Thèse et Antithèse ♣ Quinlan Fitzsimmons

Le mois de décembre s'est installé pleinement au cours de la nuit dernière. Le parc du manoir abritant l'académie Haveirson est donc ce matin couvert d'un épais manteau neigeux. Quelques élèves s'y amusent dès les premières heures de la matinée, sitôt leur petit-déjeuner avalé si tant ai qu'ils aient prit un instant pour manger un morceau. Comme des enfants pressés. Aleksandrina les aperçoit par la fenêtre en se levant et un sourire se dessine sur ses lèvres. Ils ont l'air bien dehors, insouciants, à croire qu'ils ne sont pas des étudiants avec une montagne de travail à faire, donné par les professeurs ou par soi-même. Aleksandrina est une adepte du travail personnel.

La sorcière aimerait bien pouvoir vêtir un pull elle aussi et descendre faire une bataille de boules de neige. Mais en pleine rédaction de sa thèse, la jeune femme n'a pas le temps d'aller jouer. Elle n'a déjà presque pas le temps de dormir, en témoigne son regard un peu ternit par de légères cernes résultant de ses insomnies méditatives. Elle n'a pas le temps d'aller s'amuser dans la neige d'autant plus qu'elle a demandé un rendez-vous à son professeur de médicomagie - que par Merlin elle ne parvient toujours pas à appeler professeur mais Guérisseur, par habitude - pour qu'il puisse éclaircir quelques points avec elle. Elle ne peut pas décemment l'annuler maintenant sous prétexte qu'elle souhaite aller s'amuser dans la poudreuse immaculée. Le travail passe avant le jeu. C'est une philosophie à laquelle la demoiselle s'accroche depuis de nombreuses années et qui, jusque là, lui a plutôt pas mal réussit.

Aleksandrina se prépare rapidement pour ne pas être en retard au rendez-vous dont ils ont convenus. Ainsi prend-t-elle quelques minutes pour se doucher, un instant pour coiffer ses longs cheveux bruns, deux minutes pour masquer ses cernes avec un peu de fond de teint, une poigné d'autres pour s'habiller et rien de plus. Cela fait, snobant royalement le petit déjeuner dont elle ne pense pas avoir besoin ce matin, la russe prend le temps de relire les questions qu'elle a soigneusement préparé la veille pour ne pas causer trop de désagrément au professeur qui a la gentillesse de lui accorder un peu de sa matinée. Ses questions vérifiées, sa thèse sous le bras, l'étudiante s'engage dans les couloirs de l'académie pour rejoindre la porte du bureau du guérisseur. Elle y est en quelques minutes, comme les couloirs sont presque déserts de ces heures. Arrivant donc devant la porte de l'ancien urgentiste, Aleksandrina toque avant d'attendre une invitation à entrer. Sitôt qu'elle l'obtient, la jeune femme paraît devant son professeur, le saluant alors.

"- Bonjour, Guérisseur Fitzsimmons." commence l'étudiante. "Merci encore d'avoir bien voulu me recevoir aussi vite !" poursuit-elle, alors qu'elle a déjà envoyé une lettre en ce but la veille. "Voilà, j'ai quelques questions à vous poser au sujet de ma thèse sur le traitement des empoisonnements aux urgences." précise-t-elle en posant son regard sur lui, consciente que des thèses, le sorcier doit en voir passer quelques unes, autant lui rappeler directement de laquelle il est question.

Quinlan avait un paquet de défauts, mais il avait une conscience professionnelle en béton. Il en fallait beaucoup, énormément même, pour venir la fendiller. Alors, quand il reçut la lettre de son ancienne consoœur Petrova — elle n’avait été que stagiaire mais elle ne lui avait pas fait une mauvaise impression, ce qui en soit était plutôt inhabituel — Quinn accepta sans rechigner. Que le rendez-vous soit pris tôt le matin ne le gênait pas le moins du monde. Il avait l’habitude de ne pas faire la grasse matinée, quand bien même il se couchait souvent vers deux ou trois heures du matin après une soirée mouvementée. Ça avait toujours été son rythme de vie, et son arrivée à Haveirson n’avait rien changé à cela. Sauf peut-être une chose : il ne travaillait plus de nuit.

Bref, pour cet entretien avec Aleksandrina, il avait préparé quelques grimoires et notes : son bureau n’était pas son endroit favori pour travailler, et il n’y entreposait quasiment rien. Il connaissait déjà le sujet de thèse de son étudiante, qu’il trouverait intéressant si seulement il n’en savait pas déjà trop à propos des poisons. Bien plus qu’il se risquerait à l’admettre, du moins. M’enfin. Il pouvait l’aider, et c’était le principal.

À l’heure convenue, la Russe vint frapper à sa porte. Elle était d’une ponctualité rafraîchissante, tout comme leur autre confrère psychomage le Pr. Camille Woodsky. En faisant le parallèle entre les deux, Quinn ne put s’empêcher de sourire. Cela dit, il reprit une mine neutre lorsqu’il s’agit de saluer son étudiante.

— S’il-vous-plaît, je suis votre professeur désormais. Guérisseur, c’est presque un passe-temps à côté du temps que me prend l’enseignement…

Il eut un petit sourire nerveux et invita Aleksandrina à s’installer d’un côté du bureau alors qu’il rejoignait son fauteuil de l’autre côté.

— Alors, je vous écoute. En quoi puis-je vous aider ?

C’était un peu bizarre de la vouvoyer soudainement, mais Quinn aimait garder franchement ses distances ou les abolir complètement : ce n’était pas dans ses habitudes de tutoyer quelqu’un qui le vouvoyait… sauf exceptions, bien sûr.

Quant au sujet des poisons, Quinlan se demandait s’il n’allait pas devoir mentir ou jouer les idiots dans le but de se protéger lui-même. Hmm… On verrait. Tout dépendait des interrogations d’Aleksandrina.

La jeune femme entre dans le bureau lorsque son professeur l'y invite et prend place face à lui alors qu'il la reprend quand au titre qu'elle lui donne. Avouant qu'elle a du mal à s'y faire et que professeur lui vient toujours après guérisseur, la demoiselle dévie rapidement de ce sujet et rappelle les raisons qui les amènent à se rencontrer aujourd'hui. Elle n'est pas du genre à prendre des chemins détournés. La brune aime aller droit au but, le plus souvent, pour gagner du temps. Un peu moins de temps perdu, c'est un peu plus de temps pour étudier, écrire, s'occuper d'une lettre, lire... Alors la Miss a développé un esprit pratique et direct. Ce qui l'a pas mal aidé dans sa vie, à plusieurs reprise. Ne pas s'éparpiller peu être la clé du succès.

"- En ce moment je me penche sur le traitement aux urgences d'un empoisonnement par du venin d'araignée sauvage. Evidemment, la plupart de ceux qui y ont été confrontés sont morts soit dévorés par la bestiole soit parce qu'ils n'ont pas eût la possibilité d'atteindre un hôpital. J'imagine que l'on doit, de fait, croiser peu de cas encore vivants, même dans un hôpital. Vous-même en avez-vous déjà rencontré un ?" interroge la jeune femme.

Tout en questionnant le professeur, Aleksandrina attrape sa plume et sa liste de questions, pour noter les réponses de son enseignant. Avec application, elle prend proprement des notes. Sans aucune arrière pensée, elle fixe le visage de son professeur de temps à autre. Comme pour le remercier de lui accorder du temps, simplement.

"- Je vois. Le venin est très rapide à agir si mes recherches sont exactes. Mais je n'ai pas réussit à trouver le temps qu'il met à agir. Les livres parlent de "quelques heures", rien de très précis. Je n'ai pas trouvé de solution non plus, pour sauver les personnes. J'ai seulement plus ou moins vu qu'il y avait des recherches de traitement en cours mais là aussi, rien de très précis. En sauriez-vous un peu plus à ce sujet ?" questionne à nouveau la jeune femme avant de replonger le nez dans ses notes pour écrire les réponses de l'enseignant.

Quelle idée que ce sujet de thèse ! La demoiselle, passionnée par les potions a foncé tête baissé mais mine de rien, ce n'est pas aussi simple qu'elle l'avait présumé au départ. Le sujet est très intéressant certes, mais aussi très compliqué. C'est un challenge à relever. Un challenge quelque peu fatiguant par moments.

Quinlan n’avait pas oublié sur quel sujet portait les études d’Aleksandrina, même s’il le trouvait encore un peu trop large. Il y a tant de sortes de poisons, tant de façon de les combattre… C’était beaucoup trop vaste à traiter, même si pas impossible. En attendant, s’il pouvait l’aider, bon.

La première question de l’étudiante ne tarda pas à fuser. Aleksandrina était une jeune femme efficace, fiable et directe, chose qu’appréciait énormément Quinlan dans le cadre de son travail. Cela dit, aujourd’hui elle manquait pour lui de précision.

— De quelle araignée parlez-vous, exactement ? Les venins sont tous très différents et quand bien même, ils peuvent ne pas être dosés de la même manière selon l’espèce, l’âge et le spécimen. Ce sont des données que l’on n’a pas souvent quand on travaille, mais comme vous l’avez dit, il est rare que les blessés arrivent aux urgences encore vivants. En fait, je ne pense pas en avoir déjà rencontré.

Le professeur se retint d’ajouter qu’il n’aimait pas se souvenir des gens en leur collant leur maladie ou leur accident sur la tronche, même si certains cas étaient manifestement plus marquants que d’autres. Quinn se souvenait encore très distinctement de Nathan et de Carel, par exemple. Enfin, ce serait de la mauvaise foi de tacler Aleksandrina là-dessus, surtout quand elle ne faisait que partir à la pêche aux informations.

— Quelques heures, ce n’est pas si rapide que ça pour un poison. Avez-vous pris en compte les paramètres extérieurs dans l’action du venin ? La corpulence, l’état de santé global initial, les différents facteurs extérieurs comme la température, etc. ? Vous avez besoin de savoir comment agit le venin, de façon exacte, si vous voulez savoir combien de temps vous avez avant que le patient ne décède.

Quinlan était tout de même perplexe. C’était beaucoup d’approximations pour une étudiante en médicomagie. La suite faillit lui faire lever les yeux au ciel. Aleksandrina… Une jeune femme fiable et efficace. Ne pas l’oublier.

— Avez-vous les noms des chercheurs qui y travaillent ? Vous pouvez peut-être les contacter et offrir vos services en tant que stagiaire. La plupart du temps, ils acceptent. S’ils refusent ou rechignent, c’est soit par paranoïa, soit parce qu’ils y ont des intérêts cachés et qu’un œil extérieur serait gênant. Bref, dans ces cas-là, vous ne loupez pas grand-chose. Quant au venin en lui-même… Ce ne serait pas le premier poison où la seule chose à faire serait de sauver les meubles en espérant que le patient élimine la toxine tout seul. Parfois, il n’y a rien à faire et le patient meurt.

Le professeur haussa les épaules et leva les paumes vers le plafond dans un signe d’excuses. Bravo Aleksandrina, tu viens d’avoir ton premier ‘Point Quinlan’.

La demoiselle interroge son professeur, sans réaliser qu'elle n'est pas assez précise dans sa première question. Comme la sorcière sait de quoi elle parle elle s'avance un peu et ne réalise pas que son professeur, n'ayant pas connaissance de l'avancée de ses recherches depuis quelques temps, ne peu pas deviner de lui-même de quoi l'étudiante veut parler si elle reste aussi évasive. Rougissant à la remarque qu'il lui fait, Aleksandrina s'empresse de rectifier.

"- Pardon, je voulais donc parler de Latrodectus Mactans Maxima." répond la jeune femme.

Une veuve noire oui. Les moldus connaissent sa petite sœur, celle de 15 millimètres. Aleksandrina veut parler, pour sa part, d'une araignée un peu plus rare, mais toujours bien vivante. Une araignée que seul les sorciers connaissent. Une araignée presque aussi imposante que les acromentules et pas vraiment plus rassurantes à vrai dire. En y pensant, la Sinistros tremble un peu. Elle déteste les araignées. Rien que d'en parler, elle ne se sent pas forcément très bien.

Une autre question du professeur. Aleksandrina aime sa façon de travailler. Il la pousse, il la booste. Plutôt que de bêtement lui donner une information, ou rectifier les dires de l'étudiante, il se débrouille de lui renvoyer la balle pour que la démarche intellectuelle vienne d'elle. L'ancienne Serdaigle apprécie cela, elle trouve que c'est plus formateur que de simplement donner une réponse. Il la force à réfléchir, à développer sa pensée. Elle adore ça.

"- J'ai lu que le venin stupéfie d'abord la victime. Alors... je me suis procuré du venin de Latrodectus Mactans Maxima, et l'ai injecté à des sujets d'études." dit-elle, farfouillant dans ses notes rapidement, pour ne pas laisser à son enseignant trop de temps à s'interroger sur son expérience. "Puis j'ai noté mes constatations et suite à un calcul pour évaluer le poison à échelle humaine, j'en sui arrivé à la conclusion qu'après quatre heure et dix-huit minutes, le poison devient mortel. Le décès survient... dans les treize minutes qui suivent. J'imagine que cela peut varier selon le genre masculin ou féminin mais sur mes sujets d'étude, la différence n'était pas flagrante. Après, je ne peut être sûre des résultats de ma propre enquête guérisseur Fitzsimmons, je ne peut m'empêcher de me dire que, si je me suis trompé quelque part, tout mon dossier tombe à l'eau. J'ai effectué le calcul sur la base des mensurations moyennes de la population Britannique selon le recensement de l'an passé. Je n'avais pas pensé à prendre en compte la température en revanche, l'état de santé initial a une incidence effective, lorsque le poison devient mortel mais il n'influe pas sur la durée de stupéfixion. Il s'agit alors de soigner les sujets avant l'échéance des quatre heure et dix-huit minutes."

Les noms des chercheurs ? Il va falloir que la demoiselle creuse un peu plus dans leur direction, ce qu'elle avoue à son enseignant. Effectivement, s'il lui est possible de leur demander un stage, la sorcière n'hésitera pas, mais elle a quelques réserves là-dessus, notamment à cause de ses sources. Mais ce serait pour elle une grande chance que de pouvoir participer à cette avancée scientifique et médicale, cela la motive donc.

"- Je ne manquerais pas de leur demander un stage guérisseur Fitzsimmons. Je dois questionner mon père à ce sujet, en réalité, c'est lui qui m'en a parlé mais le ministère interdit de divulguer la chose, aussi n'est-il pas très... coopératif, mais je vais voir si je peut en tirer quelque chose." elle se retient de plaisanter sur un "combien on pari pour ma réussite ?" juste à temps.

Oh. C’était donc sur le venin de cette araignée très précisément que travaillait Aleksandrina ? C’était plutôt intéressant comme sujet, pas très commun. Peu de non-spécialistes connaissaient l’existence de cette araignée, c’était aussi pour cela que les recherches manquaient quant à son venin. Ça, et le fait qu’il n’est jamais bon de tout dire, pour certaines personnes. Quinlan hocha simplement la tête à la mention de la Veuve Noire Géante, et laissa Aleksandrina expliquer sa démarche scientifique.

L’expérimentation dans le domaine de la médicomagie était toujours un sujet délicat. Quinn avait appris que parfois, tester sur le vivant semble la chose la plus simple et logique à faire, mais là aussi, il fallait penser aux risques et aux récompenses. Est-ce que ça en valait vraiment la peine ? Compte tenu du sujet de l’étudiante, Quinlan en doutait un peu. Mais il n’allait pas le lui signifier de cette manière.

Surtout qu’elle enchaîna sur d’autres choses qui attirèrent son attention. Il était presque tenté de noter ce que disait Aleksandrina pour mieux y répondre, mais se retint au dernier moment.

— Attendez une minute. Vous dites que le venin n’est mortel qu’à partir de quatre heures dix-huit après injection, puis que le décès survient dans les treize minutes qui suivent. Je ne vois pas comment vous pouvez faire la différence entre les deux cent cinquante-huit premières minutes et les treize dernières, surtout s’il n’y a pas d’antidote connu.

Quinn marqua une pause et fronça les sourcils. Le raisonnement d’Aleksandrina était bourré de failles.

— Sans compter que vous sortez ce chiffre, ces deux cent cinquante-huit minutes, un peu de votre chapeau. Vous avez testé sur quels animaux ? Peut-être ne réagissent-ils pas du tout comme des êtres humains, et que votre calcul, même en tenant compte du recensement britannique, s’avère faussé. Je ne dirais pas que vous vous êtes trompée, mais en l’état vos recherches n’iront nulle part. Vous manquez de méthode.

La voix du professeur Fitzsimmons était douce, mais son intonation restait ferme. Il cherchait avant tout à lui faire prendre conscience que sa façon de travail n’était pas des plus efficaces, le but n’était pas de la décourager. Ni de lui donner la bonne réponse, qu’il préférait garder secrète.

— J’espère que vous trouverez un stage dans ce domaine. Vous êtes bonne médicomage, ce serait dommage de gâcher ça.

Sous-entendu : en continuant ainsi vous êtes sûre de rater vos études et de tuer quelques patients en prime. Quinlan soupira. Il y avait autre chose qui l’avait dérangé : il se permit, puisqu’il était dans un cadre universitaire, de mettre les points sur les I.

— Les différences entre sexe masculin et féminin dans le cas d’un empoisonnement sont souvent négligeables par rapport à la corpulence, au régime alimentaire et à l’état de santé global initial.

Il avait bien envie d’ajouter que le genre était tout autre chose que le sexe, mais il avait déjà l’impression d’avoir bien chargé Aleksandrina. Il pouvait bien la laisser respirer sur ce genre de détail terminologique. Sans mauvais jeux de mots.

La claque. Il aurait voulu l'ébranler qu'il ne s'y serait pas mieux prit. Au fur et à mesure qu'il parle, la jolie brune affiche sa déconfiture. Aleksandrina sait bien que le travail n'est pas parfait, qu'il lui manque encore un tas de données. La sorcière n'a jamais prétendue avoir terminé. Elle n'en est même qu'au début du devoir. Son expérience n'est pas parfaite et c'est d'ailleurs pour cela que de prime abord, elle n'avait parlé que de "quelques heures" sans être très précise. Pour le reste, elle n'est pas bête tout de même, elle sait différencier un vivant stupéfixé et un vivant mourant. Enfin, jusqu'à preuve du contraire. En clair, son expérience ne plaît guère. Et comment l'étudiante doit trouver ses informations dans ce cas ? On ne peut pas lui reprocher de ne pas s'impliquer dans son devoir, en attendant.

Mais les mots du professeur vrillent ses tympans. Aleksandrina n'a que très peu de confiance en elle et celle-ci vient de s'envoler. Ok, son expérience n'est probablement pas parfaite, elle n'a jamais prétendu le contraire. Mais là, concrètement, elle a l'impression d'avoir fait... de la bouse. Voilà, c'est le mot. Sa bouche se tord en une expression étrange : celle de quelqu'un qui se force à sourire et prendre un air détendu.

"- Je n'ai jamais dis qu'il n'y avait pas de failles dans mon expérience, guérisseur Fitzsimmons. Je vous ai justement dit que je ne pouvait pas être sûre de mes résultats." se défend légèrement la jeune femme.

Elle ne précise même pas l'identité de ses sujets d'études, ce n'est pas la peine, l'homme s'est déjà fait une assez salle idée des dernières avancées de la demoiselle. C'est d'un décourageant. Les derniers jours de travail n'ont servit à rien. La jeune femme est déçue. Et en colère contre elle-même en même temps. Et ce sentiment qui l'envahie, cette impression qu'elle ne va jamais y arriver... Cette fichue confiance en elle qui lui fait défaut. Elle déteste cette sensation mais n'arrive jamais à lutter contre elle. Son gros défaut, qui revient toujours au galop. Pathétique. Il n'y a qu'au travail que son manque de confiance en elle s'estompe, comme elle sait ce qu'elle fait et où elle va.

"- Probablement. Je me suis simplement interrogé là-dessus quand j'ai réalisé l'écart qu'il y a dans l'espérance de vie des hommes et des femmes. Je me suis dis que, peut-être, il y avait quelque chose à gratter de ce côté là." dit-elle affichant une mine déconfite, alors qu'elle a l'impression de s'enfoncer.

Mais elle ne le fera pas. Pas au vu de ce qu'elle vient de prendre dans la face. Son expérience, pas tout à fait terminée, tombe à l'eau. On peut le dire, elle affiche une mine accablée. Pas foncièrement découragée mais ébranlée. La critique n'est jamais agréable à entendre, même si avec sagesse Aleksandrina sait que cela n'aide qu'à s'améliorer. Pour autant, elle ne le prend pas avec le sourire, quand elle sent ses compétences remises en cause. L'homme a fait mouche dans sa critique. La jeune femme se sent accablée. Ce n'est pas juste une impression. Son professeur l'a chargé. Et bien comme il faut, en plus.

Quinlan était un professeur bien plus dur qu’il n’y paraissait. Sous ses airs avenants et sympathiques, son certain laxisme sur la ponctualité en cours et sa tolérance aux vannes et aux petits défis, il restait quelqu’un de très professionnel. Son métier ne tolérait aucune erreur ou approximation, et il avait appris la rigueur à la dure. Ce n’était pas une excuse pour justifier son intransigeance, mais ça permettait de la comprendre.

Il n’était pas non plus un fin diplomate, d’après ce qu’il voyait s’afficher sur les traits d’Aleksandrina. Il était son directeur de thèse, par défaut, et son rôle était de la recadrer, quitte à lui dire des choses déplaisantes.

— Bien bien, je voulais juste m’assurer que vous aviez bien compris qu’en l’état, vos résultats sont à prendre avec d’énormes pincettes. Ce que je vous dis là, j’ai bien conscience que ça ne fait pas plaisir mais… Premièrement, je ne suis pas là pour vous dire ce que vous souhaitez entendre. Je n’ai malheureusement pas non plus l’habitude d’édulcorer mes critiques. Deuxièmement, vous saviez que votre raisonnement avait des failles. Maintenant vous savez où elles se situent : dans votre méthode.

Il se frotta les mains en soupirant.

— Travailler sur des poisons est toujours un peu délicat… Les données manquent, et les seules données fiables sont celles que l’on récupère sur les cadavres et les survivants. Vous pourriez peut-être chercher à savoir comment le venin agit, à une échelle très petite, cellulaire s’il le faut. Évidemment, c’est plus compliqué d’avoir des indices sur l’action stupéfixante, mais je ne doute pas que vous trouverez.

Quinlan n’avait pas envie de lui dire qu’elle n’aurait jamais qu’une fourchette de temps, une fenêtre temporelle pendant laquelle agir. Aucun venin ni poison n’était chronométré à la seconde près. Il manquait aussi à Aleksandrina la base des études en toxicologie, ce qui était plutôt étonnant de sa part. Au risque de la faire passer pour une bille, le guérisseur lui demanda :

— Vous êtes sûre de ne pas avoir mis la main sur la DL50 de ce venin ?

Restait à voir si elle savait ce qu’était une DL50. Ça prouverait à quel point elle était avancée ou non dans ses recherches. Mais tout de même, le fait qu’elle ait déjà fait des expériences prouvait qu’elle n’en était plus au stade de la théorie, celui qui doit toujours précéder la pratique. Enfin.

Revint cette idée qu’il y a une différence fondamentale entre sexe féminin et masculin. Quinn grinça métaphoriquement des dents, même si le questionnement d’Aleksandrina était légitime.

— Sûrement qu’il y a quelque chose, mais je pense que ça ferait un autre sujet de thèse entièrement, et qu’il faudrait sûrement prendre en compte l’aspect historique et socio-culturel des rôles genrés, sans se focaliser entièrement sur l’aspect biologique. J’ai des références à ce sujet si ça vous intéresse… Mais pour en revenir à la toxicologie et pour choisir une image plus parlante… Un employé de bureau de cinquante kilos mourra sûrement plus vite qu’une batteuse de Quidditch professionnelle bien charpentée, à dosage équivalent. Les hormones n’ont pas vraiment d’impact là-dessus… Il peut y en avoir si la toxine peut être capturée par la graisse, ou si elle s’attaque aux muscles, mais là encore, il y a des hommes gras et des femmes musclées.

L’historique personnel de la personne pouvait aussi jouer, notamment en ce qui concernait les venins : pour les serpents et les araignées, il était courant que certaines personnes exposées régulièrement finissaient par s’insensibiliser. Il y avait tellement d’inconnues qu’on pouvait finir par perdre de vue l’essentiel. Avec un léger sourire, le professeur reprit la parole :

— Vos travaux peuvent faire avancer les choses, j’en suis convaincu. Mais mon conseil serait de ne pas chercher l’exactitude là où il ne peut y en avoir. Soyez rigoureuse, méthodique, et prenez en compte le maximum de paramètres possibles. Vous vous devez d’être inattaquable sur votre façon de procéder et de raisonner, parce que même si vos résultats sont intéressants, ils ne seront pas crédibles. Et vous non plus.

Évidemment, il n’allait pas finir de la décourager en lui disant que certaines personnes haut placé préféraient que certaines choses ne se sachent pas, histoire de pouvoir continuer à s’en servir comme bon leur semblait. Le savoir, c’est le pouvoir. Pas étonnant qu’autant de grimoires soient codés…

Autant le dire, ce n'est pas la première fois que les recherches de la demoiselle ne mènent à rien. Depuis toujours, elle possède un esprit beaucoup trop curieux, avide de réponses. Si elle le pouvait, la sorcière essaierait de résoudre tout les mystères de l'univers : malheureusement pour cette dernière ce genre de désir sauvage se contrôle difficilement et parfois, l'entraine sur des chemins qu'elle n'avait pas prévu de parcourir. Et qu'il ne faudrait pas si elle souhaite aller droit au but. Efficace, fiable, directe étaient des qualificatifs pour définir, en partie évidemment, cette jeune femme mais parfois, paradoxalement, sa soif de savoir la dessert, la rend moins efficace. On devrait parfois se contenter du sujet que l'on a à traiter, au lieu de s'éparpiller. C'est dur pour elle : toute question sans réponse prend une part de son esprit et ne se laisse pas oublier.

"- Je sais. Je vais essayer d'améliorer ces points en ce cas."

Il a raison, le travail sur les poisons est délicat. Les données ne sont pas faciles à trouver, souvent à prendre avec des pincettes. Même dans un monde sorcier, les recherches médicales sont dures à mener, Aleksandrina s'en rend bien compte, d'autant plus maintenant que son professeur met en évidence les failles de son raisonnement.

"- Je vais creuser en ce sens. Pour l'action stupéfixante je ne saurai l'expliquer. J'ai simplement remarqué la reprise d'activité chez mes sujets passé les fameuses deux cents cinquante-huit premières minutes." explique l'étudiante. "Pour exécuter des calculs aussi précis, il faudra que je sois prise en stage, je n'aurai jamais suffisamment de matière pour mener à bien une expérience pareille." concède l'étudiante d'un air dépité, sa soif de savoir et de découverte mise à mal.

La DL 50 ? La jeune femme espère que son professeur plaisante en parlant de cela. Comment peut-il imaginer que la petite expérience menée par une étudiante sur une poignée de sujet puisse être une donnée à prendre en compte ? Naturellement, la demoiselle a eut le soin de vérifier la DL 50, mais la sorcière sait très bien qu'elle a manqué de matière pour obtenir un résultat fiable.

"- Guérisseur Fitzsimmons, la DL 50, c'est à dire la dose létale médiane qui indique la dose de matière provoquant la mort de la moitié d'une population animale donnée, ne peut être fiable en dessous d'au minimum cent sujets. Et encore, il en faudrait un millier pour être réellement sûr à 99% des chiffres obtenus. Je n'en avais pas autant à ma disposition. Quoique mes sujets étaient de volumes diféfrents me permettant une ébauche de calcul, il n'en reste pas moins qu'ils étaient cent fois moins nombreux qu'il n'en aurait fallut." répond l'étudiante.

Le calcul de la DL 50 est relativement compliqué, Aleksandrina ne peut prétendre à une avancée si capitale dans ses recherches avec si peu de moyens. Pour faire une découverte comme celle-là, la demoiselle aurait besoin de l'aide de véritables professionnels de cette fameuse araignée, des chercheurs sorciers dotés de connaissances, d'expérience, qui pourraient la guider, lui permettre de mener à bien sa recherche. Il faut qu'elle obtienne, en définitive, le fichu stage dont ils parlaient un peu plus tôt.

Son professeur de nouveau, lui apporte ses conseils et la confiance en elle qu'elle avait perdu se manifeste de nouveau, assez légèrement toutefois. Ragaillardie par les mots de son maître de thèse, la sorcière songe déjà à ce qu'elle doit faire maintenant. Mais un détail la chiffonne encore et son regard bleu se pose sur le visage de son professeur.

"- Vous pensez que ma démarche est trop scolaire ?" interroge-t-elle abruptement, se rappelant les mots d'un autre professeur qui lui avait fait ce reproche au cours de précédentes recherches, du temps où elle était encore étudiante au collège de Poudlard. Une réflexion que lui avait aussi fait un chef de service à l'hôpital Sainte Mangouste il n'y a pas si longtemps que ça, à peine plus de sept ou huit mois.

Ah ça, Quinlan pouvait comprendre qu’il soit difficile de ne pas s’éparpiller. Il travaillait en ce moment même sur un sujet compliqué, beaucoup trop large et surtout politiquement épineux compte tenu de la situation actuelle. C’était aussi pour ça qu’il pensait que ça ne pouvait qu’aider Aleksandrina de mieux cadrer son étude, de sélectionner ce qui entrait en ligne de compte ou non. L’étude des poisons dans un contexte d’urgence était un sujet extrêmement intéressant, mais aussi beaucoup trop vaste. Se focaliser sur une famille de poisons, comme les venins d’araignée, c’était peut-être plus réaliste.

Quant à l’action stupéfixante du venin, Quinn comprenait un peu mieux. Il connaissait la toxine de la Veuve Noire Géante, mais ne l’avait pas suffisamment utilisée pour en être un spécialiste. Enfin, soignée. J’ai dit ‘soignée’, non ?

— Même si vous êtes prise en stage, il faudrait que ce soit dans un endroit où les gens sont fréquemment confrontés à cette araignée. Ce qu’on peut faire, si vous trouvez un stage dans un tel endroit, c’est de vous accorder une semaine de façon régulière pour aller expérimenter sur place, en parallèle de vos cours ici.

Ça coupait la poire en deux : il y avait assez peu d’araignées mortelles à Haveirson, du moins Quinlan l’espérait. Or, pour recueillir des données il fallait aller sur le terrain, ce qui contredisait le fait même d’assister aux cours. Et très honnêtement, Quinlan valorisait trop l’expérience réelle pour enfermer Aleksandrina dans un château. La théorie ne lui serait d’aucun secours, sauf peut-être en ce qui concernait sa méthode de travail.

Il lui tendit alors une perche, qu’elle prit mais de façon plutôt inattendue. Bien, elle avait quand même les bases en toxicologie, tout n’était pas perdu. Quinn n’en attendait pas moins d’elle, d’autant plus qu’il se souvenait d’elle comme d’une stagiaire très consciencieuse.

— Oh, je ne parlais pas de définir la DL50 vous-même en fait. Je me disais qu’elle devait peut-être traîner dans un ouvrage. Rien que d’avoir ça vous permettra d’avancer un peu, d’autant plus que si votre source est fiable, elle aura forcément le détail des données.

Ça aussi, c’était une perche tendue. Quinlan ne se souvenait pas du nom du grimoire, mais il était persuadé de se souvenir de la DL50 de ce venin : des chiffres venaient danser devant ses yeux. Or, comme ce n’était pas dans un cadre rigoureusement scientifique qu’il était tombé sur ces données, il n’en avait retenu que l’essentiel. L’auteur, le titre, sa méthode et même l’époque de l’ouvrage… Quinlan les avait rapidement oublié. Il se souvenait juste que le grimoire était fiable et récent. Il n’avait pas eu besoin de s’encombrer l’esprit avec des informations qui ne lui auraient pas été immédiatement utiles.

La dernière question d’Aleksandrina le tira de sa recherche mentale. Trop scolaire ? Pas vraiment… Le guérisseur chercha un temps ses mots, avant de les mettre en forme. Il ne voulait pas être blessant, mais son but n’était pas non plus de manquer d’honnêteté.

— Je dirais plutôt que vous avez tendance à mettre la calèche avant les sombrals. Vous allez un peu trop vite en besogne… Je sais que c’est très ennuyeux de se pencher sur la théorie, de délimiter précisément une étude, et de planifier les expériences, mais c’est indispensable et ça permet d’avoir des résultats que personne n’ira contester. Alors non, ce n’est pas trop scolaire… peut-être un peu trop brouillon. Mais c’est aussi pour ça que je suis là, non ?

Quinlan sourit doucement, avant de prendre un parchemin et une plume. Il y griffonna rapidement quelques mots.

— J’ai une mémoire terriblement défaillante quand il s’agit des noms, alors même si j’ai quelques réminiscences, je ne me fais pas confiance. Laissez-moi vérifier que les références sont les bonnes, et je vous les enverrai par hibou. En attendant je pense que vous pouvez peut-être vous pencher sur les limites générales de votre thèse : vous allez travailler sur quelle toxine ou famille de toxines, exactement ?

Rien que ça, ça pouvait prendre pas mal de temps et être réajusté selon les résultats obtenus pendant les expériences. Ça donnerait aussi un chemin plus clair à parcourir pour Aleksandrina, et sûrement l’impression de se sentir moins perdue.

Pour trouver les réponses dont elle a besoin, Aleksandrina sait bien qu'elle n'a pas trente-six solutions. La jeune femme a besoin d'un stage et pas n'importe où : il faut absolument qu'elle soit prise au laboratoire qui étudie actuellement autour de ce venin, celui qui a peut-être trouvé un traitement ou qui, en tout cas, en cherche un. Ce n'est pas dans n'importe quel endroit que cette réponse lui sera apportée mais auprès de spécialistes. Il va falloir jouer serrer, la sorcière le sait déjà. Et même si l'adversité lui fait un peu peur, toujours à cause de ce stupide manque de confiance en elle, la jolie russe entend bien faire ce qu'il faut pour obtenir le poste qu'elle veut. Les mois à venir s'annoncent compliqués entre études, thèse, stage et travail. Elle n'a pas encore achevé le roman qui lui a été commandé à ce propos, il fait vraiment s'en occuper au plus vite.

"- Je vais essayer de me faire engager auprès des chercheurs en quête du traitement de ce venin. Je pense qu'ils doivent être les plus informés sur ce sujet et donc les plus à même de répondre à les interrogations sur le venin de la Veuve Noire Géante." répond Aleksandrina à la mise en garde de son enseignant, qu'elle comprend tout à fait.

La DL 50... Non, évidemment la jeune femme n'a pas pût la calculer mais ce n'est pas ce qu'il attendait d'elle. Aurait-il des informations à ce sujet ? Des informations qu'il ne lui communique pas, de toute évidence, mais qu'il laisse sous-entendre. Il parle d'ouvrage. De grimoire. La demoiselle en a déjà consulté naturellement, mais peut-être pas les bons. Il y en a un d'ailleurs, qu'elle a commandé la veille chez Fleury et Bott, qui ne devrait pas tarder à arriver.

"- Oh pardon. Je n'ai rien trouvé à propos de la DL 50 mais j'attends encore un ouvrage de chez Fleury et Bott, peut-être trouverais-je la réponse dans celui-ci. A moins que vous ne sachiez quels livres pourraient m'aider ?" suggère la sorcière.

Oui, le détail des données, ce serait une bonne idée, d'autant plus que cela permettrait peut-être à l'étudiante de réévaluer ses précédents calculs. La DL 50 pourrait grandement l'aider... l'aidera sûrement à vrai dire, dans l'avancée de sa thèse. Mais avant de penser d'avantage à cela, Aleksandrina cherche à revoir sa méthodologie, à comprendre exactement ce qui ne va pas dans sa façon de faire, de procéder. L'homme qui lui fait face ne semble pas partager l'avis de l'un de ses confrères au sujet de son problème; lui indiquant une toute autre voix. C'est vrai, elle est peut-être impatiente et trop pressée. Cette réflexion lui donne matière à réfléchir, Aleksandrina la note dans un coin de son esprit de sorte à y songer plus tard.

"- Je comprend guérisseur Fitzsimmons. Je vais faire de mon mieux afin de corriger cela." répond simplement la jeune femme à l'adresse du sorcier lui faisant face.

Les limites de sa thèse, la jeune femme y a pensé. Le sujet des poisons aux urgences est vaste, elle devrait se cantonner à une seule branche de poisons, comme les poisons animaliers par exemple, comme elle a commencé par eux. Mais les poisons "fabriqués", c'est à dire les potions, sont un sujet qui la passionne d'avantage. Si elle n'avait pas choisit la médicomagie, la jeune femme serait probablement devenue, ou aurait tenté en tout les cas, maître en potion. Elle a toujours été douée pour ça, malgré les nombreux sarcasmes du professeur Rogue lorsqu'elle étudiait à Poudlard. Mais il n'était qu'un vieux ronchon jamais contente de rien aussi accordait-elle davantage de crédit à ses résultats aux B.U.S.E.s et A.S.P.I.C.s qu'aux dire de cet homme imbuvable, qu'elle respectait néanmoins et à qui elle reconnaissait bien volontiers un talent inné pour l'art des potions. Aleksandrina le pensait même - et le pense toujours - que ce sorcier avait la capacité de réaliser une potion et de la réussir, les yeux fermés.

"- J'ai commencé par les poisons animaliers. Je vais peut-être me cantonner à cela, voire aux poisons des arachnéens. Mais j'aurai aimé traiter les philtres et potions, étant passionnée par la matière." confesse la demoiselle. "Alors je ne sais pas trop quoi faire."

L’initiative d’Aleksandrina était la bonne, et Quinlan n’avait rien d’autre à faire que de hocher la tête à sa proposition. Obtenir un stage auprès de spécialistes de la question était la meilleure chose qu’elle puisse faire, effectivement.

Quant à la DL50, Aleksandrina n’avait tout simplement aucun moyen de savoir que Quinlan la connaissait mais avait oublié la source de cette connaissance. Il avait bien dit qu’elle devait traîner quelque part, mais même s’il l’ignorait, il aurait dit la même chose. Il existait tout un tas de grimoires sur la toxicologie, il y en avait forcément un qui traitait du venin de Veuve Noire Géante, non ?

— J’ai quelques pistes mais ma mémoire a tendance à me faire défaut. Et peut-être que vous la trouverez par vous-même.

De toute façon, il ne fallait pas voir dans l’attitude de Quinlan une volonté de mettre des bâtons dans les roues de la jeune étudiante. C’était à elle de trouver, lui devait seulement la guider. Tant pis s’il mentait par omission avec plus ou moins de mauvaise foi pour préserver une niche toxicologique bien pratique dans la vie réelle. Mais là encore, elle n’avait strictement aucun moyen de le savoir.

Bien, elle prenait des notes et… Quinlan grogna à nouveau. Il n’aimait pas se répéter.

— Personne ne m’appelle comme ça ici. Professeur, c’est largement suffisant.

D’ailleurs, il était en train de penser qu’il n’y avait bien que ses patients qui l’avaient jamais appelé ‘Guérisseur Fitzsimmons’. Les collègues s’en étaient toujours tenus à Quinlan, Fitzsimmons, ou pour les moins fréquentables, Fitz.

Bref, il ignorait encore quelles étaient les véritables limites de la thèse d’Aleksandrina. C’était moins qu’il avait besoin de le savoir que l’étudiante avait besoin de le mettre en mots. Quinn s’attendait à une réponse éparpillée, mais il fut agréablement surpris. Finalement, elle s’était quand même trouvé une zone d’études relativement restreinte.

— Vous pouvez vous limiter aux venins des arachnides et ne pas vous ennuyer pendant plusieurs années, je pense. C’est vrai que vous pourriez aussi travailler sur les potions, mais puisque vous avez commencé à expérimenter sur des toxines à l’état naturel, pourquoi ne pas continuer ? Ça ne vous empêchera pas de parler de potions, soit dit en passant. Beaucoup de principes actifs des philtres, qu’ils soient remèdes ou poisons, ont pour origine des toxines présentes à l’état naturel. Vous pouvez très bien nous parler du venin de la Veuve Noire Géante et ensuite enchaîner sur ses possibles applications en potions. Il ne serait pas sage trop vouloir détailler, mais c’est possible.

Pour une fois ! Le tout était de bien savoir doser les détails, mais la suggestion de Quinlan lui semblait tout à fait valable. Bien sûr, le dernier mot reviendrait à Aleksandrina. C’était sa thèse, et ses travaux, c’était donc son choix.

Ok, il ne lui dira rien de plus sur la DL 50, Aleksandrina s'en rend bien compte. Il est possible qu'il n'en sâche rien. A vrai dire, elle ne peut pas savoir que son professeur connait le chiffre exact de la DL 50. Et pour la référence du livre qu'il aurait plus ou moins oublié car sa mémoire lui fait défaut, la jeune femme veut bien le croire. S'il n'avait pas particulièrement besoin de l'information lorsqu'il l'a lu, il ne l'a pas retenu, c'est le tri sélectif de la mémoire, cela lui arrive à elle aussi. Quoi qu'il en soit, s'il existe un livre avec la réponse, il lui incombe désormais de le trouver toute seule.

"- Je vous comprend, cela me fait pareil. Je veux dire, quand je n'ai pas besoin d'une information sur le moment, si je cherche quelque chose par exemple, j'ai tendance à occulter les références de ce que j'ai put voir, entrevoir, pendant mes recherches." répond la jeune femme aux soucis de mémoire dont son professeur lui fait part.

A nouveau, l'homme la reprend sur l'appellation qu'elle lui donne. Décidément, la jeune femme ne s'y fera jamais. Elle ne sait pas pourquoi, elle a toujours appelé ses confrères "Guérisseur", comme les moldus s'appellent entre eux "docteur" et cette habitude n'a pas réussit à la quitter au cours des derniers mois, si bien que sans le faire exprès, sans que cela ne soit volontaire, la jeune femme hérisse le poil de l'homme. Est-ce donc sa faute si les habitudes sont tenaces ? Probablement pas. Et puis, en tant que stagiaire sortie fraichement de poudlard, elle devait à ses supérieurs le respect. Ne se considérant pas à leur niveau, elle avait prit le plie de les gratifier de leur rang, comme pour marquer l'opposition entre le maître et l'élève.

"- Pardon. Je vais essayer de faire des efforts. Comme je vous le disait donc gué... professeur, j'ai pris cette habitude du temps de sainte Mangouste, m'en défaire est... compliqué." s'excuse la sorcière, se reprenant de justesse comme le "mot malheureux" a bien faillit lui échapper.

Pour sa thèse, la demoiselle n'a pas vraiment définie de limites, même si elle y a déjà réfléchit. Choisir un seul sujet est délicat. Il y en a tant qui l'intéresseraient. Un seul toutefois pour la passionner mais cette passion pour les potion justement pourrait lui mettre des bâtons dans les roues, sa curiosité atteindrait sûrement son paroxysme et elle se perdrait, littéralement, dans ses réflexions. Elle se laisserait probablement avoir et, en prime, il lui faudrait un spécialiste pour répondre à quelques questions : le professeur Rogue est certainement le mieux placé mais Aleksandrina imagine mal ce dernier assit dans un canapé à se faire questionner par "un cornichon" sans cervelle. Et puis, elle a déjà commencé à étudier le venin des araignées, il est donc sûrement plus sage de se cantonner à ces dernières.

"- Oh ! C'est une idée !" s'exclame la jeune femme quand son enseignant lui suggère de faire un petit parallèle entre le venin et les potions, via l'utilisation que l'on peut en fait dans la préparation de philtres. "Je peut faire le parallèle entre venin et potions mais je ne me souviens pas que ce venin apparaisse dans une quelconque potion. Il faut que je vérifie toutefois, compte tenu de la rareté du venin, les potions doivent être rares mais il doit y en avoir, je pense."

Étrange qu’elle fasse ce genre de sous-entendus. Quinlan leva les deux sourcils en une mine visiblement très étonnée. Il cachait son agacement et sa méfiance, les camouflant derrière un sourire plutôt amusé.

— À vrai dire, j’ai seulement une mauvaise mémoire et il faut que je note tout. Malheureusement, je suis un peu désordonné et il m’arrive très souvent de perdre ces notes. Le cercle vicieux. J’espère vraiment que vous serez plus rigoureuse que moi sur ce point…

Se tourner en dérision et se faire apparaître plus ridicule ou faible qu’on ne l’est en réalité était une des armes préférées de Quinlan, et aussi l’une des plus efficaces. Il espérait simplement qu’il n’avait pas une Legilimens en face de lui mais… non, c’était impossible. L’apprentissage était trop difficile et trop long : Aleksandrina était encore trop jeune. Et quand bien même, où et pourquoi aurait-elle suivi un tel apprentissage ? Fait chier, il me faut une Pensine.

C’était vraiment dommage que Quinlan se sente si mal à l’aise en présence d’Aleksandrina, parce qu’elle ne lui avait jamais fait l’effet de quelqu’un d’agaçant quand elle travaillait à Ste Mangouste. Mais là, seul dans un bureau avec elle… C’était bien différent. C’était aussi pour ça qu’il insistait grossièrement pour qu’elle l’appelle par son véritable titre actuel : professeur.

Qu’elle prenne comme excuse l’habitude était peut-être la dernière chose à faire devant quelqu’un comme Quinlan. Il tentait tous les jours de se défaire de ses réflexes sociétaux, de remettre en cause ses biais culturels, de changer ou de perdre certaines habitudes qu’il jugeait mauvaises. Et elles avaient changé. Bien plus vite qu’on aurait pu le croire. S’il y était arrivé pour des choses aussi triviales et réflexe que de s’excuser ou demander avant de toucher quelqu’un, elle pouvait bien arrêter de l’appeler ‘Guérisseur Fitzsimmons’.

— Toutes les habitudes peuvent être défaites, même les plus tenaces, si tant est qu’on y met un peu du sien.

Enfin, il devait aussi avouer qu’il n’avait pas réussi du premier coup et qu’il lui avait fallu un temps d’adaptation. Peut-être aurait-il dû être un peu moins dur ? Aleksandrina avait un peu sa part de responsabilité, à lui mettre les nerfs en pelote comme ça.

Quinlan n’avait bien sûr rien montré de sa nervosité, la cachant derrière une façade de professeur consciencieux et un peu tâtillon sur certaines choses. Il valait mieux revenir à un sujet plus consensuel et surtout, plus dans le thème. Comme par exemple, le cadre des études d’Aleksandrina. Elle aurait voulu travailler les potions ? Eh bien c’était toujours possible ! Quinn lui donna une piste qui lui semblait intéressante, mais là aussi, il avait dû mal s’exprimer.

— Si ce venin n’apparaît dans aucune potion connue alors peut-être pourriez-vous en mettre une au point ? Par exemple, il n’est pas exclu que son action stupéfixante puisse être utile en tant que sédatif… C’est une idée lancée en l’air, mais vous voyez où je veux en venir.

Oui enfin, ça allait prendre du temps ça aussi… Quinlan se ravisa, au moins à moitié.

— Enfin, ce n’est peut-être pas une si bonne idée que ça. À moins de travailler uniquement sur ce venin précis. Là, vous pourriez avoir toute une partie sur le venin en lui-même, et une seconde partie sur ses applications concrètes en médicomagie. Si vous souhaitez étudier toute une famille de poisons, je doute que vous ayez le temps et la force de leur trouver des prolongements dans le domaine des potions. Du moins, des prolongements qui n’existent pas déjà.

En se rendant compte que lui aussi pouvait être terriblement éparpillé, Quinlan sourit doucement.

— On a le même défaut, vous voyez : trop curieux, à tout vouloir savoir sur tout, et donc incapable de se recadrer et d’avoir une ligne de route précise. Ma tutrice de stage m’a dit “Choisir, c’est renoncer” et elle a raison.

Choisir, c’est renoncer. Quinlan avait presque oublié cette phrase, qui ne lui revenait que maintenant, comme sortie de nulle part. Il comprenait bien mieux tout un pan de sa vie, tout à coup.