Inquiétudes

HRP:

Daphné enfonça un peu plus son bonnet vert sur sa tête, dans une vaine tentative de se protéger de la neige, et continua à marcher vers la porte des Trois Balais en accélérant un peu le pas. Elle avait réussi à finir tous les devoirs qu’elle avait prévu de faire afin de se ménager l’après-midi, elle n’allait tout de même pas gâcher tout ce travail en arrivant en retard à son rendez-vous avec Rowan…

Elle s’assura d’une œillade à sa montre qu’elle avait bien dix minutes d’avance, et poussa la porte du bar. Elle s’arrêta une seconde pour savourer la chaleur qui lui réchauffait le visage, et ôta son bonnet d’un mouvement fluide. Son regard brun parcourut la salle à la recherche de la silhouette de son ami d’enfance, mais il lui apparut très vite qu’elle était arrivée la première. Elle se dirigea vers une table libre, pas très loin de l’immense arbre de Noël, et s’assit en douceur, évitant de froisser ses vêtements. Elle ôta son manteau avec précautions pour ne pas se mouiller, et le posa sur le dossier de la chaise vide à côté d’elle.

Maintenant, il ne lui restait plus qu’à attendre un peu.

Elle tourna et retourna machinalement le petit pendentif qu’elle portait pour l’occasion entre ses doigts tout en observant la foule autour d’elle, une expression pensive ayant pris le dessus sur le masque neutre qu’elle arborait habituellement. Elle ne s’arrêtait pas vraiment sur les personnes présentes, l'esprit malmené par les inquiétudes qui prenaient toujours le pas lorsqu’elle n’était pas occupée. Même si revoir Rowan était un plaisir certain, cela ravivait en elle des peurs qu’elle ne parvenait à museler que lorsqu’elle n’y était pas directement confrontée. Elles tournaient d'ailleurs souvent en partie autour de lui, exposé dans cet extérieur qui la terrifiait ; cela avait beau être elle qui avait proposé ce rendez-vous, elle avait eu du mal à poser le pied en dehors de Poudlard.

Elle soupira, et passa une main dans ses cheveux, comme si les remettre en ordre allait également discipliner son esprit.
Elle devait se détendre, se répéta-t-elle en enroulant une mèche de cheveux autour de son doigt. Rien n’allait lui arriver.

Son regard pâle et exténué croisa son reflet dans le miroir. Blafard. Terne. Légèrement étiolé par l'humidité de la salle d'eau. Les dernières nuits avaient été diablement éprouvantes, lui tirant des plaintes que seul son oreiller pouvait accueillir... Sans risquer de s'en froisser. Petit à petit, son corps tentait de le trahir. Ici et là, les traits de son visage se creusaient. Des cernes s'immisçaient sous ses yeux inquisiteurs et froids. Avait-il à ce point perdu le sommeil que sa santé en pâtisse ?

L'ancien Serpentard se pencha vers le lavabo, tout en plongeant ses fins doigts dans l'eau. Tout lui paraissait si déformé. Si incomplet. Incohérent. Il eu un pauvre sourire qui s'effaça sous la première ablution. L'eau glissa contre ses joues et son menton, puis s'écoula le long de sa gorge. Il eu un vague frisson quand l'une des gouttes s'aventura sur son torse. Si le seul moyen de garder les idées claires était celui-ci... Il s'y damnerait pour ne trop se montrer humain. Faillible.

De ses mains, il lava progressivement le reste de son corps. En silence. La moiteur de la pièce lui collait à la peau, sans qu'il y prête davantage attention. Du moins, jusqu'à ce qu'il termine sa toilette. Daphné. Son esprit devait impérativement se focaliser sur son amie d'enfance, afin de distraire les cruels démons qui le guettaient en permanence ces dernières semaines. Un moyen de survivre.

Rowan gagna sa chambre dans le plus simple appareil, avant de se vêtir en des teintes sobres. De l'ébène et du cuivré. Avec une épaisse cape de sorcier noir. Suffisante à le protéger du froid hivernal qui se profilait ? Assurément. A défaut de le préserver des charmes insensés d'une petite française... Cette seule idée le crispa instantanément.

Il ne devait surtout pas y penser. Ce serait gâcher ses forces et son entrevue avec la petite Greengrass.

L'héritier Westminbrook quitta enfin Haveirson pour se rendre à Pré-au-Lard. En arrivant sur les lieux, il profita de la foule abondante pour sortir une fiole d'une poche intérieure, la boire et la ranger. Il serra brièvement les dents au goût âcre de la potion. Puis il s'affaira à sa tâche principale.

À l'heure dite, Rowan entra dans la bâtisse des Trois Balais. Il y fit quelques pas nonchalants avant de repérer Daphné. En l'approchant, il dû bien s'avouer qu'elle n'avait plus grand chose d'une « petite » fille. Au contraire.

Trop de choses lui échappaient. Surtout le temps.

Il se stabilisa juste devant la table de son amie, inclinant son visage avec respect. Et... Une pointe de chaleur. « Bonjour, Daphné. » Il se plaça ensuite lentement à ses côtés, en des gestes maniérés et maîtrisés. « Tout va pour le mieux depuis nos dernières missives, mon amie ? » Il l'observa avec une attention toute particulière. Bienveillante.

L’arrivée de Rowan tira Daphné de ses rêveries douloureuses. Elle cligna des yeux, chassant les dernières traces de ses tourments, et accueilli son ami d’un sourire. Ses élégants vêtements noirs et cuivre détonnaient dans l'ambiance touffue, le bruit des éclats de rires et des conversations fortes des Trois Balais.

« Bonjour » le salua-t-elle d’un mouvement de tête gracile.

Rowan était l’une des personnes qui maniaient le mieux ce masque de neutralité qu’on apprenait à tous les enfants de leur rang, et pourtant il ne fallut qu’un regard à Daphné pour remarquer que cela n'allait pas ; les cernes, son visage émacié... Même ton teint paraissait maladif. Elle avait beau ne pas l’avoir vu depuis des mois, ce n’était pas l’allure soignée à laquelle il l’avait habituée et qu’elle avait tenté de copier depuis son enfance.

« Disons que rien ne s’est aggravé, nuança-t-elle. Mais toi, comment vas-tu ? »

L’inquiétude perçait dans ses paroles et elle ne tenta pas de la retenir, pas plus qu’elle ne parla de cette difficulté qu’elle avait eue à sortir de la protection de Poudlard – il était inutile de lui faire peser cela sur la conscience, il avait déjà ses propres fardeaux à porter. C’était son choix, elle ne le lui imposerait pas.
Elle attendit sa réponse en se contentant donc de le couver du regard, comme s’il s’agissait d’un petit frère dont elle avait la charge. Elle faillit même poser sa main sur son bras pour qu’il ne puisse pas se défiler et tenter de lui faire croire les mensonges qu’ils disaient tous afin de se protéger, mais elle se contenta de croiser les mains sur la table après une courte hésitation. Elle n'était pas très à l'aise avec les contacts physiques, même avec quelqu'un qui pourrait très bien être un membre de sa famille.

« Tu n’as pas l’air d’aller bien » précisa-t-elle à voix basse.

Elle ignorait si elle pourrait faire quoi que ce soit, comme Rowan ne pouvait avoir d’influence sur ses propres angoisses – mais elle était bien incapable de ne pas réagir en voyant un de ses proches en détresse.

Elle n’était toujours pas certaine que cela soit une bonne chose.

Dès qu'elle répondit à son approche par une marque de sympathie, un sourire de bienvenue à la fois rassurant et symbolique, il se détendit quelque peu. Certes, cela n'effaçait pas les nuits longues et douloureuses, où sa seule occupation se résumait à fuir des cauchemars cuisants. Mais il devait bien s'avouer qu'un peu de chaleur chez ses proches l'aider à stabiliser son état. Tantôt fluctuant et incertain.

A ce titre, il sentit, plus qu'il ne comprit vraiment, que ses armatures étaient fragilisées aux yeux de son interlocutrice. Pour le coup, il se savait diablement fautif. D'autant que la potion, prise quelques instants auparavant, commençait seulement à agir sur son organisme. Erreur de mesure et de fierté. Comment s'était-il laissé prendre au piège par ses propres plans ? Quelle douce ironie.

Tout en posant son dos contre le dossier de la chaise avec lenteur, l'ancien Serpentard prêta attention à la phrase très sibylline de Daphné. Ni lui, ni elle, ne pouvaient se targuer d'être suffisamment dupe pour laisser passer de tels détails. Sans compter qu'ils se connaissaient bien trop désormais. Tout du moins, ils possédaient les mêmes clefs pour décrypter les comportements des autres. Et les leurs.

« J'avoue avoir connu de meilleures périodes. » Son regard, pâle et doux, tenta de se lier avec délicatesse à celui de l'aînée Greengrass. « Ces dernières semaines m'ont éreinté plus que je ne veux bien l'admettre. » Sauf devant elle, qui méritait son honnêteté pleine et entière... Exception faite de ses péripéties... Humaines ? Effervescentes ? Sentimentales ? « Les tensions et les dangers qui nous guettent attise mon anxiété. Autant que la tienne, j'ose supposer, Daphné ? » Il ne perdait pas de vue qu'ils étaient tous deux dans une situation singulière et épineuse.

« Tes dernières missives ont fait naître un grand nombre d'interrogations en moi. Penses-tu que nous pouvons en parler davantage ici ? » Alors que ces derniers mots mourraient à demi-voix, invitant à la discrétion, il l'observa. Il retrouvait beaucoup de ce qu'il chérissait dans les traits fins et nobles de sa camarade, son port altier et sa prestance indéfectible. Des éléments qui avaient attiré son respect, son admiration puis son attachement pendant leurs jeunes années. Des marqueurs réconfortants de leur milieu social, auxquels il s'accrochait fermement pour conserver un semblant de cohérence. De nonchalance.

Pourtant. Aujourd'hui. Un détail lui sauta violemment aux yeux. Encore une fois. Celui qui, à cause des derniers événements, ne manqua pas de le perturber intérieurement, loin derrière son masque aristocratique en recomposition. Elle était devenue une vraie femme.

Comme sa mère. Comme sa sœur bientôt. Comme... Anna.
Avait-il l'esprit vicié, ou était-ce un effet secondaire de l’Élixir ? De la fatigue ? De la folie ?
...De l’aveuglement ?

Elle écouta Rowan en silence, bien meilleure pour entendre que pour exprimer, et ce même si ses sentiments actuels étaient jumeaux des siens. Il lui arrivait de perdre des nuits à se retourner dans son lit, la tête impossible à vider de ses angoisses, avant de finalement basculer dans un sommeil qui ne la soulageait même pas – pourtant, il paraissait être plus touché qu’elle encore. Elle ne prêta pas même attention à la pointe de coupable fierté qui s’insinuait en elle à l’idée qu’il admette ses faiblesses devant elle, trop préoccupée par les difficultés de l'héritier Westminbrook.

« Oui, répondit-elle simplement. C’est d’autant plus inquiétant que je n’ai pas beaucoup de contrôle sur ces dangers pour le moment... »

S’ouvrir, laisser filtrer ses peurs ou ses sentiments avaient toujours été contre son éducation. Ce n’était peut-être pas surprenant qu’elle ait trouvé en Rowan le parfait confident alors qu’elle était encore enfant, puisqu'ils partageaient tous deux ce même carcan impossible à briser. Bien sûr, au fil du temps leurs confidences s’étaient transformées, et le retour du Seigneur des Ténèbres avait apporté une profondeur nouvelle à ces moments privilégiés.
Même si cette nouvelle dimension était appréciable pour leur amitié, elle s’en serait volontiers passée.

Elle hocha légèrement la tête en réponse à sa question, et balaya nonchalamment la salle du regard. Tous semblaient très préoccupés par leurs voisins ou leur bièraubeurre. Si elle avait affronté sa peur de sortir des protections du château, ce n'était pas pour rien. Elle ressentait le besoin de parler.

« Je pense que oui, convint-elle à voix basse, dissimulée dans le bruit ambiant. J’imagine que je devrais développer ce que j’ai écrit à propos de ma mère. »

Ce n’étaient que des suppositions, mais il y avait tant de signes depuis deux ans… Tant de murmures qu’elle n’était pas censée entendre. Les Greengrass oubliaient souvent qu'elle n'était pas qu'une jolie fille à marier et qu'elle ne faisait que feindre l'incompréhension. On lui avait appris à paraître, après tout. Et elle y était très douée.

« Elle a toujours été la plus… passionnée, à défaut d’un meilleur mot. J’hésite depuis quelques jours à rester à Poudlard pour les vacances, car je ne suis pas certaine de vouloir une confirmation à mes soupçons. »

Elle soupira, et replaça une mèche qui était déjà parfaitement positionnée.

« J’ai un peu peur de qui je pourrais croiser au Manoir, en réalité : ça ne m’étonnerait pas que de l'or y change de main. Je sais qu’elle rêve que je prenne une part plus active dans ses projets, étant donné que mon père ne s’impliquera pas. Ses intentions ont été plutôt limpides cet été. »

Elle se rendit compte qu’elle avait baissé la tête pour contempler ses mains lorsqu’elle dû relever un peu le menton pour s’amarrer au regard de Rowan. Sa voix ne tremblait pas, trop maîtrisée pour lui filer entre les doigts, mais elle ne parvenait à empêcher son corps de laisser transparaître son agitation. Elle avait besoin d'une ancre.

« Bien que je doute que mon père la laisse gâcher les projets qu'il a déjà pour moi, je n’ai pas très envie de me retrouver dans une situation délicate. »

Cela sous-entendaient bien sûr un mari au sang très pur, à la tenue très aristocratique et à la réputation irréprochable. C’était préférable, et de loin, aux projets de sa mère.
Surtout s’ils nécessitaient de porter une cape noire.

En à peine quelques mots, il avait réussit à capter toute l'attention de son interlocutrice. Et sa délicate compassion. D'une certaine manière, il était capable de la sentir par le biais de son empathie, trop sensible à son goût ces derniers temps et un brin présomptueuse. Autant qu'il la voyait désormais dans ses gestes et son regard.

Face à cette plaisante réalité, Rowan éprouvait du réconfort mêlé à une légère tendresse. Au-delà des mots et de ce que les autres pouvaient percevoir de leur entrevue, il appréciait à sa juste valeur chacun des signes d'affection qu'elle lui envoyait. Toujours une question de codes. De clefs précises. Ici exécutés dans un ordre parfait.

D'un geste nonchalant, en parfaite coordination avec la recomposition progressive de son masque aristocratique, il croisa les mains sur la table.

Assurément, ils n'avaient aucun contrôle sur la situation. Tout au plus, ils pouvaient essayer de protéger les leurs en abusant de quelques contacts, de quelques privilèges. Toutefois, rien ne garantissait qu'ils allaient rester intouchables dans une situation aussi mouvementée. Au contraire. Les moldus, comme les sorciers, risquaient de vouloir leurs têtes pour la simple et bonne raison qu'ils étaient des aristocrates. Des Sangs-Purs. Dire qu'ils n'étaient même pas en France...

Lorsque l’aînée Greengrass se décida à aborder des sujets plus épineux, l'ancien Serpentard se pencha légèrement dans sa direction. Il n'y perdait ni son maintien ni sa retenue, bien qu'une vague inquiétude emplissait ses yeux céruléens. « Je t'écoute, mon amie. » Sa voix se mua en une caresse douce et précautionneuse, toute en finesse malgré la fatigue.

Rowan écouta la première confession de Daphné en silence, oubliant assez facilement le monde bruyant et désintéressé qui les entouraient. Était-ce ce qu'il craignait ? Oui. Un scénario similaire à celui de son propre père se rejouait chez la famille de sa camarade. Sans être surprenante, l'information confirmée à demi-mot en était toujours... Déroutante.

Avec prudence, il attendit quelques secondes. Le temps d'assimiler correctement les risques et les solutions dérisoires. Puis, sans avoir lâché une seule fois Daphné du regard, il lui répondit. « Je ne peux que comprendre. » De son côté, il ne faisait que ratifier ce qu'elle savait déjà. « Si ta mère est diablement enthousiasmée, je crains que le problème se pose très rapidement à toi. » Le Sinistros porta ses doigts à son menton, réfléchissant. « Les derniers événements ne jouent guère en la faveur de mesures plus nuancées... Il va falloir se montrer fin, bien plus fin que nous ne l'avons jamais été. »

Les dieux savaient à quel point il lui était déjà difficile de jouer sur plusieurs tableaux...

Un sourire, discret et réel, s'invita sur les lèvres du jeune homme. Il espérait pouvoir la rasséréner suffisamment. « Penses-tu qu'en jouant sur les projets de ton père, nous pourrions t'éviter... Une rencontre aussi désobligeante que désagréable ? » Dans la folie du moment, tout allié potentiel ferait l'affaire.

L’arrivée de Madame Rosmerta pour prendre leurs commandes donna quelques secondes bienvenues à Daphné, lui permettant d'assimiler ce qu’elle venait d’entendre. La confirmation de Rowan aux rumeurs qui courraient sur son père ne la rassura pas ou même ne l’apaisa de se savoir comprise, loin de là. Savoir que certaines familles avaient fait allégeance au Seigneur des Ténèbres était une chose, mais que ce soit le père de son plus ancien ami était très différent. C’était une figure de son enfance, lui aussi, et elle avait la désagréable impression que les évènements récents ne faisaient que la dénaturer un peu plus à chaque fois.

Sauf lui. Parmi toutes ces choses en mouvement, toutes ces difficultés, il était un point d’ancrage qu’elle n’avait jamais perdu de vue. Il était là au milieu des tumultes comme il l’avait toujours été, et elle s’accrochait à son regard comme elle se serait tenue à une bouée – elle s’était rarement sentie aussi désemparée, et il était bien son dernier espoir.

Elle haussa légèrement les sourcils à sa proposition. Elle y avait songé plus d’une fois lors de ses insomnies, elle ne pouvait le nier. Elle avait d’abord tenté de fuir cette option un peu hasardeuse, mais elle n’avait plus le luxe d’attendre.

« Je pensais que tenter de m’émanciper en étudiant la médicomagie me permettrait de ne pas avoir à recourir à ce stratagème, mais je suis à court de temps. Tout est allé bien plus vite que je ne le pensais, avoua-t-elle. »

La précédente guerre avait duré dix ans. Et pourtant, elle se retrouvait déjà en train de tisser des toiles d’alliés parmi les élèves de Poudlard, à parler mariage alors qu'elle n'avait même pas ses ASPIC.

« Cependant, reprit-elle lentement, je pense que ses projets t’impliquent. Tu es la seule option qu’il puisse considérer, à part peut-être les Malefoy… Mais maintenant que Lucius est en prison, c’est devenu improbable. »

Rien n’était certain, mais elle avait presque dix-sept ans maintenant ; son père avait forcément déjà conclu une alliance avec une autre famille. Il ne pouvait en être autrement, surtout en ces temps nébuleux – il se devait de mettre ses filles à l’abri. Et elle avait beau y penser encore et encore, rien d’autre ne faisait sens.

Cela ne la gênait pas outre-mesure. C’était un devoir auquel elle devrait se plier tôt ou tard, et même si elle ne ressentirait jamais une autre sorte d’amour pour lui que celle qu’elle ressentirait pour un frère, épouser Rowan serait sans doute le meilleur moyen d’éviter de participer à la guerre qui se profilait.
Bien sûr, elle n’était pas certaine que cela la protégerait des conséquences…

« De toutes manières, même s’il a formé une autre alliance, je ne vois pas en qui d’autre je pourrais avoir assez confiance pour l’épouser dans la situation actuelle. »

Elle avait toute confiance en Rowan. Elle n'avait jamais eu à tester les limites de cette confiance, mais elle ne doutait pas une seconde qu'il ne lui ferait jamais intentionnellement du mal.
Ce dont elle se méfiait, c'est ce qu'ils seraient tous deux capables de faire pour protéger leur famille. S'ils les liaient... Elle aurait cette inquiétude en moins.

C'était la meilleure décision, se répéta-t-elle.

Ce n'était pas comme si elle avait vraiment le choix.

Absorbé par ces précédentes réflexions, celles visant à trouver un moyen de sauver Daphné des griffes acérées de sa génitrice, l'ancien Serpentard ne remarqua même pas la silhouette de Madame Rosmerta. Du moins, jusqu'à ce que cette dernière s'impose suffisamment à son champ de vision. Une boisson à commander ? Ce sera pour lui un hydromel aux épices. De quoi le rasséréner davantage face au froid et à la folie des événements.

Lorsque son interlocutrice reprit la parole, les doigts longs et fins de Rowan caressaient toujours son menton. D'un vague signe de la tête, il acquiesça sobrement à la première phrase. Aussi loin que remontait leur relation, il avait toujours fortement estimé cette volonté d'indépendance et les moyens employés pour y accéder. Sans compter que la médicomagie le fascinait de plus en plus ces dernières années : en un sens, il ne pouvait que soutenir sa cadette vers cette voie, aussi discrètement que possible étant donné leurs familles respectives.

L'aveu lâché à son attention lui fit légèrement pencher le visage sur le côté. La confession était à la fois si véridique et si abrupte qu'il en éprouva une certaine affliction pour son amie. Malgré la complexité de la situation, il allait veiller à ne pas étouffer des rêves aussi délicats que nécessaires. Le temps présent leur échappait assurément, mais peut-être pas l'avenir.

Les propos suivants prirent néanmoins une autre tournure, faisant froncer imperceptiblement les sourcils du jeune homme. Les termes de « projet » puis « d'alliance » piquèrent sa soudaine curiosité, finement dissimulée par la nonchalance des traits de son visage pâle et émacié. Le mot suivant, « épouser », ne manqua pas de clarifier immédiatement la situation.

Ils ne parlaient pas d'une solution paternelle tournée vers quelques refuges temporaires, où vers quelques stratagèmes internes à sa demeure. Au contraire. Il s'agissait d'une réponse externe, ultime et définitive d'un genre bien trop familier. Le mariage. À cet instant précis, il se souvient de quelques brefs échanges avec son père, impliquant des sous-entendus loin d'être innocents. Et d'une missive à l'interrogation singulière, que les derniers mois avaient ensevelie sous un paquet d'émotions nouvelles, de retrouvailles et de rencontres. Bon sang.

Comment avait-il pu ne serait-ce qu'oublier de tels indices ? De tels détails ?

Loin derrière le masque indifférent qu'il affichait depuis quelques minutes, une angoisse vive et impétueuse monta en lui. Sans s'encombrer de douceur, elle bouscula et retourna beaucoup de considérations, de problèmes et d'envies. Épouser Daphné ? Elle avait très largement l'étoffe pour porter un tel titre. A dire vrai, tout en elle correspondait à l'idéal que s'était forgé Rowan au fil des années. Son caractère, son comportement, ses convictions et sa beauté. Tout. Cela dit, arriverait-il à casser cette statue de cristal pour en faire sa compagne de vie ?

Sans compter que si les accords étaient initialement politiques, le devoir ne s'arrêtait pas à la bague, au titre et au nom. L'assurance d'une descendance faisait partie intégrante du contrat. Qu'ils le veuillent ou non.

Et Anna ? Ne rêvait-il donc pas de la petite Française nuit et jour, au point de se briser et pleurer en silence, dans les recoins les plus obscures de son âme ? N'espérait-il pas, au fond de son cœur, se la lier par les sacrements ? De l'honorer par... Amour ?

Quelle faiblesse. Quelle triste humanité.

Quelques instants s'écoulèrent avant que le Sinistros ose réagir. Au fil de ses pensées, ses yeux se mirent à briller d'un éclat énigmatique et hésitant. Dans cette histoire épineuse, il avait dorénavant beaucoup de monde à sauver, autant que des règles très strictes à respecter pour ne pas s’empêtrer plus dans la mélasse.

« Daphné. » Sa voix était implacablement maîtrisée, tout en restant douce. « Je n'ai aucune envie de te forcer à une intimité déraisonnable avec moi, que ce soit maintenant ou dans quelques années. » Aborder la chose d'une autre manière lui semblait à la fois impossible et complètement aberrante. Un tel sous-entendu devait être suffisant pour transmettre l'information... Et jauger son degré de volonté. Au pire, il passerait pour un vieux romantique un peu trop illusionné, lui qui n'avait jusqu'ici jamais approché le champ lexical des relations amoureuses et sexuelles.

« Par contre, nous pouvons nous servir de ce prétexte pour te mettre hors de portée des objectifs de ta mère. » Le plan lui apparaissait très clairement. Dans la mesure où il serait suivi à la lettre. Sans dérapage d'un côté comme de l'autre. « Le temps que les choses se stabilisent, jouons avec le projet de ton père comme nous savons si bien le faire. Cela me permettra de te protéger sans compromettre ton avenir, ni tes relations naissantes. » Et les miennes.

Son regard devint intense. Diablement rassurant en apparence. « Quand les choses iront mieux, je te rendrai ta liberté, pour que tu puisses devenir cette médicomage dont tu rêves tant. Je te le promets. »

Daphné fut happée par le silence de Rowan, par son attitude étrange et par les peurs qui lui enserraient le cœur de leurs mains puissantes. Il semblait hésiter, alors que l’esprit de Daphné ne lui avait jamais semblé aussi agile, ricochant d’une pensée à une autre sans qu’elle n’y ait le moindre contrôle. Elle ne voyait pas d’autres alternatives. Il était son seul espoir d’échapper à un futur qu’elle ne désirait pas, pour un autre dont elle ne ferait que s’accommoder. Elle avait toujours été persuadée avec la foi d’une enfant que leur amitié pouvait durer bien au-delà de ce qu’elle pouvait imaginer tant qu’ils en prendraient soin, et que rien ne pourrait ne serait-ce que la faire vaciller.
Ce silence la faisait douter, à présent. Pas de son choix, bien sûr – si elle n’en avait pas trouvé un meilleur en trois mois, c’était qu’hormis une fuite pure et simple il n’en existait pas – mais plutôt de la manière dont ils allaient abîmer cette amitié par leur prochaine décision.

Lorsque son nom franchit enfin les lèvres de Rowan, elle expira doucement, prenant soudainement conscience qu’elle avait retenu sa respiration pendant tout ce temps. L’inspiration qu’elle prit fut presque douloureuse, mais son attention était si attachée aux paroles qu’il prononçait qu’elle n’y prit pas garde.

En entendant ses inquiétudes quant à leur intimité, elle força un sourire amer à mourir avant même qu’il n’apparaisse sur ses lèvres. Ce n’était malheureusement plus sa préoccupation depuis longtemps – elle avait toujours su qu’elle n’aurait pas son mot à dire sur l’époux que les Greengrass choisiraient. C’était sans doute ce qui l’avait poussée à tenter de s’échapper de leur emprise, et elle se retrouvait à présent à devoir embrasser leurs projets pour en éviter des plus dérangeants encore.
Pour l’instant, sa vie la préoccupait beaucoup plus.

Il ne parlait pas de lui. Ni de son propre avenir, ni de ses propres relations – et à en juger par l’hésitation il avait fait preuve, elle envisagea brièvement que les plans des Greengrass l’aient surpris ; sauf que c’était ridicule. La future mariée était toujours la dernière au courant. Il coupa ses réflexions en tentant de la rassurer sur sa future liberté, qu’il promettait de lui rendre. Elle aurait voulu croire en cette promesse comme elle avait toujours cru en tout ce qu’il lui disait, penser que ce n’était qu’une situation temporaire qu’elle utiliserait comme un écran de fumée entre sa mère et elle, et, plus important encore, entre les connaissances de sa mère et elle.
Mais qu'ils ne seraient pas officiellement mariés, ça ne serait que de la fumée.

« Tu ne peux pas savoir quand les choses iront mieux. »

Elle tourna machinalement sa bague autour de son doigt, et ne tenta pas de dissimuler ce désarroi qui lui comprimait la cage thoracique depuis des heures et des heures. C’était Rowan. Elle n’avait aucune raison de le dissimuler.

« Bien sûr que j’espère que ça sera temporaire, et je te fais confiance pour respecter ta promesse, ajouta-t-elle de peur qu’il se méprenne. Mais si les choses ne se stabilisent pas bientôt, ou si elles ne le font pas en notre faveur… »

Elle hésita avant de terminer sa phrase, cherchant vainement des mots qui lui permettraient d’exprimer ses craintes. Si les choses ne se stabilisaient pas, ils pourraient toujours rompre leurs fiançailles en espérant que Daphné soit déjà suffisamment avancée dans ses études pour être autonome.
Mais Daphné avait seize ans, bientôt dix-sept, et elle ne parvenait pas à s’en convaincre.

« J’ai mes projets, mais tu as sans doute les tiens aussi. »

Et elle savait que les projets de Rowan ne l'incluaient pas. Ils étaient amis d'enfance, alliés, et si cette situation n'avait pas été aussi instable... Daphné n'aurait même pas songé à bâtir sa vie future avec lui. Il n'y avait aucune raison pour que ça soit le contraire de son côté.
Elle le respectait trop pour l'ignorer.

HRP:

Sujet: Re: Inquiétudes Mar 1 Sep 2015 - 15:10

Malgré l’atmosphère apaisante de la mi-décembre et la chaleur accueillante qui émanait de la pièce principale des Trois-Balais, un frémissement léger et glacial s’insinua entre eux. Un murmure d’angoisse et de malaise étriqué, que les autres individus présents ne remarquèrent pas. Rowan et Daphné évoluaient dans un univers si différent du leur, si restreint à quelques élites et si excessivement codifié, que seuls de rares homologues pouvaient mesurer l’ampleur de la cage dorée dans laquelle ils vivaient.

Et l’effroi discret qui les saisissaient maintenant, pour des raisons très diverses, témoignait de la folie certaine de cette aristocratie méprisée et mourante. Du moins, tel que le pensait les grands théoriciens de la pureté du sang. Tel que l’espérait le bas peuple sorcier, inculte et crédule, et les inquiétants moldus.

Après avoir écarté ces quelques pensées, le jeune homme nota avec appréhension la réaction singulière de sa camarade. Était-ce de l’anxiété ? Assurément. En un sens, il parvenait à comprendre l’origine d’une émotion aussi vive. Face à un danger que l’on ne tenait que difficilement à distance, la moindre solution devenait une porte de sortie providentielle... Et en l’occurrence, elle le suppliait d’obéir à son devoir d’aristocrate. De l’épouser.

L’hésitation visible de sa précédente réflexion avait du le trahir d’une manière ou d’une autre. Bon sang. Il n’avait pas besoin de ça. Ni lui ni elle ne pouvaient se permettre d’avoir des doutes. Sans une confiance absolue et aveugle, ils ne pourraient pas échapper à leur destin. Et il perdrait définitivement la petite Française.

Rowan écouta son amie jusqu’au bout, en un silence bienveillant. « En effet, je ne peux pas prédire les prochains événements. » Il se garda bien d’évoquer son père et ce que ce dernier connaissait des plans du Seigneur des Ténèbres. « Toutefois, je garde espoir que nous pourrons tous nous en sortir, d’une manière ou d’une autre. » Une pensée maladroite et incisive le frôla, celle qui se consoliderait les jours suivants entre les bras de Clemens et la crainte de la confrontation avec... Anna.

Et si, en dépit de ses efforts, il n’avait finalement pas le choix pour sauver les siens ?

« Nous trouverons un moyen, Daphné. Il nous faut juste le temps de préparer le terrain. » Il marqua une pause le temps que Madame Rosmerta dépose sur la table les boissons précédemment commandées. Quand elle fut suffisamment éloignée, il reprit la parole. « Étant donné la situation, je pense que nos fiançailles seront annoncées sous peu. As-tu une idée de la date envisagée ? » Intérieurement, le Sinistros pria Merlin que ce soit après les vacances. Sauf si leurs aînés prévoyaient de réunir toute l’aristocratie pour officialiser la chose en une annonce grandiloquente et fastueuse... Ce qui ne semblait pas impossible.

La dernière phrase de son interlocutrice lui revint en mémoire. Oui. Ils avaient chacun leur vie à côté, des envies et des écueils à éviter. « Nous avons tous deux l’espoir de poursuivre nos rêves, et ce mariage ne joue définitivement pas en notre faveur. » Il eut un pauvre sourire, plus pour lui même que pour Daphné. « Il nous faut être honnête l’un envers l’autre, afin de ne pas compromettre nos projets personnels... Et trouver un moyen d’en camoufler la vue à ceux qui pourraient nous gêner. Est-ce que cela te convient ? »

Les cartes étaient tirées depuis longtemps. Il restait seulement à savoir qui allait jouer le premier.

Sujet: Re: Inquiétudes Mar 1 Sep 2015 - 17:36

Les paroles de Rowan l’apaisèrent. Un peu. C’était de l’espoir qu’elle était venue chercher auprès de lui après tout, et elle refusait de le rejeter maintenant qu’il le lui offrait. Elle hocha donc doucement la tête mais se garda bien de répondre, de peur que sa voix ne s’étrangle.
Les volutes de fumées qui s’échappaient de sa tasse de thé la captivèrent pendant quelques secondes, et elle s’appliqua à respirer de façon égale pour calmer son anxiété. Ce n’était ni le lieu, ni le moment de laisser les vagues d’émotions qui tourbillonnaient sans cesse en elle depuis un moment maintenant la submerger.

Elle releva les yeux lorsqu’il s’adressa à nouveau à elle, et relâcha quelques peu la tension de ses mains posées sur la table. La date, les fiançailles… Ses questions semblèrent donner subitement une consistance à leurs projets, qui n’étaient jusque-là que des murmures qu’elle avait surpris, que des pensées désespérées lorsqu’elle se retournait dans ses draps sans parvenir à s’endormir.

Elle allait se fiancer. Elle allait promettre d’épouser Rowan.

« J’imagine que mon père voudra me mettre hors de portée de ma mère le plus tôt possible. Je pencherais pour les vacances de Noël, mais je n’ai pas de certitudes. »

Elle marqua une courte pause, les sourcils froncés de frustration. Elle aurait pu parier qu’elle ne serait mise au courant que quelques jours avant l’annonce officielle, n’étant que la future mariée. Même si son père avait eu le tact de laisser échapper assez d'indices en sa présence pour qu'elle puisse s'y préparer, elle se retrouvait à devoir conjecturer son propre avenir. On lui avait assez répété qu’elle n’aurait jamais le choix de son époux pour qu’elle l’assimile en elle comme s’il s’agissait d’une vérité immuable, mais elle avait tout de même brièvement espéré être la première Greengrass à se détacher des traditions.
Cela aurait pu être bien pire que Rowan, se consolait-elle. Elle ne trouverait pas de meilleur allié. Surtout pas en ces temps instables.

« Je pensais que tu aurais plus d’informations que moi à ce sujet, en réalité. »

Elle entortilla une mèche de cheveux autour de son index, et un sourire affectueux étira ses lèvres. Rowan était toujours là pour parler de rêves et d’espoir, alors qu’elle ne parlait que de ses peurs et de stratégies pour s’émanciper. Elle se demandait parfois si les autres le voyaient comme elle, ou s’ils ne percevaient que la froideur de l’héritier. Peu, vraisemblablement. Seulement ceux qui avaient l’honneur de le voir s’ouvrir.

Elle finit par cesser de tripoter ses boucles pour joindre à nouveau ses mains sur la table, et s’efforça de relever le menton.

« Oui. Je n’ai jamais rien eu à te cacher de toutes manières, cela serait malavisé de commencer maintenant, commenta-t-elle en souriant faiblement. »

Elle porta la tasse à ses lèvres tout en continuant à réfléchir, maintenant qu’elle avait réussi à enfermer ses angoisses au fond d’elle-même.

« Je suppose qu’on pourrait essayer de repousser l’échéance au moins jusqu’à ce que j’obtienne mes ASPIC... Cela devrait nous faire gagner du temps. »

Dans tous les cas, elle ne serait pas majeure avant la mi-avril... Il leur restait encore au moins cinq mois. Un an et demi, s'ils avaient de la chance et que leurs aînés se laissaient convaincre.
Elle n'était pas certaine de ce qu'elle préférait.

Sujet: Re: Inquiétudes Mer 2 Sep 2015 - 12:28

Bien qu’il s’ancrait désormais dans une nonchalance vigilante, celle qui devait se montrer inébranlable et impitoyable pour tenir à distance des angoisses trop visibles, Rowan parvint à capter le malaise omniprésent chez sa cadette. Pour une fois, il ne regretta pas l’aide bienvenue de cette empathie ordinairement amère et imprécise. Celle qu’il avait autrefois tenté de réduire au silence sous les coups et les remontrances intellectuelles.

Sans être en mesure de tout appréhender – il n’était ni devin ni legilimens – et de tout comprendre, le jeune homme sentit son interlocutrice vaciller intérieurement. En un geste serein et maniéré, bien plus que ne l’était son esprit aux rouages calculateurs, il avança sa main sur la table. Prêt à prendre les doigts de Daphné entre les siens pour lui faire comprendre qu’il n’allait pas l’abandonner. Ni faillir à sa tâche.

L’ancien Serpentard acquiesça doucement, sans rien laisser transparaître de son agacement face à une date si rapprochée. Heureusement qu’il ne s’agissait que des fiançailles. « Il faut espérer avoir la date officielle ces prochains jours. Si je dois être le premier au courant, je ne manquerais certainement pas de t’en informer. » Leurs vacances de Noël allaient être pour le moins... Originales.

Quand son amie fronça les sourcils et lui avoua sa fragile espérance, Rowan laissa un bref soupir lui échapper. En un sens, c’était sa faute. Il le savait. Indéniablement. Si la petite Française et d’autres événements ne lui étaient pas monté à la tête, il aurait été bien plus réceptif aux propos de son père sur une potentielle union. « Toutes mes excuses, Daphné. Je suis loin d’avoir toutes les cartes en main pour t’aiguiller. » Ni pour m’aider moi-même.

Tout en l’écoutant, le Sinistros goûta distraitement à sa propre boisson. En effet. Sa blonde cadette avait toujours été honnête sur tout ce qui pouvait le concerner. Le reste ? Il se doutait bien que, comme lui, elle avait ses petits secrets. Ces derniers pouvaient bien coexister avec leur plan tant qu’ils ne représentaient aucun danger. Aucun risque. A dire vrai, le seul à flirter davantage avec la limite du raisonnable dans leur relation... C’était lui.

Il allait de toute façon y venir. Impossible d’y couper.

Rowan profita d’un court instant de silence pour réfléchir, avant de surenchérir à la dernière phrase de son interlocutrice. « Nous allons négocier en ce sens et gagner du temps. Quitte à faire comprendre à ton père que je souhaite une épouse aussi dévouée qu’indépendante, capable de me seconder avec les connaissances acquises durant ses études. » Les doigts de sa main posée sur la table s’agitèrent légèrement, en réponse à un raisonnement interne. « De mon côté, je pense puiser dans mes contacts pour nous trouver une porte de sortie par ce biais. » Un sourire délicat et aimant se glissa furtivement sur ses lèvres. « Je t’avoue que j’ai grande hâte de te voir devenir médicomage. Et être libre. »

Il perdit ce dernier alors que son regard quittait le visage de Daphné pour se perdre dans le vide. « Maintenant que je sais vers quel chemin tu comptes avancer, je vais te faire part de mon propre projet. » Depuis toujours, l’ancien Serpentard avait tenu à l’écart de leur conversation tous les sujets en lien avec l’amour, les sentiments et la sexualité. La tentative hasardeuse sur leur « intimité » probable en cas de mariage, en témoignait ironiquement. De ce fait, il ne savait pas comment sa camarade risquait de prendre une telle révélation. « Comme je te l’ai dis, nous devons être honnêtes, alors je vais l’être. Plus que jamais avec quiconque. » Immédiatement, le visage d’Anna s’imposa à lui. Douloureux. Splendide. « En dehors de réussir mes études dans la diplomatie, j’ai un autre espoir. Fou et inquiétant. » Il marqua une pause. Tout son visage était tendu. Heureusement, la potion camouflait la fatigue effarante qui l’habitait. « En fait, c’est pire qu’un espoir. » Aucune manière classique ne suffisait à annoncer la chose. « Daphné, pour la première fois dans ma vie, j’ai la crainte douloureuse d’être attiré par une femme. » Et de l’aimer.

Il se tût quelques secondes, il se devait de préciser au moins une chose. « Je ne compte pas mener une double vie, que ce soit à tes dépends ou les siens. Ce mariage est autant une prison pour toi que pour moi. C'est pourquoi je ferais tout pour t'en tirer. Quitte à me sacrifier s'il le faut. »

Sujet: Re: Inquiétudes Mer 2 Sep 2015 - 18:11

Elle s’agrippa à cette main qu’elle aurait refusée un peu plus tôt, lorsqu’elle avait encore un contrôle absolu de ses nerfs et de ses émotions. Elle les enfermait si souvent et si loin d’elle ces derniers temps qu’elle n’était guère surprise qu’elles finissent par la submerger au moment où elle abaissait sa garde, mais cela ne rendait pas la sensation moins désagréable.

Elle le remercia d’un hochement de tête, ses pensées toutes dirigées vers les vacances. Comment comptaient-ils l’annoncer ? Allaient-ils convier toue l’aristocratie, les obliger à feindre le ravissement devant toute les familles qui avaient ponctué leur enfance ? Il ne serait pas étonnant que son père fasse même paraître un faire-part dans la Gazette, ne serait-ce que pour s’assurer qu’elle soit unanimement considérée comme hors de portée. C’était quelque chose qu’elle l’imaginait facilement faire.
S’il n’y avait pas eu Astoria, elle aurait sans aucun doute déjà pris la fuite. Mais elle refusait de la laisser derrière.

Une épouse aussi dévouée qu’indépendante. La formulation la fit sourire, même si elle ne parvenait pas à savoir ce qu’elle en pensait. Tout était un peu trop confus pour le moment, et son angoisse latente qu’elle parvenait à peine à museler ne l’aidait pas.
La suite piqua immédiatement sa curiosité, et elle s’apprêtait à poser des questions pour tenter d’en savoir plus lorsqu’il reprit la parole. Elle se figea dans son mouvement, rendue soucieuse par l’expression de Rowan mais surtout par ses paroles hachées, inachevées. La médicomagie pouvait attendre encore un peu – surtout lorsqu’il eut enfin fini de parler.

Daphné ne contemplait jamais quelqu’un la bouche à moitié ouverte, sans savoir quoi répondre. Elle avait toujours eu une phrase qui correspondait à chaque situation, un moyen d’échapper à une conversation qu’elle ne souhaitait pas ou qui la perturbait ; petite, elle les copiait sur les autres, apprenant de tous ses aînés pour mieux survivre dans ce milieu, et en grandissant cela avait fini par lui coller à la peau comme une seconde nature. Elle avait toujours quelque chose à dire, un changement subtil de sujet à effectuer, un mensonge à élaborer.
Et pourtant, c’était exactement ce qu’elle était en train de faire. Elle était figée dans cet endroit grouillant de monde, et leur mouvement ne faisait que la renvoyer au vide qui avait envahi son esprit. Bien sûr qu’elle s’était attendue à ce que Rowan rencontre quelqu’un qui lui plaise – apparemment, cela semblait arriver. Ce n’était pas ça qui l’empêchait de réagir pendant de longues et humiliantes secondes, mais plutôt ces longues phrases qui avaient vraisemblablement pour but de la rassurer, mais qui ne faisaient que la perturber un peu plus encore.

Cela aurait été n’importe quel autre Sang-Pur, elle n’aurait pas prêté attention à ses projets et tourments et aurait susurré deux ou trois promesses creuses pour l’apaiser. Mais là, elle commençait à se rendre compte de l’ampleur de ce qu’elle avait demandé à son ami.

« C’est ridicule » finit-elle par murmurer pour enfin tuer ce silence qui se moquait d’elle.

Elle chercha ses mots encore quelque secondes, le regard s’accrochant à tout ce qu’elle pouvait trouver. Autre que Rowan.

« Même si nous nous retrouvions dans l’obligation d’aller jusqu’au mariage… Cela ne serait qu’un titre. Un titre provisoire. Rien d’autre. »

Elle ne doutait pas une seconde qu’il le sache. Mais la culpabilité naissante qui lui tordait le cœur lui donnait l’impression de ressentir le besoin d’énoncer des phrases qui n’avaient qu’un sens très vague.

« Tu pourrais... »

Elle n’acheva pas sa phrase, la mâchoire serrée ; elle venait de prendre conscience de ce qui aurait dû la frapper dès le début. Elle releva finalement les yeux vers Rowan, et, sans lâcher sa main, elle s’appliqua à énoncer sa question bien plus clairement que les errements qu’elle lui avait donnés.

« Qu’est-ce que tu entends par ‘‘te sacrifier’’, Rowan ? »

Elle savait que sa réponse n’allait pas lui plaire. Elle était une Serpentard, pas une idiote de Gryffondor qui pensait qu'un sacrifice était nécessaire au prestige, surtout s'il conduisait à une mort héroïque pour une cause plus qu'évanescente.

HRP:

Sujet: Re: Inquiétudes Jeu 3 Sep 2015 - 18:11

Le terrain vers lequel ils s’engageaient désormais, était à la fois tortueux et glissant. Bien plus incertain que toutes les manœuvres politiques et les troubles conspirations de leurs pairs. L’ironie de la situation en était même à son paroxysme : eux, si habitués à devoir gérer manigances et déconvenues pour garder la tête sur les épaules, se trouvaient dépassés par des choses magnifiquement trop simples.

La réaction diablement ostensible de Daphné en témoignait aisément. Certainement trop. Cela éveilla en Rowan un soupçon d’appréhension, entièrement tourné vers elle et le vide menaçant qu’il devinait aux portes de l’esprit de son amie. Au point de supplanter la tension et l’hésitation qui l’habitaient auparavant, lorsqu’il avait du évoquer l’existence de la petite Française. Il se décida alors à accentuer la pression de ses doigts contre les siens pour la rappeler à la réalité, en espérant que ce soit suffisant.

Était-ce la faute à son aveu ? Un énième écart imputé à son humanité ?

Quand elle cessa de s’enfoncer dans des flots trop calmes pour être rassurants, le jeune homme eu l’insidieuse impression que sa cadette cherchait à le fuir. Pour quelle raison ? Il l’ignorait, même si le sujet de leur conversation permettait déjà d’établir quelques hypothèses. « Daphné. » Sa voix vint la cueillir avec une douceur ferme et prévenante. Inébranlable. « Tu ne dois pas te tourmenter ainsi. » Un court instant, il baissa son regard céruléen vers leurs mains liées. En perdre l’une pour l’autre ne lui plaisait guère, c’était la raison pour laquelle il comptait mener cette folle danse jusqu’au bout. Quitte à s’y blesser plus qu’il ne l’avouerait jamais.

C’est à ce moment précis qu’une question loin d’être innocente fusa des lèvres de son interlocutrice. L’ancien Serpentard fronça les sourcils avant de lever les yeux, plantant ces derniers dans ceux de sa blonde amie. « Rassure-toi. Je ne compte pas aller jusqu’à perdre la vie. » Cette... Hypothétique fin ne faisait clairement pas partie de ses plans. Même les plus obscures. « Toutefois, si le destin se décide à jouer contre nous, je n’hésiterai pas à me battre avec ardeur contre lui. » Évidemment, il n’entendait pas cela au sens littéral du terme. Quoi que l’image d’une armature écrasante sur ses épaules et d’une épée à la main manqua de lui arracher un pauvre sourire. « C’est un ce sens que j’emploie le terme de sacrifice, pas un autre. »

Sans prévenir, la vicieuse réflexion des minutes passées revint le frôler. Plus persistante et déterminée. Si l’avenir s’assombrissait, que le temps filait entre leurs doigts et que l’issue risquait à disparaître... Il pourrait bien briser lui-même l’engagement entre leurs deux familles. Avant de se vendre aux ténèbres à la place de Daphné. C’était une possibilité qui allait progressivement gagner de l’ampleur dans son esprit.

Mais il se garda bien de l’évoquer ou de l’afficher. Ici comme ailleurs.

Sujet: Re: Inquiétudes Jeu 3 Sep 2015 - 23:46

La main de Rowan serra la sienne un peu plus fermement encore, comme pour l’empêcher de ses laisser submerger par la panique. Elle ne pouvait que l’en remercier ; elle alternait les périodes de calmes et d’inquiétudes depuis qu’elle avait dû franchir les protections rassurantes du Château et cela commençait à la lasser, elle qui était peu habituée à laisser transparaître autant d’émotions. Elle se laissa donc guider par la douceur de sa voix, et tenta de reconstruire le calme qui la caractérisait habituellement.

« Je ne pensais pas que te demander de l’aide mettrait à ce point tes projets en difficulté. Je n’avais pas prévu un tel bouleversement dans ta vie. » répondit-elle sur un ton d’excuse.

Il avait bien promis d’épouser l’héritière Avery simplement par devoir, après tout. On ne pouvait pas dire que son physique coloré, au bas mot, ait jamais impressionné Daphné. Sans parler de son comportement pour le moins singulier.

Elle écouta avec attention ses paroles apaisantes quant à son ‘‘sacrifice’’, tentant de comprendre ce qu’il entendait par là. Se battre contre le destin ? Elle avait tenté d’échapper au sien pour mieux l’épouser – et le choix des mots était des plus désagréables – quelques temps après. Le destin n’était pas une notion dont elle était friande, ces derniers temps ; elle ne pouvait qu’approuver cette idée.

« J’espère. Je ne voudrais pas qu’il t’arrive quoi que ce soit alors que notre manœuvre est justement destinée à m’éviter des évènements désagréables. »

Elle allait avoir du mal à composer avec la culpabilité qui allait accompagner ces fiançailles, maintenant qu’elle savait à travers de quoi elle s’était jetée ; il n’était peut-être pas utile qu’une quelconque forme de sacrifice vienne se rajouter à celui qu’ils effectuaient déjà. L’envie de lui assurer qu’elle était heureuse qu’il ait rencontré quelqu’un digne d’attirer son attention l’effleurait d’ailleurs depuis quelques minutes déjà, mais elle craignait de faire preuve de maladresse envers lui.

Elle était bien parvenue à lui prendre la main, elle devrait réussir à formuler des félicitations. Des siècles de parfaite éducation l’avaient façonnée, et Rowan avait réussi à tempérer ses inquiétudes incontrôlées – autant utiliser son calme pour tenter de l'en remercier.

« J’essayais de te dire plus tôt, certes sans grand succès, que je suis heureuse que tu aies ton propre espoir. »

Cette formulation lui plaisait de plus en plus. Rowan ne faisait que lui en apporter, depuis qu’elle s’était assise sur cette chaise, laissant son thé refroidir sous ses yeux.
Elle aurait aimé pouvoir le lui rendre.

« Je pensais également que nous pourrions tenter de trouver un arrangement moins absolu que celui que tu me promets. Tu n’as pas d’obligations envers moi, en ce qui me concerne. »

L’idée même la mettait mal à l’aise. Elle ne souhaitait pas forcer leur amitié à rentrer dans des carcans qu’ils avaient tous deux fuis d’une façon ou d’une autre, elle refusait de l’abîmer ou même de l’ébrécher. Ces fiançailles étaient déjà suffisamment périlleuses à son goût.

« Ce n’est qu’un titre, répéta-t-elle avec bien plus de détermination que la première fois. Cela serait égoïste de ma part d'accepter tes conditions. »

HRP: