Un lapin blanc en retard...

« Bon. Un mois et demi de retard. C'est pas si grave. »

Ce furent les premiers mots qu'articula Theodore après avoir passé la porte du grand hall, repoussant d'un geste lent sa capuche qui masquait sa tignasse blonde désordonnée, avant de jeter un œil à une montre à gousset qu'il extirpa de sa poche.

Grand hall. C'est adapté comme titre. Le regard de l'ancien Gryffondor fit rapidement le tour du hall, alors que sa main se resserrait sur la sangle de son sac de voyage. Remontant celui-ci sur son épaule dans un mouvement machinal, une horde de souvenirs lui revinrent en tête, plus rapidement et de façon plus désordonnée qu'une meute de loups sur un mouton isolé.

Drôle de mouton, d'ailleurs. Emmitouflé dans une cape de voyage, le grand dadais ne portait alors qu'un pantalon de randonnée beige, un pull épais d'ou dépassait une chemise blanche, et un étui à baguette pendant à sa ceinture. Pas le randonneur traditionnel de ces années la.

Mais pour en revenir aux-dits souvenirs … Il sentait ici la même ambiance qu'à Poudlard. Avec certes, bien plus de poids sur ses épaules qu'à l'époque, mais les impressions restaient les mêmes... Avec les menaces moldues en prime. Et les Mangemorts … Bon. Les choses ne sont pas les mêmes, soit.

Le bruit de ses pas sur le sol du hall avaient un effet apaisant sur son esprit, et ils parvint à extirper de sa mémoire certains visages, souvenirs … Tout une époque révolue. Qui sait ? Peut être en reverrait il certains ici. Sans doute même. Mais tout ceci soulevait bien trop de questions. Ce château, son propriétaire, les moldus … Il laissa glisser le sac à ses pieds, et sortit quelques papiers qu'on lui avait envoyé pour son admission, y jetant un œil distrait.

Ça allait décidément être une période originale à vivre, pour lui.

Alors que Theodore survolait la paperasse administrative, sans doute en quête d'un quelconque indice sur la suite des événements qui l'attendaient, un frisson lui parcourut soudainement la colonne vertébrale. Un instinct primaire, semblable à un mouton isolé et observé par une meute de loup. Il se retourna brusquement et se retrouva presque nez à nez avec un homme d'une quarantaine d'années.

Pour qu'il ne l'ait pas entendu s'approcher, Theodore se demanda si l'homme n'avait pas fait usage d'un sortilège. Ce dernier se tenait face à lui, stoïque, les bras croisés, plantant son regard sévère et glacial dans celui du jeune homme. Il leva son bras et regarda son poignet, vérifiant l'heure sur une montre imaginaire.

« Un mois et demi de retard. Rien que ça. Vous commencez bien l'année, dites-moi. » La voix du concierge claqua comme un fouet.

William était bien plus petit que le garçon, au moins d'une tête. Et sans doute plus frêle. Clairement, il ne gagnerait pas un bras de fer contre lui. Mais la présence ne se mesure pas à la musculature seule. Des années de conflits ont façonné au burin la stature de William. Droit. Inébranlable. Son visage semble être figé dans une expression à jamais sévère.

« J'imagine que vous avez une explication valable ? »

Clignant des yeux lentement, Theodore observa l'homme devant lui. Stoïque, glacial, imperturbable ... La première chose qui lui vint en tête à cet instant précis fût de pencher son visage sur le côté par réflexe, vérifiant si rien ne sembler dépasser du postérieur de cet homme. Mais il n'en fit rien. Et pour toute réaction, son sourcil gauche se haussa d'un bon centimètre, alors qu'il ramenait son attention sur ses papiers.

« Effectivement. » articula le grand blond d'une voix calme, une main calleuse venant masser sa barbe de trois jours quelques secondes. Lui aussi semblait imperturbable, mais dans un tout autre registre. Moins de rigidité que l'homme face à lui, un comportement tout empreint d'un flegme qui aurait pu presque passer pour de la passivité.

Relevant le regard vers l'homme, il le détailla à nouveau un long moment, observant ce qui faisait de celui ci une personne à ne pas mésestimer. A première vue glacial, il semblait être une boule de nerfs, tendue et prête à agir, mu plus par une discipline mentale que par un quelconque entrainement physique. Une combinaison souvent dangereuse, à l'état sauvage... Sauf qu'en plein milieu d'un hall, l'atmosphère de tension portait moins à confusion qu'ailleurs.

Repliant les papiers qu'il tenait sans les regarder, les rangeant dans une poche de son pantalon de toile, Theodore inclina la tête calmement, semblant par la même reconnaitre son statut de "retardataire".

« Je travaillais dans les Balkans, dans une expédition. Mon premier courrier pour préciser mon retard n'est jamais arrivé, vu que le hibou s'est fait dévorer vif par un dragonnet. Génant, vous en conviendrez. »

Il avait, comme sa stature le laissait présumer, une voix forte, sans une once de tension... Comme lui en soit. Flegmatique.

« Theodore Wellington. Enchanté. »

William prit un moment pour observer le jeune homme qui se dressait devant lui. Il semblait faire parti des rares individus à ne pas se braquer face à son caractère détestable. Où bien il avait trop d'air dans la tête pour que se déclenche une simple réaction, où bien il était assez discipliné pour savoir rester à sa place. Quoiqu'il en soit, il n'avait pas mordu à l'hameçon et lui tenait presque tête. De façon passive, assez étrangement.

Il porta son attention sur la tenue vestimentaire de l'étudiant : sac et cape de voyage, pantalon de randonnée et pull épais. Un amateur de la vadrouille visiblement. Et à en juger par sa barbe et sa chevelure indomptée, une hygiène sommaire. Son histoire d'expédition pouvait tenir la route.

« Voyons … les Balkans, un dragonnet. Vous participez à des expéditions bien dangereuses. Une chance que vous soyez encore en vie. Enfin, on verra si c'est une chance. »

William quitta sa posture de statue et imita une vague salutation.

« Je suis William Gallant, le concierge de ces lieux. Comportez-vous bien et vous n'aurez pas d'ennuis avec moi. A moins que vous n'ayez des questions, je vais vous laisser le loisir de rattraper votre retard. »

Sans bouger, le jeune homme jeta un regard à l'homme qui se présentait à présent comme le concierge, l'observant une fois de plus de la tête aux pieds. Moins chevelu que Rusard. Plus propre, aussi. Avec de la chance, cela présageait peut être du reste de l'établissement ? Si il y a bien une chose pour laquelle Poudlard ne lui avait pas manqué, c'était le fameux concierge, alors un autre ici ...

Il avait l'air d'être, lui, sur un tout autre registre. D'un cracmol haineux et persiflant, il passait à un homme tout ce qui semblait normal. Semblait. Les poils de sa nuque s'étaient hérissés en sa présence, comme pour signaler à la tignasse blonde qui se trouvait au dessus qu'il faisait face à un personnage sans doute aussi ambigu que lui, dans un registre bien différent.

Actuellement, il l'aurait plus vu derrière un bureau du ministère de la magie que face à lui.

Cette pensée fit remonter très légèrement le coin gauche de ses lèvres un très bref instant, avant de reprendre leur platitude au sein d'un visage tout aussi neutre.

« Trois, en fait. Des questions. » articula t'il d'un ton neutre, tournant à demi la tête pour observer derrière lui les escaliers qui se perdaient dans les étages.

« Ou sont les dortoirs ? Ou est la bibliothèque ? Et surtout, ou est le propriétaire des lieux ? »

Il poussa alors une longue expiration, son visage revenant avec une lenteur calculée vers le-dit concierge, sourcils haussés en une mimique interrogative.

Ces quelques minutes de discussion entre les deux hommes semblaient s'écouler aussi lentement que l'éternité. S'observant et se jugeant mutuellement, les mots étaient secondaires pour eux. De l'extérieur, cette situation aurait pu paraître follement monotone et banale, mais les deux protagonistes en avaient appris suffisamment sur l'autre sans recourir à la parole.

Sa curiosité satisfaite, et sachant que le jeune homme serait du genre à répondre à ses questions par d'autres questions, William prit sur lui d'accéder aux interrogations de Théodore de manière aussi concise que possible :

« La bibliothèque, c'est par les escaliers derrière vous, deuxième étage » dit-il en levant son bras juste à côté du visage de Theodore.

« Les dortoirs, c'est en fonction de votre confrérie. Aile Est, Aile Ouest ou le Donjon. Je vous laisse chercher. Quant au propriétaire ... »

Un mystère connu de tous. Même William ignorait l'identité de son employeur. De quoi l'embarrasser. Il ne sait pas encore comment et quand, mais il se jura de le découvrir.

« Quant au propriétaire, trouvez par vous-même. »

Avant de laisser le temps à Theodore de creuser la question, William tourna les talons et prit la direction de son bureau dans l'Aile Ouest. Il fouilla dans sa veste et en ressortit un petit carnet brun sur lequel il commença à griffonner tout en marchant.

Reprenant un visage à l'expression neutre, telle qu'elle aurait pu être gravée dans le marbre à coup de burin, Theodore écouta avec attention les réponses du concierge. Son esprit se concentra sur ses mots, plissant brièvement les yeux, alors qu'il tourna son visage pour regarder le grand hall, dressant mentalement une ébauche de plan dans son esprit. Répartition des pièces assez classiques, selon l'agencement du château vu de l'extérieur, et selon la date ou il avait du être bâti.

Bâti par qui, d'ailleurs. Ce château, et ses propriétaires étaient entourés d'une aura de mystère difficile à percer, échappant à la vigilance - visiblement - d'un grand nombre de personnes. Il s'était pourtant renseigné un minimum avant de débarquer ici, les orteils en éventail, mais n'avait pu glaner aucune information viable sur l'identité du mystérieux bienfaiteur d'Haveirson. Sorcier de sang-pur tentant de créer une nouvelle génération de mages ? Bienfaiteur invisible tentant de donner une éducation correcte aux jeunes ensorceleurs ? Ou la théorie plus étrange qui lui avait traversé l'esprit un long moment, à savoir la possibilité d'une manipulation par le ministère de la Magie afin de créer un lieu neutre ?

Toutes ces questions tournaient inlassablement sous son épaisse tignasse couleur de blé, le faisant expirer lourdement, narines arrondies alors qu'il fermait ses yeux, tel un taureau face à une cape rouge. Et quelle cape. Pour Theodore, rien n'était plus irritant, voire même énervant, qu'une information manquante dans une de ses théories ... Et les dieux savaient qu'il en avait à revendre.


« Quant au propriétaire ... »

Clignant avec vivacité des yeux, le grand blond se tourna vers William, le fixant de son regard semblable à la mer alors que l'information qu'il attendait peinait à sortir des lèvres crispées du concierge de sa nouvelle demeure pour les mois à venir.


« Quant au propriétaire, trouvez par vous-même. »

Arquant un sourcil, intrigué par la réponse, Theodore allait ouvrir la bouche lorsque son interlocuteur tourna les talons, sans même insister un bref instant. Volonté de brouiller les pistes ? Était il dans la confidence ? Ou ... pire, était il, lui aussi dans une mélasse aussi noire que le jeune homme sur l'identité du propriétaire de cette académie ? Si cela était le cas ... eh bien, l'année risquait d'être encore plus drôle à vivre qu'il l'avait escompté.

« Passez une bonne journée, William. » lança t'il alors, ses lèvres se plissant en une fine barre rosée qu'il prit bien soin de dissimuler sous sa main, relevant son lourd sac de voyage, le posant sur son épaule, avant de disparaître dans les escaliers, vers son nouvel antre.