Un flot de limaces

HRP:

Finalement, Harmony avait ravalé son orgueil. Un comble. Elle crachait des limaces par dizaines et son estomac n'était qu'une vaste poche douloureuse. Toutes ses entrailles brûlaient.
Heureusement, elle avait trouvé secours en la personne de Cyril, un Gryffondor. Elle savait déjà qu'il lui coûterait d'écrire dans son journal avoir accepté l'aide d'un Rouge et Or. Juste après lui avoir, justement, reproché sa chevalerie désuète et grotesque. Mais dans certains cas, il fallait savoir être raisonnable.
Puisqu'il n'y avait aucun camarade ou ami de la jeune blonde aux alentours, et qu'elle aurait été bien incapable de rejoindre le troisième étage seule, elle avait donc accepté la main tendue.

Sur le chemin vers l'infirmerie, elle s'était sentie doublement piteuse. Déjà, parce que son état physique était lamentable. Ensuite, parce que le revirement de son attitude était ridicule et pitoyable. Quelle belle image Cyril devait avoir d'elle, à présent !

Quand, enfin, ils arrivèrent, leur calvaire ne prit pas fin. Madame Pomfresh les accueillit les sourcils froncés et les poings sur les hanches. Elle fit s'asseoir Harmony sur un des lits et lui fournit une bassine. Alors, elle passa son regard sur les deux jeunes gens. Une Serpentarde. Un Gryffondor. Un maléfice. Une équation pas si rare, dans le métier.

- Est-ce que vous pouvez m'expliquer ce qui s'est passé ? Je vous rappelle que les duels dans les couloirs sont formellement interdits ! Et un maléfice aussi pénible que le Crache-Limaces mérite une sanction !

Harmony, entre deux hoquets, jeta un regard implorant à Cyril. Elle ne pouvait pas vraiment parler. Et surtout, elle ne pouvait raconter la scène complète sans se condamner ; elle ne pouvait pas tronquer le récit à son avantage sans offusquer Cyril. Son silence était un compromis, une demande de paix. Elle espérait que le jeune homme soit plus bienveillant qu'honnête.

Sur le moment, accompagner Harmony lui a paru être la seule bonne action à poser. Techniquement, c’est vrai. Quand une élève se retrouve être sans raison la victime d’un autre, plus âgé, il était normal de lui porter assistance. Cependant, alors qu’ils traversent péniblement le château en direction de l’infirmerie, cette morale lui parait plus douteuse à chaque seconde qui passe. Ceux qui ne le connaissent pas peuvent facilement l’identifier comme un Gryffondor de sixième, voir de septième année. Il soutient une élève de Serpentard, jeune et fébrile, qui crache des limaces. Le lien est vite fait, et même s’il ne peut pas en vouloir aux témoins de la scène qui lui jettent des regards noirs… Il s’en mordrait la lèvre.

Tant les rumeurs que les réputations courent et évoluent vite dans un monde aussi restreint que celui de Poudlard. Cyril se fritte suffisamment souvent avec des Serpentard pour ne pas leur donner une raison supplémentaire de lui en vouloir, sans même parler de sa petite sœur, Lucy, avec qui les ponts sont déjà pour ainsi dire brisés. Le bras droit passé dans le dos de la jeune fille, il essaie tant bien que mal d’avancer un peu plus vite et fait semblant de ne pas voir la foule d’élève qui remonte vers les dortoirs.

L’arrivée à l’infirmerie n’arrange malheureusement pas ses affaires. L’adolescent avait l’intention d’installer sa camarade sur un lit avant que Madame Pomfresh ne fasse irruption dans la salle des soins, mais il faut croire que l’annonce de leur périple dans les couloirs est déjà remonté jusqu’à elle. La farouche infirmière de Poudlard les attends les poings sur les hanches, l’oeil sévère, le ton avide d’explications. Cyril ne peut pas tellement le lui reprocher et à vrai dire, il est content de savoir que Harmony sera rapidement prise en charge. La pauvre était déjà blafarde lors de leur rencontre, à présent, elle est carrément livide.

Et c’est pas franchement beau à voir.

Son regard flotte de la petite Serpentarde à l’infirmière, tout en essayant de ne pas prendre en compte le flot de limaces qui continue à se déverser. Pendant la montée, il a réussit à faire abstraction du bruit de sussions et de l’odeur nauséabonde. A présent, dans le silence qui s’étend dans leur étrange trio, il a l’impression de ne plus entendre que ça résonner à ses oreilles. Cyril avait besoin d’une excuse convaincante rapidement, pour dans environ deux secondes et demi, et il était lui-même persuadé qu’il n’arriverait pas à en trouver une si rapidement. Il ne pouvait pas mettre en cause Harmony. Ni Baptiste.

“C’est de ma faute. Je me disputais avec un condisciple quand elle a voulu nous imposer le calme. En s’interposant entre nous, elle a reçu un sortilège qui ne lui était pas destiné. Dans le feu de l’action, je ne suis pas sur mais… Mais je crois que c’était le mien. Alors je l’ai directement amenée à l’infirmerie.”

Le Gryffondor ne cille pas, ne laisse pas les trémolos de l’hésitation faire trembler sa voix. Son regard brun sombre est dirigé avec fermeté vers Madame Pomfresh pour donner plus de crédibilité à son histoire. Peu importe ce que la petite Serpentarde a bien pu penser de lui, quand il est intervenu pour interrompre sa querelle avec la Serdaigle. Il compte bien rester fidèle à lui-même, et à la minute où il aura les mains libres… Il irait s’expliquer avec Baptiste.

L'infirmière de Poudlard était particulièrement agacée. L'hiver approchant apportait son lot de malades. Rhumes, angines en tout genre se multipliaient et l'infirmerie était animée d'un va-et-vient constant. Bref, Mme Pomfresh s'était transformée en distributeur de potions pour adoucir la gorge et pour supprimer la fièvre.
Le maléfice du Crache-Limaces constituait une singularité des plus ennuyeuses. En plus des visages pâles et fatigués mendiant un remède, Pom Pom devrait supporter les bruitages odieux et l'odeur pestilentielle de cette fille livide avec sa bassine.

Harmony se rendit compte que la scène qu'ils offraient tournait au désavantage manifeste de Cyril. Elle ne comptait pas en profiter. Assez vite elle avait compris que dans le contexte actuel, mieux valait s'entourer d'alliés à la générosité irrationnelle. La main tendue du Gryffondor était la preuve qu'il appartenait à cette catégorie. A elle de la lui rendre, pour terminer cette journée sur une note moins fade. Amère. Saline. Mais qu'est-ce qu'elles bouffaient ces limaces ? Oh c'était vraiment immonde.

La Serpentarde indiqua du regard au jeune homme qu'elle lui laissait la parole, en un calumet de la paix. Et sa réponse la laissa hébétée et perplexe. Il s'accusait tout seul ? Elle avait tout imaginé, sauf ça. Elle espérait qu'il atténue la violence de la dispute avec la Serdaigle paumée, non pas qu'il l'élude purement et simplement. Et Baptiste ? Passait-il l'éponge comme ça ? Clairement, cet abruti ne méritait pas un tel geste. Il serait même incapable de l'apprécier.
Harmony jeta un regard interrogateur à Cyril ; les sourcils froncés, elle lui demandait mentalement ce qu'il faisait.

L'infirmière ne semblait pas particulièrement convaincue par la version du garçon. Une Vert et Argent s'impliquant dans un duel intra-Gryffondor pour leur demander de se calmer ? Ce serait bien la première fois dans l'histoire du château qu'on voyait cela. Ou alors, sous cette écharpe verte se trouvait une Pouffsouffle bien déguisée.

Sentant une accalmie dans le flot de gastéropodes luisants, Harmony essaya de protester avant que Mme Pomfresh n'exprime ses doutes.
- Madame, Cyril s'accuse à tort. Un autre garçon et lui se disputaient et je leur ai dit qu'ils étaient bien idiots, à Gryffondor, à toujours enfreindre les règlements pour prouver leur courage et leur virilité.... Pardon *beuh* Je ne sais pas si le sort que j'ai reçu m'était destiné ou s'il était pour Cyril. Mais c'est pas lui qui l'a lancé c'est sûr !

Cette longue tirade l'épuisa et lorsqu'elle reprit son souffle, son haleine fétide annonça un nouveau lâcher de limaces.

Entre leurs deux versions, certes semblables, mais néanmoins inconsistances, madame Pomfresh semble ne pas savoir sur quel pied danser. Cyril refuse farouchement de se tourner vers Harmony et de chercher une once d’explication dans son regard. Ce n’est pas la première fois qu’il se trouve face à un membre du corps professoral avec un mensonge moyen qu’il doit absolument rendre crédible. Il n’excelle toujours pas dans l’exercice, mais il a bien appris une chose, ces cinq dernières années : vérifier sa version avec son camarade pendant l’interrogatoire n’est jamais synonyme de réussite.

L’infirmière ne trouve toujours pas mot dire. Dans la présente situation, il est plutôt évident qu’il y a eu un agresseur et une victime. Si la petite Serpentarde remplit toutes les conditions pour être sélectionnées dans le premier rôle, rien ne dit qu’elle n’a pas sa part de responsabilité dans le dérapage. Quand au à Cyril, sa réputation d’empêcheur de tourner s’est répandue dans le château depuis longtemps déjà. Pour un peu, il se prendrait d’un fou-rire. Les querelles entre leurs deux maisons étaient fréquentes, mais voir deux de ces élèves essayer de se sauver mutuellement la mise… Ça c’était plutôt inhabituel.

Si ça continue comme ça, ils vont tous les deux voler en retenue. Or, le Gryffondor a un taux d’incarcération particulièrement bas en cette première partie d’années — signe qu’il devient discret, plutôt que sage — et il espère bien que la balance ne s’inversera pas. Pourtant, il n’est pas assez profiteur pour laisser Harmony prendre tout le blâme… Son assurance commence à faillir, il lui faut un échappatoire, et vite. Malheureusement, sur fond de limaces gluantes et de bruits de régurgitations, c’est madame Pomfresh la première à réagir.

“Bande d’enquiquineurs ! Vous pourriez bien régler vos affaires tous seuls, si c’est pour venir me raconter de telles balivernes. Vous, mademoiselle, continuez de vomir. A part les laisser sortir, il n’y a rien à faire. Monsieur Evans, vous rattraperez votre faute en lui tenant compagnie et en vidant sa bassine à intervalles réguliers. Je vais aller préparer un remontant pour quand cet immonde maléfice se sera enfin atténué”

Elle s’éloigne vers son bureau, et sans se retourner, lâche d’une voix tonitruante.

“Et comptez-bien sur le fait que vos directeurs de maisons seront informés de cet incident ! Je ne doute pas qu’ils prendront les mesures nécessaires pour que vous n’oubliez pas les conséquences de vos actes !”

Cyril reste encore planté comme un épouvantail, les bras ballants, pendant quelques secondes. Une fois la porte du bureau refermée derrière une infirmière grommellante, il ne peut plus retenir un rire. Derrière ses airs patibulaires, cette chère Pompom tient trop à ses élèves pour les laisser dans la mouise… ou les y mettre. Nul doute que leur petite mascarade suffira à apaiser son agacement pour autant qu’elle n’ait pas à nettoyer les limaces. Avec un soupir et un air peiné, il se tourne alors vers Harmony.

“C’était sympa d’essayer de prendre ma défense, mais tu sais… J’aurais pas volé une retenue en plus, avec tous mes écarts de conduite que personne n’a jamais remarqué. Tu as déjà été bien assez punie, j’ai l’impression.”

L’adolescent vient s’installer sur le lit à côté d’elle, pas trop proche néanmoins, de crainte qu’elle ne supporte pas sa soudaine proximité. La situation lui apparaît plutôt amusante, une digne fin d’une querelle de couloir et même si c’est un mauvais moment à passer pour la jeune fille… Les suites de sa mésaventure devraient être pour ainsi dire inexistantes.

Si la correction de la version de Cyril lui avait paru d'emblée être nécessaire, Harmony se questionnait à présent sur la pertinence de son intervention. L'infirmière avait l'air particulièrement perplexe. Elle savait bien que les apprentis sorciers se jouaient souvent d'elle en truquant les faits, pour adoucir leur punition. A l'inverse, il était d'autant plus rare qu'un élève de la maison Serpentard avoue des éléments incriminants tus dans la version d'un Gryffondor.

Penchée sur sa bassine, Harmony attendait avec une impatience mêlée d'inquiétude la réaction de Mme Pomfresh. La voix fulminante ne se fit pas attendre. Evidemment, elle n'était pas dupe, mais en guise de punition, elle ordonna simplement à Cyril de veiller sur sa cadette qui n'avait d'autre choix que d'attendre que ça passe. Ouf !
Enfin presque ! Dans la foulée, retournant à son bureau, elle les avertit que leurs directeurs de maison en entendraient parler. Voilà qui était moins drôle.

Une fois l'infirmière au loin, Cyril éclata de rire. La perspective de se retrouver nez à nez avec McGonagall ne l'effrayait pas. Puis il soupira et s'approcha de la jeune fille. Il la remercia plus ou moins de l'avoir défendu tout en ajoutant qu'il n'en aurait pas eu besoin. Le jeune homme avouait que nombre de ses méfaits étaient passés inaperçus et qu'une seule retenue pour la masse n'était pas si cher payé. Bien sûr, c'était avant tout un Gryffondor, pour qui le mépris des règles de conduite dans cet établissement était la norme. Harmony haussa les épaules.

C'était vrai, elle aurait pu se contenter d'être soulagée qu'il taise la véritable anecdote. Elle était intervenue pour rétablir le réalisme dans ce qu'il racontait. Et parce qu'elle ne comprenait pas qu'il ne cherche pas à voir reconnaître le beau rôle qu'il avait joué. En fait, ça lui semblait égal. La jeune fille avait un goût rance en bouche, et ce n'était pas dû aux limaces. Elle s'était compromise pour quelqu'un qu'elle ne connaissait pas. Un rouge et or qui avait de toute manière un goût développé pour le sacrifice personnel par héroïsme.

En toute logique, elle aurait dû se taire et attendre que Pom Pom les ait laissés seuls pour le remercier et lui dire qu'elle n'oublierait pas ce geste. Pour quelle raison avait-elle eu le réflexe de s'interposer ? L'argumentaire sensé lui semblait bien faible à présent. Et il avait raison, elle était bien punie.
Cyril s'assit à côté d'elle, laissant un espace raisonnable entre eux. Elle se rendait compte alors qu'il était spécialement grand et bien bâti pour un adolescent.

- Peut-être que j'aurais dû me taire, tu as raison... Mais... Enfin ta version, je pensais qu'elle n'y croirait jamais, de toute façon. Elle laissa un temps pour reprendre son souffle. Je n'ai jamais été en retenue, et le professeur Rogue est rarement impartial avec nous, il devrait être arrangeant, t'en fais pas pour moi.
Elle lui adressa un pauvre sourire, tentant de rire, de sa voix un peu cassée.
- Je ne suis pas d'une compagnie très agréable, je le conçois. Encore plus maintenant ! ajouta-t-elle en désignant la bassine.

Elle ne comprendrait jamais l'altruisme ou le trop-plein de gentillesse des personnes comme Cyril. Mais dans ce genre de situation, elle était bien contente de l'avoir à ses côtés. Bien qu'elle ne l'avouerait pas ouvertement !

Avec patience, et peut-être un brin de timidité maintenant qu’ils sont seuls, Cyril laisse Harmony s’exprimer. Les mots sortent avec lenteur et effort, constamment hachés par une nouvelle sortie de limaces, dont le flot ne semble pas vouloir faiblir. Peu à peu, il s’habitude aux gastéropodes et au flot nauséabond qui accompagne chacune de leurs apparitions. C’est l’avantage d’être passionné par les créatures magiques de toutes sortes : on est souvent amené à mettre les mains dans des substances passablement douteuses. Et comme si ça ne suffisait pas, le Gryffondor a été élevé sur la côte nord-écossaise… Pas franchement l’endroit qui rime le plus avec propreté et confort.

“Je suis sur qu’elle ne nous croit pas de toute façon. Ça doit faire des années qu’elle fait confiance à sa propre intuition plutôt qu’à l’imagination des élèves…”

L’adolescent porte un regard trop ostensiblement tendre sur la porte du bureau, pour être sérieux. Intérieurement, il est mort de rire, même s’il ne peut nier le respect qu’il éprouve pour l’infirmière. Il faut être véritablement passionné par son travail pour tenir aussi longtemps dans le château de Poudlard, à se confronter à toutes sortes de maux les plus douteux les uns que les autres, et aux histoires les plus incongrues.

“Tu sais, derrière les apparances, McGonagall n’est pas aussi dure qu’elle y parait. Elle aime sa maison aussi… Elle est impartiale, mais pas plus dure que nécessaire.”

Le Gryffondor hausse les épaules. De toute façon, il ne pouvait pas changer de directrice. Avec un sourire, il se tourne à nouveau vers Harmony et cherche à accrocher son regard — action difficile, étant donné sa dépendance à la bassine — et laisse une expression amusée danser dans ses traits. Voir une petite jeune fille, aussi fragile et frêle exploser avec tant de violence, et affronter sa malencontreuse punition avec une fierté aussi farouche, fait naître en lui un sentiment légèrement confus de surprise.

“ T’inquiètes pas, pour le coup, je pense que la personne la moins fréquentable liée à cette affaire, c’était Baptiste. Je le connais pas bien, mais Gryffondor ou pas, je peux pas être d’accord avec lui. Qu’est ce qu’il s’est passé exactement avec la Serdaigle, d’ailleurs ? J’étais un peu loin pour voir exactement le fond du problème.”

Contrairement à la plupart de ses camarades de maison, Cyril n’éprouve aucune haine viscérale pour les Serpentard. Il a été élevé dans une partie de leurs traditions, venant d’une vieille famille de sang-pur et puis… sa propre petite sœur se trouve hébergée dans la maison au serpent. Bien sur, certains conflits sont inévitables quand on vit dans un château si riche en histoire. Néanmoins, dans la plupart des cas, il préfère juger les gens avec soin, dans le temps et sur leurs actes. Leur famille ou leur maison… Ce sont des critères si surfaits.

Pour quiconque entrant à cet instant dans l'infirmerie, la scène qu'ils offraient était plutôt cocasse. Un garçon grand, costaud, brun à côté d'une jeune fille très mince, blonde et pâle. L'un portant une écharpe rouge et or, l'autre parée de ses attraits vert et argent. Et vomissant sans discontinuer des limaces dans une bassine.
Ça ne semblait en rien gêner Cyril qui ne se départissait pas de son sourire. Etait-il coutumier du fait ? Harmony voyait mal comment il pouvait ne pas être pris de nausée en étant assis à ses côtés.

Elle acquiesça à sa remarque concernant Mme Pomfresh. Des anecdotes comme celle-ci, elle devait en avoir plein ses placards. Au moment de prendre sa retraite - s'il arrivait un jour - elle pourrait écrire des Mémoires de Poudlard assez croustillantes qui feraient de bonnes ventes chez les lecteur.trices de Sorcière Magazine et de la Gazette. C'était une bonne idée qu'Harmony voulait partager à son acolyte, ravie de ce trait d'esprit amusant, trop rare ! Mais un nouveau spasme l'en empêcha et Cyril continua sur McGonagall.

A vrai dire, Harmony avait toujours admiré cette sorcière puissante, discrète, dotée d'une raison impressionnante. Et puis, à la table du réveillon, les années passées, elle avait apprécié son humour pince-sans-rire. Son seul défaut, en définitive, était celui de tenir les rênes de la maison Gryffondor.

- Non, je sais bien qu'elle n'est pas une tortionnaire. Mais elle est bien plus droite et rigoureuse que le professeur Rogue... Elle se reprit, consciente que sa remarque pouvait être considérée comme une critique de son directeur de maison Je veux dire, à Serpentard, il existe une solidarité très forte. On est pas si individualiste que ça, et Rogue, de ce point de vue, est un vrai Serpentard !

Elle n'avait aucune idée de ce que Cyril pouvait bien penser des élèves au Serpent. A priori, il n'était pas tellement fermé d'esprit, s'il se trouvait là. Mais les préjugés tenaillaient même les personnes aux meilleures intentions. Elle-même trouvait que les clichés associés aux différentes maisons étaient vérifiés. Toutefois, dans le cas des Serpentards, il existait souvent une véritable diabolisation.

Justement, en parlant de conflits entre étudiants, Cyril lui demanda quel était vraiment le fond de la dispute. Le fil de la matinée se déroula mentalement. Son échec en cours. Sara. La colère, bestiale. La volonté de prendre l'air. Retrouver le calme. La bousculade et son mouvement brusque. La chute. Le flot de paroles aigres.
Son regard était assuré mais un rictus éphémère marquait son embarras. Elle n'aurait pas dû se laisser emporter. Sa voix était à moitié brisée, enrouée, du fait du maléfice.

- Je... Elle est tombée au mauvais moment. J'étais vraiment en colère. Je venais de me disputer avec ma soeur. Et... Il me fallait de l'air. Elle m'a bousculée, elle a fait les frais d'une fureur qui ne lui était pas destinée.
Son expression était partagée entre une once de regret et une forme d'arrogance. Si elle regrettait ne pas avoir su se maîtriser, y voyant une faiblesse de sa part, elle conservait une forme de fierté. Mine de rien, sa répartie avait été cinglante, intelligente. Si elle travaillait sa colère, elle pouvait y trouver une ressource nouvelle. Un instant, la baguette pointée sur la jeune Serdaigle, elle s'était sentie si puissante.

La petite flamme dansait encore au creux de ses iris pâles.

Un fin sourire se dessine sur son visage, quand il devine dans la voix de Harmony une pointe de fierté envers sa maison. Peu importe ce qu’elle pense vraiment de McGonagall, son appartenance aux Serpentards ne lui permet pas d’être entièrement impartiale. Cyril s’abstient de souligner cette réaction; si il lui se trouvait dans sa réaction, il aurait très probablement réagi de la même façon… Peut-être avec un peu plus d’objectivité néanmoins : Rogue n’a vraiment aucun autre bon côté que celui d’être solidaire avec les membres de sa propre maison. Personne ne se voile la face à ce sujet.

L’adolescent ne se sent pas particulièrement fier ou meilleur que les autres parce qu’il appartenait à la maison Gryffondor. Il est content d’y être pour les gens qu’il y a rencontré, les expériences qu’il y a faites, les possibilités qui se sont ouvertes à lui. Il ne doute pas que si le Choixpeau s’était décidé pour Serpentard, il serait devenu un jeune homme complètement différent. Pourtant, au fil des années à Poudlard et des nombreuses querelles avec les verts et argents ont fait naître chez lui une certaine volonté de leur faire face. Au delà de ses opinions personnelles, les pressions sociales qui règnent en maître sur le quotidien du château ont fini par le changer à un point qu’il préfère ne pas reconnaître.

Et puis il y a Lucy, sa petite sœur, avec laquelle il cherche désespérément à renouer le contact. Parfois, il se dit qu’elle doit avoir raison à propos des moldus et de la Levée du Secret. L’admettre lui permettrait peut-être de la retrouver… Et alors que Harmony lui explique pourquoi elle s’en ai prise à la jeune Serdaigle, il ne peut s’empêcher de trouver un lien entre leurs situations. D’un regard perplexe, il observe la jeune fille sans savoir comment interpréter l’expression équivoque qu’elle affiche. Il y a comme une vilaine volonté de ses dédouaner dans ce qu’elle dit, mais il peut paradoxalement tellement la comprendre.

“Je vois. Le mauvais endroit au mauvais moment. Ça arrive. J’espère tout de même que tu parviendras à aller lui présenter tes excuses… Elle a fuit avec une telle expression de terreur. Je crois qu’elle n’a vraiment pas compris ce qui lui était tombé dessus.”

Tout comme il ne peut pas prendre la défense de Baptiste, il ne peut pas tout à fait pardonner Harmony pour son attaque déraisonnée. La lueur brûlante dans ses yeux lui fait déjà dire qu’elle n’acceptera pas la légère remontrance qu’il vient de lui servir, malgré son ton doux et l’expression indirecte. La prochaine question qui lui chatouille les lèvres risque elle aussi de se faire repousser d’un coup de bélier. Ils ne sont pas proches, ne se connaissaient même pas avant le pur hasard de cet après-midi. Cyril détourne le regard et se plonge dans la contemplation de la porte du bureau de Madame Pomfresh.

“ Tu as des problèmes avec ta sœur ? C'est qui ?”

Qui sait, peut-être elle est à Gryffondor.

“Serpentard”. Depuis que le Choixpeau, à la seconde où il l’avait frôlée, avait prononcé ce mot glorieux, un sang vert et argent coulait en ses veines. Elle pouvait encore voir le regard déçu - inquiet ? - mais pas surpris de son frère, de sa soeur tout juste répartie à Gryffonfor. Son visage morne s’était subitement égayé d’un sourire large, joyeux. Son pas s’était fait léger, presque sautillant, lorsqu’elle rejoignit la tablée qui l’accueillait sous les applaudissements traditionnels.

Depuis, elle s’était fait siennes les valeurs de sa maison. Elle y avait trouvé un nouveau départ, un foyer accueillant, des amis qui la comprenaient. Elle y avait tellement appris. Sa reconnaissance était sans fin pour ceux qu’elle considérait comme sa famille. De là, elle retirait une grande fierté.

Celle-ci, évidemment, s’était construite sur l’opposition avec les autres couleurs du château. Non seulement à l’interne, née de l’orgueil partagé par les camarades au serpent. Surtout, parce que dans les premières années, ils avaient subi une mise à l’écart de principe par les autres apprentis sorciers. Tous traités comme une engeance naturellement maléfique. Comme des gamins stupides, bons seulement à ricaner en cours de potions et à martyriser les autres.
Heureusement, les étudiants plus âgés avaient gagnés pour certains en nuance. Mais pas tous. Et c’était de toute manière trop tard. La marginalisation était assimilée, acceptée comme justifiée.

Heureusement, Cyril ne semblait pas être de ceux qui jetaient systématiquement la pierre aux élèves en vert et argent. Quand elle lui expliquait les raisons… discutables, de son altercation avec la Serdaigle, il ne levait pas les yeux au ciel. Il se contentait de l’observer et de lui répondre d’un ton égal qu’il comprenait. Ce garçon l’étonnait, décidément !
Etait-ce le fait de sa gentillesse débordante, ou bien de sa naïveté sans borne ?
Enfin, il se reprenait, et montrait un peu plus de cette droiture morale attendue des Gryffondors. S’excuser ? Vraiment ? Pour l’avoir fait trébucher ? De plus, elle avait à peine vu le visage de cette sauvageonne aux cheveux longs. Sa chevelure ébouriffée lui couvrait les traits. Elle serait bien incapable de la reconnaître dans les couloirs. Il devait certainement y avoir des dizaines d’adolescentes ahuries et dépeignées portant les couleurs de Serdaigle. C’était presque un archétype.

Elle ne put se retenir de lever les yeux au ciel. Mais sa réponse fut plus maîtrisée.
- Si jamais je la croise à nouveau, et qu’elle ne fuit pas, cette fois. Je ne suis même pas sûre de pouvoir la reconnaître…
Une limace interrompit son propos.
- Mais si c’est le cas, je lui expliquerais et la prierais de ne pas m’en tenir rigueur.
Elle croyait peu à ses paroles, mais elle savait que le regard intense offert par ses yeux pâles était convaincant.

Cyril, a la suite de son explication tronquée, avait détourné le regard vers la porte du bureau de l’infirmière. Harmony se concentrait alors sur sa bassine, d’où les gastéropodes tentaient de s’échapper. Finalement, elle s’était habituée à cette vision luisante et grouillante. Elles étaient mignonnes ces bébêtes après tout. Dommage qu’elles n’aient pour seule raison d’exister une mauvaise blague particulièrement déplaisante.
Tout comme la question de Cyril. Harmony grimaça. Sa soeur. Ses soeurs en fait. Son frère et ses soeurs. Ses problèmes étaient multipliés par trois.
Elle était partagée par l’étrange envie de se confier - pouvait-elle tomber plus bas ? - et la douleur qui serrait son estomac, l’empêchant de trop en dire.

- Pas à proprement parler. Elle est à Serdaigle, on s’entend plutôt bien. Mais… j’ai un frère à Pouffsouffle et une soeur dans ta maison. On ne s’est jamais vraiment entendu. Ça crée des conflits et des quiproquos assez agaçants.

L’amertume de son ton n’était plus la marque de sa colère. Simplement, une lassitude profonde. Elle ne comprendrait jamais pourquoi Sara et Abby idéalisaient leur frère. Il n’avait fait que les contrôler, leur donner des directives, prenant la place arrachée du père. Sans en avoir la stature, ni la sagesse. Sans fournir de véritable modèle. Se satisfaisant bien trop vite d’une situation injuste qui avait détruit leur enfance. Elles vivaient dans le déni. Elle seule l’avait compris.

La réaction réflexe et agacée est loin de le surprendre. On ne peut pas décemment attendre d’un Serpentard, aussi agréable à fréquenter soit-il, qu’il reconnaisse ses fautes et fasse en plus de cela le pas de présenter ses excuses. Cyril a simplement exprimé l’idée pour souligner le fait que, malgré sa douceur du moment, il ne peut pardonner toutes ses fautes à Harmony. Une telle perte de contrôle pour une raison si triviale lui paraît si… indigne. Sans se départir de son sourire, il se laisse alors bercer par les mots mesurés et le regard pénitent de l’adolescente. Une lueur de surprise traverse ses yeux bruns.

Contre toute attente, elle semble reconnaître son emportement, à défaut de se sentir coupable. Il s’attendait à la voir refuser en bloc toute possibilité de faire des excuses, de reconnaître, le temps d’une seule seconde, son infériorité face à la naïveté de la Serdaigle. Même si les mots n’ont pas l’ampleur qu’il aurait souhaitée, il est trop bon, trop facile de voir chez Harmony une volonté sincère et un effort honnête de retrouver sa camarade et de lui expliquer la situation. Une douce chaleur se répand dans son torse, signe physique du sentiment de bienfait accompli. Si chacun fait l’effort de faire un pas vers celui qu’il a blessé, le monde n’en deviendrait-il pas un endroit meilleur ?

La réussite est trop belle pour ne pas pousser sa chance trop loin alors, reprenant un peu de distance, il s’aventure sur le terrain dangereux que constitue les conflits familiaux. Plus que dans les conflits moraux, ils vont probablement trouver là certaines similarités entre leurs problèmes, peut-être instigatrices d’une nouvelle amitié ou d’une entraide bénéfique aux deux côtés. Cyril cherche depuis longtemps quelqu’un qui accepterait de se faire l’intermédiaire entre lui et Lucy, mais il sait que sa sœur n’écouterait personne en dehors de la maison vert et argent. Elle idéalise trop leurs valeurs, leurs traditions, tant qu’elle en oublie ses liens de sang.

Un maigre sourire traverse son visage quand l’adolescente se lance dans une explication teintée d’amertume. Le ton employé fait échos à sa propre frustration, cette terrible sensation d’impuissance face à la fratrie si inconsciente de ses dires et de ses actes que la communication semble rompue. La petite tirade lui semble bien trop familière. D’un geste souple et mesuré, le Gryffondor se hisse sur le lit afin de s’asseoir en tailleur, un regard brillant posé sur sa jeune camarade.

“C’est difficile de se comprendre quand on se retrouve écartelé comme ça entre des maisons différentes. Alors toute une famille, en même temps, dans chacune des quatre…” Il lâche un petit éclat de rire un peu amer. “Et je ne dis pas ça par pure empathie, j’ai aussi une sœur. Elle est à Serpentard et c’est pareil, pas moyen de se comprendre, ni de parler pendant plus de dix minutes sans qu’une dispute n’éclate. Entre ses opinions, les miennes, celle de ma famille et celle des Gryffondor… Je ne sais plus vraiment qui a raison, au final.”

C’est bien la première fois qu’il remet en doute — même à l’aide d’un sous-entendu — ses positions vis-à-vis des moldus. Il peut imaginer la peur de découvrir un monde nouveau et puissant, d’une certaine manière, il peut même s’imaginer comment on peut en arriver à la violence. Mais ça ne peut pas durer. Seul Poudlard est encore un lieu synonyme de sécurité, dernier signe que la tolérance peut en effet être une forme de panacée.

“Si tu veux continuer à en parler… Je connais bien les Gryffondor et leurs réactions après tout. Ou je peux essayer de parler avec ta sœur.”

Sans lâcher Harmony des yeux, il guette sa réaction avec attention. Cette fois, il n’a pas seulement conscience de s’aventurer dans un champ de mine, mais aussi d’y danser la polka. La limite n’est pas loin, mais où exactement, il n’en a aucune idée.

Il était des choses que même Harmony Kiara Sharen ne savait expliquer. Assise sur un lit de l’infirmerie, une bassine sur les genoux, elle ne pouvait cerner le garçon qui l’avait accompagnée. Ses questions étaient intrusives et ses remarques ne manquaient pas de toupet. Induire qu’il attendait d’elle qu’elle aille s’excuser ? Il rêvait. L’interroger sur sa famille ? Et puis quoi encore !
Mais la douceur de la voix de ce grand gaillard, son regard franc laissaient deviner un esprit d’albe. Sans autre intention que celles qu’il exprimait à voix haute.

Naturellement - et donc singulièrement - la jeune fille aux yeux pâles lui répondait. Allait, même, dans son sens. Bien entendu, elle ne dévoilerait rien de plus que nécessaire.
Evidemment, elle n’irait pas retrouver la Serdaigle. Elle n’irait pas lui présenter directement des excuses. Mais elle sentait bien qu’elle était allée trop loin. Non pas que ses mots aient été trop cruels - après tout, ils étaient justifiés - mais son emportement avait dépassé sa pensée. Elle n’avait pas su se maîtriser. Oh, elle n’en serait venue ni aux poings, ni à l’usage de la magie sur une personne à terre. Elle n’allait tout de même pas s’abaisser à cela.
Néanmoins, son ton avait été rugissant. Sa main avait volé - inconsciemment ? - pour accompagner l’adolescente dans sa chute. Elle aurait voulu que son ton reste placide. Elle avait encore du travail.

Et c’était précisément cette imperfection qu’elle regrettait. Un petit échec. Une petite honte.

La bile aigre au fond de sa gorge infusait à l’évocation de sa famille. Ils étaient voués à échouer. C’étaient des fuyards, le genre de personne qui cache la poussière sous le tapis et continue un sourire aux lèvres. Ils étaient inconscients. Faibles.
Et le pire c’était qu’ils acceptaient leur faiblesse. Cela ne les choquait même pas.

Harmony n’était pas de la même engeance.

Le mouvement de Cyril attirait son regard, jusque là perdu dans le vague, détaillant les fêlures des carreaux ornant d’un blanc sale le sol. Un éclat troublait ses yeux sombres. Un instant, Harmony y planta ses iris pâles, inquisitrices. Mais il n’en était nul besoin.
Ses paroles étaient d’une extrême banalité. Cependant la teinte de son rire faisait un drôle d’écho. Leurs situations familiales étaient diablement similaires. Mais il était de l’autre côté. Dans ce schéma, il était Rosie. Cette pensée la fit frissonner.

Un relent nauséabond la fit se pencher à nouveau sur la bassine. Deux petites limaces s’échappèrent de ses lèvres fines. Cela ne soulageait pas son malaise. Elle se sentait étrangement ramenée à une réalité que l’épisode saugrenu du maléfice avait dissipée. A la place du jeune homme grand et brun, elle voyait à présent sa blonde jumelle.
Le dégoût, mêlant ressentiment et déception, s’affichait sur son pâle visage. Au fond, bien que cela lui couterait la vie de l’admettre, détester sa soeur était un déchirement atroce. Faire peser sur leur cadette leurs disputes était une peine lourde. Qu’elle assumait sans faute. Afin de leur ouvrir les yeux. Ils ne comprenaient pas.

D’une voix tremblante, elle rompit le silence. Tentant de virer de son esprit le visage candide de Rosie, enfant.

- Comment.. s’appelle ta soeur ?

Au fond, la réponse l’importait peu. A son tour, elle avait envie de fuir. D’être seule. Elle haïssait ce sentiment. Elle ne voulait plus parler de la famille de Cyril. C’était trop douloureux. Elle s’astreignait à l’effacement de cette douleur quotidiennement. Le reflet qu’il lui renvoyait était l’opinion qu’elle n’avait jamais voulu entendre. Il fallait fermer les écoutilles. Se protéger.

Mais il n’en démordait pas. Peut-être avait-il besoin de parler, mais elle non. De plus, il laissait clairement entendre qu’il se disputait toujours avec sa soeur. Comment espérait-il qu’il en irait différemment avec une autre, avec qui il ne partageait pas de lien de sang ?

D’un ton plus sec, détournant à nouveau le regard, elle lui répondit.

- Je ne pense pas que cela en vaille la peine.

Sa mélancolie, toutefois, transperçait le masque de glace que les années avaient forgé.

Il a conscience que ses tirades poussent toujours plus loin dans l’intimité d’une jeune fille qu’il ne connaît même pas. Pourtant, il ne peut pas s’en empêcher, tant il sent les similitudes entre elle et sa jeune sœur. Cyril espère pouvoir approcher cette mentalité serpentarde, leurs traditions et leurs opinions, afin de mieux comprendre Lucy. Il peut remettre ses propres idées en cause si c’est nécessaire, si on lui prouve à quel point il a tort. Mais pour cela, il faudrait une vraie discussion, un peu d’ouverture d’esprit, une volonté d’échange.

Harmony reste murée dans son silence à côté de lui, le regard fixé avec obstination sur sa bassine et la masse imposante de gastéropodes qui y grouille. Le Gryffondor a l’impression que les hauts-le-cœur de sa camarade se font moins violents, plus espacés, comme une annonce discrète mais bien présente que leur entrevue tire doucement à sa fin. Il sent une drôle de tension ramper en lui à cette pensée, sans trop pouvoir déterminer si il sera déçu de la voir partir, ou au contraire soulagé de ne plus forcer une conversation qui se fait de plus en plus artificielle. L’adolescente lui fait vriller une lueur d’espoir qu’elle éteint dans le même souffle.

“Elle s’appelle Lucy, elle est en troisième année.”

Cyril hésite à donner plus d’informations. Il voudrait croire que sa camarade est véritablement curieuse, mais sa voix tremblante fait balancer son interprétation. Leurs regards peinent à se détacher pendant quelques secondes où la distance, presque abolie entre eux, se creuse à nouveau avec force froideur. L’adolescent détourne lui aussi le regard, remuant les épaules pour essayer de chasser la tension qui grandit en lui face à cette jeune fille qui ne semble plus vouloir sa présence. Pourtant, il ne peut résoudre à abandonner sans une dernière tentative.

“Je ne sais pas…”

Il se lève avec un haussement d’épaules et un certain mouvement d’impuissance.

“Je ne vais pas prétendre que je connais ta situation, il y a des familles foireuses et on peut rien y faire, on choisit pas où on naît. Je ne pense pas connaître tes frères et sœurs, tout ce que je sais, c’est que si ma propre sœur se donnait la peine de me parler, de m’expliquer… Les choses iraient mieux. Ce n’est pas en se murant dans le silence qu’on peut changer les choses. Peu importe dans quel sens.”

Cyril fait un pas en arrière pour s’appuyer contre le mur en pierre glacé. Les bras croisés contre la poitrine, il refuse de détourner complètement le regard. Il veut désespérément trouver une échappatoire à cette situation d’abruti qui ne fait plaisir à personne. C’est tellement… déloyal. Contre-productif. Sans plus oser prononcer un mot, il se concentre sur le silence ponctuellement rompit par un nouveau flot de limaces, pour calmer les battements désordonnés de son cœur. Il s’est promis de rester auprès de Harmony tant que le maléfice ne se sera pas estompé — et il n’a pas le choix, de toute façon — et si il le faut, il le fera en restant muet.

Les questions de Cyril, de plus en plus curieuses, intrusives, remuaient des choses enfouies trop profondément. Elles n’étaient pas agaçantes. Elles étaient dérangeantes.
Après des années de travail, Harmony était parvenue à un ordre, un agencement qui devait être imperturbable. Ce matin, croiser sa petite soeur, échanger des mots si durs avec elle, était une déchirure suffisante pour ce jour. Elle n’aurait pas dû lui parler comme ça. Pas Sara. La petite blonde faisait du mieux qu’elle pouvait pour restaurer le lien perdu entre ses aînés. Elle rafistolait une cordelette qui ne cessait de lâcher, de pendre. Trop de non-dits, de rage contenue. Harmony était la seule à avoir admis la réalité. Leur père était mort. Assassiné. Brûlé vif, bordel.
Peut-être… Peut-être que s’ils avaient fait leur deuil ensemble… Mais non. Rien ne servait de remuer le passé. Il fallait juste en tirer les leçons. Elle avait su le faire. Pas eux. Tant pis.
Ils comprendraient bien vite.

Mais voilà qu’elle se trouvait dans une pièce, seule, avec une personne semblant être toute faite de questions. Et, intuition qui rendait la chose encore plus énervante, ces questions semblaient sous-tendre des convictions, des idéaux immatériels. Ça l’énervait.
Aussi, tiraillée par sa colère, elle avait interrogé Cyril d’une voix distraite, tremblante. Elle soutenait son regard avec toute la froideur nécessaire à contenir la violence de ses pensées. Et quand il répondit, il détourna les yeux.

Sa voix laissait paraître sa.. déception ? Sa tristesse ? Une forme de mélancolie due au lien rompu avec sa soeur ? Voulant y trouver le reflet de sa soeur, de son frère, Harmony répondit d’un ton sec, comme si elle cherchait à terminer là leur conversation.
La distance symbolique que son élocution marquait, Cyril la matérialisait physiquement en se levant, et se plaçant contre le mur. La rupture de leur proximité fut douloureuse, étrangement.
Bien qu’elle ne voulait en aucun cas le reconnaître, leur discussion lui avait fait du bien. D’ailleurs, le maléfice s’estompait.

Quand il haussait les épaules, dans un mouvement las, elle eut un élan d’affection pour lui. Au fond, ils vivaient la même chose. Les mêmes dilemmes, la même faiblesse.
Mais ce qu’il dit ensuite effaça bien vite ces émotions fugaces. Elle lui jeta un regard furieux. Non mais il se prenait pour qui ? De la juger comme ça ! Non, elle n’était pas emmurée dans son silence. Elle avait “pris la peine” d’expliquer. Elle ne faisait pas que les ignorer.

Quelque chose craqua. Les yeux plein de larmes, elle lui lançait un regard blessé, brûlant d’une volonté froissée, d’une paralysie subie.

- Mais le silence est le seul refuge qu’on ait. Je sais pas pour ta soeur, mais j’ai fait tous les efforts. J’me suis encore expliquée ce matin. J’en ai marre, tu comprends ? William, mon frère, c’est lui qui a mis en place ce tabou grossier. Ils voulaient pas en parler…

Elle avait posé sa bassine à côté d’elle et entreprenait de sécher ses larmes. Pourquoi ? Pourquoi n’avait-elle pas trouvé le parc vide, calme, ce matin ? C’était la deuxième fois qu’elle explosait ce matin.

- Ils ont fui. Notre maison, la réalité, la vérité.

Sa voix n’était plus qu’un souffle. Doucement, elle arrivait à reprendre une respiration régulière. Elle recula sur le lit et ramena ses genoux frigorifiés contre elle. Reniflant, elle tourna la tête vers lui.

- Ta soeur.. Lucy. C’est Lucy Evans ? Je la connais pas bien. Elle parle pas trop, je savais même pas qu’elle était dans la même situation que moi.

Lucy s’entendait plutôt bien avec Hope, ce pourquoi Harmony avait plusieurs fois discuté avec elle. Elle était hautaine, avait l’arrogance des sang-purs. Si quelque chose était brisé en elle, elle le cachait bien. Tout comme Harmony, en fait. Mine de rien, de nombreux Serpentards subissaient des histoires familiales complexes, douloureuses, et avaient appris à faire face, à ne rien laisser paraître. Et puis, les regards désapprobateurs qu’ils avaient tous connu, après leur répartition, n’avait pas aidé à s’ouvrir aux autres.

La réaction de Harmony fait plus que le surprendre, elle le prend carrément de court. Cyril n’a pas la prétention de juger sa famille, ni de savoir comment ils devraient s’y prendre pour régler les problèmes. Il est bien placé pour savoir que quand on est si proches les uns des autres, quand une sorte d’obligation sociale oblige à se serrer les coudes, les gouffres se forment trop violemment pour être comblés avec un éclat de rire et une Bieraubeuerre. Les liens de sang sont tellement plus compliqués à gérer que les liens de cœur… Son seul but était de partager sa frustration quant à son impuissance à régler les problèmes. L’adolescent à simplement l’impression de parler à un mur à l’image d’une gamine aux cheveux blonds vénitiens. Sa sœur bloque tous ses efforts, mais cela ne signifie pas qu’ils auraient trouvé une solution si son attitude avait été différente.

Voir la Serpentarde fondre en larmes aussi subitement devant lui, lui fait comprendre que ses mots ont été au mieux mal interprétés, au pire, compris comme une attaque personnelle qui a renvoyé l’adolescente à ses propres échecs. Affichant une mine horrifiée, Cyril ne trouve d’abord aucune réaction cohérente au devant du regard de glace qui le foudroie. Il a fait une erreur, grave sans doute, sans être parfaitement sur de où se trouvait son faux-pas. Pourtant, contre toute attente, Harmony ouvre un peu la porte qu’elle avait brutalement fermée quelques minutes auparavant. Métaphore de ses larmes, son barrage émotionnel vient d’exploser entre eux, dévoilant leurs faiblesses similaires.

Il l’écoute parler en silence, comme s’il craignait qu’une réponse ne brise cette confidence soudaine, ne se donnant pas le droit de gratter encore plus loin dans son intimité qu’il l’a déjà fait. Finalement, elle se tait à nouveau et incapable de trouver les mots, conscients qu’ils sont traîtres de toute façon, le Gryffondor se livre à la seule réaction qu’il connaît encore dans ce genre de situations. Il rompt la distance et glisse avec assurance ses bras autour des épaules de sa camarade, l’attirant contre lui dans un geste à la fois tendre et fort. Si dans ce moment d’abandon, il peut être le rocher qui l’empêchera de se noyer, alors qu’il en soit ainsi. Après tout, il n’est pas complètement étranger à sa perte de contrôle.

“Oui, c’est elle. Je sais qu’elle est très silencieuse, elle est très fière et veut se fondre dans le moule. L’entrée à Poudlard nous change tous beaucoup, mais la situation extérieure a rendu les choses encore plus difficile pour elle. Elle cherche à se préserver, je ne veux pas lui en vouloir, mais je refuse de croire que s’obstiner à renier tout ce qu’elle a, sa famille, là où elle a grandi, qu’elle deviendra une personne plus forte.”

Sans déserrer son étreinte, Cyril prend néanmoins garde à ne pas enfermer Harmony et à s’écarter si elle fait le moindre geste pour le repousser. Ses lèvres lui brûlent de réagir sur sa situation familiale à elle, sans savoir si elle l’autorisera à donner une nouvelle fois son avis. Comme souvent, l’hésitation se chasse finalement d’elle-même en quelques secondes, et sa courte pause parait juste assez longue pour trahir sa réflexion.

“Je ne voulais pas sous-entendre que tu ne fais rien, ou pas assez. La faute n’est jamais portée par une seule personne dans un conflit… Mais même sans connaître la situation, je suis au moins d’accord avec toi sur un point; la fuite n’est pas la solution. Elle peut prendre plusieurs formes, par contre.”

De son point de vue, l’attitude de sa petite sœur est également une fuite. Elle refuse la communication, l’échange, n’explique pas plus qu’elle n’accuse. Elle s’enferme. Dans la vraie réalité peut-être, mais elle s’emprisonne tout de même. Harmony semble avoir choisi la voie inverse, mais combien de temps est-ce qu’une telle situation peut durer avant que le déni ne s’impose ? L’adolescent commence à croire qu’une fois arrivé à ce stade, le point de non-retour est atteint. Inquiet tant pour lui-même que pour sa jeune camarade, il la sert un peu plus contre lui.

Cette fois, les bornes étaient dépassées. Les barrières avaient cédé. Subrepticement, la honte s’installait. Depuis qu’elle avait croisé la réprobation du garçon, ce matin, elle ne faisait qu’accumuler les regrets. Les erreurs, la disproportion de ses réactions, le coût de ce sort infect.
Et pourtant, elle avait réussi à s’humilier à nouveau. Cette fois-ci sans l’aide de personne.

Car bien qu’on puisse avancer les arguments d’une matinée éprouvante, de l’interrogation de plus en plus familière de Cyril, elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même.

Où était passée l’apprentie sorcière sage, discrète et raisonnable qu’elle avait toujours été jusque là ? Elle avait, pour une raison inexpliquée, piqué une crise. Loin d’elle, la retenue, le discours implacable, froid et maîtrisé. Sa réaction épidermique la tournait en ridicule.

Et voilà que les écoutilles lâchaient, et que des larmes s’échappaient. Dans quel piteux état elle se trouvait à présent ! Recroquevillée, prostrée, sur un lit d’infirmerie, livide, un bon paquet de gastéropodes grouillant dans une bassine à côté d’elle. Pleurant.
Par Morgane. Heureusement que la main secourable n’était pas celle d’un Serpentard, finalement. Au moins, Cyril, se distinguant par sa naïveté incommensurable, ne risquait pas de vouloir utiliser ces informations contre elle. N’est-ce pas ? Car, on avait beau parler de la solidarité chez Salazar, il n’était pas certain qu’elle résiste à un tel échec dans le maintien de la bonne image de la maison. Ensemble, certes, mais pas en-dessous d’un certain niveau. Et l’attitude d’Harmony ne satisfaisait clairement pas aux exigences de la bienséance Vert et Argent.

Alors qu’elle se lamentait intérieurement sur sa faiblesse, elle sentit Cyril se rapprocher. Doucement, il passa son bras autour des épaules tressaillantes de sa cadette.
Sur le coup, elle n’eut pas la force de résister à cette étreinte. Elle avait fini par enfouir sa tête dans ses bras et redoutait le moment où ses yeux bouffis croiseraient le regard par trop bienveillant du garçon. Elle aurait tellement souhaité pouvoir se rendre invisible. Disparaître à l’instant.

Sans le repousser, elle l’écoutait alors parler de sa soeur. Elle ne pouvait s’empêcher de trouver un écho dans ses propos. Pourtant, elle était incapable de se mettre à la place du grand frère inquiet. Et quand bien même, elle aurait voulu le faire, cela aurait été prendre le risque de reconsidérer sa propre position.
C’était impensable. Dans sa famille, les choses étaient acquises. Et puis, Cyril ne disait pas avoir vécu un quelconque traumatisme dans son enfance, qui aurait justifié les divisions. Or, les disputes chez les Sharen étaient légitimes. Sa rébellion était juste.
Elle était devenue plus forte ici. Avec ses amis, ses alliés. Elle commençait même à se rapprocher d’Yvain Gallant, dont elle était sûre qu’il jouait un rôle à Poudlard, pour la Cause. Mais ça, bien sûr, elle n’avait aucune raison de le dire à l’idéaliste qui se tenait à côté d’elle. Pour sûr, il devait être partisan de la paix.

Sur ses derniers mots, Harmony hochait la tête, et la relevait lentement. Il était peut-être un peu niais, mais non dénué d’intelligence. Elle en voulait pour preuve le fait qu’il ait été d’accord avec elle. Et puis, il était perspicace. Et franc. C’était appréciable.
Elle ne lui répondit que par un sourire et un hochement de tête. Elle devait être pathétique, dans un état lamentable. D’ailleurs, elle sentit que les effets du sortilège n’étaient toujours pas dissipés. Pas complètement.
Elle fit une grimace et s’extrayait de son étreinte pour se tourner vers la bassine une dernière fois. Cette dernière petite limace aurait presque été mignonne, si elle n’évoluait pas sur la masse gluante de ses semblables. Elle est d’un brun plus clair, et minuscule.
Cela arracha un petit rire à Harmony.

Prenant la bassine sur ses genoux, elle la désigna du menton.

- Tu crois qu’elles peuvent survivre combien de temps ? C’est dommage, ce ne sont que des enveloppes métamorphosées, pas des vrais animaux, même éphémères.

Sa moue déçue était sincère.
Harmony avait toujours été passionnée par les animaux et leurs comportements. Depuis qu’elle avait emménagé à Londres, elle trainait dans les pattes de sa mère, au magasin. En bonne partie pour éviter son frère et ses soeurs.
Et là, elle ne voulait plus parler d’eux.