Avant le couvre feu

Malva était de toute évidence gênée par ses questions, ce qui était plutôt compréhensible dans le cas présent. Elle n'avait pas seulement manqué d'outrepasser un règlement, elle avait aussi été blessée dans l'affaire. Sachant que ça datait déjà du mois de septembre, ça faisait beaucoup d'émotions d'un coup pour une élève de première année... Cyril se serait bien levé pour la serrer contre lui une nouvelle fois, mais il respecta la prise de distance. Son amie était souvent trop digne pour apprécier les rapprochements tactiles. Ça lui paraissait toujours un peu bizarre, mais chacun avait ses limites et ses affinités, après tout. Elle avait un bon fond tout de même.

" Ne te mets pas en danger pour ta collection d'herbes non plus ! Et tu devrais mieux écouter ce que Dumbledore raconte dans ses discours, il rappelle chaque année que l'accès à la forêt est interdit sans accompagnement. "

Encore une fois, il était plutôt mal placé pour faire un tel sermon. Il mettait un point d'honneur à outrepasser tous les règlements du château, et chaque entrée dans un lieu interdit était une nouvelle victoire. Néanmoins, il ne se permettrait pas d'évoquer de telles prises de risques devant sa jeune amie. D'autant que même lui évitait la forêt interdite. On ne savait pas vraiment ce qu'on pouvait y découvrir et même s'il aurait apprécié observer les sombrals dans leur milieu naturel, il ne se sentait pas vraiment de se défendre contre... contre quoi ? Il ne savait même pas quel genre de bestioles s'y trouvaient. Dans l'état actuel des choses, il préférait peut-être ne pas le savoir.

" Tu aurais quand même du aller voir Madame Pomfresh ! Tu as pris des risques inconsidérés, qu'est ce que tu aurais fait si la blessure s'était aggravée ? La Coupe des Quatre Maisons n'est quand même pas si importante ! "

Ça aussi c'était facile à dire pour lui, puisqu'il collectionnait les retenues et avait fait perdre plus de points à Gryffondor que la plupart des autres élèves. Weasley et Potter exceptés. C'était presque son challenge personnel, d'ailleurs, de réussir à se faire reconnaître comme un aussi grand fauteur de troubles que les jumeaux Weasley. D'ailleurs, il comptait se rendre à leur boutique pendant les vacances de Noël.

" Enfin, si ça date du mois de septembre, je suppose que te faire des remontrances ne sert plus vraiment à quelque chose de toute façon... "

Cyril s'efforça d'afficher un sourire rassurant. Il voulait garder une attitude positive en espérant que Malva vienne lui raconter ce genre d'événements plus rapidement, si cela devait se reproduire. Il s'était promis d'agir comme un grand frère envers elle, mais ça ne serait pas possible s'il n'arrivait pas à établir un vrai lien de confiance.

Elle restait dans son coin tandis qu'il la sermonnait, la tête baissée et les mains derrière le dos, penaude. La petite souffrait cela en silence, parce qu'elle savait que si Cyril connaissait la vraie raison, sa réaction serait sans doute pire encore. L'essentiel, c'est que la vivacité de son attitude montrait que son mensonge n'avait pas été aussi piètre qu'elle ne l'avait imaginé à prime abord.
Désormais, le soulagement et la culpabilité se déchiraient mutuellement dans son âme. "Je n'ai pas eu le choix, je n'ai pas eu le choix", répétait une infime voix continue, désolante et pourtant, sans qu'elle ne sache expliquer pourquoi, détestable. La culpabilité, elle, se faisait plus oppressante. La Gryffondor avait toujours mis un point d'honneur à être honnête, à ne pas mentir. Depuis septembre, elle avait toujours réussi à éviter les sujets auxquels elle ne voulait pas répondre, à détourner les conversations... avec son premier mensonge, c'était l'image qu'elle avait d'elle-même qui s'effondrait dans un gouffre. Elle se sentait salie, fourbe, véreuse. Un violent sentiment de dégoût monta du plus profond d'elle-même pour croupir au bord de ses lèvres.

" Enfin, si ça date du mois de septembre, je suppose que te faire des remontrances ne sert plus vraiment à quelque chose de toute façon... "

Sans même avoir le temps de reprendre le contrôle, de redevenir la vraie Malva, elle se surprit à lui faire une petite risette penaude, avant de hocher la tête. Au fond d'elle, un spectre muet hurlait. La sang pure plongea au fond de son essence, écarta tous les bibelots qui s'y trouvaient à la dérive, cherchant, cherchant ce petit fil rouge, ténu, son coeur...

*Je suis là. Tout va bien.*

Elle reprit pied. Mais juste à peine. Il lui fallait la rejoindre, au plus vite.

- C'est bientôt l'heure, on devrait y aller avant de se faire prendre par Rusard, murmura-t-elle.

Les deux jeunes gens descendirent ensemble en silence, avant de regagner la salle commune. Malva était desemparée, et n'avait même plus la sève nécessaire pour entretenir un flux de pensées cohérent. Peut-être Cyril lui adressa-t-il la parole, peut-être pas, si ç'avait été le cas elle ne l'avait pas même entendu. Tout au plus put-elle constater que la salle commune des Gryffondors était vide lorsqu'ils y pénétrèrent.
Elle s'arrêta en plein milieu et lentement, se tourna vers lui. Monocorde.

- Merci beaucoup pour tout. J'espère qu'à l'avenir nous aurons un peu plus de temps à passer ensemble. Bonne nuit, Cyril.

Mécaniquement, son bras s'accrocha à la rampe d'escaliers pour la tirer vers son dortoir. Y entrer. Faire semblant de dormir. Et attendre l'heure du loup.