De mauvaise augure

La journée avait été glacée et sombre comme le sont les jours en l’hiver;  à 18h, le ciel, par le travers des fenêtres, s’était assombri de nuages compacts, boursouflés de neige. La localisation de la salle commune des Serpentards n’arrangeait rien à l’obscurité; depuis l’extérieur des fenêtres, seule la lumière ondoyante du lac ne filtrait, et baignait le visage de Blaise d’une lueur vert émeraude. Elle faisait écho à l’écusson qui estampillait sa poitrine; aux couleurs de son épaisse écharpe, dont il avait machinalement dénoué le noeud alors qu’il arpentait le couloir, et elle avait sur lui des vertus apaisantes …& Dieu sait comme Blaise avait besoin d’être apaisé !

Il s’extirpait à l’instant de son cours de Rune, qui l’avait laissé fiévreux et irrité. S’il aimait à feindre la nonchalance, ses performances scolaires lui importaient sincèrement - et de ces deux heures de cours, il ne conservait qu’une migraine et un amas intelligible de pensées alambiquées, semblable à une toile d’araignée chiffonnée; il vivait mal le fait de connaitre des difficultés pour une matière dans laquelle il prétendait exceller et avait, agacé, sifflé à ses amis qui s’attardaient dans les couloirs qu’il les rejoindraient plus tard, lors du dîner, avant de s’éloigner, le pas altier, drapé de sa lourde cape noire.

Blaise se pencha contre la lourde porte de bois noir pour y murmurer le mot de passe ; elle s’ouvrit obligeamment sur lui. Embrassa une dernière fois les couloirs vides du regard avant de pénétrer dans la salle commune où quelques premières années levèrent ses yeux sur lui et articulèrent, d’une même voix, intimidé par son arrogance, salut, Blaise. Il les gratifia d’un bref mouvement de tête et se délesta de sa cape et des lourds ouvrages qu’il portait alors au profit d’un exemplaire du Sorcier en Guerre, dont un numéro avait été abandonné sur l’un des sofa en cuir. La lecture de ce journal belliqueux, résolument anti-moldu, dont la publication, qui remontait au XVIIème siècle, tirait son origine de l'initiative Brutus Malfoy, parût brièvement le rasséréner et l’absorba une dizaine de minutes avant que la porte de la salle commune ne s’ouvre une seconde fois; lorsqu’il leva les yeux sur l’embrasure, un sourire railleur étira sa bouche.

« tiens », siffla-t-il, railleur;« ma quatrième année préférée. Bonsoir. » Sa courtoisie était affectée. Il ajouta, pince-sans-rire, à la manière d’un avertissement; d’une menace; « Ravi de te voir. Jusqu’à maintenant, ma journée à été terrible. »

La journée avait été longue pour la classe de 4ème année de Serpentard. Les deux premières périodes avaient été consacrées à l'Histoire de la Magie puis aux Sortilèges. Après le déjeuner, le double cours de potions, suivi conjointement avec les élèves de Gryffondor, était consacré une fois de plus aux antidotes, en vue d'un test prochain. Toutes ces matières présentaient le point commun d'être bien fastidieuses. Après les cours, Harmony se rendit à la bibliothèque pour préparer le devoir demandé par le professeur Chourave sur les effets thérapeutiques en dermatologie du Bubobulb, plante étudiée la semaine précédente.

Une fois les deux parchemins rédigés, la jeune fille emprunta un livre relatant les négociations ayant mené à la rédaction du Code international du Secret magique, en 1692. Maintenant que le Code était obsolète, la question de son élaboration la fascinait. Comment les diverses communautés magiques avaient-elles réussi à s'accorder sur la restriction de leurs pouvoirs pour rendre secrète leur existence ? Comment étaient-elles parvenues à ce difficile équilibre en seulement sept semaines ? Actuellement, l'atmosphère était à la crainte et l'inquiétude. Toutefois, Harmony ne doutait pas que, très vite, les débats seraient relancés sur la nouvelle règlementation. Ce jour-là, il faudrait être bien informé des enjeux et des intentions de chaque groupe.

Comme il lui restait un peu de temps avant le dîner, la jeune sorcière retourna à la salle commune pour lire un peu et y retrouver des amis. Elle descendit les escaliers vers les cachots de bonne humeur. Etre libérée de ce devoir la soulageait et la fin de cette éprouvante journée la rendait plus légère.
Une fois passée la porte en pierre de la Maison, Harmony jetait un coup d'oeil à ses occupants, saluant ceux qu'elle connaissait bien. Dans un des sofas en cuir, Blaise Zabini la regardait, un sourire narquois accroché à ses lèvres. Le sixième année tenait un exemplaire du Sorcier en Guerre. Un magazine à la ligne éditoriale très radicale, que l'on ne pouvait trouver dans aucune autre salle commune de Poudlard, Harmony en était persuadée.

Le jeune homme l'interpella d'une voix mielleuse, avec un compliment un peu trop appuyé pour paraître complètement honnête. Il lui dit qu'il était ravi de la voir, car sa journée avait été terrible. Son ton avait quelque chose... d'étrange. Harmony avait du mal à le qualifier. Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir. Etait-il sincère ? Quelque chose dans son attitude à son égard avait changé, récemment. La jeune fille n'y voyait aucune raison. Peut-être se moquait-il simplement d'elle, comme il avait l'habitude de le faire avec d'autres élèves. Elle décida d'ignorer le ton railleur du garçon.

- Salut Blaise ! Je vois que tu as trouvé à lire, toi aussi, avant le dîner, dit-elle en levant son livre. Ma journée a été bien longue aussi. Comment vas-tu ? Quoi de neuf, ces derniers temps ?

Son intonation était désinvolte. Elle s'assit sur un fauteuil en face de celui de Blaise. Elle voulait deviner la raison du revirement de sa conduite avec elle.

Harmony Kiara Sharen et son visage poupin; ses cheveux opalins, lisses; l'assurance dans ses grands yeux bleus  - elle correspondait exactement à ce qu’imaginaient la plupart des sorciers lorsqu’était prononcé le mot Serpentard; à cela, s’ajoutait, bien sûr, le serpent et ses sifflements fiévreux; quelques mangemorts encapuchonnés, drapés de noir;  les mages noirs, en général;  cette curieuse obsession pour la pureté du sang; et puis, pour compléter l’ensemble, au sommet d’une bien sinistre composition pyramidale : Voldemort.
Et si Blaise pouvait faire preuve de suffisamment de recul pour y penser avec cynisme et s’en amuser, il n’était certainement pas du genre à remettre en question l’entier folklore de sa maison. Il y était même farouchement attaché ! Arborait avec fierté, et non sans arrogance, son écusson sur la poitrine.

Il balaya d’un bref coup d’oeil la couverture du livre  d’Harmony lorsqu’elle le lui présenta. Blaise se souvenait avoir rencontré le titre parmi les références de son cours d’Histoire de la Magie. La jeune fille était intelligente - « cultivée ». Daphné lui avait d’ailleurs vanté ses mérites à de multiples reprises; confiant à Blaise qu'elle jugeait "très prometteur" son profil.  Et n’avait-elle pas jouit de l’estime de Blaise lui-même, il y a encore quelques semaines ? Il n’avait pas hésité à se montrer élogieux à son égard. Maintenant, il l’étudiait d’un air railleur.

« & bien, à vrai dire, je me lamentais à l’instant au sujet d’un devoir de Runes  » il sembla s’émerveiller de la désinvolture de la jeune fille alors qu’elle lui demandait de ses nouvelles; aussi, il concéda de répondre - Blaise aimait parler de lui - alors qu'il reposait négligemment son journal; « Mais, tu me connais, il en faut peu pour me réjouir ; un ou deux cachemires de chez Tissard et Brodette - tu sais que j’adore leur cachemire -, du pudding aux raisins secs ou, évidemment, la surprise de te croiser au détour d’un couloir. »

il détourna brièvement son regard sur le numéro de Sorcier en Guerre, dont la couverture, qui avait pris une nuance verdâtre dans la lumière vaporeuse, énonçait insolemment en d’épaisses lettres capitales : MOLDUS : LES DANGERS D’UNE ESPECE MECONNUE. « & je dois dire que tu as un certain talent, pour les "surprises", hm ? » ajouta-t-il dans un sifflement; il était souriant et ce sourire était tout à fait courtois; mais il l’observait à présent avec attention. « Quoiqu’il en soit - parle moi de toi. Essaie de m'apprendre quelque chose que Daphné aurait gardé sous silence, parce qu'elle est plutôt loquace, à ton sujet. » Il exagérait, bien entendu. Mais entendre sa camarade vanter les mérites de la jeune fille l'irritait, désormais. Il précisa, avec une bonhomie rassurante qui dissimulait habilement le fait qu'il attendait une information précise plutôt qu'un réel résumé de sa journée de cours; « Quelque chose que je devrais savoir. »

Assis face à Harmony, Blaise attarda son regard sur elle, comme s'il l'étudiait, sans se départir de son air goguenard. Il lui avoua se plaindre d'un devoir de Runes. Le jeune homme était intelligent et il collectionnait les bons résultats, quelle que soit la matière. Toutefois, les runes nécessitaient un travail de recherche certainement long pour les néophytes. Or, même après quatre ans à suivre cette matière, les étudiants de Poudlard n'en connaissaient que la difficulté croissante, loin de la maîtrise tant rêvée.

Harmony lui sourit en s'appuyant contre le dossier de son fauteuil.
- Même si le sujet semble passionnant, je suis parfois bien contente de ne pas avoir pris cette option !


Blaise reposa alors d'un geste élégant son journal sur la table basse et reprit. Il énuméra quelques uns de ses plaisirs qui pouvaient le conforter après un effort douloureux dans l'étude de la magie primitive. A la suite d'un cachemire précieux et d'un pudding aux raisins, la courte liste se finissait par la mention de leur entrevue. Harmony savait le garçon flatteur et ne se formalisa pas de ce "compliment". (Compliment, vraiment ? Être citée après un pudding aux sultanines ?)

- C'est un plaisir partagé, dit-elle distraitement, suivant le regard du jeune homme vers le journal. Le titre provocant, attisant le racisme envers les Moldus, luisait. Harmony hocha la tête. Les sorciers méconnaissaient effectivement les Moldus. Et ils avaient bien tort. Les non-sorciers étaient dangereux. Ils possédaient une technologie meurtrière sur-développée, permise par un culte du progrès et de la raison. La communauté magique, étant fondamentalement anti-rationnelle, pouvait bien craindre d'être exterminée ou instrumentalisée, maintenant qu'elle était révélée. Les pensées d'Harmony furent interrompues par une nouvelle remarque bien étrange du Vert et Argent.
Selon lui, elle aurait un talent pour les surprises ? Voilà une drôle de nouvelle ! Elle, l'adolescente tranquille, sérieuse et discrète, se considérait comme très prévisible. Comment aurait-elle pu surprendre le jeune homme ?

Elle répondit à son sourire courtois par un regard perplexe. Où diable voulait-il en venir ? Etait-ce la raison de son changement de comportement ? Elle l'aurait déçu ? Mais pourquoi ?
Il lui demanda alors directement de lui parler d'elle. Plus particulièrement, il attendait une information que Daphné ne lui aurait pas communiqué. Il semblait induire que la jeune Greengrass était élogieuse au sujet de sa cadette.
Cette question plongea l'adolescente encore davantage dans l'embarras.

Peut-être avait-il eu vent de l'épisode du Crache limaces qui aurait nui à l'image de la jeune Serpentard ? Mais il n'aurait pas été vexé qu'elle ne lui en parle pas, après tout, il comprenait sûrement qu'elle ne s'épanche pas sur cette altercation à l'issue peu glorieuse.
Ou bien... Ou bien il se doutait de son inclination politique. Chose qu'elle abordait peu avec Daphné, puisque cette dernière ne semblait supporter aucun des camps en place. Mais par Morgane, on n'interrogeait pas quelqu'un sur un sujet d'une telle controverse au milieu d'une salle commune bondée, fut-elle Vert et Argent !
Harmony décida de jouer la franchise avec lui. Il insinuait, en bonne couleuvre qu'il était. Elle feindrait la naïveté.

- Peut-être fais-tu référence à mon emportement face à cette pauvre Serdaigle, dont la conséquence fut pour moi bien humiliante. Je suppose que ce n'est pas un épisode que Daphné répète allègrement. Mais quelque chose que tu devrais savoir ? Je ne te cacherai pas que je suis interloquée. Je n'ai pas véritablement de secret. En tout cas, je n'ai jamais rien caché volontairement.

Elle fronçait des sourcils et s'était raidie dans son fauteuil. Blaise avait donc bien changé d'attitude avec elle et ce pour une raison obscure. Un soupçon, une idée fausse (ou bien vérifiée ?), un préjugé ? Harmony se demandait bien ce qui pouvait justifier ce retournement brusque. Une fois la dernière phrase prononcée, elle planta son regard dans celui de Blaise et esquissa un sourire détendu, signe de son innocence.

« oh, voyons, je t’en prie, Sharen », soupira-t-il, navré comme s’il s’était adressé à un enfant particulièrement têtu; « ne te justifie pas. »

Blaise lui offrit un sourire rassurant : « Je n’entendais rien de particulier par là. » c’était faux mais la condescendance dans sa voix faisait illusion. « Et, rassure-toi, jamais je ne mettrai en doute ta bonne foi. »

C’était clairement une plaisanterie de connivence que dissimulait son expression effarouchée; les Serpentards n’étaient pas exactement connu pour leur sincérité, et Harmony le savait très bien. Toutefois, il ne parvenait pas à discerner, de manière exacte, si la jeune fille mentait consciemment, et se jouait de lui, ou si elle s’exprimait en effet avec naïveté ; la propension de Blaise à sous-estimer son entourage lui faisait défaut plus souvent qu’il n’était prêt à le reconnaître. Son « arrogance » lui serait un jour « dommageable », lui avait sèchement expliqué le professeur McGonagall en première année. Bien sûr, un tel diagnostic l’avait amusé; et lorsqu’il l’avait rapporté à sa mère dans l’une de ses lettres, celle-ci, loin de s’en offusquer, avait écrit : mon chéri - nous parlons de cette soixantenaire célibataire, passionnée de quiddich, c’est exact ? C’est également une sang-mêlée, non…? Comme si ces quelques adjectifs suffisaient à définir l’une des sorcières les plus puissantes de l’époque. Assurément, Blaise Zabini avait de qui tenir son « arrogance ».

« Ceci dit », reprit-il, perdant son sourire alors qu'il articulait d'un air absent; adoptant le ton soucieux et paternaliste d'un aîné préoccupé par la vacuité de l'existance de son cadet ; « J’espère simplement que le fait de vomir des limaces n’est pas le seul événement dans ta vie digne de m'être rapporté.»

Il avait bien sûr largement entendu parler de « l’incident » , ainsi qu’un camarade de dortoire désigna avec élégance l’épisode, et avait récemment dû interrompre d’un regard noir la bruyante reconstitution qu’un Gryffondor de deuxième année s’efforçait d’effectuer au sein de la bibliothèque. Empruntant de nouveau un rictus affable, il ajouta avec une courtoisie acerbe;

« A moins, bien sûr, que tu ne tiennes à me narrer cet épisode de ta propre voix, ce qui serait, si tu veux mon avis, un peu superflu. » Il jouait avec un certain talent le jeune homme mature que les querelles d’enfants n’intéressaient pas, et qui en avait déjà largement trop entendu, mais la narration de la scène l’avait toutefois amusé; les narrations, car chaque étudiant semblait détenir un récit différent; plus ou moins magnifié; plus ou moins crédible; plus ou moins influencé par l'importance de la rancoeur entretenue envers la maison Serpentard. Lui-même avait été témoin de ce maléfice, quelques années plus tôt et, assurément, il était saisissant; « sensationnaliste ».  Et Blaise aimait ce qui faisait de l’effet - au moins autant qu’il n’avait aimé la vision de Ron Weasley en train de déglutir des gastéropodes gluants.

Installée confortablement dans son fauteuil, Harmony tâchait de ne pas trahir la colère qui l'animait. Une fois de plus, la gâchette de son orgueil avait été déclenchée. Le ton de son aîné lui était insupportable, tant il était empreint de condescendance. Mais il se prenait pour qui ? se dit-elle avec fureur. C'était bien ça le souci... Blaise Zabini était un sang-pur, d'une très grande famille, qui perpétuait la noblesse de cette dernière par son attitude hautaine, ses bons résultats et son entourage soigné.
En face de lui, la petite blonde maigrichonne, au sang poisseux, au talent discutable et relativement solitaire jusqu'ici, ne payait pas de mine. La colère en elle lui rongeait les artères, amplifiée par la frustration. Elle ne pouvait rien faire, rien dire. Elle devait reconnaître qu'il lui était supérieur et qu'il était dans son bon droit de la traiter ainsi.

Cependant, elle était persuadée qu'il cachait quelque chose, et elle ne laisserait pas cette énigme lui résister. Elle avait réussi à entrer dans le cercle de Zabini, à percer son élitisme. Le revirement de caractère du jeune homme était une mauvaise nouvelle. Il fallait à tout prix qu'elle rétablisse un lien cordial entre eux. Sa remarque concernant la bonne foi la fit sourire. Elle confirmait que le sous-entendu n'avait pas été innocent.

- Il est vrai que notre maison est réputée pour l'obreption de ses membres. S'il y a des sujets que je n'aime pas aborder, comme celui de ma famille, car, bien que je l'ai reniée, je continue à en croiser des membres dans les couloirs de cet établissement. Je dois t'avouer que c'est rageant de voir ses racines quotidiennement exhumées, quand on a mis tant d'effort à les tronçonner.

Blaise était bel et bien au courant de l'épisode du crache-limaces. Sa remarque teintée de mépris fit grimacer la blonde. Elle n'était pas fière de son attitude dans le parc, ce jour-là. Elle avait manqué de nerf, d'intelligence peut-être aussi et s'était fait humilier sans autre façon, en punition de son défaut de jugeotte.

- Bien entendu, les élèves d'autres maisons ont vu cela comme une énième preuve de la brutalité des Serpentards et l'humiliation que j'ai subie est pour eux comme une "revanche". C'est surtout une confirmation de ce que des informations déformées peuvent prendre comme sens aux oreilles inattentives.

Elle ne s'étendit pas plus sur le sujet, ne racontant pas l'entrevue avec sa soeur qui avait fait naître sa rage, ce matin-là. Par contre, elle répondit à la pique.

- Tu espères bien. Vois-tu, j'ai eu d'autres mésaventures cette semaine, bien moins embarrassantes. L'une d'elles a mené à une découverte des plus intéressantes. Je ne peux malheureusement pas t'en dire plus pour l'instant. L'information pourrait se montrer capitale à l'avenir, il faut donc encore qu'elle soit confirmée et transmise à qui de droit.

La jeune fille avait repris de l'assurance, enivrée par l'orgueil. Elle avait prononcé la dernière phrase dans un murmure, en se rapprochant de son interlocuteur. Elle ne connaissait pas exactement son allégeance, et ne pouvait donc pas lui révéler ses déductions au sujet du Scroutt. De plus, cela aurait été trop risqué dans la salle commune. Pour l'instant, elle gardait l'information pour elle. Les recherches à la bibliothèque avaient confirmé son intuition et elle songeait à le révéler à Yvain au courant des vacances. Cela permettrait peut-être de mettre au clair le mystère entourant ce garçon.

Elle se fichait bien de ce que Blaise pouvait en conclure. Peut-être la raillerait-il une fois de plus, la jugeant comme une gamine naïve et écervelée. Elle savait bien qu'elle tenait quelque chose qui valait son pesant de Gallions.

Daphné s’appliquait à ne pas marcher trop vite vers la salle commune, même si elle était frigorifiée jusqu’à l’os. Elle revenait de son cours de Botanique, pendant lequel elle avait passé deux heures à tenter d’éviter les attaques vicieuses d’une Tentacula Vénéneuse – et si les autres les avaient ponctuées d’insultes, une Greengrass ne s’abaissait pas à ce genre de langage. Et c’était bien dommage.
Elle enfonça un peu plus son visage dans l’épaisse écharpe vert et argent, et descendit doucement les escaliers qui la mèneraient enfin vers le feu de cheminée des Serpentard, ses mains crispées autour de la lanière de son sac. Il ne lui manquait qu’un livre à lire pour la Métamorphose, et elle pourrait aller dîner puis se coucher dans son lit chauffé par une bouillote, et c’est en pensant à la chaleur de ses draps qu’elle entra finalement dans le cachot.

Son regard fut immédiatement attiré par la paire insolite que formaient Blaise et Harmony. Blaise semblait distant, comme lorsqu’il se moquait de quelqu’un – il faut comprendre que Blaise se moquait de tout le monde, mais pas de la même façon ; et à en juger par l’expression d’Harmony, ce n’était pas de la bonne – alors que la quatrième année avait l’air de s’enflammer.
Dans tous les cas, cela augurait des problèmes qu’elle n’avait ni l’envie de comprendre, ni de régler pour le moment. Ses cours de la journée l’avaient vidée de toute patience (particulièrement celui de Métamorphose, où elle avait tenté en vain pendant une heure de faire apparaître une volée d’oiseau), elle préféra donc tuer le conflit dans l’œuf.
Car elle avait une petite idée de ce qui avait agacé Blaise à propos de sa protégée, et elle doutait qu’ils puissent trouver un arrangement. Après tout, on ne choisit pas d’où l’on vient. Il était pourtant bien placé pour le savoir.

« Blaise, salua-t-elle doucement. Harmony. Comment allez-vous ? »

Elle s’assit dans un troisième fauteuil, et jeta un regard nonchalant au magazine que son ami venait apparemment d’arrêter de lire – Le Sorcier en Guerre. Elle détestait cette publication aussi inutile que dangereuse, qui ne lui paraissait exister que pour mieux exalter les sorciers qui parcouraient déjà le sentier de guerre, mais se gardait bien d’en informer Blaise. Leurs opinions divergeaient sur de nombreux points, et il n’était pas très sage de lancer un débat sur ce sujet. Elle redirigea son regard vers les deux Serpentard, et ôta avec précautions son manteau et son écharpe pour ne pas détremper ses vêtements de neige fondue.

« J’ai cru comprendre que tu parlais d’une découverte intéressante, Harmony ? »

Comme à peu près toutes les personnes dans un rayon de deux mètres, tant la jeune fille s’était emportée. Elle avait cependant repris brusquement le contrôle pour murmurer une phrase de plus que Daphné n’avait pu entendre, et il fallait avouer que cela l’intriguait, quoi qu’elle ait pu dire.

Harmony fixait intensément Blaise, en quête d'une quelconque réaction de sa part. Maintiendrait-il le ton railleur de l'aîné empli de mépris ou bien manifesterait-il un semblant de curiosité ? Toutefois, une voix douce les interrompit dans leur échange tendu.

Daphné Greengrass. Son sac sur l'épaule, son épaisse écharpe cachant son joli menton, la belle apprentie sorcière venait de l'extérieur, la couleur rose de ses joues pâles trahissait le froid dont elle s'était extirpée. Harmony admirait la noble descendante des Greengrass pour sa classe, son intelligence, son charisme aristocratique. Tout ce qu'elle ne possédait pas, en somme. Entre les deux élèves de Serpentard, le rapprochement était aisé. Blondes, à l'apparence résolument britannique, sérieuses et maîtrisant leurs émotions... Harmony, en tout cas, n'avait pas manqué de noter tout ceci, dès son entrée à Poudlard. Son aînée était devenue pour elle un modèle.

Elle lui était reconnaissante, à présent, pour son intervention. Elle ne voyait pas où sa discussion avec Zabini les menait, mais ça ne lui semblait être rien de bon. Sa diplomatie leur serait bien utile pour calmer le jeu.

- Je vais bien ! Et toi ? J'ai hâte que les vacances commencent mais j'imagine que vous deux aussi. Vous devez avoir bien plus de travail que moi.

A la seconde question de la jeune fille, Harmony se rendit compte qu'elle avait involontairement haussé le ton, emportée dans son élan d'arrogance. Une fois de plus, elle voulut se donner des claques. A quoi servait une information importante si elle la divulguait ou laissait entendre à tout le monde qu'elle savait quelque chose? Au mieux, on la prendrait pour une folle prétentieuse qui veut attirer l'attention. Au pire, on la lui soutirerait, auquel cas, elle n'aurait plus aucune valeur d'échange contre une protection ou une cooptation.

Mimant un air enjoué, elle répondit aussitôt.
- Oh rien de passionnant, cela a trait avec les activités de Noël. Ce sera une jolie surprise pour les vacances.
En disant cela, elle espérait détourner l'attention des autres élèves. Blaise et Daphné ne mordraient pas à cet hameçon bien trop gros. La blonde aux yeux pâles fit signe à Daphné de s'installer près d'elle. Elle reprit alors d'une voix douce, sur un ton énigmatique.
- En fait, quelque chose me fait simplement dire que le château est bien protégé. Evidemment, cela a plusieurs implications, pas forcément des plus rassurantes.

De même que pour Zabini, elle n'était pas certaine de la position de Daphné. En tant que sang-pure, elle devait être inquiète de la menace moldue. Mais jusqu'à quel point ? Il n'y avait aucune certitude.

Harmony était une jeune fille intelligente; calculatrice, aussi; et son esprit était suffisamment vif pour lui permettre de répondre avec assurance aux sous-entendus perfides de Blaise. C’était brillant ! Il l’observait maintenant avec un certain intérêt, qui rappelait presque celui qu’elle avait perdu à ses yeux lorsque son ascendance lui avait été révélé. Si la question fut abordé brièvement, elle l’éluda pourtant rapidement; préférait rapporter, sur le ton de la confidence, l’importance des quelques secrets dont elle avait été, semblait-il, la témoin.
C’est sa soudaine assurance, sourde et fiévreuse, qui étonna le plus Blaise;  et il ourlait sa bouche dans un sourire mielleux qui signifiait, « ah, oui, vraiment? » & « es-tu certaine de vouloir faire ça? » tout à a fois. Qui invitait à la confidence…mais qui attirait une méfiance sourde, à la manière d’un bel animal sauvage qui montrerait une dentition brillante et acérée. Son « numéro », toutefois, ce tour un peu audacieux, celui de l’interlocuteur fasciné et doucereux, fut coupé court par l’arrivée de sa bonne amie Daphné Greengrass - ainsi qu’il aimait à la présenter, lorsqu’il était nécessaire - et c’était rare -  de présenter l’aînée Greengrass ! Daphné, pénétrant avec grâce dans la pièce, ôtant son pardessus avec précaution.

« Daphné », la salua-t-il d’un hochement de tête; glissant sur Harmony son regard, cette dernière s’engagea à répondre la première à ses questions; lui, il acquiesça; « Daphné et moi sommes débordés en effet - c’est très désagréable » souriant paresseusement; faisant presque preuve de dérision ! S’amusant de son statut. Celui du cliché du jeune héritier riche, désabusé, indolent. Celui qu’il n’était pas tout à fait, pas toujours.

Mais bientôt, Daphné, calme et maître d’elle, conservant « la tête froide », se penchait sans cérémonie (& sans trop de subtilité ! mais avec l’autorité d’une aînée.) sur la découverte d’Harmony.
Blaise balaya du regard la pièce silencieuse; comme pour y jauger une assemblée; en considérer le public;  et peut-être détourner leurs visages inquisiteurs. Lorsque d’une voix candide Harmony mentionna ses activités de Noël, quelques uns, déçus, baissèrent les yeux; d’autres, car les Serpentards sont sournois, se contentèrent de ponctuellement jeter des coups d’oeil à leur trio.  Rougissant parfois en croisant la mine impertinente de Blaise Zabini, dans laquelle on lisait probablement : je sais, nous sommes fascinants. & toi, tu ne mérites pas de prendre part à notre conversation. détourne-toi!

Pourtant, Blaise considéra les confessions d’Harmony, prononcées dans un murmure énigmatique, avec une certaine condescendance; un attendrissement paternaliste;
« Seigneur, Sharen », siffla-t-il, fronçant les sourcils, comme perplexe; « est-ce vraiment ton "information capitale" ?…» Il parlait bas, et sa voix était rauque;  lancinante, insolente, comme s’il se livrait à une démonstration mathématique trop facile : « bien sûr que Poudlard est « bien protégé »! Protégé contre les moldus, protégés contre les forces du mal - mis-à-part des explosions causées par Seamus Finnigan en cours de potions, je pense que cet établissement est à l’abri de tout. Ce qui est parfaitement logique, compte tenu du contexte politique. » Il avait prononcé ces derniers mots avec une ironie un peu sournoise; une fois de plus, il avait posé son regard sur la couverture brillante du Sorcier en Guerre.

Ce flegme était une manière de lui signifier qu’il restait, pour le moment, imperméable à ses ardents sous-entendus; c’était une manière de l’encourager à en dire plus - de blesser son orgueil fiévreux ! Comme pour lui proposer une dernière chance - lui proposer de se racheter, de susciter son intérêt ; d’essayer de le distraire; il demanda avec nonchalance;

« Alors quoi ? Je t'en prie, qu’as-tu découvert de si intéressant ? »  Un rictus de dérision aux lèvres, il échangea un regard avec Daphné,  comme pour l’encourager à se prononcer en sa faveur - à la manière dont un parent se tourne vers l’autre pour l’inciter à intervenir. voyons, dis-lui quelque chose. comme pour l’encourager, aussi, à s’amuser avec lui.

La supposition d’Harmony la fit sourire. On ne pouvait pas vraiment dire qu’elle avait hâte que les vacances de Noël arrive, non. Les annonces de ses fiançailles n’allaient pas tarder, et elle allait devoir faire face à tout un tas de complications déplaisantes – elle doutait que sa mère laisse si facilement son époux détruire les projets qu’elle avait tissés pour rétablir l’honneur de la famille, et pour une fois elle fut soulagée du peu de pouvoir que les femmes avaient sur sa famille.

« Tu as raison, commenta-t-elle tout de même en jetant un regard amusé à Blaise. Certains d’entre nous travaillent beaucoup. »

Elle sentait les regards des autres Serpentard dans son dos lorsqu’elle posa sa question à Harmony, mais elle refusait de laisser passer de telles informations. Dans l’état actuel des choses, tout lui était utile, chaque bribe d’information pouvait s’avérer indispensable. Elle ne pouvait pas se permettre de laisser quoi que ce soit filer entre ses doigts frénétiquement ouverts.
Harmony lança une banalité pour éloigner les moins Serpentard de ceux qui les écoutaient – ou ceux qui jugeaient assez sagement qu’ils ne devraient pas se mêler des affaires de Greengrass et des Zabini, quelles qu’elles soient ; il n’était guère sage de trop s’approcher des vieilles familles de Sang-Pur, ces temps-ci.

Les révélations d’Harmony la laissèrent quelques instants songeuse, ce qui permis à Blaise d’intervienir plus rapidement qu’elle ; elle sentit presque aussitôt lasse de la conversation. Il avait beau être un de ses plus proches amis, et c’était beaucoup dire étant donné leur nombre réduit, il pouvait se montrer très fatigant.  Elle croisa les mains sur ses jambes sans lâcher Blaise des yeux, espérant qu’il devinerait sa réprobation en croisant son regard.

Ce fut tout le contraire. Il avait l’audace de lui demander du soutien, alors qu’il venait de ridiculiser sa protégée sans même prendre le temps de réfléchir à ce qu’elle venait de dire – elle en leva les yeux au ciel, agacée par le petit discours de Blaise. Harmony n’était pas stupide, elle savait forcément que Poudlard était protégée : ils avaient tous été fouillés à leur arrivée, à la rentrée, et Dumbledore était loin d’être un vieux fou, quoi que les vieilles familles se plaisent à dire pour se rassurer lors de leurs longs repas.

Elle s’inclina légèrement vers Harmony, profitant de sa position centrale pour donner une impression de protection à la jeune fille.

« Tu en as trop dit, maintenant, murmura-t-elle avec calme. Je t’avoue que tes paroles m’inquiètent un peu. Qu’entends-tu quand tu parles d'implications ? »

Tout était utile. Alors Daphné partait à la pêche. Et si Harmony ne parlait pas en présence de Blaise... Elle trouverait une autre occasion avant les vacances.

Assise à présent entre une Greengrass et le fils Zabini, Harmony observait l'échange insidieux de haute volée. Elle se sentait toute petite entre les railleries insolentes de Blaise et les piques savamment placées de Daphné. Si elle avait pris l'habitude de les côtoyer, de plus en plus, son statut inférieur lui pesait. Ce que la superbe de ses camarades ne lui semblait plus être une seule question d'éducation mais quelque chose d'inné. Leur supériorité, elle en était persuadée, était inscrite en eux. Oh, elle ne se dévalorisait pas pour autant ! Au contraire, elle s'enorgueillissait de faire partie de ces élèves de Serpentard que ses deux aînés acceptaient voire même, respectaient. Néanmoins, elle sentait qu'elle leur devait une certaine déférence.

Savoir qu'elle détenait une information de plus qu'eux, de plus quelque chose d'utile, qui pourrait même lui procurer un statut dans la guerre à venir - car elle en était sûre, la guerre viendrait - faisait naître en elle un sentiment ambigu. D'une part, sa fierté sans mesure était attisée comme la braise par un soufflet. D'autre part, la situation lui paraissait gênante. Si elle continuait à se vanter, à donner des indices sans lâcher le morceau, elle ferait preuve d'une grande insolence. Cependant, il lui était impossible de révéler ce qu'elle avait effectivement trouvé.

Le commentaire de Blaise, évidemment, piqua son orgueil à vif. Elle avait beau le respecter, il n'en était pas moins insupportable. Là, sa moquerie était tellement grossière qu'elle ôta à Harmony toute envie de chercher à comprendre ce qu'il lui reprochait. Ce garçon devait avoir l'esprit tellement cloisonné, de toute façon, qu'elle ne lui conviendrait jamais, quoi qu'elle fasse. Ah mais... Peut-être ? Peut-être était-il simplement agacé par quelque chose de tout à fait intrinsèque et immuable chez Harmony. Son sang. Bien sûr, elle ne lui avait jamais vraiment parlé de ses origines. Il devait avoir conclu que son père, dont elle avait conté la mort tragique, assassiné par des moldus, était un sorcier...

Cette réflexion la blessa. Parce qu'elle n'y pouvait rien. A quoi servait-il de montrer sa valeur puisqu'il s'était déjà fait toute une idée d'elle. Il la considérait comme de la morve de troll, certainement. Eh bien, elle ne lui donnerait pas d'autre information.

- Bien sûr, je sais tout cela, Zabini. Je ne suis pas née de la dernière pluie et je ne serais pas à Serpentard si j'étais aussi naïve.

Elle avait lâché ces phrases en croisant les bras, signe qu'elle n'en dirait pas plus. Mais Daphné se pencha sur elle, adoptant une attitude protectrice, pour l'inciter à en dire plus. En effet, elle en avait trop dit. Et ses deux interlocuteurs étaient sur la corde raide. Leur sang ne décidait pas de leur allégeance.
Peut-être malgré elle, Daphné lui indiquait une porte de sortie. Elle était inquiète. Elle eut alors une idée. Ils attendaient une réponse, n'est-ce pas ? Elle allait leur dire ce que seuls Iridessa et peut-être Baptiste Lechner savaient. Elle passerait peut-être pour une idiote. Qu'est-ce que ça changerait ? Elle aurait le temps de rectifier le tir avec Daphné plus tard, quand les choses seraient plus claires.

Dans un souffle, elle murmura.
- Je suis tombée sur un élevage de Scroutts à pétard. Ils n'étaient pas censés avoir survécu.
Puis elle se tourna vers Daphné et prit un air compatissant.
- Poudlard se prépare, Daphné. J'aie peur que cela signifie.. Que Dumbledore ne nous croie pas si à l'abri de toute attaque que cela...

Je ne serais pas à Serpentard, si j’étais aussi naïve ! Avait tranché la jeune fille, lassée, croisant ses bras. Comme un défi à l'orgueil du jeune homme !

« je l’ignore », murmura-t-il, cassant. « ils prennent n’importe qui, de nos jours, à Serpentard. » Il aimait se plaindre régulièrement de la « dégénérescence » dont était victime la maison Serpentard. La remarque visait directement Harmony, quoiqu’il eut été suffisamment nonchalant pour  conserver cette ambivalence qui qualifiait leur relation et maintenir un doute sur ses exacts sentiments. En outre, il parlait sous l’effet de l’irritation provoquée par la complicité des deux jeunes filles : quelle amitié curieuse ! Il se demandait ce qu’en penserait la famille Greengrass. Songea brièvement à aborder la question auprès de Daphné.

« à l’abri de ? excuse-moi, Harmony, je ne sais pas exactement ce que tu redoutes, mais je pense que Daphné & moi-même n’avons vraiment rien à craindre. » C’était la formule d’un jeune homme né dans une famille gorgée de privilèges; un jeune homme qui n’avait jamais eu à redouter une quelconque menace. Même les moldus tant décriés par leur « sauvagerie » & leur « incivilité », les moldus dont la mention seule suffisait à lui faire froncer les sourcils de dégoût, les moldus dont il aimait à tourmenter la progéniture sorcière en feulant quelques remarques malveillantes, lui apparaissaient comme des créatures abstraites et lointaines; comme s’ils n’existaient pas vraiment dans un même univers et que Blaise n’avait rien à en redouter depuis l’enceinte de Poudlard. Quand au Seigneur des Ténèbres, Blaise n’en avait pas peur. La famille Zabini avait des relations ! La famille Greengrass avait, définitivement, des relations !
Blaise avait toujours été suffisamment protégé - excessivement protégé, en réalité ; souvent au prix de sa conscience de la réalité du monde et de ses dangers; suffisamment protégé en tout cas pour se penser à l’abri d’une guerre. A ne pas même se sentir le moindre du monde concerné par la guerre ! A l’instar de sa mère qui, dans sa dernière lettre, d’une écriture élégante et alambiquée, narrait avec insouciance ses vacances sur l’île Bornéo et sa rencontre avec d’« authentiques & terriblement belles » acromentules - celle qui était sournoisement surnommée « la veuve noire » nourrissait une véritable passion pour les araignées. Jamais la famille Zabini, malgré sa répugnance pour les moldus, ne s’était engagée auprès du Mage Noir. Jamais officiellement, en tout cas; et si les actions des mangemorts étaient parfois radicales, excessives, certes, et que le silence de chacun des Zabini revenait à cautionner de tels agissements…; cela n’avait jamais réellement suffit à faire culpabiliser le moindre d’entre eux ; ils s’inquiétaient seulement de conserver leurs privilèges. La guerre, la mort, la destruction? C’était bien trop vulgaire ! Cela concernait les autres. Ces vieilles familles britanniques au sang gâté par l'endogamie - les Carrow, les Lestranges.
Et puis les petites gens. Harmony.

« sauf le déshonneur causé par quelques douteuses affiliations, peut-être. » son ton était sec, arrogant, et il ne souriait plus, pas même de façon mielleuse, comme il lui arrivait de le faire en feulant quelque remarque perfide. C’était un reproche à Daphné - une menace. « Quant aux Scroutts, je pense que c’est vraiment le moment de faire le ménage dans cet établissement et de renvoyer ce -» son nez se plissa dans une moue de dégoût alors qu’il cherchait le mot adéquat, le prononçant avec mépris : « garde-chasse. Ma mère a écrit plusieurs lettres, en ce sens. » Se voiler la face était tellement plus facile.

L’échange stérile de piques dans lequel s’étaient lancés les deux Serpentard agressaient les oreilles de Daphné, la conduisant à se demander brièvement pourquoi elle n’avait pas passé son chemin pour pouvoir lire son livre de Métamorphoses en paix.
Elle se consola en songeant à l'ampleur des dégâts que ces deux-là pourraient occasionner s’ils étaient laissés ensemble sans surveillance – Harmony avait déjà commencé à parler bien trop fort de ce qu’elle aurait dû garder pour elle sous le coup de l’emportement, et Blaise était visiblement très motivé à lancer un conflit à propos du statut de sang au milieu de la salle commune. Ce qui, dans un cas comme dans l’autre, aurait été particulièrement fastidieux à étouffer. Les informations de sa protégée n’avaient de valeur que si elles étaient secrètes, et la situation était déjà assez compliquée sans que son ami ne décide de planter les têtes des Sang-Mêlé sur des piques à l’entrée du cachot.

Elle écouta cependant attentivement les propos de sa cadette, plus précautionneuse que convaincue. Des Scroutts à pétard ? Elle doutait que cela soit la véritable information qu’Harmony détenait. Daphné valorisait l’intelligence et le potentiel, et elle l’avait habituée à bien mieux que les vulgaires croisements hasardeux produits par le Garde-Chasse.

Blaise, évidemment, profita de l’allusion pour tenter d’écraser un peu plus la jeune Sharen en lui rappelant son statut de sang, ce qui ne manqua pas d’agacer Daphné – certes, il était hors de question qu’elle épouse un sorcier au sang souillé, mais considérer les autres Serpentard comme de la plèbe s’ils n’étaient pas Sang-Pur était contre-productif. Ils ne survivraient jamais seuls, il leur fallait des alliés, des informateurs… Ils n’étaient plus assez nombreux pour se le permettre. Mais son ami était trop aveuglé par sa fierté pour s’en rendre compte. L’invective qu’il lui adressa ne manqua pas de lui faire hausser un sourcil, plus amusée qu’autre chose.

« Heureusement que les Greengrass sont assez puissants pour se suffire à eux-mêmes, répondit-elle d’un ton badin. Cela nous évite de faire des choix hasardeux. »

Cela n’était vrai qu’en temps de paix, bien entendu. Mais ça, Blaise n’était pas supposé le savoir – sa famille avait érigé le fait de faire bonne figure au statut d’art, et elle ne pouvait reprocher à ses aînés de ne pas être des maîtres dans leur domaine.

Elle acquiesça simplement à la remarque de Blaise quant au Garde-Chasse, pinçant légèrement les lèvres de dégoût.

« Dumbledore serait sénile s’il ne renforçait pas la sécurité, répondit-elle finalement à Harmony. Il ne veut tout simplement pas s’attirer les griefs de nos parents. »

Elle lui adressa un sourire réconfortant, tout en sachant qu’elle lui avait vraisemblablement menti. Autant jouer la carte de l’aînée rassurant les peurs des plus jeunes. Cela ne pouvait que l'aider à interroger Harmony un peu plus tard, lorsque Blaise se serait décidé à aller jouer avec ses Runes.

« Tu n’as rien à craindre. Tu trouveras toujours de l’aide une fois hors des cachots. Après tout, à Serpentard, nous sommes tous alliés – il serait inutile de se lancer dans des guerres intestines qui ne feraient que fragiliser notre équilibre. »

N’est-ce pas, Blaise ?

Le revirement de ton de l'adolescente semblait avoir fonctionné. Les deux jeunes gens au sang-pur s'étaient détourné du mystère qu'elle faisait autour de sa découverte. Bien. Son ego y avait perdu quelques plumes, néanmoins, c'était une bonne chose. Elle passait peut-être pour une enfant facilement impressionnable devant deux autres apprentis sorciers, mais l'enjeu était trop grand pour laisser filer quelque information que ce soit. Elle devait se montrer utile.

Savoir que Poudlard était défendu était un lieu commun sans valeur. Savoir comment cette défense était constituée, en revanche, était un gage de loyauté. C'était par orgueil qu'elle en avait trop dit à Blaise. Il était légitime de rogner sur ce dernier pour rectifier le tir. Tout cela était pour la cause. Et d'ailleurs, elle tirait une certaine fierté de sa maîtrise de la situation.

Blaise Zabini avait beau jouer les mauvaises têtes, c'était un jeune homme brillant. Et pourtant, elle avait réussi à le leurrer. Voilà qui était un petit exploit ! C'est pourquoi Harmony ne partit pas en furie lorsqu'il glissa qu'elle n'avait pas sa place dans cette Maison.
Il ne savait pas ce qu'il disait. C'était vraiment sa maison. Elle lui appartenait davantage que lui ne le pourrait, jamais. Elle avait tout sacrifié, sa famille, ses joies enfantines, pour cette Maison. Non pas qu'elle le regrettait ! Au contraire, c'est de cette manière qu'elle avait donné du sens à son existence. Et maintenant, elle était proche du but. Sa pique ne l'atteint pas.

Une nouvelle victoire pour la jeune blonde qui doutait de plus en plus de ses capacités de maîtrise d'elle, ces derniers temps. L'emportement contre cette Serdaigle, la panique face au Scroutt, les réactions purement hormonales devant Yvain... La crainte atroce qui l'habitait la mettait à rude épreuve et elle s'était inquiétée d'avoir perdu le masque qu'elle avait mis tant d'années à construire.
C'était faux. Elle en était toujours capable. Et elle était capable de bien plus.

Aussi, quand Blaise reprit en disant que Daphné et lui n'avaient rien à craindre, elle se détendit et pencha la tête sur le côté. Elle l'observa quelques secondes avec un air à la fois amusé et... compatissant. A force de se croire au dessus de la mêlée, le bel héritier ne pouvait comprendre ce qui se passait dans ce monde. Il avait tord de sous-estimer ses adversaires. En un sens, elle le plaignait.

- C'est vrai, j'oubliais que tu étais... intouchable. Rien ne vole jamais assez haut pour t'atteindre, j'imagine, Zabini.
Elle conclut par un petit sourire condescendant, dont elle ne se serait pas crue à même de lui adresser une heure auparavant.

Puis ses deux camarades échangèrent au sujet des alliances, vague compétition verbale entre aristocrates. Blaise ajouta qu'il fallait renvoyer Hagrid. Il n'avait donc vraiment rien saisi de la volte-face d'Harmony.
Daphné prit alors un ton réconfortant pour rassurer sa cadette et calmer le jeu du garçon. Ses paroles les encourageaient à faire la paix. Bien sûr, elle avait raison. Aujourd'hui plus que jamais, les sorciers devaient se serrer les coudes, quel que soit leur origine.

- Je suis entièrement d'accord avec toi, Daphné. Blaise, je n'ai rien contre toi. Si tu me tiens grief, c'est de ton propre fait et je ne chercherai pas à en comprendre la raison si tu ne veux pas me l'exposer. Nous n'avons pas le temps de nous chamailler sur des futilités.

Evidemment, quand elle parlait de futilités, elle ne faisait pas référence à leur petite dispute, mais bien à son statut de sang. Si elle respectait, de base, les sorciers issus de grandes familles, elle ne les idolâtrait pas. Elle savait que chacun devait construire sa valeur propre. Neville Londubat était bien l'exemple que l'hérédité jouait peu. Son sang écarlate ne l'empêchait pas de faire déborder la moindre potion qu'il observait !

Voilà Daphné qui, après quelque allusion fière à la tradition familiale, s’imposait en tant que « médiatrice » de leur différend ! Seigneur. Il leva les yeux au ciel, insolent, et balaya le soliloque de la jeune fille d’un bref mouvement de ses mains, qu’il avait ornées de lourdes bagues d’or aux pierres miroitantes; la scène n’avait rien d’inhabituel. Daphné, qui le connaissait bien, s’efforçait lorsqu’il était nécessaire, de tempérer avec finesse son outrecuidance - souvent avec succès; ils étaient partenaires en cours de potions, et laisser le jeune homme contrarier Severus Rogue par son effronterie aurait été absolument contreproductif.

« Daphné, s’il te plait. », siffla-t-il, irrité par son ton solennel.

Manifestement, les deux jeunes filles semblaient préoccupées; leurs visages pâles et lisses, similaires comme ceux de soeurs, empruntaient conjointement l’expression froissée de l’inquiétude alors qu’elles abordaient le sujet de Dumbledore. De la sécurité et du temps qui pressait. Les jours  de l’hiver étaient belliqueux et tendus; la salle commune de la maison  frémissait de rumeurs morbides et de secrets pervers; Blaise en connaissait certains - Blaise fréquentait Drago Malefoy et Pansy Parkinson; il y avait peu de choses qu’il ignorait - mais Blaise ne les connaissait pas tous.
Manifestement.
(Et Blaise était-il certain de vouloir apprendre toutes ces « choses » dont il ignorait l’existence ?)

Parce que ses camarades l’observaient conjointement comme s’il eut été un adolescent impertinent dont on craignait les caprices, parce que se pouvait-il réellement que Daphné Greengrass ne puisse le dissuader d'agir comme bon lui semblait?...parce qu'Harmony était une serpentard perfide et, il le lui accordait, habile, il articula sèchement, levant les yeux au ciel lorsque la jeune fille lui offrit avec sagesse de conclure leur conflit;

« Des "futilités" n’est-ce pas ? Comme c’est commode.» Acculé par leurs regards impatients, pas exactement réjoui par la tournure de la discussion; résolument vexé, en vérité, alors qu’il s’adossait contre le sofa émeraude, brisant la proximité qu’ils s’étaient efforcés de créer afin d’ouater leur discussion. Adoptant l’air désintéressé et froissé de celui dont l’égo vient d’être heurté.

« Très bien, ne "perdons pas de temps". Concentrons-nous sur les choses qui te tiennent à coeur, Sharen. » Quelques serpentards s’étaient de nouveaux détournés vers eux, intrigués par l’arrogance nonchalante dans sa voix rauque et monotone. Devant sa mine pugnace, ils renoncèrent, soucieux de ne pas attirer une attention superflue. « Tu mentionnais des limaces, je crois ? Je t’en prie, poursuivons.»