[Cloud Atlas] Secrets et Révélations

Quinn ne s’était pas attendu à devoir descendre de son petit nuage si vite. Il était resté chez Clemens après le Nouvel An, en caressant l’idée de ne pas trop en bouger — ni de Londres, ni du Cloud Atlas, ni même du lit si possible — avant la rentrée de janvier à Haveirson. Seulement, Albus Dumbledore en avait décidé autrement. Les rumeurs de ce qu’il s’était passé à Noël à Poudlard avaient bien atteint les oreilles de Quinlan, mais il ne pensait pas que ça vaudrait une réunion le 2 janvier. Le deux quoi. Il n’était même pas sûr de ne plus avoir la gueule de bois.

Rangeant le faux gallion dans ses affaires et émergeant du lit après un sommeil trop court, Quinlan se dirigea vers la salle de bains. Une douche lui donnerait sûrement le temps de savoir comment annoncer à Clemens qu’il allait devoir s’absenter  en urgence, sans pour autant pouvoir lui donner une vraie raison. L’idée de lui mentir lui donnait la nausée, mais avait-il le choix ? Se laissant bercer par le bruit de l’eau chaude qui lui frappait les épaules, il soupira.

À vrai dire, il ignorait combien de temps il était resté à comater sous la douche, mais quand il regagna la chambre de Clemens, ce dernier était en train d’émerger.

— Bonjour. Bien dormi ?

Quinlan esquissa un petit sourire. Peu importe ce qui pouvait se passer de pas très joyeux dans sa vie, la présence de Clemens lui arrachait toujours une expression gaie. Du moins, quand le Sinistros n’avait pas quelque chose à lui reprocher.

Maintenant, il fallait trouver un moyen de lui annoncer qu’il allait devoir lui faire faux-bond pour ce soir, alors même qu’il n’en avait strictement aucune envie. Sans s’en rendre compte, il lâcha un long soupir.

— J’ai une mauvaise nouvelle.

Oui, il allait lui dire comme ça, adossé au linteau de porte avec pour seul vêtement une serviette autour de la taille.

— J’ai une urgence et… Je ne serais pas là ce soir, mais je compte revenir dans la nuit.

Il espérait sincèrement que Clemens ne lui poserait pas de questions, tout en ne supportant pas l’idée de lui mentir encore une fois par omission. Hmpf. La contrariété pouvait se lire dans le moindre de ses traits, alors qu’il détournait le regard.

C’est vrai qu’il aurait peut-être dû attendre au moins que Clemens prenne son petit-déjeuner avant de lâcher la bombe, mais dans ce genre de cas… Quinlan préférait ne pas attendre. Il l’avait fait la veille à propos de Rupert, et il ne s’était pas senti très à l’aise. Là, il n’avait qu’une seule envie : se débarrasser de la patate chaude. Les politesses ne durèrent pas, même si Quinlan avait bien dormi, contrairement à ce que pensait Clemens.

— Si si, la nuit a été plutôt agréable…

Euphémisme que Quinlan souligna d’un sourire. Mais il se devait, au moins pour quelques minutes, de mettre ses hormones en ébullition de côté. Chose diablement difficile alors que cette couverture et surtout ce qu’elle dévoilait attirait inexorablement le regard du guérisseur.

Mais ce dernier se reprit, et annonça qu’il devrait s’absenter le jour même. Comme ça, sans explications, il doutait que Clemens ne dise rien et passe à autre chose. Parfois, il aurait aimé ne pas avoir raison. Il eut une moue de dépit quand le Sinistros lui fit remarquer qu’il ne s’en sortirait pas aussi simplement. Une excuse ? Ce n’en était même pas une. Même pas un début. Le sourire de Quinlan se mua en rictus désabusé.

— Ça dépend. Comment tu le prendrais si je te disais que j’avais encore des secrets ? Même mon frère n’est pas au courant.

Ce faisant, il s’avança et s’assit sur le lit, assez proche de Clemens pour lui caresser distraitement l’avant-bras. Il le regarda dans les yeux pendant un long moment, une expression très sérieuse sur le visage. Il hésitait. Il ne savait pas s’il pouvait ou devait tout lui dire, même s’il en crevait d’envie. Cette fois, ça ne concernait pas que lui.

— En fait, ça n’a rien à voir avec mon boulot ou mes… vices.

Comment pouvait-il appeler ça autrement ? La révélation de la veille n’allait pas franchement arranger les choses. Quinn ignorait comment Clemens prenait vraiment les flash infos ‘j’ai couché avec untel’ : entre ce qu’il montrait, ce que Quinlan voyait et ce qu’il ressentait vraiment, il y avait peut-être un écart plus grand que ce que le guérisseur avait pensé. Tout le monde n’était pas comme lui et il le savait. Il avait seulement du mal à prendre cette donnée en compte dans ses relations.

Il soupira. Il n’arrivait pas à en venir au fait et ça ne manquerait pas d’agacer Clemens mais… Ce qu’il pouvait lui dire — ce qu’il restait à lui dire — finirait sûrement de le faire fuir.

— Je sais que tu peux garder un secret mais celui-là… Il faut vraiment que tu n’en parles à personne. Ok ?

Voilà. Il en avait désormais trop dit, ou pas assez.

Toujours les secrets. Ils les prenaient toujours par surprise, quand ils les pensaient loin et oubliés comme l’océan juste avant un tsunami. Et quand la vague les prenait, elle n’en était que plus forte. En convoquant l’Ordre si tôt après le Nouvel An, Dumbledore forçait Quinlan à mentir à la personne à qui il voulait tout dire. Chaque secret devenait plus pesant en présence de Clemens, plus honteux même s’il n’avait pourtant pas lieu d’être à la base. Du point de vue de Quinn, il n’y aurait bien qu’un extrémiste anti-moldus pour trouver son engagement gênant et indigne, et Clemens ne pouvait logiquement pas être de ceux-là. Pourtant, il ne savait pas grand-chose de ses idées dans le fond, ni même s’il en avait vraiment. Quinlan lui-même se sentait vaciller dans le contexte géopolitique d’un Secret levé. Après tout, s’il lui disait le sien, il ne ferait que suivre la mode, non ? L’ironie lui arracha un sourire sans joie.

Tout comme la formulation de Clemens. Si seulement il savait combien il y avait de cadavres dans le placard de Quinlan…! Mais ça il ne pouvait pas le lui dire. C’était peut-être la seule chose qu’il ne lui dira sûrement jamais.

Quinn ouvrit la bouche pour parler, mais se rendit compte que Clemens ne saurait peut-être pas de quoi il retournait.

— Tu connais l’Ordre du Phénix ?

Bien sûr qu’il ne connaissait pas. C’était pas comme si Albus avait ouvert une échoppe avec pignon sur rue. Quinn n’était même pas sûr de savoir comment il avait fini dans l’Ordre, ni pourquoi Dumbledore — Dumby pour les intimes — avait accepté sa présence. Tout ceci était… nébuleux.

— À la fin des années 70, quand j’étais encore à Poudlard, Albus Dumbledore a formé un groupe secret pour lutter contre les Mangemorts et surtout contre Tu-Sais-Qui. Après la mort de James et Lily Potter, et la pseudo-mort de Tu-Sais-Qui, l’Ordre s’est dissout, puisqu’il n’y avait plus de raison d’être. Mais maintenant qu’Il est revenu… Dumbledore a reformé les rangs, et euh… j’en fais partie.

Pas que combattre Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Rapper-Le-Blase-Sur-Fond-D’A$ap-Rocky-Spécial-Dédicace-Toi-même-Tu-Sais ne puisse être vu comme une bonne chose, mais Quinlan ne savait rien de ce qu’en penserait Clemens. Il allait s’absenter du jour au lendemain pour des missions périlleuses et Quinn s’inquiétait pour le Sinistros. Il avait remarqué à quel point chacun pouvait être possessif avec l’autre, tout en tentant au maximum de ne pas le montrer.

— J’ai une réunion ce soir même. On va peut-être m’envoyer à l’autre bout du pays demain, je n’en sais rien. J’ai pas mal de questions à poser de toute façon, je doute qu’elles plaisent mais…

Il avait évité le regard de Clemens pendant sa tirade, ne sachant pas comment elle serait accueillie. Il n’avait pas envie de dire ce qu’il faisait pour l’Ordre, ce qu’il faisait avant même de le rejoindre et ce qu’il ne comptait pas arrêter de faire.

— J’ai vraiment pas envie d’y aller et de te laisser seul ici, mais je n’ai pas le choix. Pas aujourd’hui du moins.

D’un geste délicat, il prit la main de Clemens et déposa un léger baiser sur ses doigts.

— Mais je me rattraperai.

Qu’y avait-il à dire de toute façon ? Quinlan ne demandait pas la permission à Clemens pour respecter un engagement qu’il avait pris avant même de connaître le Sinistros. Mais il comprenait aisément sa frustration.

— Non, je ne peux rien dire de plus. Je ne suis même pas censé dire que ça existe et que j’en fais partie alors…

Quinn considérait que ce qu’il venait de faire était une entorse suffisamment grande au secret auquel il s’était engagé, tout en sachant bien qu’il en avait trop dit, ou pas assez. Clemens était trop curieux pour son bien et Quinn en avait marre de mentir : le cocktail était explosif. Alors, le Sinistros avait beau lui lancer son regard le plus incendiaire, Quinn n’était pas sûr de pouvoir lui donner satisfaction. Ses doigts se refermèrent d’autant plus étroitement sur les siens. Il avait envie de lui demander de lui faire confiance sans oser le faire. Il avait trop conscience de l’indécence d’une telle demande.

Par contre, les questions qui suivirent le surprirent. Est-ce que Clemens n’avait simplement pas compris ce qu’il voulait dire ? Le guérisseur fronça les sourcils, perplexe, attendant que son amant ait fini pour lui donner les réponses qu’il attendait. Seulement, cette dernière phrase tronquée, ce regard fuyant l’atteignirent comme des balles.

Tirant sur la main de Clemens, il l’attira à lui pour le prendre dans ses bras. Le menton posé sur son épaule, il chercha un temps ses mots, avant de lui murmurer :

— Tu ne pouvais pas savoir, et moi non plus, mais ça n’avait rien à voir. Mon frère avait seulement besoin de moi, et moi… J’avais besoin d’air. Jamais je n’aurais cru être aussi… Amoureux ? Dépendant ? …attaché si vite. Si je ne veux pas y aller, c’est juste par égoïsme, parce que pour une fois que je peux t’avoir pour plus d’une nuit, on vient quand même m’arracher à toi. C’est tout.

Il lui embrassa l’épaule, mais n’osa toujours pas briser l’étreinte. Parler en regardant le mur auquel Clemens tournait le dos semblait plus simple.

— Et comme tu veux savoir ce que je pense de ce qu’il se passe… Les gens sont cons. Les moldus se font la guerre entre eux pour que dalle, et les sorciers ne sont pas mieux. Avec la levée du Secret, les choses ne changeront pas d’un iota. Tout sera encore pire, ça l’est déjà. Et les gens comme nous, plutôt que d’être considérés comme une preuve que la paix et le respect mutuel peuvent exister, seront juste vus comme des traîtres par les deux camps. J’ai vraiment voulu y croire, avec le Festival, mais j’ai vu comment ça avait fini.
Je ne sais pas ce que pense Dumbledore de ça, mais je sais qu’il est le meilleur rempart contre Tu-Sais-Qui. Je veux juste qu’on soit libres de faire ce qu’on veut sans être suivi à la trace, peu importe la magie, le sang, ou le reste. Les moldus en sont encore à se massacrer pour des questions de religion et de race… Que crois-tu qu’il va nous arriver quand ils sauront qu’on leur a caché l’existence des dragons ? Des loups-garous ? Des vampires ? Ce sera le retour de l’Inquisition, et encore. À l’époque on nous brûlait et on nous noyait. Maintenant qu’on a eu la preuve que l’humain peut industrialiser la mort… Que crois-tu qu’il va nous arriver ?

Quinlan s’était éloigné du sujet principal sans vraiment s’en rendre compte, mais aussi parce que ça lui paraissait désormais diablement important d’en parler à Clemens. Quinn n’était pas stupide, et il savait encore additionner 2 et 2 dans sa tête. Il était là au Nouvel An, et il lisait la Gazette. Il s’était engagé d’abord pour lui et son frère, pour leur famille, tant la partie moldue que la partie sorcière, mais plus ça allait, plus il se trouvait des personnes à protéger. Des personnes qui méritaient qu’on se batte pour elles.

Il n’aimait pas Potter, il n’aimait pas plus Dumbledore, mais face à une menace commune, Quinlan avait rapidement choisi son camp.

Clemens n’avait pratiquement rien dit, ce qui n’était pas pour rassurer Quinlan. L’impression douloureuse d’avoir malgré lui réduit son amant au silence le prit soudainement aux tripes. En avait-il encore trop dit, ou toujours pas assez ? Comment pouvait-il le savoir, quand il n’avait en réponse qu’un ‘D’accord’ de conclusion ?

Il ne le retint pas lorsqu’il se leva pour se diriger à son tour vers la salle de bains. Il n’avait jamais dit de partir dès ce matin — la réunion était quand même ce soir — mais finalement, ça n’avait pas l’air d’être une si mauvaise idée. Il étouffait dans ce silence.

C’était comme ça que ses convictions avaient été accueillies : comme quelque chose de gênant, auquel il n’y avait finalement rien à répondre, pas même un regard. Quinn avait déployé son étendard, mis le genou à terre et offert ses armes à quelqu’un qui manifestement ne savait pas quoi en faire. Ou n’en voulait pas. Ou s’en foutait.

Oh il n’allait pas bouder maintenant qu’il avait enfin accepté son étrange rôle de protecteur, mais il en tremblerait presque de douleur de se sentir ainsi méprisé. Dans un geste impulsif et rageur, il se leva, s’habilla en vitesse et prit tout juste assez d’argent pour tenir la journée en ville. Le Docteur miaula d’un air réprobateur, mais Quinlan n’en avait rien à foutre. Il avait besoin de décrocher, de se retrouver un peu seul.

— TU FAIS CHIER PUTAIN !

Il avait lâché ça un peu au hasard, à la vitre où il devinait son reflet ou à l’homme qui préférait faire l’autruche dans sa douche, peu importe. Il l’avait regretté aussitôt. Trop tard.

Quinlan fuya lui aussi, laissant derrière lui un chat qui l’insultait sûrement dans toutes les langues qu’il connaissait. Il reviendrait ce soir, mais il était quasiment sûr de ne pas avoir la réponse à sa question.

Où est-ce qu’il avait merdé encore ? Le fond, ou la forme ?

Il avait passé la journée à errer dans Londres, hantant ses bars et parcs préférés, seul dans la foule. Il détestait ça, mais s’il était resté au Cloud Atlas aujourd’hui, il aurait fini par péter un câble et c’était bien la dernière chose qu’il voulait. Il se serait bien excusé, mais de quoi cette fois ? Qu’est-ce qui avait merdé, exactement ? Le moment n’avait pas été le bon, c’était évident, mais Quinlan avait eu le sentiment que s’il ne parlait pas, il ne parlerait jamais. Et par Merlin, Quinn n’attendait que ça. Qu’ils parlent.

Il se sentait frustré et découragé. Il y avait toujours quelque chose qui merdait quelque part de toute façon. Le guérisseur s’en voulait de froisser Clemens aussi facilement, mais si ça continuait… il avait peur d’y devenir insensible. Oh et à quoi ça lui servait de se torturer l’esprit alors qu’il ne savait même pas où était son erreur, exactement ? Quinlan bouda toute l’après-midi jusqu’au soir, où il transplana au Q.G. de l’Ordre.

***

Comme un paquet d’autres trucs dans sa vie, cette réunion avait été frustrante. Et rageante. Il devrait s’entretenir avec son frère très prochainement et vu comme les discussions sérieuses avaient tendance à tourner avec lui, il craignait le pire. Résultat : quand il rentra à Londres, Quinn n’était pas de meilleure humeur qu’à son départ.

Il redoutait de remettre un pied au Cloud Atlas et caressa l’idée de fuir quelques heures de plus en traînant les bars, avant de se foutre une tarte mentale. Clemens l’attendait, et il l’avait sûrement attendu une bonne partie de la journée. Quinlan craignait la confrontation, tout en sachant qu’il ne pouvait s’y dérober. Il était lâche et trouillard, il le savait.

Arrivé dans la rue, il hésita un moment. Le bar était censé être fermé, alors quitte à rester planté là comme un con, autant qu’il le fasse un peu plus loin que juste devant la porte. Avec un long soupir, Quinlan reprit sa marche. Il devrait y passer, tôt ou tard, de toute façon. Il y avait toutes ses affaires, et le Docteur. Et il ne pourrait pas éviter Clemens indéfiniment. Il n’était même pas sûr d’en avoir envie. Il voulait simplement retarder la prochaine dispute au maximum.

Quinlan s’imaginait déjà Clemens assis dans une des banquettes, son regard bleu perçant lui lançant des éclairs dès qu’il oserait remettre un pied dans le bar. Il se l’imaginait ressortir tous les reproches qu’il avait pu lui faire, les dérouler en une longue liste qui n’appelait qu’une seule conclusion : pourquoi étaient-ils ensemble ?

Au moment d’ouvrir la porte, il se mit une nouvelle tarte mentale. Arrête de culpabiliser. Respire. Mais la porte fermée embrasa un nouveau foyer de panique dans sa poitrine : Quinn ne put s’empêcher de songer au fait que Clemens aurait pu le foutre à la porte, avant de se souvenir que ce n’était qu’une autre mesure de protection. Il toqua de quelques coups secs et nerveux jusqu’à ce qu’on vienne lui ouvrir.

L’expression de Clemens resta indéchiffrable le temps qu’il remette les protections en place, ce qui n’était pas pour rassurer Quinlan. Est-ce qu’il allait se faire engueuler ? Il en eut presque un mouvement de recul, presque, parce qu’il s’était attendu à tout, sauf à ce qui se produit ensuite.

Il se laissa happer dans l’étreinte de Clemens, refermant presque aussitôt ses bras sur lui. Fermant les yeux, il s’y abandonna totalement, fondant sous la pression qui s’était soudain envolée.

— C’est rien… ça va…

Glissant les doigts dans ses boucles, il le garda tout contre lui, lui embrassant le cou, la mâchoire, la joue. Puis il s’écarta un peu, cherchant son regard avant de l’embrasser. Soupirant à nouveau comme pour évacuer les dernières notes de stress, Quinlan mit rapidement fin au baiser et se dégagea de l’étreinte le temps de retirer son manteau.

— J’aurais pas dû partir en trombe non plus.

Remarquant le livre sur une des tables basses, Quinlan s’essaya à un petit sourire.

— J’espère qu’il est bien.

Il n’y connaissait rien, alors peut-être que le truc était imbuvable : il n’en savait rien.

C’était un de ces moments étranges où les mots se dérobaient devant la pensée, et où on essayait de gagner du temps tout en sachant pertinemment que tôt ou tard l’inévitable arriverait. Quinlan avait été sincèrement rasséréné par l’étreinte de Clemens et son début d’excuse : c’était bien plus que ce qu’il avait espéré, lui qui s’attendait à se faire laminer la tronche à coups de reproches plus ou moins mérités. Il n’avait toujours pas compris ce qu’il s’était passé le matin même, en fait. Il aimerait bien que Clemens le lui explique, sans vraiment oser espérer. Alors il détourna le sujet. Il lui parla du livre qu’il lui avait offert et qui avait déjà été entamé, s’inquiétant de sa qualité.

Clemens ne lui répondit pas tout de suite. Il regagna son fauteuil, laissant Quinn s’avachir dans un pouf juste à côté de lui. Même s’il n’était pas responsable de la qualité d’écriture d’un auteur qu’il ne connaissait même pas, le guérisseur ne put s’empêcher de se sentir un peu plus tendu alors que Clemens énonçait son verdict. Plutôt mitigé, d’après ce qu’en comprenait Quinlan. Ce dernier esquissa une moue un peu dépitée et ne put retenir un petit :

— Je choisirai mieux la prochaine fois.

Après tout, c’était logique. Quand il avait acheté ses cadeaux de Noël, Quinlan ne connaissait pas bien Clemens, ce qui expliquait qu’il s’était trompé. Deux fois. Affichant un léger sourire un peu penaud, il détourna un moment le regard.

Ses yeux furent de nouveau attirés vers Clemens quand ce dernier se mit en position défensive dans son fauteuil. Quinn craignait ce qu’il allait dire et il y avait fort à parier que Clemens craignait la réaction du guérisseur. Gardant un air le plus nonchalant possible, toujours étendu dans le pouf, Quinlan écouta.

Pris à parti ? C’était peut-être la dernière chose qu’aurait voulu Quinlan, effectivement, et l’entendre dans la bouche de Clemens lui fit un peu mal. Il ne savait pas vraiment ce qu’il avait cherché à faire en lui déballant tout ça ce matin. Il avait juste senti qu’il devait le lui dire. Qu’au moins, ce serait fait. Si seulement il était plus doué côté choix de mots !

— Je te présente mes excuses quand même. Ça ne m’a même pas traversé l’esprit que tu puisses le prendre comme ça…

Par contre pour le reste… Que Clemens respecte son engagement, c’était un peu le minimum, d’autant que Quinlan aurait été fort étonné du contraire. Cela dit, il sentait des réserves. Quelque chose tracassait Clemens, quelque chose qu’il n’arrivait pas bien à exprimer lui-même. Quinn fronça les sourcils, remarquant enfin la main bandée de son amant. Ok, ils en parleraient plus tard de ça.

— Tu ne l’es pas vraiment, mais je peux comprendre… Qu’est-ce qui te fais peur, exactement ?

Parce qu’on parlait bien de ça, non ? De peur. Se redressant un peu, Quinlan se rapprocha en même temps de Clemens, étant presque assez près pour le toucher, ce qu’il ne fit pourtant pas. Il n’avait pas l’impression que ce soit le bon moment, même s’il essayait de montrer à Clemens qu’il pouvait se sentir libre de le faire et ce malgré le Docteur qui avait décidé de venir voir ce qu'il se passait dans la salle. Pour le moment, voyant que les genoux de Quinlan n'était pas encore à prendre, il s'assit à ses pieds, se frottant toujours contre sa jambe en ronronnant comme un moteur.

— Tu peux me poser toutes les questions que tu veux, du moment qu’elles ne concernent que moi. Je ne suis plus à ça près.

Le guérisseur réfléchit un moment, avant de soupirer.

— Mais sache que je ne t’ai pas dit ça pour te convaincre de me rejoindre.

À vrai dire, Quinlan ne savait pas comment il réagirait si Clemens venait à intégrer l’Ordre. Cela fausserait tellement de choses, comme la présence de son frère le faisait déjà ! Et puis, ce n’était pas anodin : Quinn y risquait sa vie, jamais il n’encouragerait Clemens à risquer la sienne. Après, dans l’absolu… Le Sinistros était majeur et vacciné. Il faisait ce qu’il voulait de sa vie.

Le sourire qui passa sur le visage de Quinlan n’était pas aussi lumineux qu’il aurait voulu le faire croire. Clemens était touché par son cadeau, certes, mais dans le fond, il ne lui plaisait pas plus que ça. Il s’était foiré, et les circonstances particulières de leur relation n’arrivaient pas à lui faire oublier cette pointe de déception qui lui perçait le cœur. Tant pis. Comme il l’avait dit, il ferait mieux la prochaine fois.

Évidemment, la conversation à propos du livre de Brentano n’était qu’un subterfuge, un moyen de repousser la vraie discussion à plus tard. Sauf qu’il fallait vraiment qu’ils se parlent cette fois. Quinlan pensait simplement avoir encore déconné sur la forme, et ne voyait toujours pas le souci dans le fond. Observant Clemens, il en déduit qu’il devait avoir peur, parce que c’était avant tout la réaction la plus logique et normale.

Silencieux, Quinn écouta Clemens jusqu’au bout, invitant distraitement le Docteur à lui grimper sur les genoux. Les propos du Sinistros étaient toujours un peu décousus, et c’était toujours un peu difficile de le suivre ou du moins de comprendre où il voulait en venir. Le regardant dans les yeux, Quinlan se hurla mentalement à la figure. Pas qu’il ait oublié à un quelconque moment que Clemens fût Allemand, mais il prenait conscience qu’il avait cloisonné l’homme de son pays et de son Histoire. C’était hautement stupide et totalement inconscient.

Du coup, il manqua presque la seconde tarte mentale. Lui ? Chercher une rédemption…? Il était bien du genre à s’auto-flageller, mentalement ou pas, mais de là à sortir les grands mots… Pourtant, il n’arrivait pas à le contredire. Il ignorait toujours ce que voulait dire Clemens, mais il avait l’intuition que minimiser son propre rôle ne serait pas spécialement bien perçu. D’autant plus qu’il n’avait pas envie de le faire. Tout le monde ne pouvait pas se battre, Quinlan le concevait et trouvait ça normal. Mais si Clemens lui-même ne savait pas où était sa place… Le guérisseur haussa les épaules et secoua la tête.

— Je ne peux pas t’aider, je ne veux pas t’influencer. Mais peu importe ce que tu fais dans le fond, ça ne change rien pour nous.

Une pensée un peu folle lui traversa l’esprit. D’après ce qu’il avait compris, Clemens préférait ne pas prendre parti, ce qui semblait de prime abord la chose la plus sage à faire. Mais l’aurait-il déjà fait que Quinn n’était pas sûr de changer son attitude à son égard. Quelque chose chez Clemens faisait taire toute raison. Un petit sourire nerveux déforma les traits du guérisseur qui détourna le regard.

— Je… Je crois bien que je te suivrai n’importe où, de toute façon.

Il se souvenait de la vision qu’il avait eu dans le miroir, un paysage enflammé, apocalyptique, où un autre regard bleuté, une autre nuance dansait derrière celle si familière des yeux de Clemens. Maintenant qu’il y repensait, il croyait bien savoir à qui appartenait cette teinte céruléenne. Mais que pouvait bien vouloir dire cette vision ? Avait-elle seulement un sens, de toute façon !? Si elle en avait un, Quinlan n’était pas sûr de vouloir le connaître, en fait. Il eut un frisson, et essaya de reporter son attention sur autre chose.

Son regard se porta presque inconsciemment sur la main bandée de Clemens. Que s’était-il passé ?

— Ta main…

Quinn tendit la sienne, la laissant suspendue entre eux deux, laissant le choix à Clemens de la lui donner ou non.

— Je peux faire quelque chose ?

Évidemment qu’il pouvait, il était guérisseur ! Mais dans ces circonstances où il avait l’impression que l’air était saturé de souffle de dragon, il ne voulait pas être celui qui produirait une étincelle.