L'alcool, au moins, ça ne gèle pas.

La soirée de la veille avait été renversante. Trépidante. Excitante. Épuisante, aussi. Profitant d’un creux de vague qu’il attendait depuis un moment, il avait retrouvé ses premières amours. Il espérait seulement qu’il n’avait plus trop de marques. Un rapide coup d’œil sur ses poignets lui assura que non. Tant mieux ! Il avait eu tout juste le temps de rentrer dans son appartement d’Haveirson ce matin, de s’y effondrer pour s’en relever dans le courant de l’après-midi et commencer à y faire sa valise. Il ne comptait pas rester bien longtemps au château alors qu’étaient arrivées les vacances les plus importantes de l’année.

Cela dit, il ne comptait pas transplaner chez ses parents avant le lendemain matin. Un petit tour au Dark Night s’imposait pour cette dernière soirée à Haveirson avant Noël. Tout de même, il était déçu que le Comte n’organise pas de bal, comme il était de coutume à Poudlard. C’était aussi pour ça qu’il avait pris la liberté de faire ses valises : il ne comptait pas rester si rien n’avait été organisé en amont. Ses parents les attendaient, lui et son frère Neal, dans leur maison près de Norfolk. Rien ne le retenait au château.

Après une douche, Quinn enfila un simple jean et un v-neck blanc qu’il surmonta d’un pull fin et large, d’un violet sombre. Par dessus, pas sa cape préférée — puisqu’elle avait été vilainement tachée — mais une longue robe de sorcier d’une laine noire, riche en tissu inutile. Puis, il sortit du château pour transplaner jusqu’à Avalon. Le Dark Night n’était pas bondé, sûrement à cause des vacances. Ou peut-être de l’heure encore trop peu avancée ?

Pourtant, Quinlan reconnut un visage familier en y entrant. Le professeur Winking… Warlock… C’était quoi déjà son nom…? Enfin, ce détail n’était pas du genre à retenir un Quinlan plutôt de bonne humeur.

— Bonsoir !

Après avoir laissé sa robe au vestiaire, il s’était avancé vers la table où était installé le prof de sciences politiques et de droit, lui demandant d’un regard s’il pouvait s’asseoir.

— Un dernier verre avant de repartir pour les vacances ?

Quinn lui envoya un large sourire, bien content de trouver une âme connue et qui pour l’instant lui était plutôt sympathique dans un lieu qu’il appréciait. Les vacances commençaient plutôt bien, finalement.

HRP:

Et merde, il s’était souvenu de son nom à lui. Fait chier. Quinlan hocha la tête en essayant de remettre un nom sur l’homme en face de lui, l’Irlandais comme il l’appelait dans ses souvenirs, mais rien ne venait. Enfin si, mais ça ne pouvait pas être ça. Oh et puis tant pis, ils étaient dans un cadre plutôt tranquille, il n’allait pas s’encombrer d’un protocole qu’il ne respectait pas souvent de toute façon.

— Ro… Robert, c’est ça ? Pardon, je suis terriblement mauvais pour me souvenir des noms… Et je suis presque sûr que tu ne t’appelles pas Warlock-Parking.

Ni Walkead Deading.

Encore aux prises de l’euphorie de la veille, Quinlan rit de bon cœur, avant de s’asseoir à la table de Ruppert. D’un geste, il appela le serveur pour lui commander un cuba libre — on ne change pas une équipe qui gagne — et entama la conversation avec ce Warlock.

— Oh ! Moi je pars demain matin, chez mes parents. Normalement mon frère nous rejoint là-bas. Il n’était pas là ces derniers temps, mais il enseigne aussi à Haveirson. La botanique.

Il n’était pas étonné que son collègue ait une fille, et l’espace d’un instant, il se dit que quand même, il commençait à devenir vieux, un peu trop pour songer à avoir un enfant, pourtant ça restait quelque part dans le fond de sa tête. Quinlan Fitzsimmons, malgré le train de vie infernal qu’il menait, ses passions et ses secrets, voulait être père. Il y avait des choses comme ça qu’on ne s’expliquait pas vraiment. Cela dit, il était assez pragmatique pour reconnaître qu’il était encore incapable d’offrir un cadre qui ne traumatiserait pas læ pauvre gamin.e.

Le pire dans tout ça, c’était qu’il l’était peut-être déjà. Il était généralement assez à cheval sur la protection, mais on ne pouvait jamais vraiment savoir. Et puis il y avait eu quand même quelques exceptions. Hmpf. Il chassa tout ça de son esprit, sachant qu’il ne pouvait rien y faire de toute façon.

— Comment se sont passés les cours alors ? De bonnes surprises ?

Le changement de sujet n’était pas subtil, mais Quinn n’avait pas spécialement envie de s’encombrer de subtilité ce soir. Un peu de simplicité, parfois, ça ne faisait pas de mal. Alors, bien loin de le trouver rustre et paysan, Quinlan appréciait le côté simple et naturel de son collègue, qui transparaissait dans ses vêtements, sa voix et sa façon d’être.

Le guérisseur avait décidé de rire plutôt que de se confondre en excuses : il savait qu’il avait un souci pour retenir les noms, et sa remarque n’avait pas l’air d’avoir été mal accueillie. Donc, ce prof de droit n’était pas Warlock-Parking mais… Wenlock… Larkin ? C’était quoi ce nom, sérieusement ?

— Rupert, c’est bien. Je crois que je retiendrais jamais ton nom de toute façon. Et Warlock c’est pas si mal…

Quinlan rit de nouveau, et parla un peu de son frère. Il essaya de cacher son inquiétude, misant tout sur le fait qu’il allait bientôt le retrouver pour Noël, lui et puis aussi Papa et Maman. Et peut-être aussi les tantes et les oncles, les cousins et les cousines, et toutes ces personnes qu’il connaissait mal simplement parce qu’il ne les voyait qu’une fois l’an. À vrai dire, il y avait toujours quelqu’un pour lui demander s’il n’avait pas une copine, s’il était marié et c’était pour quand les enfants… C’est dire si ce genre de personne le connaissait peu.

Pourtant, Quinn n’avait rien contre les réunions de famille. Il adorait ses parents et son frère, et accueillait avec un agacement presque feint les remarques boursouflées d’ignorance de ses parents plus éloignés. Il y avait presque quelque chose de mignon dans leur façon si simple de voir la vie, quelque chose que Quinlan méprisait autant qu’il enviait. Pouvoir se contenter de la stabilité, de la routine, de certitudes aussi indéboulonnables qu’infondées… Parfois il aimerait être comme ça.

Mais ce que disait Rupert était quand même plus intéressant qu’une quelconque anticipation sur ce à quoi ressemblerait le réveillon de Noël.

— Ouais, c’est aussi mon meilleur ami, il m’aide pas mal pour mes cours…

Il n’y avait pas grand-chose d’autre à dire, du moins, pas comme ça, de but en blanc. Surtout quand Rupert avouait qu’il avait un peu signé son contrat à l’aveuglette. Ah ah le pauvre.

— Ah ouais c’est fort de café ouais ! Le Comte… C’est tout un mystère. Je préfère ne pas trop me poser de questions, personnellement.

C’était totalement faux bien sûr, mais Rupert n’aurait aucun moyen de le savoir. Quinlan avait envie de le mettre en garde contre l’exploration sauvage du château d’Haveirson, ou contre la défiance inconsidérée du règlement, mais ça aurait amené la conversation sur des sujets qu’il préférait encore éviter. Il en faisait encore des cauchemars, lui qui se targuait d’être plus dur à impressionner que ça.

Un peu comme pour l’évocation de la fille de Rupert. Ne pas avoir d’enfants serait sûrement un des plus grands regrets de la vie de Quinn, s’il continuait comme il l’avait toujours fait. Du coup, le guérisseur enchaîna sur totalement autre chose, quelque chose de plus bateau et qu’ils avaient forcément en commun. Et apparemment, les étudiants aussi, ils les avaient en commun. Un large sourire vint éclairer le visage de Quinlan.

— Laisse-moi deviner : une botaniste et un spécialiste en métamorphose… Je crois que je les connais aussi. Difficile de passer à côté d’eux, non ? Si c’est bien de Mademoiselle Mayer et de Monsieur Neubach que tu parles, tu vas voir qu’ils sont aussi doués pour répondre à tes questions que pour te retourner un cours en moins de deux. Prépare-toi à avoir réponse à tout, sérieusement. Mais je suis étonné : je m’attendais plutôt à ce que tu me parles du jeune Westminbrook. C’est un de tes étudiants spécialistes, non ? Je ne sais pas ce qu’il étudie avec précision, mais il y a quelque chose chez lui qui hurle ‘politique’.

Ça ne voulait pas dire que Quinlan pensait qu’Isolde et Clemens n’étaient pas faits pour la politique, juste… peut-être pas de la même manière que Rowan. Du moins, c’était là son impression. Il connaissait assez mal l’ancien Serpentard… Même si ça ne l’empêchait pas de savoir des choses sur lui qui ne le regardaient absolument pas. Quinn songea un court instant à cette fiole que lui avait confié Clemens. Il ne l’avait pas reconnue de suite, mais il savait ce que c’était. Il le savait très bien, parce qu’il en avait pris il y a de ça 7 ans.

Damned, ce mec était carrément cool. Quinlan rit de bon cœur en écoutant la petite anecdote sur son nom et le fait que Larkin ne soit rien de plus qu’un nom de plume.

— Ruppie, ça te va ? T’as qu’à m’appeller Quinn ou Quinny tant que t’y es. On sera quittes.

Alors, qui était guindé, hein ? Quinlan se voulait plutôt naturel la plupart du temps, mais il semblait que sa flamboyance apparente ne le range directement dans la case des péteux. Quelle tristesse. S’il savait.

Tiens, il regrettait d’être enfant unique ? Quinn ne savait pas s’il avait vraiment un avis à ce sujet. Il adorait Neal, mais ça n’avait pas été facile tous les jours non plus. Bref, il était content d’avoir eu un petit frère, mais était bien incapable d’imaginer sa vie s’il n’en avait pas eu. Tout aurait été bien trop différent.

Quant au Comte… C’était tout un chapitre. Quinlan n’avait pas spécialement envie d’en parler, d’un côté parce qu’il avait envie de dormir cette nuit, et d’un autre côté parce qu’il ne voulait pas faire fuir Ruppie, qu’il trouvait déjà très sympathique comme collègue.

— J’en doute. Même si ça m’agace autant que toi de ne pas savoir qui me paie et m’héberge…

Et qui s’amuse à torturer mon amant avec son château en caca séché et ses sous-sols moisis. Quinn avait très envie de faire la peau à ce Comte, tout en redoutant qu’il soit déjà mort. Après tout, ils ne seraient pas à ça près, non ?

Enfin, il valait mieux parler de choses plus tranquilles et bateau, comme les cours et les étudiants. Sauf que là aussi, le sujet n’était pas si innocent. Quinlan manqua de cracher son cuba libre en entendant Ruppie sous-entendre que s’il avait retenu leur nom, c’était qu’il y avait une raison. Ouais ouais. Je couche avec l’un d’eux.

— Ah ah oui ils sont très intéressants, oui !

La suite s’avéra encore plus trépidante. Apparemment, Rupert avait travaillé avec la mère de Clemens… Quinlan ne fit aucun commentaire, ne voulant pas s’avancer sur un sujet qu’il ne maîtrisait manifestement pas, à parler de personnes qu’il connaissait mal. Il ne répondit donc absolument rien, attendant que Rupert parte sur un autre sujet moins épineux.

Rowan. Bon, c’était encore un peu cactusesque comme sujet, mais moins que de parler de la famille de Clemens, d’après ce que le guérisseur en avait compris.

— Un diplomate ? Ça ne m’étonne pas. Je pense que c’est le genre d’étudiant qui a besoin d’un temps d’adaptation aussi. Tout le monde ne peut pas être extraverti.

Quinlan n’avait pas d’avis très détaillé sur Rowan, mais il savait que c’était le colocataire de Clemens, son ami, et donc quelqu’un de bien. Il savait aussi que c’était un étudiant un peu trop silencieux mais minutieux et il appréciait beaucoup cette qualité. Le jeune Westminbrook lui faisait l’effet de quelqu’un de sérieux… Peut-être un peu trop, mais tout le monde n’était pas fait pour se détendre le slip.

Pas comme Ruppie et Quinny. Alors, la vie à Haveirson ? Plutôt pas mal en effet.

— Après, les étudiants sont parfois plus matures qu’il n’y paraît et franchement je trouve pas ça désagréable de traîner un peu avec. Sinon oui, je transplane souvent à Londres. J’y ai un petit cercle d’amis qui me manquent beaucoup. Les voir me fait pas mal de bien.

Tu m’étonnes.

— Et toi ? Tu comptes transplaner souvent ?

Qu’il attende s’il le voulait, Quinn c’était déjà pas mal comme surnom ! Le guérisseur sourit. Effectivement, le sien était bien entamé : entre le débit de parole de Rupert et le fait qu’il avait toujours eu une bonne descente, un pauvre cuba libre ne faisait pas long feu.

— Ouais, un autre, merci.

Ils parlèrent un temps du Comte et de la mère de Clemens, mais c’était deux champs de mines pour Quinlan, qui ne voulait pas se risquer à s’y aventurer. Pas avec aussi peu d’informations, et pas sans connaître Ruppie un peu mieux. Il le laissa donc parler d’Isolde et de Clemens en tant qu’étudiants, tout en évitant de laisser transparaître le fait qu’il les connaissait en dehors d’une salle de cours. Et qu’il en connaissait un… bibliquement. L’ironie de l’expression lui arracha presque un rire.

— Ça ne m’étonne pas de lui… Et quelque part, je suis content que tu sois le genre de profs à prendre le taureau par les cornes. Je préfère la gueule à la langue de bois, perso.

Quant au fait que même les moldus s’en désintéressent, ça n’étonnait pas vraiment Quinlan. Sorciers ou pas, les humains étaient plutôt pour faire l’autruche et nier la présence de l’éléphant dans le salon.

Les sorciers aussi avaient leur éléphant. Ou plutôt, leur serpent. Il était là, bien vivant et actif, mais non, c’était tellement plus facile d’accuser Potter de menteur, n’est-ce pas ? Pas que Quinlan porte le gamin dans son cœur — c’était un petit con insolent, comme tous les gamins de son âge — mais il avait eu le cran de hurler la vérité alors que tout le monde le traitait de menteur. Sacrées paire de… lunettes.

Bref, tout ça pour revenir à M. Westminbrook, qui n’était pas le plus actif des étudiants, même si sûrement un des plus attentifs.

— Un petit tour de table ou des exposés et il sera forcé de parler. Je suis persuadé qu’il aura des choses très intéressantes à dire.

Quinlan se souvenait de la façon dont il avait parlé pendant le tragique événement du Festival, et il avait adoré ses intonations… Cet étudiant avait du charisme et s’il se destinait à la diplomatie, nul doute qu’il irait très loin.

Le guérisseur aussi espérait aller loin avec ses recherches, mais il fallait rester réaliste. Pour l’instant il avait réussi à aller jusque dans les sous-vêtements de quelques étudiant.e.s et surtout, dans le boxer de Clemens. C’était presque miraculeux, compte tenu de la situation. Et ce n’était d’ailleurs pas sans lien avec ses travaux ! Quinlan n’oubliait pas sa différence d’âge pourtant, même s’il n’allait pas jusqu’à se nommer un ‘daron’.

— Ouais mais t’es pas non plus au stade où t’as l’âge du grand-père ! Et puis il y a plein d’étudiantes qui ne cherchent qu’à se faire un homme plus âgé. Je suis sûr que c’est pareil chez les mecs, remarque.

Après tout, il ne savait pas… Rupert avait une fille, mais ça ne voulait pas dire qu’il n’était pas gay. Quinlan avait très tôt perdu l’habitude de supposer que tout le monde était hétéro, à commencer par lui-même.

— Et pour tes potes à Dublin… Si tu veux je peux m’occuper de ton chien. Ou alors tu peux les ramener ici, non ? C’est vrai que bon, je n’ai qu’un chat et il se démerde très bien sans moi, alors je n’ai pas trop de scrupules à l’abandonner un week-end pour aller m’éclater… à Londres.

Il avait fait une pause presque sans le vouloir. Rupert était trop naturel et trop… sans filtres. Quinlan n’avait plus l’habitude, et comme il était du genre à s’adapter à son interlocuteur, il allait finir par balancer des trucs qu’il allait regretter. Pas des trucs d’une importance vitale, mais des choses qui ne manqueraient sûrement pas de choquer un bon père de famille.

Ah tiens, Clemens suivait sagement le cours ? Quinlan haussa les épaules. Il aurait pu dire que ce n’était pas le genre du Sinistros, mais après tout, qu’en savait-il ? Il ne l’avait eu que pendant un seul cours. Mémorable, mais sur lequel il ne pouvait pas généraliser non plus. Il entama violemment son cuba libre d’une rasade bien longue, avant de répondre à Rupert.

— Je ne l’ai eu que pendant un cours, mais il me l’a un peu retourné. Il était un peu curieux et forcément, il posait des questions un poil trop précises. Je suis médicomage, alors pour des non-spécialistes, ça a tendance à foutre la merde.

Le sourire de Quinn était pourtant sans équivoque : il ne changerait ce passé là pour rien au monde. Quant à Rowan, Quinlan en savait un poil trop à son sujet. Gardant une pokerface à toute épreuve, il tenta de donner une explication à l’apparente attitude blasée de l’héritier Westminbrook.

— Peut-être que c’est sa façon d’être, et que c’est toi qui a des préjugés…? J’ai eu de sacrées surprises en cours, en fait.

Il ne précisa pas, tout simplement parce qu’il n’avait pas d’exemple en tête. C’était juste une idée en l’air, pour jouer à l’avocat du diable et noyer le poisson tout en évitant de laisser Ruppie mariner dans son opinion erronée de Rowan. Ou du moins, que Quinlan pensait erronée.

Heureusement, la discussion s’orienta sur des pentes moins glissantes. Enfin, tout dépendait du point de vue… Quinlan venait juste de rassurer son collègue sur son âge, et le fait qu’il pouvait très bien venir squatter cette boîte s’il s’ennuyait au château.

— Il y a pas mal de monde oui. Là, c’est quasi-vide à cause des vacances, mais tu verras en janvier.

Et puis vint le sujet des amis, du chien et de la petite vie personnelle de Rupert. Par réflexe, Quinlan se proposa pour le chien, mais apparemment, il ne savait pas dans quoi il venait de mettre les pieds : Ruppie accepta, et même si Quinn n’avait pas spécialement d’aversion pour les chiens… Bon, ce n’était pas pour rien qu’il avait un CHAT. Et quel chat ! Le Docteur, spécial dédicace, toi-même tu sais, cœur cœur.

Cela dit, c’était de sa faute s’il avait parlé trop vite, donc Quinlan assuma. Et puis, cette pauvre bête n’avait rien fait pour mériter un voyage en side-car expérimental.

— Ouais laisse, je vais m’en occuper, j’ai pas envie que le pauvre se casse la gueule de ton side-car ou meure d’hypothermie à cause de l’altitude.

Et à parler des amis de Rupert, on en vint naturellement aux fréquentations de Quinlan. Effectivement, on sait faire la fête à Londres… Mais la réflexion de son collègue fit tiquer le guérisseur. Avec un petit rire amusé-mais-pas-trop, il lui répliqua :

— Ouais c’est bien mon genre, mais il faut croire que même ça, ça finit par changer. Je suis pas vraiment célibataire non.

Ça ne l’empêchait pas de s’amuser, cela dit, même si les choses n’étaient pas simples. Elles ne le sont jamais vraiment, de toute façon. Ah, qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour de grands yeux bleus enchanteurs !

Oui bah on voyait les piliers de bar hein ! Ça faisait du bien d’avoir un peu de compagnie pour picoler, même s’il n’allait pas le ramener chez lui, celui-là. C’était pas prêt d’arriver, de toute façon. T’as déjà oublié Quinn ? Tu ramènes plus personne chez toi. Il jeta un nouveau coup d’œil à Ruppie. Il était pas mal, dans la catégorie vieux briscard. Quinlan en aurait presque eu des pensées bien sous la ceinture s’il n’avait pas continué à parler de Clemens.

En fait, les pensées sous la ceinture restèrent, mais le sujet n’était pas tout à fait le même. Le ‘cadrer’, hein ? Quinn aimerait bien ouais, le cadrer entre un matelas et son propre corps. L’idée lui arracha un sourire qu’il ne put réprimer.

— Ce gars là m’a l’air très curieux, profites-en. Et puis je suis sûr qu’il serait pas contre un petit rendez-vous dans ton bureau. Genre, pour le travail, tu vois.

Ouais. Et puis parfois ça dérapait. Des images se succédèrent dans l’esprit de plus en plus embrumé de Quinlan, des bribes de ce qu’il s’était passé entre eux, sans même qu’ils ne s’en rendent vraiment compte. Le guérisseur finit son cuba libre et en recommanda un. Il n’avait pas spécialement envie de finir sobre ce soir. Il ne l'était plus vraiment de toute façon.

Ils enchaînèrent sur Rowan. Le Colocataire. D’une façon ou d’une autre, on revenait toujours à Clemens. Il l’ignorait peut-être mais il semblait être le centre de la toupie, celui autour duquel les autres tournaient. Quinn commençait à décrocher de la conversation, alors il remit un coup de concentration histoire de pouvoir répondre de façon plus ou moins cohérente à Ruppie.

— Ah bon, tu devrais ?

Quinlan n’avait jamais été fan de l’aristocratie, même s’il n’avait contre cette élite que des griefs généraux. Il préférait s’en prendre au système plutôt qu’aux gens qui en faisaient partie, sauf quand ils étaient vraiment trop cons. Là, il n’y avait plus qu’une solution : une bonne dose létale d’arsenic.

Bref, tout ça pour dire qu’il avait complètement occulté le sujet principal qui avait été Rowan. Ce n’était pas forcément un mal… De toute façon il ne savait pas grand-chose de l’étudiant, et ses mots se seraient taris très vite.

Par contre, il pouvait parler du Dark Night. Il le fréquentait plutôt assidûment, même s’il avait un peu ralenti ces derniers temps.

— Hein, tu déconnes ? Moi je transplane bourré, c’est dans mes gènes l’alcool !

Il partit d’un grand rire avant de récupérer enfin son troisième verre. Soit il était fatigué, soit il avait perdu l’habitude de boire… Soit leur rhum était diablement fort et bien dosé.

— Généralement c’est de la musique du moment, de l’électro, de la dance, mais y a des soirées rock je crois. T’as pas dit que t’étais musicos ?

Peu importe le style de Ruppie, Quinlan était vraiment curieux. Il aimait la musique, il aimait la danse, et il connaissait deux ou trois personnes comme lui. Ah, on y revenait toujours. Le centre de la toupie, celui qui regarde les autres tourner.

Ouais, quitte à penser à quelque chose, autant penser à ce pauvre chien que Rupert allait abandonner à intervalles réguliers. Quinn s’était malencontreusement — ? — porté volontaire, et regrettait un peu. Mais apparemment, la bête n’était ni sauvage ni difficile à vivre.

— Bah pas que ça m’aurait dérangé, c’est juste que j’ai quand même une vie à côté… Et puis j’aime pas qu’on me colle.

Enfin, tout dépend de qui me colle.

RHA bon ça commençait à bien faire là ! Clemens était rentré chez lui — ou alors ça n’allait pas tarder — et Quinn allait devoir attendre le Nouvel An pour le revoir. Il allait bien pouvoir survivre deux semaines sans soirées papouilles-recherches-prises de bec, non ? Non !?

Et parlons-en ! Les habitudes de Quinlan ? Ah, si seulement Ruppie savait ! Il avait supposé qu’il était quelqu’un de libre et sans attaches, et franchement, Quinlan aurait bien voulu lui répondre à l’affirmative. Mais ç’aurait été mentir. Il n’était plus célibataire, plus au sens strict, même si ça ne l’empêchait pas de continuer comme avant. Ou presque.

Mais Rupert réagit comme si Quinlan lui avait annoncé qu’il pensait sincèrement à se mettre la corde au cou. C’était quoi cet air tout fatigué tout déprimé d’un coup ? Quinn se tourna vers son compagnon de beuverie en fronçant les sourcils.

— Hé, on n’est pas exclusifs hein. T’as encore tes chances !

Le guérisseur lui lança alors un large sourire amusé, même s’il ne plaisantait qu’à moitié — comme d’habitude. Une autre rasade de son rhum-coca, et il pouvait le dire de façon officielle.

Il était amoureux d’une toupie. Et il était — presque — bourré.