Fumée étouffante et secrets emmêlés (Daphné Greengrass)

Le 5 février 1997.
10h26.

La fumée sortait faiblement de sa bouche, puis se dissipait lentement dans les airs, disparaissant entre les conifères du parc en cette matinée ensoleillée. Elle ferma les yeux, relâchant chaque muscle du haut de son corps. Sa tête alla donc machinalement s'appuyer sur le tronc d'un arbre, se laissant attendrir par le vent qui soulevait doucement sa chevelure marquée d'un blond presque blanc. Elle attendait ; elle ne savait pas vraiment quoi ni dans quel but, elle profitait juste d'un moment de tranquillité pour prendre un bon bol d'air frais.

Puis ; elle s'asseyait par terre, caressant par la suite les poils longs du dos de Pizza, qui avait apparemment décidé de la coller toute la matinée. Le chat ne cessa de ronronner, puis s'allongea lorsque Charlie lui grattouilla le derrière des oreilles ; son point faible. La Serpentard n'avait encore croisé personne ce matin, ce qui l'étonna fortement, connaissant à présent la réputation que l'espace vert avait lors d'un samedi matin. D'un certain côté, elle n'allait pas non plus se plaindre de ne pas avoir à supporter les cris futiles des jeunes élèves de l'établissement, qui pouvaient l'agacer au plus haut point. Mais ce silence était presque gênant, voire même perturbant. Si on faisait attention, on pouvait percevoir les cris des oiseaux, le bruit du vent soufflant sur les branches des arbres ou sur les herbes hautes qui ondulaient harmonieusement à son passage. Mais c'était trop discret, à peine audible.

Alors elle resserra son écharpe en laine, la brise matinale étant encore présente, et continuait à fumer, s'abandonnant à cette sensation de légèreté. Elle était uniquement recouverte d'un jean clair, troué à quelques endroits et retroussé, d'une chemise longue verte et noire et d'un gilet en laine de la même longueur. Elle commençait sérieusement à regretter de ne pas avoir songer à prendre une veste, quelle qu'elle soit. Bottines noires, basses, avec un peu de hauteur ; elle re-tira une nouvelle fois, raccourcissant dangereusement la cigarette. Puis l'envahisseur vint se posait entre ses jambes, sans la moindre autorisation. Elle posa une main sur sa tête, puis, dans le sens du poil, réitéra l'opération qu'elle avait arrêté quelques minutes auparavant.

Son impatience ressortait une nouvelle fois : elle recommença à torturer le piercing placé sur sa lèvre inférieure, puis posa son regard, songeur, sur l'horizon. Et elle attendait.

« Charlie. »

La voix de Daphné avait troublé le silence de l’hiver, cristallisé dans la buée qui s’échappait de sa bouche, dans l’eau gelée du Lac Noir et dans les crissements que ses pas faisaient sur la neige qui parsemait encore le parc. Elle avait quitté le château à la recherche d’un endroit où fuir les regards inquisiteurs qu’elle sentait – imaginait ? – peser sur elle, cette angoisse que quelqu’un utilise encore une fois du Polynectar pour la duper, mais surtout pour tenter d’oublier que sa baguette n’en faisait qu’à sa tête depuis des semaines à présent.

Charlie était la personne idéale pour cela. L’agitation de sa meilleure amie lui avait toujours permis d’éviter de penser à des sujets autrement plus douloureux, et leur complicité lui permettait de ne pas avoir à tenter d’expliciter douloureusement ces pensées sur lesquelles elle ne voulait surtout pas se pencher. Alors elle s’assit à ses côtés, protégée par son épais manteau noir et le menton enfoui dans l’écharpe aux couleurs de Serpentard qu’elle ne quittait plus depuis Décembre déjà.

« Parfois, je me demande si tu es véritablement humaine » commenta-t-elle en avisant la légèreté de sa tenue. « J’ai cru entendre des première année se demander si tu étais vraiment un vampire ou non, si tu veux tout savoir. »

Son regard se perdit à son tour vers les bosquets, au loin, qui avaient abrités sa conversation avec Blaise deux jours plus tôt. Qui avaient gardé entre leurs branches nues les secrets échangés avec précautions et hésitation. Préférant reporter son regard sur le chat de Charlie plutôt que de repenser aux autres détails, Daphné hésitait légèrement.

La Serpentard avait toujours été quelqu’un de confiance, elle s’était toujours appuyée sur elle sans aucune incertitude et sans aucune crainte, et pourtant elle ne parvenait pas lui parler de la situation. Ce n’était pas comme avec Rowan, dont la loyauté ne serait jamais remise en question, ou avec Blaise dont l’ignorance serait un danger. C’était… compliqué.

Charlie aurait su comment exprimer ce besoin de trouver une alliée solide, qui n’allait ni la juger, ni prendre part à ce bourbier qui paraissait dénaturer tout ce qu’il effleurait. Pas elle. Elle resta donc silencieuse, suspendue aux paroles de son amie.

Une voix. Reconnaissable entre mille. Greengrass. Un léger sourire, puis la Serpentard leva la tête, d'abord pour souffler de la fumée blanchâtre, avant de planter son regard dans celui de sa meilleure amie.

« Tu sais, je me le demande aussi des fois », répondit-elle, en hochant légèrement la tête de haut en bas, « Si j'étais vraiment un vampire, ils ne seraient plus là pour raconter des conneries ces morveux. »

A la rentrée à Poudlard, Charlie s'était étonnée à remarquer que les premières années étaient particulièrement.. stupides. Oui, c'était le mot. Pas qu'ils étaient très intelligents ou très futés en temps normal, mais la sorcière avait remarqué une légère baisse d'ingéniosité dans cette nouvelle fournée d'élèves, même chez les Serpentards qui se montraient parfois bien inférieurs intellectuellement - même physiquement lorsque l'occasion se présentait -. Mais croire que la jeune femme avait des canines pointues, qu'elle buvait du sang, qu'elle avait la capacité de se transformer en chauve-souris et que l'ail la répugnait, était tout bonnement incroyable. Et ça ne jouait pas en leur faveur pour les faire monter dans son estime.

Voyant que la blonde commençait à prendre place à côté d'elle, ses fesses bougèrent légèrement pour lui laisser d'avantage de place. Elle écrasa le bout de sa cigarette dans l'herbe, respirant une dernière fois l'air enfumé avant de voire les derniers crépitements s'éteindre. Sa main alla machinalement arracher un morceaux d'herbe, et elle sourit lorsque son chat commença activement à essayer de l'attraper.

Daphné. Était-elle simplement venue se promener pour finalement tomber sur la verte et argent ? Peut-être. Mais l'un des rares défauts de celle-ci était l'impatience. Ha, l'impatience. Alors qu'elle était sur le point de questionner son amie, elle se tut. Non. Ce n'était pas son rôle de faire le premier pas ; ce rôle était celui de Daphné Greengrass.

Alors elle se concentra de nouveau sur le félin qui jouait, et s'amusait à essayer d'attraper ce petit bout de végétation. Sortant ses griffes, miaulant, comme un homme n'arrivant pas à obtenir ce qu'il souhaite. Il se plaint. jusqu'à ce qu'on lui donne. Charlie lâcha son jouet, et son chat fila plus rapide qu'un hippogriffe, de peur que sa maîtresse ne reprenne son bien. Puis elle craqua. Faiblement.

« Alors, qu'est-ce que tu me racontes de beau ? »

Replongeant son regard vers l'eau gelée, glacée du Lac Noir pour ne point montrer sa curiosité.

La réponse laconique de Charlie la fit sourire, car c’était typiquement ce à quoi elle se serait attendue venant d’elle ; et la normalité était rassurante, réconfortante dans une situation où tout lui semblait disparaître et se transformer, depuis cette entrevue avec Rowan mi-Décembre. Le jour où elle l’avait presque supplié de ne pas aller à l’encontre des projets des patriarches de leur famille, car il s’agissait de la seule solution qui s’offrait à elle.

Ils courraient après le temps, à présent. Avril – son anniversaire – s’approchait, les lettres de sa mère commençaient à s’impatienter, et sa baguette, Blaise, le Sacrifié, Astoria… Ce fut sans doute pour cela que la réponse lui brûla les lèvres lorsque Charlie lui demanda ce qu’il se passait de beau dans sa vie. Que la fuite de Pizza lui parut futile. Que la fraîcheur de Février lui semblait lointaine, alors qu’elle la frigorifiait encore un instant auparavant.

« Pas grand-chose. »

Et c’était la vérité. Il ne se passait pas grand-chose de beau, pour le moment. Ses soupçons pesaient toujours sur Harmony, elle savait que Drago était impliqué chez les Mangemorts – il s’en était vanté dès le trajet du Poudlard Express, après tout, comment ces murmures auraient pu ne pas parvenir à ses oreilles alors qu’elle était à l’affût de ce genre d’information ? Elle était dans un nid de serpents, dansant le plus subtilement possible pour laisser planer le doute sur ses affiliations, prenant le risque de chavirer au moment où elle s’y attendrait le moins.

Alors Daphné croisa le regard de Charlie, les lèvres pincées par son hésitation, car elle sentait confusément qu’il n’y aurait pas de retour en arrière une fois qu’elle aurait parlé ; que cette conversation allait faire basculer leur relation de façon irrémédiable, dans un sens ou dans l’autre. Et cette constatation était effrayante, car elle signifiait quitter les niveaux de gris dans lesquels elle avait toujours évolué, dans lesquels elle s’était lovée, comme une couverture réconfortante qui pourrait la protéger de tout ce qu’il pourrait lui arriver.

Ce n’était plus le cas. Et elle avait mis si longtemps à l’accepter qu’elle n’avait plus le choix, à présent ; le temps pressait, et le besoin d’alliés était devenu vital. Alors, avec la sensation si désagréable de se jeter dans le vide sans savoir ce qu’il y aurait en dessous – telle une Gryffondor – Daphné parla.

« En réalité, il se pourrait que j’ai besoin… d’aide. »

Cet aveu était si difficile et lancinant, venant de quelqu’un qui avait toujours refusé de demander de l’aide à Neubach – à qui que ce soit. A part Rowan. Puis Blaise.

Et maintenant, Charlie. Car Blaise était une passade, un moment délimité qu’elle ne parvenait pas à nommer ; il finirait par se lasser. Alors que la Serpentard avait toujours été là.

« Ma mère a décidé de participer à la cause. Et cela devient préoccupant. »

Et il n’était pas nécessaire de spécifier de quelle cause elle parlait ; car la réponse, peinte dans ses traits tirés et son inquiétude, était suffisamment évidente.

Sa réponse eut l'effet attendu ; tirer pendant un court instant un sourire sincère à la jeune Daphné Greengrass. Charlie n'en avait pas forcément l'air, mais elle était très observatrice ; chaque mimique, manière, ou même habitude de toutes les personnes qu'elle côtoyait étaient précieusement retenues, analysées & conservées dans la tête de la blonde.

Alors elle s'inquiétait. Elle savait pertinemment que la Serpentard n'était pas dans son état normal. Actuellement. Que quelque chose la tourmentait. Elle se mélangeait souvent les pinceaux, tremblait presque d'une manière invisible pour certain ; mais pas pour Grant. Parce que ça faisait cinq putains d'années que cette grosse têtue était sa meilleure amie. cinq putains d'années que Charlie a passées à la supporter. Alors ouais, si elle voulait pas lui en parler, ça ne servirait à rien de demander, même si ce manque de confidence apparaissait comme un manque absolu de confiance pour la sorcière. Elle ne voulait pas lui forcer la main ; il lui fallait attendre, patiemment. Pour qu'elle finisse par s'ouvrir, se confier, et savoir qu'elle n'était pas seule. Et Dieu sait qu'attendre, c'était pas l'activité favorite de la blonde.

Et elle finit par avouer, enfin, après avoir passé un regard, traduisant son inquiétude et son hésitation, dans les yeux foncés de Charlie ; elle avait besoin d'aide. Qu'est-ce qu'elle pouvait y répondre bon sang ? Elle ne savait même pas de quoi il s'agissait.

« Je suis là pour ça, non ? » adressa-t-elle à sa meilleure, avec un sourire, réconfortant. « Je veux dire, pour t'aider. Je suis.. », elle marqua un temps d'arrêt ─ décidément, elle se ramollissait à une allure effrayante ─ pour reprendre ensuite, « ta meilleure amie, Daphné. »

Puis elle lâcha la bombe. Sa mère. Elle n'en entendait pas souvent parler, ne voulant pas vraiment la connaître non plus. Ayant vu quelques lettres envoyées par celle-ci à Daphné, elle voyait qu'elle était plutôt à cheval sur les traditions, et venant d'une famille riche ─ vraiment, elle détestait ce mot ─ , l'attitude provocante de la blonde ne lui plairait très certainement pas. Et puis d'un côté, la richesse c'était quoi en fin de compte ? Être entourée de ses proches & de sa famille, qu'elle aimait beaucoup, énormément même, posséder toutes les choses qu'elle voulait, et ayant trouver sa voix : voilà la définition de la richesse pour Charlie. Leur statut de famille n'importait que peu.

Alors comme ça elle était de leur côté ? Actuellement, Charlie était en pleine phase de réflexion. Elle ne connaissait pas, son côté. Du moins, pas encore. Son choix allait tout de même arriver assez rapidement, avec les attaques qui continuaient à se multiplier. Mais elle ; était-elle pour cette cause ? Daphné, avait jusque là toujours soutenue sa mère, ne cherchant pas à aller à l'encontre de son "devoir".

« Hmm.. », dit-elle, avant de poser ses yeux dans ceux de la blonde, « Juste, avant de continuer cette conversation je voudrais.. que tu répondes à une.. question si tu veux bien : toi, t'es de quel côté ? »

Ayant tout à coup perdu son sourire blagueur, regardant d'un regard plus que soutenu sa meilleure amie, la sorcière prenait cette question très au sérieux ; Daphné Greengrass pourrait très mal prendre ce questionnement, parfaitement justifié. Mais au final, Charlie n'en savait rien du tout. Pour elle, ce serait normal de ne pas être de ce côté, jamais elle ne pourrait renier sa belle-famille moldue. Jamais.

Les paroles de Charlie, hésitantes mais pourtant sincères, furent la seule petite poussée nécessaire à la faire basculer un peu plus. Comme si elle n’avait attendu que cela depuis des jours – des semaines ; qu’on la pousse un peu. Et qui d’autre que Charlie pour jouer ce rôle ? Qui d’autre que Charlie avait joué ce rôle depuis des années, après tout ?

« Poufsouffle » glissa-t-elle sans conviction. Touchée par ce qu’elle disait. Tordant ses doigts encore et encore. « Je sais. » Toi aussi.

Laissant l’air frais lui frigorifier les poumons, Daphné attendait sa réaction avec une certaine impatience qui ne lui était pas coutumière ; elle avait toujours préféré évoluer sur le long terme, attendant patiemment l’occasion parfaite. Ce n’était pas le cas aujourd’hui, et cette entrevue, qui n’avait pas été prévue et méticuleusement pensée, lui donnait une impression étrange. Car c’était un tournant, elle en avait conscience – et ces temps-ci, elle avait l’impression de ne plus les prévoir.

La question qu’elle lui posa, légitime, lui fit pincer les lèvres de frustration. Elle qui avait passé tant de temps et d’énergie à laisser planer le doute sur ce sujet, consciente que la maison Serpentard était au bord de l’implosion à cause de toutes leurs opinions divergentes et de leur nature indépendante, allait devoir donner une réponse. Elle évita donc le regard de son amie quelques secondes, le temps de tenter de trouver un peu de courage, quelque part ; mais Daphné ne l’était pas. Tout ce qu’elle trouva, ce fut des visages, qu’elle connaissait par cœur – des visages et sa détermination de les protéger.

Alors, elle croisa le regard de la Serpentard, et s’abandonna.

« Le mien. Le tien. Celui qui me permettra de protéger les miens. »

Et c’était la seule réponse possible – celle qui l’avait toujours habitée, alors qu’elle lisait des contes à Astoria et Hope en cachette, qu’elle apprenait à danser avec Rowan, que Charlie tentait de la convaincre de quelque chose de totalement aberrant et que Blaise lui souriait avec une fierté débordante, enfiévré par le rire que sa dernière remarque lui avait arraché. Que Drago et elle partageaient leurs craintes, pudiques et à demi-mots, quant au mariage qui s’annonçait.

« Je me moque de leur guerre » lâcha-t-elle avec colère, exténuée par les évènements qui semblaient prendre un plaisir pervers à s’accumuler pour tenter de mieux l’ensevelir vivante. « Et ma mère est inconsciente d’avoir pris parti. »

Car elle savait qu’Astoria brûlait de rejoindre le camp de Dumbledore – c’était sa sœur, sa moitié, elle ne pouvait pas ignorer ce fait. Comme elle n’ignorait pas que Blaise était indécis, que Rowan et elle se ressemblaient bien plus sur ce sujet que sur aucun autre, que Drago n’avait pas le choix. Il ne restait que Cyril et Charlie.

« Et si je suis obligée d'y prendre part... » Car tôt ou tard, l'un des siens l'y forcerait. « Ce sera celui qui me permettra de les protéger. Quel qu'il soit. »

Charlie, et cette conviction presque effrayante qu’elle ressentait de plus en plus vive et acide, bouillonnante de certitudes, dans cette partie d’elle-même qu’elle évitait toujours de contempler comme par instinct de survie – celle que l’ampleur des mesures auxquelles elle pourrait recourir pour les protéger n’était pas déterminée. Presque infinie.

« Poufsouffle ». Sérieusement, Charlie perdait tout crédibilité ces temps-ci. Ça en devenait affolant. Vraiment. Elle ne s'attendait surtout pas à ce que Daphné lui rende la pareille, trop de fierté sans doute. Alors sa réponse lui suffit, remplie de sous-entendus, qui tira presque un sourire à Grant.

Une réponse évasive, bien sûr ; qui pouvait admettre ouvertement avoir choisi son camp ? Alors oui, Daphné Greengrass avoua sans avouer, restant, malgré son aveu, distante. Puis, un bon Serpentard n'était pas censé être froid, solitaire, et ne laisser paraître aucune émotion ? Certainement. N'était-t-il pas censé rejoindre le côté de Vous-savez-qui ? Pas forcément. Comme tous, le but des deux jeunes filles était juste de protéger les leurs, leur famille.

« Comme ça, on est deux. » dit-elle, en remettant une mèche de cheveux en place.

Personne ne voulait de cette guerre, encore moins des adolescents qui savaient même pas s'ils allaient avoir leur année. Ils étaient tous entraînés dans ce foutoir. Des enfants, des femmes, des moldus, des sorciers. Sa mère était clairement malade. En faisant cela, elle entraînait ses proches dans sa chute. Toute la famille. Puis, elle savait à quel point le lien du sang était important pour la blonde. Quel était le camp de sa sœur, Astoria ? Charlie savait pertinemment le lien très fort qui unissait les deux frangines. La blonde ferait n'importe quoi pour la protéger. Et Rowan ? Où se situait-il dans l'équation ?

« Rien ne t'y oblige. Restée neutre, c'est bien aussi. » annonça-t-elle, n'y croyant pas vraiment.

C'était impossible de rester neutre. Mais elle n'en savait rien. Elle ne savait pas dans quelle situation était sa meilleure amie. Elle ne connaissait rien des enjeux d'une famille aristocratique. Rien de l'image que devait donner chaque jour Daphné Greengrass. Que c'était facile pour la Serpentard de dire une chose pareille ! Mais que c'était compliqué pour une fille de 15 ans de se marier, et de prendre des décisions qui auraient un impact sur le reste de sa vie, qu'elle pourrait aussi bien regretter ou non. Charlie ne pouvait qu'imaginer. Et accessoirement, la soutenir du mieux qu'elle pouvait.

Mais d'un autre côté, elle ne pouvait tout bonnement pas comprendre la réaction des moldus. Certes, la peur pouvait nous faire faire des choses que l'on aurait jamais pu envisager. Mais blesser, tuer, massacrer, n'a jamais régler quoi que ce soit. Ils ne se doutent pas une seule seconde de ce qui les attend. Dans quel merdier ils se sont fourrés.

« Tu en as parlé avec ta sœur ? »

Elle ne demanda pas pour Westminbrook. Parce que pour une fois, elle lui faisait confiance. Et que, naturellement, ils avaient sans aucun doute évoqué le sujet. Et que la réponse viendrait normalement, suite à sa question.

La réponse de Charlie la rassura légèrement ; lui assurant que quelqu’un l’avait comprise. Car Daphné avait longtemps tergiversé à tout lui avouer, craignant qu’elle ne puisse pas comprendre toute la portée du problème – mais Daphné le pouvait-elle, elle-même ? Elle avait beau tenter de faire des schémas, de réfléchir à ses options, tout semblait un peu plus vaciller au fil du temps, dès que des faits nouveaux se tissaient par-dessus l’enchevêtrement de liens qui la liaient déjà à ceux qui comptaient le plus pour elle.

Et c’était sans doute pour cela qu’elle ne pourrait pas rester neutre encore longtemps – quelqu’un la ferait forcément basculer à un moment ou à un autre, et, étrangement, elle était certaine que ce seraient les convictions brûlantes de sa sœur qui appliqueraient des mains fermes et puissante dans son dos pour mieux la pousser. Que cette perspective était désagréable.

« Tout m’y oblige, au contraire » répondit-elle à mi-voix, haussant les épaules. Elle avait l’habitude. C’était plus une fatalité qu’un fardeau, qu’un poids à porter.

Car toute sa vie avait été minutieusement planifiée et préparée, comme ces mouvements qu’elle avait répétés sans cesse pour mieux les ciseler, pour que ses révérences soient si parfaites que même l’œil acéré des matriarches Sang-Pur, toutes en perles et en draperies de soie, n’y verraient rien à critiquer. Et elle l’avait toujours accepté avec la docilité qu’on attendait d’une héritière présomptive ; car son rôle serait de faire un bon mariage, une alliance si brillante qu’elle en ferait oublier le manque d’héritier mâle de sa pure lignée. Une pensée qu’on lui avait inculquée si tôt dans sa vie qu’elle semblait avoir toujours été là, une des fondations sur lesquelles elle s’était bâtie.

La question de Charlie rompit le fil de ses pensées, et lui fit relever son regard brun vers elle ; car elle venait de soulever le cœur du problème. Le nœud auquel tout s’intriquait, ce point névralgique inévitable de sa vie ; Astoria. Tori.

« Non. » Car elle ne parlait pas de ces choses-là avec elle. Daphné n’en avait pas besoin. « Mais elle finira par se rallier à Dumbledore. »

Et sa voix était filée de certitude, car elle avait toujours su que Tori était différente ; de ce que leur mère souhaitait qu’elle soit, de ce que les autres croyaient voir en elle. Qu’une flamme couvait en elle, qu’elle était une fille de feu – embrasée et incandescente. Incontrôlable.

« Quant à Rowan » car il s’agissait d’une suite logique, de parler de Rowan après sa sœur « nous tentons de temporiser avec nos familles respectives. Mais les pressions qu’elles exercent sur nous… »

Sa mère, qui se vouait à la cause. Le père de Rowan, qui avait pris la marque, et sa mère qui tentait de le pousser vers l’autre côté.

« Je veux dire, nos familles ne désirent pas nous laisser le choix. »

Soupirant, passant sa main gantée dans ses cheveux pour tenter de les arranger, alors que cela ne faisait que les électriser – elle hésitait. Car il y avait tellement plus à dire, et maintenant qu’elle était lancée, il lui paraissait si difficile de s’arrêter ; car c’était une situation insolite, qui ne se reproduirait sans doute pas de sitôt. Une écorchure dans le cours normal du temps, d’où filtrait des moments éphémères et précieux.

Ouvrant la bouche comme pour avouer que sa baguette refusait de lui obéir, que Blaise était mêlé à tout cela, qu’elle n’était pas certaine de parvenir à sauver ceux qui comptaient pour elle – mais les poids des mots étaient trop lourds. Pour le moment. Ils s’enfoncèrent donc dans sa gorge sans en sortir.

Une réponse qui paraissait bien trop banale, vue l'ampleur de la situation, au goût de Charlie ; une obligation. Ce mot paraissait presque habituel, dans la bouche de Daphné, comme si, il n'avait plus vraiment d'importances. Il ne sortait pas souvent de la bouche de Charlie ; elle ne savait pas ce qu'il signifiait. Depuis sa naissance, elle vivait dans une famille, malgré les apparences et l’excentricité de la Serpentard, bien simple. La sorcière vivait juste entourée de trois frères et de deux parents qui l'aimaient ; dans la joie, et le bonheur. Elle ne pouvait pas comprendre la Serpentard. Pas entièrement. Charlie Grant avait toujours était maîtresse de ses pensées, libre de ses propres choix. Si elle voulait rejoindre un camp, personne ne pourrait l'en empêcher. Ce qui n'était absolument pas le cas de Daphné.

Mais sa question suivante ne la surprit que peu ; elle savait qu'elle devait être posée. Sinon, comment l'aider ? De plus, même avec sa réponse, la sorcière se sentit étrangement mal à l'aise. Astoria, sa sœur était un problème. Mais, comment une simple sorcière de seize ans pouvait apporter une quelconque résolution à ses problèmes, très compliqués ? Parce qu'une fois de plus, Charlie n'en était pas. Si elle avait un problème, la sorcière avait plus tendance à agir avant de réfléchir ─ ou faire les deux, en même temps ! ─ En fin de compte, elle se demanda comment deux personnes aussi différentes pouvaient être devenues aussi proches, pouvaient être devenues de si bonnes amies. Parce que ; mis à part la loyauté sans faille de chacune des deux blondes, elle n'avait aucun point commun. Vraiment.

« Ha, ça c'est ennuyant » ,dit-elle, en compatissant. « Mais.. » ,soupira-t-elle, « Tu ne vas pas laisser Astoria, seule, pas vrai ? »

Parce que Charlie était encore naïve, et ignorante. Parce qu'elle ne mesurait pas encore l'influence qu'avait la cadette sur Daphné. L'amour qui unissait les deux sœurs. Et que, à priori, suite à ses sous-entendus très clairs, les familles Rowan & Greengrass n'étaient pas du même avis. Mais, la Serpentard serait-elle vraiment certaine qu'elle serait capable d'aller contre tous les principes de son sang, pour sauver sa sœur, et laisser, d'une certaine façon, tomber Rowan ? Serait-elle assez forte ? Charlie n'en doutait pas. Elle n'avait jamais douté de Daphné.

Cette conversation était vraiment des plus stressantes. Puis ; il en fallait vraiment beaucoup pour inquiéter Charlie Grant. Mais, avide d'en savoir plus ─ parce qu'il y avait plus à savoir ─ , la verte et argent cogitait. S'inquiétait pour sa meilleure amie. « Poufsouffle ». Puis une autre pensée. Parce que Daphné n'était pas une jeune femme très ouverte, surtout quand le sujet était son héritage, et tout ce qui tournait autour de cette famille Greengrass. Avait-elle gardé tout ça pour elle tout ce temps ? Ou, d'autres avait été au courant avant elle ? Plongée dans ses pensées, elle ne remarqua même pas la bouche ouverte, pleine de mots qui étaient prêts à surgir, de sa camarade.

« En dehors de toutes les personnes entraînées dans ce merdier monumental », sortit clairement la sorcière, parce qu'elle avait toujours été des plus directe avec elle, « Suis-je la seule avec qui tu as partagé tout ça ? »

Charlie, ayant judicieusement perdu son sourire farceur, affichait une mine sérieuse ─ parce que le sujet était sérieux. Elle n'était pas jalouse. Elle ne l'avait jamais été. Parce qu'elle avait confiance en Daphné Greengrass. Parce que, même si elle avait désormais avoué, peut-être, avant elle, une autre personne pouvait être plus importante à prévenir. Plus importante que sa meilleure amie.

La question de sa camarade la fit sourire – amèrement.

« Non. »

C’était une certitude née des repas de famille où Daphné ne comprenait pas pourquoi l’on regardait Astoria comme une naissance inutile – ni héritière présomptive, ni assez malléable pour qu’on puisse en faire un bon parti. Daphné qui se sentait obligée de détourner l’attention de la famille sur elle-même, nimbée de sa chevelure brillante et de ses bonnes manières étincelantes, pour éviter que sa sœur ne soit un peu plus blâmée encore. Daphné qui ne laisserait jamais tomber sa sœur, comme elle n’abandonnerait jamais Rowan ou Hope. Pas seulement à cause de l’amour qu’elle leur vouait, infini et inébranlable ; mais aussi parce qu’elle savait qu’elle ne serait rien sans eux. Un trou béant, une coquille sans âme et sans sentiments.

Et c’était sans doute, bien plus que cette frayeur, cette loyauté extrême qui la liait à sa famille qui était la plus dangereuse ; la peur ne la paralysait pas, bien au contraire, mais cette loyauté… Elle avait parfois l’impression que quelque chose couvait en elle – quelque chose de plus pernicieux encore, qui n’attendait qu’un moment d’inattention pour ressortir. Comme lorsqu’elle s’était précipitée vers sa sœur, lors de Banquet, négligeant de veiller à sa propre sécurité ; et les cicatrices qui serpentaient sur ses doigts, blanchâtres et disgracieuses, n’en étaient qu’un rappel. L’abnégation, la loyauté et une certaine forme de courage. Elle avait refusé de croire le Choixpeau.

Peut-être se rendait-elle compte de son erreur, à présent.

La question de Charlie lui fit immédiatement diriger son regard brun vers la lisière de la Forêt, au loin – vers le bosquet aux arbres dénudés qui les avaient abrités, Blaise et elle, à peine quelques jours plus tôt. Elle ne lui avait pas parlé de sa mère – parce qu’il voudrait s’en mêler alors qu’il ne le pouvait pas, qu’elle ne supporterait pas d’entraîner quelqu’un d’autre dans cette histoire. Parce qu’elle n’avait pas tout à fait confiance en lui.

« Pas vraiment. Blaise est au courant de certaines choses mais… »

Pas du plus important. De détails. Que son mariage était arrangé – mais qu’est-ce qui ne l’avait jamais été dans sa vie ? Blaise était bien le seul à être surpris. Charlie le serait aussi, peut-être, parce qu’elle ne venait pas du même monde qu’elle. Parce que dans son monde, les alliances entre les familles n’existaient pas – et la Serpentard l’enviait, parfois. Comme elle enviait Astoria d’avoir arraché de force sa liberté à leur famille, tandis qu’elle demeurait à l’arrière pour la protéger des dommages collatéraux de ses éclats.

« Ce n’est pas le genre de chose que tu peux avouer sans risquer des conséquences… déplaisantes. » Daphné s’arrêta brièvement, jaugeant Charlie du regard – s’assurant qu’elle était certaine de son choix. « Je veux dire – Charlie, qu’est-ce que tu vas faire ? Ce n’est qu’une question de temps avant que les partisans de Tu-Sais-Qui ne tentent de recruter à Poudlard. »

Car c’était exactement ce qu’elle était en train de faire. Elle recrutait. S’assurait de l’allégeance de ceux qu’elles considéraient comme étant ses alliés à Poudlard, et Charlie était sans doute la plus importante de tous. Qu’est-ce qui les empêchait de vouloir faire de même ?

Blaise. Évidemment. Elle n'était pas choquée. Non, étonnée serait plus juste. Parce que, Blaise Zabini avait été au courant avant elle, sa meilleure amie. Parce qu'il ne représentait pas un atout, loin de là, et qu'il n'était pas le personnage le plus digne de confiance. Et qu'il n'y a tout bonnement aucune raison à ce choix, qui n'était pas stratégique. Enfin, aucune raison connue de Charlie. Daphné était une personne pleine de secrets, ce ne serait pas étonnant qu'elle ne se confie pas entièrement.

Elle se mordilla nerveusement la lèvre, et passa une main dans ses cheveux blonds, qui commençaient à partir dans tous les sens à cause du vent frais & léger qui se levait sur le parc. Ouais, Charlie prenait plutôt mal la surprise. Elle n'était pas jalouse, plutôt déçue. Déçue du fait qu'elle avait préféré se confier au fils Zabini, plutôt qu'à elle, bon sang. Mais aussi inexcusable de ne pas avoir été là au bon moment, de ne pas avoir été à l'écoute de Daphné Greengrass, & d'avoir prit son silence pour un besoin intense de solitude. Parce que, sur ce point-là les deux Serpentards se ressemblaient ; elles avaient besoin d'espace. Des fois. De s'éloigner et de ne pas être entourées de personnes. Même de leurs amis. Juste l'envie de s'éloigner un instant, parfois pour se reposer, parfois pour réfléchir. Et, elles savaient que chacune étaient capables de se débrouiller seule. Se la jouer en solo, réussir, parce qu'aucune d'entres elles n'avaient l'habitude d'appeler à l'aide.

Mais c'est exactement ce que faisait Daphné, en ce moment même ; elle demandait de l'aide. Elle voulait savoir si elle pouvait compter sur sa meilleure amie, si elles étaient du même côté pour cette guerre. Mais en réalité, Charlie Grant n'en avait totalement rien à cirer, de cette guerre. Elle n'avait pas de côté. Elle était de son côté, du côté de Daphné, du côté de sa famille, de sa belle-famille & de ses amis : Pourquoi devrait-elle être dans l'un des deux "camps proposés" ?

« Je sais », répondit-elle franchement, parce qu'il était difficile de faire confiance, maintenant, « J'en ai rien à foutre de leur guerre, tu vois. Moi, ni personne d'ailleurs, n'avons envie de cette putain de guerre. Je suis ni dans le camp de Dumbledore, ni dans le camp de Tu-Sais-Qui. Je pense que, en fait.. », elle hésita, jouant avec un cailloux dans la terre en évitant soigneusement le regard de sa camarade, « je suis dans mon propre camp. Et ce, quelque qu'en soit les conséquences. »

C'était la vérité ! Personne n'a jamais pu obligé la sorcière à faire des choses contre son gré, et ce ne serait pas demain la veille. Aucun des deux camps ne lui permettrait de faire ses propres choix, ou correspondait à ses idéaux. Parce que même elle avait un côté mauvais, et tout le monde ne méritait pas forcément de vivre pour la verte et argent.

Puis jaugeant maladroitement son amie, Charlie hésita. Encore. Mais se lança, parce que cette question lui triturait l'esprit.

« Pourquoi tu l'as dit à Blaise avant de me le dire ? »

En fait, si elle était carrément jalouse de la confiance qu'elle avait préféré donner à Blaise Zabini plutôt qu'à elle. Et qu'elle savait que quelque chose clochait.

Inconsciente de l’agitation de Charlie, Daphné tentait de réfléchir calmement à ce qu’elle lui disait ; un sourire étirant ses lèvres, car c’était exactement ce qu’elle lui avait dit quelques instants plus tôt. En plus direct, car sa meilleure amie ne s’était jamais embarrassée de ce qui pouvait contraindre Daphné lorsqu’elle parlait. Et si c’était parfois déstabilisant, c’était aussi véritablement reposant de pouvoir parler sans se préoccuper de la façon correcte de dire ce qu’elle pensait. De formuler ce en quoi elle croyait.

« J’espère que tu pourras y demeurer jusqu’à la fin. »

Ce ne serait pas le cas de Daphné, elle en était persuadée. Car tous s’attendaient à ce qu’elle prenne position un jour ou l’autre, et elle n’avait jusque-là jamais réussi à leur filer entre les doigts. Ce n’était pas aujourd’hui, alors qu’il y avait tant en jeu, qu’elle allait y parvenir.

La question de Charlie, surprenante, l’empêchant de se perdre dans les méandres de sa rancœur envers l’aristocratie – envers elle-même, quelque part, trop faible pour faire ce qu’Astoria avait fait : assumer ses convictions et s’enfuir. Daphné ne fuyait sans doute pas les bonnes choses.

« Attends, Blaise n’est au courant de presque rien. Il ne sait pas pour ma mère. »

La panique commençait à acidifier ses veines, pourtant, car elle se savait être en train de marcher en équilibre sur un fil, et qu’un seul faux pas la ferait basculer. Trop emprisonnée dans cette idée que personne ne devait savoir, elle n’avait pas encore envisagé de parler à Charlie de Blaise – en quels termes exprimer cela, alors que même Rowan n’était pas encore au courant ? Comment expliciter ce qu’elle ne comprenait pas tout à fait, cette relation étrange et ces émotions contradictoires qu’elle ressentait toujours en sa présence ?

Si elle ne pouvait pas l’avouer à Charlie, elle ne pourrait l’avouer à personne d’autre. Et elle se rendait brusquement compte à quel point tout cela lui pesait, à quel point elle ressentait le besoin d’en parler – d’essayer de mettre des mots sur cette relation qui se tissait avec Blaise, même si elle demeurait persuadée qu’il finirait par se lasser. Qu'au final, et c'était une pensée particulièrement douloureuse et humiliante pour Daphné Greengrass, elle ne serait qu'un nom de plus sur sa maudite liste.

« C’est juste que… Il a plutôt mal pris l’annonce de mes fiançailles, et j’ai tenté de le rassurer. Enfin… »

Elle sentait que ses joues s’étaient embrasées, que son cœur avait brusquement décidé de battre plus vite et plus fort pour une raison complètement saugrenue. Passant nerveusement une main dans ses cheveux, évitant le regard de Charlie, Daphné était gênée et se perdait dans ses justifications. Tout ce qu’elle avait eu envie de lui avouer quelques minutes auparavant, sans parvenir à le faire, semblait se bousculer dans son esprit, emmêlés par son malaise et la stupide chaleur qui l’envahissait.

« Je veux dire, il sait que tout est arrangé, et étant donné que Rowan et moi – ou plutôt Blaise et moi, en réalité… »

S’arrêtant brusquement, mortifiée, dissimulant son visage dans ses mains comme une enfant de cinq ans, Daphné Greengrass ne s’était jamais sentie aussi atrocement gênée de toute sa vie.

« Dis-moi que tu as compris ce que j’essayais de dire » marmonna-t-elle, laissant apparaître ses yeux bruns. « Il est hors de question que je le formule explicitement. »

S’il y avait bien une chose à laquelle les enseignements rigoureux de sa mère ne l’avait pas préparée…

Elle ne savait pas pourquoi ni comment, mais l'atmosphère s'était étrangement alourdie, devenant même gênante pour les deux Serpentards. Daphné, qui essayait du mieux qu'elle pouvait d'éviter le regard de sa meilleure amie, passa encore moins inaperçue ; elle rougissait, aussi, semblait s'agiter. Daphné Greengrass, qui était habituellement maître de ses émotions, était en ce moment-même en train de rougir. Normal.

Charlie ouvrit de grands yeux, ne pouvant s'empêcher de fixer cet événement remarquable, presque légendaire. Parce qu'elle ne s'attendait pas à une telle réaction de sa part ! N'ayant posé cette question que sur le coup de sa jalousie débordante, envers Blaise Zabini. Elle se demandait même comment elle en était arrivée là. C'était son ami, putain. Des fois, elle avait vraiment envie de se frapper.

Elle avait tenté de le « rassurer » ? Depuis quand Blaise Zabini devait être rassuré ? La seule & unique personne qui avait besoin de réconfort c'était bien elle, qui était mariée de force et n'ayant aucun mot pour contredire cette décision. Ce qui attisa la curiosité de Charlie, qui ne comprenait vraiment rien au bafouillage inhabituelle de l'héritière Greengrass.

« Comment ça.. », demanda-t-elle, alors qu'elle n'avait toujours pas comprit le fond de ses pensées, « Blaise & toi ?... »

Mais il ne lui fallut que quelques secondes pour rebondir sur ce qu'elle venait de répéter. Elle releva son dos du tronc d'un bond, pour fixer de ses yeux noisettes la silhouette de la blonde, la bouche entrouverte et les yeux arrondis. Et se rappelant des mots de son ami, prononcés quelques jours plus tôt, alors qu'il était dans un état piteux, « Pas vraiment Grant ─ j'ai promis. ». Alors, il avait promis à Daphné Greengrass. Ce qui été nettement plus clair, désormais. Leur relation, qui dépassait la simple amitié, était malsaine, compte tenu de la situation de la Serpentard ─ elle était fiancée à Westminbrook quand même ! ─ Et étonnante aussi, au vue de leur différence de caractère ! Regardant son amie, qui semblait étrangement gênée de cet aveu, elle faillit se mettre à rire. Si elle ne lui avait pas dit, la verte et argent ne l'aurait certainement jamais deviné.

« Non, attends », car ça semblait toujours aussi confus dans sa tête & inimaginable !, « tu veux dire que toi & Blaise vous êtes ?... »

Elle n'avait pas l'intention de le dire à sa place ! et elle avait besoin de quelque chose, d'un hochement de tête, d'une parole, d'un simple regard, pour lui confirmer sa déduction. Car cette relation ferait plus de mal que de bien si elle venait à être découverte. Et qu'elle était inquiète, vraiment.

Charlie avait compris, Charlie trouvait ça drôle et Charlie voulait qu’elle le dise. Qu’elle dise quoi, au juste ? Car le fond du problème était bien qu’elle était incapable de définir leur relation, d’expliquer ces enchevêtrements de problèmes et d’émotions incongrues et inconvenantes – sans parler de cette manie désastreuse, vraiment, qu’elle avait de l’embrasser lorsqu’ils se retrouvaient seuls. Croisant brièvement le regard de sa meilleure amie, elle hocha maladroitement la tête, avant de se reprendre et de tenter de nuancer cet acquiescement ;

« … C’est compliqué. »

Compliqué comme un problème d’arithmancie trop difficile à résoudre ; lorsqu’il lui manquait des variables, lorsqu’elle ne parvenait pas à comprendre le cœur de l’exercice et du problème, la méthode pour extirper les solutions des calculs. Compliqué lorsqu’on s’attachait à quelqu’un alors que cette personne n’était ni la bonne personne, ni celle à laquelle on était supposé s’attacher. Grimaçant à cette pensée d’une mièvrerie désolante, Daphné reprit la parole, cessant enfin de se dissimuler derrière ses mains pour enrouler nerveusement une mèche de cheveux blonds autour de ses doigts.

« J’ai toujours considéré Rowan comme étant de ma famille, et je sais qu’il éprouve la même chose pour moi, mais je pense que nous aurions pu nous accommoder de cette union si certains évènements imprévus ne s’étaient pas produits. »

Rowan qui s’éprenait de quelqu’un de façon totalement imprévisible – sans parler du fait qu’elle avait embrassé Blaise lors du Nouvel An, comme s’il s’agissait de la meilleure chose à faire… Maintenant qu’elle tentait de l’expliquer à quelqu’un, elle se rendait compte à quel point la situation était délicate, presque inextricable. Et qu’elle ne commençait sans doute pas par le bon bout de l’histoire, en réalité ; il valait mieux commencer par le tout début.

« J’ai demandé à Rowan d’accepter les fiançailles le temps que les choses s’apaisent du côté de ma mère » recommença-t-elle, plus assurée, « uniquement pour gagner du temps. Ni lui ni moi ne désirons aller jusqu’au mariage. »

Elle haussa les épaules, pourtant – incertaine que Charlie comprendrait pourquoi elle ne s’était tout bonnement pas enfuie. Car c’était le choix le plus simple qui s’était présenté à elle, et elle avait longuement hésité à prendre ce chemin ; mais il revenait à s'avouer vaincue, et Daphné avait préféré préservé les apparences le plus longtemps possible. De cette manière, elle pouvait continuer à veiller sur Astoria, Hope – sur Charlie, Blaise et Cyril. Même s’ils n’avaient pas forcément besoin de sa protection et de son attention.

« Et Blaise… fait partie des évènements qui n’étaient pas prévus » expliqua-t-elle, pudique.

Et c’était un euphémisme, vraiment ; car Daphné n’avait pas prévu la réaction violente au Banquet, brûlante de jalousie. Ni même les déclarations d’amour imbibées de whisky, sans doute oubliées depuis, et sa réaction totalement déraisonnable à ce qui n’était sans doute que des divagations de la part de Blaise. Mais les derniers évènements, à peine quelque jours plus tôt, la poussaient à croire que tout cela était loin d’être terminé – que la liste des idées stupides qu’elle allait avoir en présence de Blaise allait s’allonger. Etrangement, ce n’était pas une idée si effrayante qu’elle ne l’aurait cru.

Ça en avait tout l'air, d'être compliqué. Parce que Daphné semblait paniquée & perdue, et elle ne l'avait jamais été auparavant. Elle était dans une situation très délicate, fiancée à l'un mais amoureuse d'un autre ─ suite à son hochement de tête timide, mais remarquable. Elle n'avait jamais eu l'intention de se marier à Westminbrook, qu'elle considérait depuis toujours comme un proche, un membre de sa famille, un frère. L'annonce de leurs fiançailles était purement stratégique, un gain de temps ; ils ne voulaient pas de ce mariage.

En réalité, Charlie ne comprenait pas cette décision ; pourquoi ne s'était-elle pas tout bonnement enfuie ? Abandonnant toutes ses responsabilités d'héritière, et laissant à son triste sort l'aristocratique famille Greengrass aurait été le choix le plus logique, l'échappatoire. Si ce n'était que les liens du sang qui la retenaient, elle aurait pu prendre sa sœur avec elle, partir le plus loin possible & disparaître. Charlie aurait parfaitement compris sa réaction dans ce cas-là, et aurait accepter le départ de sa meilleure amie qui, même s'il aurait été douloureux, aurait été compréhensible. Car c'est ce qu'elle aurait fait, à sa place ! Malheureusement, Daphné Greengrass était une personne démesurément raisonnable. C'était certainement ce qui l'avait empêché de ne pas suivre ce chemin.

Aussi ; sa fâcheuse manie de vouloir tout contrôler, et d'être au courant de tout. Car si elle était partie, elle n'aurait sûrement plus pu surveiller les agissements de sa famille, de sa mère qui avait choisi son camp & qui avait décidé de prendre part à la guerre.

Des fois Daphné l'énervait au plus haut point. Vraiment, elle avait juste envie de la baffer. Dans l'espoir de la réveiller, et qu'elle arrête de s'occuper des autres. Poufsouffle toi-même, ouais !

« Tu m'étonnes qu'il n'était pas prévu », dit-elle en pouffant l'évidence !, « mais, au cas où tu douterais encore, tu peux lui faire confiance. A cet enfoiré de Blaise. »

Parce que malgré les nombreuses tentatives, Blaise Zabini était resté totalement muet, chassant d'une simple phrase les questions impertinentes & curieuses de Charlie. Pour finalement, la laisser rejoindre le parc, sans lui avoir donner ce qu'elle désirait. Elle s'était pourtant creusé la tête ; elle avait tout bonnement pensé à Drago, son meilleur ami. Personnage mystérieux. Agaçant, mais mystérieux. Alors elle avait essayé de se renseigner, d'abord sur Malcollicent ─ même auprès de Harmony ! ─, en vain. Puis finalement, ce fut la gracieuse Daphné Greengrass qui lui avoua, tout.

« Et, comment tu comptes arranger tout ça ? », récupérant son chat qui vînt se poser entre ses jambes, la Serpentard continua, « Je veux dire ; t'as un plan ? »

C'était une question très sérieuse ! Charlie était à fond avec elle, mais elle ne voyait vraiment pas comment aider la blonde. Son rôle habituel, c'était plutôt de foutre le bordel, pas de l'arranger.