherche Tu-Sais-Qui et pourquoi ? Que compte-t-il faire avec !?

Quinlan se souvenait bien d’Albus Dumbledore citant un certain “Joyau de Sherwood”, mais il préférait ne pas balancer le nom lui-même. Avec un peu de chance, Krockwell leur confirmerait que c’était bien cela que cherchait le Seigneur des Ténèbres, et le cas échéant, Quinlan saurait qu’il n’était qu’un menteur. Le véritasérum n’aurait vraiment pas été de trop effectivement mais… passant la main derrière le vieillard, Quinn lui prit les poignets et les leva. Ayant les bras tendus en arrière, le simple fait de lever les mains faisait basculer tout le corps en avant dans une position inconfortable et douloureuse.

— Je pourrais te casser les bras, mais dans le fond, nous savons tous les deux que ce n’est pas forcément nécessaire. Parle.

Il pouvait aussi lui faire tout un tas d’autres trucs beaucoup moins cool aussi mais généralement, la perspective de se faire déboîter les épaules suffisait. Au moins au début.

Megan ne tarda pas à réapparaître. Sa blessure n’avait pas dû être trop grave, même si ça n’empêcherait pas Quinlan de vérifier tout ça une fois la mission terminée. En attendant, il se pencha de nouveau sur Krockwell, qui ne disait rien. Ou si, de la merde.

Loin d’être des conneries, cela dit. Ce qu’il cracha au visage de Quinlan aurait pu le blesser — non, ça le blessait réellement — mais le guérisseur se mura derrière une barricade d’indifférence et de froideur. Plongeant ses yeux dans ceux de Krockwell, s’accroupissant pour être à sa hauteur, il laissa un rictus étirer ses lèvres.

— Regarde bien, vieux con. Regarde l’état dans lequel je l’ai mise pour ce qu’elle m’a fait. Je te ferais pareil si tu parles pas.

Seulement, il s’en prit aussi à Megan, qui réagit de façon bien moins calme. Elle lui balança un Doloris sans sommation, avant de le bombarder de questions. Hmm, peut-être pas la peine de trop lui en dire non ? Remarque, s’il pouvait vraiment voir dans leur passé, ça ne servait à rien de cacher quoi que ce soit. Quinlan fit une petite moue, se redressa et s’approcha de Megan.

— Calme-toi. Sérieusement, il est attaché, il ne peut rien faire.

Il se tourna de nouveau vers le vieillard, le regardant d’un air hautain.

— Et puis franchement, le faire brûler de l’intérieur, ça ne ferait que le tuer, c’est pas ce qu’on veut. Par contre…

Quinlan s’approcha, et passa derrière Krockwell.

— C’est pas très sympa de fouiller dans nos souvenirs, tu sais. Je crois que t’as même un peu blessé mon amie, alors…

Lui saisissant les poignets, Quinlan les tira vers le haut. Bloqués dans la position inconfortable de Krockwell, ils furent d’abord douloureux, ses épaules menaçant de céder. Le vieillard s’était penché en avant sous la pression de Quinlan, qui ne l’entendait pas de cette oreille. Il lui prit le front dans la main gauche, toujours derrière lui, et continua à tirer ses bras de sa main droite.

— Tu parles, ou je t’arrache les bras.