[Cloud Atlas] Nouvel An - Soirée Privée

Le moment véritablement stressant était passé et Quinlan en profita pour enfin savourer son verre, auquel il n’avait pas encore touché. Ses cadeaux, petits ou plus onéreux, avaient l’air de faire plaisir, et c’était tout ce qui importait. Megan serait sûrement tentée de faire analyser le mélange, quand bien même Quinlan en aurait précisé la composition exacte. Du coup, il ne s’était pas embêté à la lui donner. Ça lui permettait aussi de garder ses secrets de fabrication. Isolde, Rowan et Neal furent visiblement touchés, et c’était tant mieux. Pour les deux premiers, les présents étaient de petites choses sans intérêt ou presque — d’ailleurs Quinlan précisa à Isolde qu’il s’agissait d’une véritable description — et pour son frère, un simple moyen de se détendre un peu après toutes ses aventures. Quant à Anna, il n’avait pas su quoi lui prendre et avait opté pour l’option ‘accessoire-classique-qu’on-offre-quand-on-ne-sait-pas-quoi-offrir’. Sa réaction surprit tout de même Quinlan.

— Ne t’embête pas, c’est rien. Même si j’ai un gros faible pour la cuisine française.

Il lui sourit sincèrement, avant de se tourner vers Clemens pour lui donner son cadeau.

— Hé, je compte bien te prouver que t’es pas le seul joueur talentueux dans cette pièce, répondit-il à sa provocation.

À vrai dire, Quinlan épiait depuis le début de la soirée ses regards inconscients, essayant de les suivre pour glaner des indices. Leur hôte allait bien se trahir à un moment ou à un autre !

Quant au cadeau en lui-même, un livre ancien, Quinn l’avait choisi principalement parce que l’auteur avait le même prénom que son amant, et aussi parce qu’il avait lu quelque part que ce livre était la première apparition de la légende de la Lorelei. Il ignorait que Clemens lisait peu, mais un peu d’allemand dans le texte le changerait sûrement de la langue de Shakespeare.

Une fois la cérémonie des cadeaux terminée donc, Quinlan profita du canapé en sirotant son cocktail, non sans parcourir du regard la salle. Ses yeux s’attardèrent sur la décoration, les murs et ce qui y était affiché. Il cherchait ce qui pouvait bien détonner dans cette ambiance de jazz bar londonien. Mais déjà, Isolde évoqua l’atelier de parole que le guérisseur avait décidé d’organiser à la fin du mois de janvier. Il avait laissé un message sur le panneau d’affichage quelques jours avant les vacances, se demandant si l’atelier aurait du succès. D’après ce qu’en disait Isolde et Clemens, c’était déjà le cas.

— Ah, vraiment ? Je compte faire ça entre le 20 et 25 janvier, mais j’avoue que je ne suis pas repassé par le panneau avant de partir en vacances. Je préfère m’occuper de ça en rentrant.

Donc, il ignorait tout des messages laissés par les étudiants, que ce soit les questions très sérieuses ou les trolls peu subtils de son amant. D’ailleurs, ce dernier se posa une question tout à fait légitime.

— Ce serait dommage de ne pas venir pour avoir les réponses à ses propres questions, mais je peux comprendre. Je vais synthétiser les questions par thème, histoire que chacun puisse obtenir les infos qu’il souhaite. Ce serait con de se trahir juste parce que la question est la même, mot à mot. Enfin bref. J’espère que ça se passera bien.

Quant au cours de politique… Quinlan eut une petite pensée pour Ruppie et son accent irlandais. Il se demandait s’il y avait une grande différence entre l’homme qu’il avait croisé au Dark Night, et le professeur de droit.

— D’ailleurs, vous l’avez trouvé comment, ce Warlock-Parking ?

Quinn et les noms, hein.

— Je me sens d’humeur curieuse.

Les mots de Clemens, prononcés un peu plus tôt dans la soirée, résonnaient étrangement dans sa tête tout à coup. Leur hôte se sentait plutôt d’humeur… royale. Se souvenant d’un des jeux, Quinlan prit une gorgée de son cocktail avant de se tourner vers son amant et de lui déposer un bisou dans le cou.

— Tu es vraiment le roi de la soirée. Ça fait de moi la reine, alors ?

Grand sourire.

Comment ça ‘quoique’ ? Il n’était pas roi et c’était bien dommage mais c’était quoi cette ouverture sous-entendue… Hmm avait-il une couronne alors ? Était-il suédois ou dentiste ? Ou alors il avait un trône, et c’était donc une dame pipi. Quinlan rit silencieusement à la plaisanterie qu’il ne partagerait sûrement pas, et replongea le nez dans son cocktail. Il était délicieux, comme à peu près tout ce qui venait de Clemens. Sauf peut-être son courroux divin et ses pets nocturnes. Chacun ses petits soucis hein.

La conversation sauta de Ruppie — ah ! ce cher Ruppie — à un éventuel atelier distillerie animé par Neal. Ce serait drôle tiens, lui qui n’avait pas spécialement l’habitude de picoler… Quinn fut plutôt surpris de voir Rowan acquiescer et en rajouter une couche. Sous ses airs mondains et un peu péteux, il avait en fait beaucoup d’humour. Ne jamais s’arrêter à l’éducation de quelqu’un : c’était une leçon qu’avait apprise Quinlan ces derniers temps. Entre Rowan et Rupert, il allait finir par fréquenter les hautes-sphères de la sorcellerie sans même s’en rendre compte. Pas que ça le gêne, même en tenant compte de ses propres affiliations et convictions. Avoir un pied dans l’aristocratie pouvait même s’avérer plutôt utile. Restait à connaître l’ordre des priorités de Quinlan. Même lui n’en savait rien pour l’instant.

Il se souvenait juste de ce qu’il avait lu dans la Gazette du Sorcier le jour de Noël, et faisait le rapprochement avec ce dont il était témoin ce soir. Quelque chose ne collait pas et il ne fallait pas être un génie pour deviner ce qu’il s’était passé. Rowan eut subitement toute la sympathie d’un Quinlan qui tenait la liberté pour quelque chose de vital. Observant encore un peu le groupe discuter — lui n’avait pas grand-chose à dire — il finit son verre. Les cocktails, c’était un peu comme les hommes : quand c’est trop bon, on les finit trop vite.

Et en parlant de cocktails, Clemens partit jouer les barman, tout en lançant un défi à ses invités. Ouais enfin, un défi, normalement on a des indices pour le relever. Là… Quinn frissonna en sentant la main de Clemens dans sa nuque. Il gigota même un peu dans son fauteuil, espérant que rien ne fût vraiment visible. Il avait tendance à être hyperclemsensible.

À quoi pensait-il encore ? Ah oui. Les cocktails. Le Ripperologue. C’était quoi ce nom, en plus ? Ils n’étaient même pas à Whitechapel ! Ou alors, c’était encore un indice concernant sa profession du soir ? Hmm, Clemens l’Éventreur, ou Détective Clemens ? Sans bouger de son fauteuil, le guérisseur se lança dans sa propre recette perso.

— D’après ce que je sais de Jack, je ferais quelque chose comme orange-carotte-tomate-gin-vodka. Mais je suis peut-être un peu hardcore. Après… si tu veux vraiment te la jouer éventreur, ajoute un peu de placenta. Ça se bouffe.

Tout fier de sa connerie, il lança un large sourire à l’assemblée, avant de reprendre son calme.

— Mais j’irais pas derrière le comptoir et risquer de gâcher de l’alcool. Je ne suis pas spécialiste moi, je ne fais que prendre des notes ce soir. Allez-y, je vous regarde.

Il s’était adressé aux autres invités, à Neal et Isolde, à Megan et Rowan. Anna était toujours à l’étage… Quinlan se prit à penser qu’il l’avait peut-être mis mal à l’aise malgré tous ses efforts, et qu’elle se planquait de lui. Merde. Ce serait con, parce que son but c’était vraiment pas de lui pourrir sa soirée. Et celle de personne d’ailleurs.

Attendant un deuxième verre et cherchant à penser à autre chose, Quinn se prit une gaufre — miam délicieuses — et laissa son regard planer sur la salle. Il y avait forcément des bibelots chelous, quelque chose. Rha ! Clemens ne pouvait jamais rien faire comme tout le monde ! Il pouvait pas juste leur filer leurs cadeaux et basta !? Ouais bon, ce serait moins drôle mais quand même. En plus, Quinn était persuadé que c’était évident et que ça crevait les yeux. Tellement qu’il y restait aveugle.