Fumée étouffante et secrets emmêlés (Daphné Greengrass)

Son incitation à faire confiance à Blaise la laissa dubitative quelques instants, avant de finalement hausser les épaules – c’était bien le cœur du problème. La confiance. L’idée d’abandonner toute résistante et de le laisser avoir une emprise sur elle, qu’elle n’avait jamais laissée à qui que ce soit ; une perte de contrôle effrayante et qui paraissait être inéluctable dans leur situation, en dépit de tous ses efforts pour limiter la chute libre dans laquelle elle semblait s’être jetée. Et le pire – c’était une chute volontaire.

« Blaise n’est pas exactement la personne la plus constante du monde » répondit-elle finalement, désabusée. « Il se lassera. »

C’était une certitude qui l’habitait – qui l’empêchait de le laisser l’approcher un peu plus encore, alors que cela faisait déjà deux mois qu’ils s’étaient lancés dans cette escapade ridicule. Elle oubliait parfois ses doutes, comme le fait qu’il requérait toute son attention lorsqu’ils étaient ensemble chassait les inquiétudes qu’elle pouvait avoir à propos de son mariage ou d’Astoria – mais ce n’était que des passades brèves, des excursions hors du temps qui ne duraient pas ; qui ne pouvaient pas durer, étant donné qu’elle redevenait la fiancée de Westminbrook dès qu’ils n’étaient plus seuls.

La question de Charlie était pertinente et dangereuse : elle ne faisait que mettre un peu plus en lumière à quel point Daphné était désemparée. Ce n’était pas surprenant, pourtant ; car il fallait bien qu’elle soit au pied du mur pour réclamer de l’aide, sans savoir véritablement ce qu’elle recherchait.

« Justement. Je ne sais pas. Il y a trop de choses qui ne dépendent pas de moi. » Sa sœur, sa mère, le mariage, les affiliations qui se tissaient dans son dos, invisibles comme une toile d’araignée. « Je ne suis pas certaine d’avoir un quelconque contrôle sur quoi que ce soit. »

Et c’était un aveu douloureux pour elle qui passait son temps à tenter de se réapproprier le contrôle qu’on lui ôtait sur sa vie – qu’elle n’avait jamais véritablement tenu entre ses mains, en réalité. Elle avait toujours été cette élue presque mystique pour sa famille, celle qui devait être parfaite pour conclure l’alliance la plus brillante possible – l’héritière qui devait éclipser toutes les autres. Oh, elle l’était, dans un sens ; elle n’avait pas d’égale dans l’aristocratie. Le prix à payer pour être considérée comme une statue de cristal intouchable, en revanche, était beaucoup trop élevé.

« Je doute de pouvoir empêcher Astoria de s’engager dans la guerre si jamais l’occasion se présente à elle. Tout ce que je peux faire, c’est tenter de minimiser les dégâts » continua-t-elle, frustrée par ce constat.

Car elle passait son temps à minimiser les dégâts, à tenter de contenter tout le monde – à offrir les réponses qu’on attendait d’elle, à détourner l’attention de l’aristocratie de sa dissidente de sœur, à faire ce que tous attendaient d’elle – presque tous. Charlie et Blaise n’auraient pas pu être plus différents d’elle, et c’était sans doute pour cela qu’elle s’accrochait à eux comme attirée par la lumière du jour dont ils étaient nimbés – assurés et sans peurs.

« Je suis fatiguée par tout ça » avoua-t-elle finalement, car il s’agissait de la vérité – ce carcan doré, dont elle s’était parée pendant des années afin de briller un peu plus encore, semblait l’asphyxier désormais.

Blaise & personne la plus constante au monde dans la même phrase. C'était carrément un oxymore ! Car personne ne pouvait nier que le fils Zabini s'était certainement tapé la moitié de l'école, dévoilant quotidiennement & avec arrogance une trace de rouge à lèvres laissée par l'une de ses dernières conquêtes ─ il y a à peine deux jours, déboulant dans la salle soigneusement arrangée pour les invités par le mystérieux Professeur Slughorn, avouant non sans son impertinence habituelle "mon entraînement de Quidditch s'est prolongé" & profitant de l'occasion pour venter l'équipe de Serpentard, ─ et lui-même, aussi ─ suggérant fièrement "ils avaient vraiment besoin de mon aide". Mais, ne remarquant pas ce que tous voyaient et que sa personne ignorait, une splendide marque, d'un rouge-à-lèvres corail.

Car faire confiance au Serpentard était un bien grand mot ; Charlie ne lui avait jamais révélé de réels secrets, intimes, ou personnels. Elle n'en avait aucun, en réalité. Mais cette fois-ci, Daphné Greengrass s'était engagée dans un chemin totalement inconnu, et ne pouvait ni prévoir ni maîtriser les actions du garçon ; parce que personne ne pensait qu'il existait, ce chemin. De la confiance aveugle envers le fils Zabini. Était-elle prête pour ça ? Être rejetée par le sorcier ? Peut-être que c'est ce qu'il ferait à un moment. Peut-être que, toutes ces histoires, ce serait beaucoup trop pour lui. Beaucoup trop de responsabilités, qu'il oublierait à sa guise, quand ça lui chanterait, ne faisant que ce qu'il lui plaît et quand ça lui plaît. Pour, peut-être, finalement, se lasser ; et la laisser. Seule.

Blaise était beaucoup de choses ; un poil calculateur, arrogant, fier, impertinent, ─ très ─ insolent, à la pointe de la mode, sarcastique, flambeur, insupportable & bien évidemment un chieur indétrônable ; et la liste ne s'arrête sûrement pas là. Mais ce n'était sûrement pas un lâche. Charlie croyait en lui. Des fois. Et elle savait que Daphné Greengrass était différente.

« Il se lassera.. ou peut-être pas. �», dit-elle, laissant sa meilleure amie avaler ses paroles, « Je pense que tu n'es comme elles, pour Blaise. C'est pas vraiment immanquable, d'ailleurs. »

Parce que, elle ne pouvait nier l'attention particulière dont faisait preuve Blaise en présence de la blonde ; la fixant chaleureusement, différemment. Cela ne passait pas inaperçu sous l'oeil, toujours curieux & observateur de Charlie Grant ─ tout comme l'apparence abîmée de Greengrass ces dernières semaines. Ces derniers mois, même.

Mais encore, se plaignant de ne pas avoir le contrôle sur tout ; sur tout le monde, en fin de compte. Car ce qui l'importait était évidemment de pouvoir avant tout surveiller les mouvements de chacun. Pour ses propres intérêts, ou pour protéger les siens. Elle l'agaçait.

« Et pourquoi faudrait-il que tu en ais un, de contrôle total ? » demanda-t-elle, très sérieuse, « T'as que 16 ans Daphné, putain, arrête de penser que tout repose sur tes épaules. Ou que tu peux sauver tout le monde. C'est faux. Tu crois que personne ne peut se défendre sans toi ? Westminbrook, Blaise, ou moi ? Même Astoria, c'est une grande fille tu sais. Tu te donnes trop de responsabilités. », puis n'attendant pas vraiment de réponse, elle répliqua, « Tu n'as pas à l'en empêcher. Elle fera ses propres choix. Si tu veux vraiment la protéger, engage-toi avec elle. De toutes façons, tu sais aussi bien que moi que tu ne pourras pas l'arrêter. »

Pourtant elle savait que ce n'était pas aussi simple ; mais pourquoi ça ne pourrait pas l'être. Encore une fois, Charlie n'était pas dans la même situation que la Serpentard. Elle ne savait quelles répercutions auront les choix de la cadette. Ni ce que ferait sa famille suite à cette trahison. Parce que c'en serait une, de trahison.

« Alors, repose-toi. Sur Blaise, sur moi, on peut t'aider. Il suffit de nous dire comment. » lâcha-t-elle, quitte à passer pour une putain de lèche-cul.

Car elle tenait à sa meilleure amie.

Cela semblait être si évident pour Charlie ; qu’elle était différente aux yeux de Blaise. Ils avaient toujours été très amis, dès ce premier cours de potions où il avait décidé de s’asseoir à ses côtés, et elle savait qu’ils partageaient quelque chose lorsqu’il la regardait par-dessous ses cils, l’avisant avec inquiétude alors que les autres ne voyaient pas cette tension qui immobilisait son visage, qui alourdissait ses membres graciles – son meilleur ami, en réalité. Elle avait eu Charlie, et Blaise.

« Peut-être » concéda-t-elle, sans y croire. Le regard vague, sa bouche se tordant en une moue dubitative.

Mais ce n’était pas un sujet qu’il était aisé d’aborder, trop incertain, qui pouvait nourrir des faux-espoirs aussi retors que du poison qui se serait lentement infiltré dans ses veines, noircissant peu à peu les structures arborescentes qu’elles formaient dans son corps avant de l’empoisonner tout à fait. Aussi préféra-t-elle échapper aux questionnements que Charlie pouvait poser – à ses tentatives de la convaincre de quelque chose qu’elle n’osait pas espérer, de peur de s’y brûler.

La réponse véhémente de Charlie lui accorda ce qu’elle voulait – mais elle aurait sans doute préféré continuer à détailler le regard que Blaise posait, ou ne posait pas, sur elle ; car elle abordait un sujet intime, qu’elle connaissait par cœur pour l’avoir éprouvé jour après jour, l’avoir décortiqué avec la patience de ceux qui tentaient d’apprendre leurs propres faiblesses pour gagner une guerre. Son besoin de contrôler ce qui l’entourait, de s’assurer que ses proches ne courraient aucun danger et qu’elle n’allait pas poser le pied dans des toiles inextricables de périls et d’imprévus.

Elle avait toujours su que cela sommeillait en elle, dès l’âge de onze ans, alors qu’elle posait ce stupide Choixpeau sur sa tête, et elle était parvenue à museler ce côté d’elle-même, à l’enfermer dans ce coffre qu’elle n’ouvrait jamais – jusqu’à ce qu’il force sa sortie lorsque la situation était devenue dangereuse. Et c’était exactement pour cette raison qu’elle préféra ne pas répondre aux attaques de Charlie, les lèvres pincées et le corps raidi par ce qu’elle lui assénait ; la vérité. Quelque chose qu’elle ne désirait pas voir, ou même entrevoir, car cela ne serait qu’un obstacle à ses objectifs. Bien sûr qu’elle ne pouvait ni les contrôler, ni tous les sauver.

Mais rien ne l’empêchait d’essayer.

« Non, je ne pourrai pas l’arrêter, c’est vrai » accorda-t-elle, car il aurait été stupide de faire la même erreur que les Greengrass ; croire qu’elle pouvait maîtriser Astoria.

Le sujet le plus délicat, pourtant, que Charlie ne fit qu’évoquer, était présent ; l’engagement. S’il y avait bien quelque chose dont elle ne devait pas parler, c’était bien de cela.

« Baisse la tête » proposa-t-elle, détournant le regard, embarrassée par cette démonstration d’affection à laquelle elle n’était pas habituée. « Le temps que la tempête passe. »

Car une tempête approchait, c’était de plus en plus certain tous les jours ; elle avait même déjà envahi le pays depuis bien longtemps, et se heurtait avec violence aux protections de Poudlard. Visible, parfois, lorsqu’elle pensait surprendre une rumeur sur l’un des Serpentard – lorsqu’elle croisait les regards inquisiteurs de ceux qui mettaient en doute l’aristocratie, qui chuchotaient que la chute était proche, que leur sang bleu éclabousserait bientôt les pavés.

Elle ne pouvait pas leur en vouloir. Après tout, elle était persuadée que ce jour arriverait depuis si longtemps qu'elle comptait s'échapper bien avant.

« Je ne te laisserai pas tomber, de toute manière. »

C’était une certitude – quelque chose qui ne serait jamais possible de remettre en doute. Car elle ne l’abandonnerait jamais, pas plus qu’elle ne l’entraînerait dans sa chute.

« Clairement. » éluda-t-elle, suite à sa réponse.

Parce que Astoria Greengrass, était bien aussi têtue que sa soeur ; elles se ressemblaient énormément. Si on mettait de côté ce sens des priorités & l'importance de l'image que la famille aristocratique avait transmis uniquement à l'aînée. Oui, Astoria n'en avait que faire des conséquences qui pouvait résulter de ses actes parfois irréfléchis & insensés. Comme le fait qu'elle voulait se joindre à l'Armée de Dumbledore. Inconsciente ! Seule sa sœur avait compris son petit manège, qui consistait la plupart du temps à se foutre royalement de tous ces codes de bonne tenue, et se mettait volontairement en avant pour éviter d'attirer l'attention sur la cadette. Mais bon, Charlie ne jugeait pas ; elle aurait certainement une attitude identique à la sienne, à sa place. Puis Steven, n'en parlons pas.

Encore une fois, c'était bien facile de se dire des choses pareilles ; mais ce n'était pas si simple. Sinon, Daphné pourrait fuir toutes ses responsabilités. Elle ne serait pas mariée de force, mais coulerait des jours heureux en compagnie de Blaise Zabini. Elle resterait neutre, et sa sœur rejoindrait le camp qui lui plairait, sans se préoccuper des répercutions. Charlie se mordit la lèvre, songeuse ; c'était de la merde cette histoire, par Merlin !

Elle sourit, suite à la demande de Daphné ; ho, la petite blonde était gênée ?! Que c'était amusant. Vraiment. N'était-elle pas censée être capable de contrôler la moindre de ses émotions ? Si, en temps qu'héritière. Pas lorsqu'elle était avec sa meilleure amie. Là, elle pouvait arrêter de se cacher, être enfin elle-même, respirer & vivre comme elle l'entendait, parce que jamais ô grand jamais Charlie ne s'amuserait à se moquer d'elle. Des fois, elle se surprenait même à se demander ce qu'elles foutaient à Serpentard, sérieusement. Parce qu'un tel étalement d'amour réciproque, c'était vraiment pas digne des vipères. Plutôt des Poufsouffles. Puis, elle se rappelait que c'était carrément la honte d'avoir un blaireau comme emblème & qu'elle était vraiment pas la référence du caractère apprivoisé et calme.

« Je sais, moi non plus. »

Puis comme si le ciel était d'accord avec cet enchaînement de mauvaises nouvelles, il commença à déverser de l'eau, une pluie fine, et faible. Charlie jura. Si elles bougeaient maintenant, elles seraient trempées avant d'avoir atteint le château. Du coup, pour se calmer ─ parce qu'il y avait clairement de quoi être frustrée ! ─ elle sortit de nouveau une clope de son sac. Elle l'alluma rapidement, et tira. Puis elle regarda Daphné, qui semblait perdue dans ses pensées.

« T'en veux une ? », demanda-t-elle, très sérieuse !, « Je te jure, ça détend. »

Elle n'avait rien à y perdre de toutes façons.

L’assurance tranquille de Charlie était apaisante, comme toujours – car c’était ce qui l’avait attirée chez elle alors qu’elles n’avaient qu’onze ans et qu’elles venaient d’être réparties dans la même maison, l’une après l’autre. Elle exhalait cette confiance en elle, cette désinvolture que Daphné ne possédait pas ; son assurance se lisait dans son port résolument aristocratique, dans ses manières ciselées et précises, mais il lui avait toujours manqué cette conviction que tout finirait par s’arranger qui semblait habiter ses deux meilleurs amis. Elle n’était pas certaine qu’ils y croyaient vraiment – mais les certitudes qu’ils semblaient possédaient lui faisaient l’effet d’un phare, le plus souvent ; quelque chose qui la guidait sans qu’elle n’y prête véritablement attention.

Rabattant la capuche de sa cape sur ses cheveux blonds, elle ne fit pas attention au petit manège de la Serpentard, bien trop habituel pour qu’elle s’y intéresse. En revanche, la proposition était inédite – car tous savaient à quel point Daphné Greengrass n’était pas très amusante lorsque cela touchait à l’alcool et au tabac. Elle ne voyait aucun intérêt à perdre le contrôle qu’elle détenait sur sa vie, qu’elle avait besoin de conserver à tous prix.

« Non, merci. »

Elle demeura silencieuse quelques minutes de plus, profitant du calme qui semblait envahir le parc ; aussi trompeur qu’un soleil en montagne, pourtant, ou que la surface de Lac Noir, qui dissimulait tant de choses et de monstres sous la surface. Car la tempête approchait – et quand elle serait enfin là, seuls ceux qui s’y étaient préparés auraient une chance de survie. Une chance de ne pas se faire avaler par les vagues et les remous qu'elle laisserait derrière elle - car il fallait survivre à la guerre ; mais il fallait aussi survivre à l'après.

« Et si nous rentrions ? »

Le froid commençait à s’infiltrer dans ses os, en dépit de l’enchantement de sa cape qui aurait dû la protéger du froid – mais c’était peut-être la perspective des jours sombres qui s’annonçaient un peu plus clairement à chaque nouvelle de la Gazette qui lui donnaient cette impression glacée, ce frisson désagréable le long de ses vertèbres. En revanche, lorsqu’elle se levèrent d’un même mouvement et marchèrent toutes deux vers le Château, quelque chose semblait vouloir faire son chemin, écarter les enchevêtrements de toiles qu’elle tissait avec patience entre elle et certaines vérités qu’elle ne voulait pas voir ou qu’elle ne devait pas appréhender si elle voulait rester impossible à abattre. Une information qui avait toujours été là mais qu’elle avait négligée pour plusieurs raisons ; elle n’était pas seule et n’avait pas nécessairement à l’être pour survivre à cette guerre.

Du moins, songea-t-elle en poussant les portes de Poudlard, tant que cela ne mettait aucune des personnes qu’elle aimait en danger.