Profs, patates et paresse [ouvert aux professeurs]

Finalement, cette discussion entre frères ressemblait de plus en plus à une séance de thérapie familiale. Neal et Quinlan se rassuraient l’un l’autre sur leurs propres complexes, qu’ils soient visibles ou non. Même s’il en avait besoin et que les mots de son frère lui faisaient un bien fou, Quinn ne s’en trouvait que plus agacé. Il se détestait quand il se rendait compte que les conventions sociales avaient encore une prise sur lui, et qu’en conséquence il se retrouvait à chouiner son propre sort alors que sa vie était quand même loin d’être dégueulasse. Du nerf, que diable !

“Ouais, peut-être que je finirai pas tout seul comme un con pendant que tu seras entouré de petits-enfants.”

Il avait tellement envie d’ajouter ‘avec un peu de chance, je crèverai avant’, mais il savait que ça n’allait faire que blesser son petit frère, et ce n’était pas le but de la manoeuvre. Même s’il le pensait vraiment. Il caressa distraitement le Maître qui était venu prendre place sur ses genoux, attirant la jalousie du Docteur qui miaula bruyamment à l’autre bout de la pièce. Pourquoi ils avaient des chats, déjà ? Ah oui, parce que pendant que Neal était parti en vadrouille, les deux frères s’étaient soudain sentis terriblement seuls. Meh.

Envoyer tout bouler ? C’est vrai que c’était la spécialité de Quinlan, même quand il s’agissait de draguer ses étudiants avec la subtilité du rhinocéros laineux des plaines du nord-ouest. Cela dit, il ne savait pas si c’était l’air d’Haveirson ou le fait d’avoir un nouveau chez lui, un travail plus stable avec des horaires moins changeants qu’avant, mais Quinn en aurait presque envie de se poser. Presque.

“Ouais, c’est sûrement ce que je vais faire.”

Il y avait tellement d’autres choses qui entraient en ligne de compte. Même s’il avait peu de secrets, Quinlan en avait quand même, et s’était persuadé avec le temps qu’il n’était pas quelqu’un de spécialement fréquentable. Aurait-il eu une véritable volonté de se poser que ça n’aurait pas fonctionné. Avec Roxanne, ça avait foiré, alors pourquoi ça marcherait avec quelqu’un d’autre ? Quinn ne voulait pas reprendre ce genre de risque. Pas maintenant qu’il… Il n’y avait pas que sa vie qui était en jeu, et s’il voulait continuer à faire ce qu’il faisait, il devait rester un solitaire.

“Heureusement que t’es là, quand même.”

Une conclusion un peu bateau pour une conversation qui n’aurait jamais dû s’égarer sur des pentes aussi glissantes. Quinn chassa Roxanne de son esprit. Il revit certain·e·s de ses autres ex avec qui ça s’était bien mieux passé, jusqu’à ce que son esprit ne fasse un arrêt sur images au chapitre ‘Clemens’. Quinlan en espérait presque qu’il serait insupportable, stupide au possible, ou ennuyeux. Qu’il lui donne une raison, même minime, de ne pas vouloir s’attacher à lui. Sinon Neal serait bon pour une fournée de cookies.

Sociabiliser... se faire des amis... rencontrer des professeurs... sortir... avoir un copain, une copine... arrêter de répondre aux coups de téléphone de sa mère... arrêter d'essayer d'appeler Lydia... arrêter de vivre la nuit... à quelle ligne en était-elle ? Zut, il faudrait aussi qu'elle arrête de lire autant. Qu'elle relève le nez du papier. Il se passe des choses intéressantes, dans la vie réelle, non ?

Sursaut de conscience. Elle a commencé à s'endormir, et son front frappe la page ouverte avant qu'elle ne se redresse d'un bond. Quelle heure est-il ? L'heure de se coucher, lui répond son crâne endolori. Elle est réveillée depuis 23h la veille, et elle commence à regretter sa tentative de reprendre un rythme de sommeil « humain ». Il faut qu'elle bouge, qu'elle fasse quelque chose ; les lettres sont trop flous pour qu'elle continue, et elle repose le livre en soupirant.

Pas de machine à café dans cette maudite chambre. Un tour du coté de la salle des professeurs s'impose.... Il va falloir qu'elle s'habille. À cette idée, un grognement monte dans sa gorge, qu'elle retient de justesse. « Tu n'es pas un animal, Sky » marmonne-t-elle en attrapant un jean et un sweater. Il y a assez peu de chance qu'elle croise d'autres professeurs, non ? Elle repousse vélocement le coté incongru de cette idée. Mais oui, il n'y aura personne pour la voir habillée ainsi, c'est logique...

La salle des profs n'est vraiment pas loin, à son plus grand bonheur. Sur le chemin, elle compte les tableaux, le nez en l'air, observant distraitement les austères visages de nobles ancêtres. Qui sont-ils ? Elle n'en a pas la moindre idée. À mi-chemin, elle se rend compte qu'elle est pieds nus. Bon, trop tard pour faire demi-tour, elle n'est plus à ça près.

Elle pousse la porte de la salle. Deux hommes sont là, l'un installé dans un fauteuil, l'autre à califourchon sur une chaise près de lui. L'idée de les saluer ne la traverse pas un seul instant, ses vieux instincts reprenant le dessus. Ne pas les regarder dans les yeux, ne pas attirer leur attention. Elle n'est là que pour le café. Elle s'approche de la machine et commence à se préparer une tasse, avant de remarquer que le bruit étouffé de leurs voix s'est arrêté dans son dos.

Qu'a-t-elle dit, fait ? Elle ne se souvient plus trop. Oh ! Peut-être qu'elle aurait dû leur présenter ses salutations. Les sorciers bien élevés font ça, c'est vrai. Elle se retourne, embarrassée, et cherche quelque chose à dire. Les yeux fixés sur ses doigts de pieds, elle prie pour une inspiration, pour que quelque chose de censé sorte de sa bouche.

« Désolée d'avoir interrompu votre discussion. Vous pouvez continuer, je n'en ai pas pour longtemps. »

Elle se redresse un peu. Ce n'était pas si terrible que ça, comme première approche... hormis les excuses inutiles, peut-être. Elle relève enfin les yeux, repousse les mèches qui ont commencé à glisser de derrière ses oreilles, et leur adresse un sourire gêné. Au moins le saura-t-elle, la prochaine fois ; la fatigue et les bonnes manières ne font pas bon ménage.