Le papier dans sa main, elle le plia une nouvelle fois et le rangea dans la poche de son gilet. Sans nul doute, une fois qu’elle serait seule, elle le déplierait bien vite. Alycia avait beau se comporter en pimbêche parfois et le récit du bal était entaché d’une mièvrerie toute ennuyeuse - mais elle restait une Serpentarde. Une jeune fille à l’esprit agile et sournois qui nourrissait très certainement une ambition de démiurge. Comme tous ses semblables.
Alors, Harmony avait noté les accents inquisiteurs des questions de son amie. Connaissant son dégoût pour les Moldus, le pas suivant du raisonnement était évident.
Cela la troublait toutefois car, si elle passait un certain temps en compagnie d’Yvain, elle ne se sentait pas être une relation privilégiée de Drago. Son intronisation était toute récente et son caractère discret l’avait rarement menée à exprimer clairement sa volonté revancharde. Tout au plus avait-elle mentionné sa crainte de la technologie mordue - également pour justifier au sein de sa maison son assiduité au cours d’Etude des moldus. Elle n’avait explicité son opinion qu’auprès de rares personnes - même Aston n’en connaissait qu’une partie !
Et puis, le rôle tenu par Yvain dans cette affaire ne devait pas laisser deviner d’emblée ses vues : il était suffisamment moqué pour sa bonhomie joviale par ses pairs. C’était tout le but de la manoeuvre.
Alors le fait qu’Alycia vienne à elle pour se rapprocher de Drago, avec Marie, pour s’aventurer dans l’ombre, l’inquiétait un peu. Alycia était certes spécialement perspicace mais, si elle était capable de pointer le doigt sur les rouages, d’autres le pouvaient aussi. Elle cherchait les pièces charnières de cette machine afin d’y trouver sa place, mais d’autres feraient la même démarche pour les détruire. La peur glissa comme un filet d’eau glaciale sur sa colonne vertébrale.
Elle s’était mise à découvert.
Elle observa avec un sourire figé l’altercation entre Alycia et sa protégée. Il y avait quelque chose d’étrange dans la déférence de Marie pour son aînée. Une froideur perturbante. Certes, la gamine pouvait être agaçante avec sa franchise mal placée, mais ce n’était, au fond, que des réflexes d’enfants qu’elles, jeunes adolescentes trop sérieuses, avaient dépassés quelques années auparavant.
Elle sourit à Marie. Cela montrait au moins sa loyauté à qui voulait bien l’accepter. Et cela pouvait se révéler intéressant.
Plum sautillait sur le bras puis l’épaule de la jeune fille. Selon Marie, il devait avoir faim. En même temps, ces bestioles étaient tout à fait voraces.
“Il a toujours un peu faim, tu sais. Je lui donne des sachets de graine et des morceaux de courge. Mais crois-moi que si je ne le surveille pas, il aura vite fait de manger toutes les friandises sur cette table !” Le Boursouflet, comme s’il avait saisi qu’elle lui faisait un reproche, sautillait de plus belle, lâchant quelques piaillements mélodiques. Cette image détendait un peu Harmony.
Alycia la tira de sa contemplation pour la remercier et s’excuser - l’entrevue était finie, elle avait obtenu ce qu’elle souhaitait.
“Je te remercie. Le coussin était une bonne idée, ainsi que le festin que tu m’as préparé.” Elle n’en avait rien touché des boîtes qu'Alycia rangeait, n'ayant bu qu'un verre de jus de citrouille.
“Oh, très bien ! Elle sera enchantée de rencontrer une de mes amies.” Sa mère ne connaissait pas grand chose de sa vie et c’était Abby, qui amenait toujours des copines à la maison. Harmony se doutait bien que sa mère serait
ravie de voir quel genre de personnes sa fille côtoyait.
Aux dernières instructions assénées par Alycia, Marie répliqua d’un ton acidulé - petite pique joliment enrobée. Harmony se leva et lui adressa un autre sourire. Cette gamine avait du potentiel.
La flatterie qui suivit fit s’élargir encore son sourire - c’était trop gros, mais qu’importe ! Mais elle se figea bien vite à la mention du Maître.
Vite. Très vite. Une diversion.
“Je ne pense pas que Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom veuille d’alliés tels que moi de toute façon, Marie !” Un rire léger s’échappa, comme pour éluder la gravité de l’accusation. Heureusement, la salle commune était relativement calme.
“Et, si je peux me permettre, ne te dévalorise pas quand tu fais un compliment à quelqu’un. Si tu veux construire ta place, il faut que tu montres tes qualités tout en respectant les autres.” Sinon, elle serait bien vite réduite au pion qu’Alycia projetait certainement pour elle.
Les deux jeunes filles parties, Harmony se rassit, Plum sur les genoux, et lâcha un soupir. La tâche allait être compliquée.
***
Plus tard, dans les toilettes, Harmony extirpa le papier de la poche de son gilet. En belles lettres manuscrites, une inscription intrigante était formulée.
Noie-moi dans ton âme.
Certainement que la première étape d’un recrutement pourrait démarrer. Et c’était un lot de deux pour le prix d’une.