Sodome et Gomorrhe.

Drago avait encore parlé trop vite et trop mal. À ses quelques mots lancés en l’air, Yvain avait réagi avec mélancolie, évoquant Margaret. Quel con il avait été. Parler de la vie sentimentale d’Yvain avait autant de légèreté après ce qu’il s’était passé… Tout le monde le savait, comment avait-il pu remuer ainsi le couteau dans la plaie ? Penaud, Drago baissa la tête, et ne put s’empêcher de tendre la main droite avant de l’abaisser presque aussitôt. Qu’allait-il étreindre comme ça ? Sa main ? Son épaule ? Sa cuisse…? Rendu honteux de sa tentative avortée d’apporter du réconfort à Yvain, Drago détourna de nouveau le regard.

— Je suis désolé…

Merde. Il venait de s’excuser là, non ? Le rouge lui monta aux joues entre la honte et l’embarras d’avoir été si stupide et si émotif. Il avait trop eu l’habitude de maîtriser ses sentiments, de tout cacher à tout le monde mais face à Yvain toutes ses défenses tombaient, réduites en poussière. Impossible de faire semblant face aux prunelles sombres de son ami, qui malgré tout ce qu’il pouvait lui mettre dans la tronche, le restait.

Malgré tout ce qu’il pouvait dire de déprimant, de négatif, comme s’ils n’étaient qu’un immense troupeau de morts en devenir, comme si la vie ne valait de toute façon pas la peine d’être vécue. Comme s’il n’avait aucun avenir, rien que les ténèbres. La réponse d’Yvain, aussi dérisoire soit-elle, lui mit cependant du baume au cœur. La neige. Il adorait jouer dedans, faire des bonhommes, des batailles de boules de neige… Il l’avait fait chaque hiver, mais cette année, tout cela lui semblait si futile. Si enfantin. N’était-il pas un adulte, désormais ? N’était-il pas au-dessus de toutes ces gamineries ? De ces jeux vains et sans intérêt ? De la notion même d’amusement ? Il n’y avait plus rien d’amusant dans la vie de Drago… Du moins, pas sans cette note douce-amère de désespoir alcoolisé qui sous-tendait ses rires et ses coups de folie.

Il avait bien conscience d’avoir besoin d’Yvain pour ça. Il était la dernière lueur d’espoir dans ce paysage chaotique et sombre qu’était devenu sa vie. Mais l’inverse était loin d’être vrai. Son aîné avait sûrement d’autres choses à faire, d’autres gens à qui parler… Drago ne méritait pas son attention, pas après ce qu’il lui avait fait et ce qu’il continuait à lui faire.

— Je ne vois pas pourquoi. Je suis d’une compagnie des plus mauvaises, je n’arrête pas de te blesser, et toi t’es toujours là, à croire que t’aimes ça.

Drago n’osait pas vraiment répondre à la question d’Yvain. Les mots sonnaient faux à ses oreilles, ou plutôt, ils sonnaient trop vrais. La phrase qu’il tournait encore et encore dans son esprit était bien trop lourde de sens pour qu’il la sorte aussi simplement. Cachant son visage gonflé derrière ses mains, le Prince déchu des Serpentards se mit à marmonner.

— Je ne veux pas que tu partes… Mais si tu restes… Tu…

Tu quoi ? Tu seras blessé ? Tu vas finir comme mon père ? Tu mourras ? Descends un peu de ton sombre cumulonimbus de grandiloquence, espèce d'imbécile !

— Yvain…

Il avait tellement envie de le repousser une bonne fois pour toutes, pour le protéger encore de toute la merde qu’il trimballait avec lui, mais il avait désespérément besoin de lui à ses côtés s’il voulait survivre. Et malgré tout ce qu’il pouvait penser, Drago voulait s’en sortir. Il n’en avait simplement pas la force, pas s’il était seul.

— Alors, tu veux me parler de quoi ?

Il essaya d’esquisser un sourire, regardant de nouveau Yvain dans les yeux ou presque, ses mains posées sur ses genoux toujours repliés. Son sourire ressemblait plutôt à un rictus, mais au moins aurait-il essayé, non ?

Si, c’était grave. Extrêmement grave même. Il n’aurait jamais dû dire un truc comme ça, pas à son pote, pas après ce qu’il s’était passé. Drago était con, point. Et Yvain était fou d’apprécier autant sa compagnie. Son cadet n’en démordait pas, même si cette fois, il eut la sagesse de ne pas lui en faire part. D’autant plus que cet aveu le rassura bien plus qu’il n’aurait osé l’admettre. Savoir que quelqu’un, dans ce monde, appréciait encore de passer du temps avec lui, de discuter avec lui, de le voir autrement que comme un gosse de riche, un looser, ou même un leader… Non, avec Yvain, Drago était juste Drago. Le ‘Malefoy’ derrière perdait toute son importance, et c’était pour ça qu’il tenait tellement à son ami.

— Au pire, je peux être fou avec toi.

Il esquissa un sourire, suivant du regard le manège d’Yvain sans oser bouger lui-même. Il ne s’en sentait malheureusement pas la force, et il resta donc prostré contre la tête de lit à l’écouter parler. Ce dernier revint bien vite s’asseoir près de Drago, plongeant ses yeux dans les siens. Cette façon de présenter les choses fit sourire de nouveau Drago, un peu plus franchement cette fois. Qu’il parle… De n’importe quoi s’il le souhaitait. Du moment qu’il restait encore un peu…

C’est alors qu’il le prit dans ses bras, sans prévenir. Il le serra avec force contre lui, et pendant un moment ce fut comme si le monde extérieur n’existait plus. Le câlin ne dura pas longtemps physiquement, mais s’attarda à l’infini dans l’esprit de Drago, qui n’eut pas le temps de réagir lorsque Pomfresh déboula pour virer Yvain à grands coups de pieds dans le cul. Il lui lança un regard paniqué où bientôt transperça la colère. On lui avait encore retiré son jouet ! Merdalafin !

En réalité, c’était bien pire que ça, mais Drago refusait d’y songer. Il refusait d’admettre qu’Yvain lui était presque vital, qu’il était une pièce essentielle dans son entourage, au même titre que Zabini, Greengrass ou Sharen. Pire même, c’était la clé de voûte. De nouveau seul — Merci la vieille ! — il s’allongea et se réfugia sous les couvertures. Il avait besoin de dormir, de se reposer, de ne plus penser à ce qu’il s’était passé aujourd’hui, ni à ce qu’il ne s’était pas passé. Et surtout, il avait besoin d’oublier. Oublier où, quand et qui il était, oublier cette douleur lancinante qui lui traversait le corps sans pouvoir s’évacuer… Oublier cette infâmie sur son bras, oublier le guêpier dans lequel il était né. Oublier son père, sa mère. Oublier sa mission. Oublier le Seigneur des Ténèbres et ce qu’il pouvait lui faire.
Oublier qu’il n’avait pas d’avenir.