Born to die. [PV - Intrigue personnelle]

En sortant dans l’air froid et brumeux de la nuit, après avoir attendu Daphné et Isolde pendant qu’elles réglaient quelques dernières formalités, le petit groupe s’emmitoufla dans leurs épaisses capes avant de rejoindre les portoloins. À la suite d'une énième salutation adressée avec sympathie – du moins pour deux d’entre-eux – à la phénix, ils quittèrent les lieux au profit d’un autre. Pré-au-lard.

Le jeune aristocrate pinça brièvement les lèvres lorsque ses compagnons et lui-même se matérialisèrent dans ledit village. Cette soirée, sans qu’il puisse être capable de mettre exactement le doigt dessus, avait le goût singulier et piquant de la fin. La fuite définitivement avérée de la petite Française ne faisait que lui confirmer cette indélicate impression, à la fois sordide et cuisante derrière les apparences savamment lissées.

Du coin de l’œil, l’ancien Serpentard détailla l’accointance – nouvellement perceptible –  entre sa prétendue fiancée et Blaise. Quelque part, au fond de lui, il se sentait coupable de leur situation et du manque d’alternative que le monde leur offrait. Et, en silence, il ne pouvait guère s’empêcher de tordre sa conscience avec appréhension. Selon toute vraisemblance, plus tôt il parviendrait à se retirer des engagements le liant à Daphné, plus tôt ses deux jeunes camarades auraient l’opportunité de s’épanouir. Tout du moins, c’était ce qu’il espérait. Sincèrement.

Ancré dans une démarche nonchalante et distante, comparable à quelques fantômes éthérés veillant aux bons soins des vivants, Rowan suivit la lente marche de ses interlocuteurs. D’autres pensées, plus sombres et inquiétantes, profitèrent de sa solitude intérieure pour bourdonner au creux de son esprit.

Bon sang. Il devait se concentrer. Chercher la solution et non pas se noyer dans les problèmes. C’était la seule solution possible. Souhaitée.

HRP:

La situation avait tout d’abord été étrange, presque insolite ; mais Daphné s’était rapidement faite à l’idée de marcher entre Rowan et Blaise, se chamaillant avec l’un et sentant le regard, curieux, de l’autre sur sa nuque. Car une conversation particulièrement gênante avait précédé le bal. Le fait de l’avoir évoqué avec lui, brisant ainsi l’un des uniques tabous qui s’étaient formés entre eux, lui avait sans doute permis de s’accommoder à cette situation plus rapidement qu’elle ne l’aurait cru.

Protégée de l’air frais de février par sa cape, sa robe ensorcelée pour qu’elle flotte à quelques centimètres du sol – évitant ainsi de l’abîmer sur le sol humide de brume – Daphné tentait de ne pas rire aux remarques de son camarade. Parce que l’idée que la soirée se soit si bien déroulée l’égayait, et son regard amusé se tournait régulièrement vers son fiancé, tentant de l’inclure dans la conversation, espérant y voir autre chose que cette souffrance maîtrisée qu’il affichait depuis des heures maintenant. Mais elle n’y décelait rien d’autre – et cette vision tordait légèrement son sourire à chaque fois.

« Blaise, sérieusement » souffla-t-elle, sa voix résonnant pourtant dans le silence de Pré-au-lard. « Quand est-ce que tu vas enfin me rendre mon livre ? »

Et elle sentait sa baguette de noyer noir, glissée dans la poche intérieure de sa cape, contre son cœur comme si cela allait changer quoi que ce soit ; comme si elle allait recommencer à palpiter à chaque fois qu’elle s’en servait – comme si elle allait finalement sortir de son mutisme insoutenable. Mais cela n’était pas le moment d’y penser.

Il était plus sage de profiter des derniers instants où elle verrait Rowan, car leurs entrevues étaient si courtes et espacées, si précieuses. Profiter de ces instants où personne ne pouvait l’épier alors qu’elle parlait à Blaise.

Blaise se tenait avec assurance dans les rues Pré-au-Lard, ceinturées de brouillard compact. Son lourd pardessus noir négligemment ouvert sur son costume, sur sa chemise blanche, & sa nuque offerte à la morsure du vent, aussi violente que de l’eau glacée sur sa peau tiède dans la nuit de l’hiver. Fiévreux & indolent, lénifié par les verres de punch brûlant de sucre & la proximité de Daphné Greengrass, souriante & ravissante à sa gauche.

« Je n’ai pas encore fini le chapitre 12 », se défendit-il sans conviction : le crépitement de son rire heurtait le rythme ponctuel de l’écho de leurs pas sur le pavement humide. « Vas-y, est-ce qu’Aidan arrive a récupérer l'épée maudite ? »

Glissant son regard sur Rowan Westminbrook lorsqu’il pensait que celui-ci ne le voyait pas, avec la pudeur que l’on adresse aux accidentés - aux corps malades & brisés : car quelque chose s’était brisé chez Rowan Westminbrook depuis « la fois précédente » (car ainsi convenait-il de désigner avec sobriété le terrible marasme du banquet de noël!)...semblait-il.  « Quelque chose » qu’il n’identifiait pas - quelque chose qui était subtil et presque imperceptible, à la façon dont les miroirs fendus peuvent offrir un reflet presque parfait lorsque l’on ne s’attarde pas à les contempler ;  « quelque chose » qui s’extirpait par le dessous de ses traits tirés ; dans la façon dont Daphné se détournait vers lui avec obligeance.

(Bienveillance ? "Compassion" ?)

Blaise se souvenait confusément de ce qui lui avait été indiqué a sujet du décès de Madame Travis, quelques semaines plus tôt.
De la manière dont Roman Westminbrook avait été associé à ce décès.

...Mais Blaise était un peu distrait ; désinvolte & ravi dans le soir de février - aussi, rien de tout ça n'était encore véritablement un problème.

La réponse et le rire de Blaise la firent sourire, car il avait beau toujours se défendre d’aimer cette « soi-disant forme de littérature », il n’était pas plus convaincant que lorsqu’il tentait de dissimuler cet intérêt fiévreux pour les runes ; et les années écoulées entre eux avaient fait qu’elle n’était plus dupe de ce genre de choses.  Généralement.

« N’essaye pas de m’extorquer des informations » répondit-elle, amusée. « Tu n’as qu’à lire plus rapidement. »

Rabattant sa capuche sur ses cheveux blonds lorsqu’elle sentit la morsure glacée d’un flocon dans sa nuque, le regard caressant paresseusement les maisons du village, Daphné suivait le mouvement de ses deux camarades vers Poudlard sans trop se préoccuper de la situation dans laquelle ils étaient. Et c’était sans doute pour cela qu’elle ne remarqua pas immédiatement la silhouette lorsqu’ils tournèrent à l’angle d’une rue ; parce que Daphné, si anxieuse et vigilante, n’abaissait sa garde qu’en présence d’une seule personne. Que pourrait-il lui arriver tant que Rowan était là ?

Au bout d’un moment, pourtant, la pâleur de ce visage si chéri finit par attirer son regard, ensorceleuse et tragique. Manquant de trébucher tant elle s’arrêta subitement, raidie par la démarche hagarde d’Astoria – car elle n’aurait jamais pu confondre ce visage avec celui de quelqu’un d’autre ; même dans la brume, la nuit, la neige. Même en considérant qu’Astoria était censée être au château avec Hope, qu’elle n’avait rien à faire ici. Même si elle portait le manteau perdu de Blaise – ce manteau qui lui évoquait le karité et cette soirée du nouvel an, et cette gamine, et le début de ses problèmes.

« Astoria ? » fit-elle, la voix tremblante, comme si une partie d'elle-même refusait d'admettre ce qu'elle était en train de voir.

Preuve du tragique de la situation ; Daphné n’appelait jamais sa sœur par son prénom complet. C’était toujours Tori, Astra parfois – car cela lui évoquait leur enfance, lorsqu’elle lisait des contes à sa sœur, et qu’elle pensait que si tous devaient la connaître sous un surnom, elle aurait le sien. Une façon d’éviter les discussions houleuses avec leur mère, qui ne comprenait pas le choix obstiné de sa cadette.

Et Daphné s’avança vers sa sœur, car c’était ce que tout son corps réclamait ; d’aller vers la personne la plus importante pour elle, couverte de sang et de bile, sans prêter attention au vide son regard, à cette expression inhabituellement lisse qu’elle affichait. Les yeux bruns de Daphné se posèrent alors sur les mains d’Astoria, et ce qu’elle avait cru être des gants déchirés étaient en fait quelque chose de bien plus incongru et impossible. Du sang.

Et si une autre main, puissante et n'admettant aucune protestation, ne s’était pas abattue sur son bras, Daphné serait déjà auprès d’Astoria. De sa moitié.

« Qu’est-ce qui te prend ? » jeta-t-elle à Blaise, qui l’empêchait d’aller rejoindre sa sœur, visiblement blessée, en danger.

             
« Et bien j’ai été un peu occupé, tu vois - » souriait-il avec arrogance; bientôt contraint de s’interrompre car Daphné avait détourné les yeux dans un sursaut hâtif.

La silhouette frémissante qui déchirait le brouillard opalin, il ne l’avait pas immédiatement identifié comme étant celle d’Astoria Greengrass : car il semblait inconcevable d’imaginer seule dans les rues de Pré-au-Lard, en ce soir d’hiver, la jeune fille - intrépide, certes ; mais lectrice, comme le tout Poudlard, de La Gazette, estampillée ces derniers jours de titres scabreux - de « faits divers » sordides, qui arrachaient à Blaise des haussements de sourcils dubitatifs lorsqu’il les parcourait distraitement le matin.

S’était obligeamment redressé - perplexe, irrésolu ; et puis méfiant & tendu ; pourtant, lorsque l’apparition qui s’approchait offrit son visage blafard & atone à la lumière dorée des réverbères, il réalisait avec la rudesse d’un spasme que le regard vide qui les dévisageait avec apathie était celui de la fiévreuse jeune fille. Que ses doigts étincelants de sang vermeil & poisseux étaient ceux d’Astoria Greengrass. Et que la zibeline qu’elle portait sur ses épaules...

Blaise se détourna vers Daphné, mais Daphné déjà, se pressait vers sa soeur ; et, après avoir balayé du regard les alentours - après avoir posé les yeux sur Rowan, confus & nerveux - il refrénait précipitamment son mouvement, avec une brutalité dont il n’avait jamais fait preuve à l’égard de Daphné Greengrass - dont il n’aurait jamais fait preuve s’il ne s’agissait pas d’une urgence ; car il s’agissait, bien sûr, d’une urgence ; ancrant ses doigts à son bras, feulant, « Attends », comme si cela faisait sens d’exiger de Daphné Greengrass, dont la voix s'était brisée, l’impassibilité, alors que sa soeur, devant eux, leur offrait le désolant spectacle de son corps blessé, suintant de fiel & ruisselant de sang !

...Extirpant d’un même mouvement sa baguette de son pardessus.

(Car il n’était pas sans ignorer que celle de sa partenaire de potions était, ainsi qu’elle le formulait élégamment, « défaillante ».
Expliquant qu’elle avait des « scarabées à ranger » - qu’elle n’attendait rien d’autre qu’une preuve de ses talents en potions - plutôt que d’user de sa propre baguette, atone & gisante comme une vanité - & puis se dérobant à regard. Hasardant occasionnellement qu’il lui faudrait passer la faire revoir, peut-être - l’air impassible.)

«  Attends » , répéta-t-il, la voix rauque, pressante – glissant son regard vers Rowan alors que son souffle dessinait des volutes lactescents dans l'air glacé, «  On ne sait pas - » s'il s'agissait d'Astoria Greengrass – car ce pardessus disparu, il ne lui appartenait pas de le porter, bien sûr ; s'il n'était pas dangereux d'approcher l'enfant vacillante & hagarde, comme il était dangereux d’extirper un somnambule du sommeil ; de déplacer un crâne blessé ; s'il n'errait pas loin quelque chose – quelqu'un - enfoui dans le brouillard compact  ; avec défiance, il dévisageait la jeune fille qui approchait « -  ce qui est arrivé. »

& pour le savoir -- fallait-il attendre de la jeune fille quelque chose ? Il avait porté Daphné à sa hauteur et se tenait armé.

Pouvait-il seulement s’attendre à une rencontre semblable, dans l’air froid et pesant d’une nuit de février ? Difficile à dire. Alors qu’ils avançaient de concert vers cette rue où rien ne paraissait – de prime abord – menaçant, les pensées du jeune aristocrate s’attachèrent à quelques chimères et inquiétudes nécessaires. En dépit de la délicate félicité issue des festivités de la Saint-Valentin, à des lieues pourtant des crispations de son armature, il ne pouvait guère s’empêcher de songer à la suite. Aux missions qui s’intensifiaient, aux risques encourus lors de celles-ci et aux conséquences potentielles de ses actes. Bon sang. N’avait-il donc pas le droit de prétendre à un peu de paix ?

De toute évidence, ce ne serait pas pour ce soir.

Un vague mouvement, au loin, avait attiré avec retard son intérêt. Rowan n’escomptait pas s’y intéresser davantage si la silhouette de sa promise ne s’était pas abruptement immobilisée. La raideur soudaine des membres de cette dernière piqua sa conscience et sa vigilance, au point qu’il porta avec plus de concentration son regard vers la présence inattendue devant-eux.

Astoria.

Une infime impression, glaciale et désagréable, glissa le long de sa nuque. Son corps s’en trouva lui-même aux aguets, les membres tendus et les lèvres pincées. Qu’étaient-ils tous trois en train d’observer ? Ne se noyaient-ils pas dans un cauchemar commun, un onirisme de piètre goût ? Était-ce une plaisanterie de Zabini ? Un rapide coup d’œil vers ce dernier confirma irrémédiablement le contraire. Son cadet était tout autant sur le qui-vive que ses propres forces.

Daphné voulut quitter leur proximité pour s’aventurer auprès de sa sœur. Leur tant aimée Astoria. Les mains pleines d’un sang séché et presque irréel. La bile jaune et luisante sur ses étoffes.

Blaise eut le réflexe vif et brutal de retenir leur blonde compagne. Une violence empreinte d’un instinct de survie primaire, bestial, qui poussa l’ancien Serpentard à prendre position. D’un geste prudent, quoi que trahissant une précision devenue amèrement trop coutumière depuis deux mois, il dégaina également sa férule d’orme.

Ses iris glissèrent de nouveau vers Blaise. Piquées d’un trouble soucieux, qui invitait et soutenait la modération du sixième année. « En effet. » Il ne s’y attarda guère, préférant conserver toute son attention vers l’adolescente hagarde.

D’une voix maîtrisée, ne laissant filtrer aucune émotion tangible, Rowan répéta la question fébrile de sa fiancée. « Astoria ? »

Par tous les dieux de ce monde, qu’étaient-ils en train de vivre ? D’un mouvement précautionneux et lent, le Sinistros formula un lumos vers leur cadette. La faible luminosité dans leur dos ne suffisait pas à détailler suffisamment les alentours, et, surtout, l’air complètement absent de leur protégée. Devant cette nébuleuse distante et perdue, son cœur se serra silencieusement.

Elle ne voulait pas attendre. Elle ne pouvait pas attendre.

Mais la pression que Blaise exerçait sur son bras était douloureuse, inédite et inattendue ; sa voix voilée, brutale, qui tentait de ne pas lui laisser le choix, la fit se figer. Car il était inhabituel que Blaise se conduise ainsi avec elle, qu’il tente de lui imposer quoi que ce soit – et c’était sans doute pour cela qu’elle l’avait toujours apprécié. Suivant sa main du regard alors qu’il dégainait sa baguette, médusée par la situation et tous ces évènements incongrus, son cœur battant trop fort et trop vite, lui donnant une impression momentanée de surdité.

Et la question de Rowan, jumelle de la sienne, lui fit relever les yeux, s’hisser sur la pointe des pieds pour tenter de voir quelque chose derrière la carrure du sixième année. Mais cet éveil, partiel, ne fut qu’une petite secousse, comparé à ce qui l’attendait. La voix qui s’éleva, douloureusement familière, craquela la brume de panique qui s’était formée dans son esprit ; « Daphné. »

Se dégageant avec force de la poigne de Blaise, l’adrénaline brûlant ses veines et la fine peau diaphane de son visage, Daphné le dépassa pour être certaine que rien ne l’entraverait. Franchissant la distance entre sa sœur et elle, la vision d’une Astoria fantomatique qui étalait du sang sur son visage alors qu’elle tentait d’éponger ses larmes ne faisant qu’affûter sa détermination – elle ne pouvait pas la laisser ainsi. Le cri qui retentit, trouant le silence de la nuit d’une façon obscène, ne la fit pas s’arrêter. Le second, en revanche, fit s’emballer son rythme cardiaque alors qu’elle posait les mains sur le manteau de Blaise.

Les étoiles bleues lui brûlèrent la rétine. L’odeur métallique du sang lui incendia la gorge. Le regard désespéré d’Astoria…

« On s’en va » murmura-t-elle, comme une promesse. Sauf que Daphné ne faisait pas de promesses.

La saisissant par les épaules, la forçant à avancer tout en la soutenant au niveau de la taille, la Serpentard faisait fuir sa sœur ; car c’était la seule option possible. La mettre hors de danger était la seule idée qui occupait son esprit, et les cris étaient un danger pour Astoria. Quelles qu’en soient les causes. Elle ne devrait pas être ici, et surement pas hagarde, vêtue de ce manteau de zibeline, les mains blessées et la conscience frémissante.

Passant entre Blaise et Rowan sans s’arrêter, le pas vif, sa baguette inutile semblant soudainement avoir retrouvé sa légèreté, Daphné entraînait Astoria vers les ruelles de Pré-au-Lard, le plus loin possible de l’agitation.

L’affliction exprimée sur le visage laiteux de l’enfant eut raison de sa résolution.

(Astoria Greengrass - qui n'était pas une serpentard ; mais avec qui "il n'était pas trop humiliant d'être vu en public", s’amusait-il.)

Aussi, il demeurait indécis lorsque le cri déchirait le silence : puis il y eut des pas sur le pavement humide ; des cascades de gémissements fébriles dans la nuit.
Blaise posa silencieusement son regard sur les mains d’Astoria, pourpre & lisses comme si elles avaient été gantées par de la soie brillante ; et bientôt il devait se résigner à lâcher sa prise sur le bras de Daphné, impétueuse, électrisée par la fougue.

« Daphné - » feula-t-il, sa voix rauque & basse ; car crier aurait été une erreur ; car crier aurait été tout aussi vain ; les deux jeunes filles se dérobaient dans la nuit drapée de brouillard, le pas affolé à la manière de ceux d’une biche blessée & folle, dont les sabots résonneraient en clappements secs & précipités.

(Attirant sur elles l’attention peut être de la foule farouche & circonspecte - écœurée comme l’on pouvait l’être devant l’indicible.)

« Sa baguette », murmura-t-il en levant ses yeux sur Rowan, fiévreux, tendu & pressé, « Elle ne fonctionne pas, putain.»

Frustrante, cette urgence !...et la conscience du fait qu’aucun d’entre eux ne s’extirperait d’ici sans la jeune fille qui était, ou n’était pas, Astoria.

Daphné ne le permettrait pas.

Car le fantôme échevelé emmitouflé de zibeline pouvait être Astoria - comme il pouvait être une autre chose qui aurait pris l’apparence d’Astoria ; ou comme une autre chose aurait pu prendre à Astoria son apparence, à la manière dont l’on peut habiter une marionnette.

Car le fantôme échevelé, ses mains étaient ruisselantes de sang ; et que ce sang n'était pas le sien.

Car le fantôme échevelé, il était recherché.

Secouant la tête, résigné, il s'engouffrait à la suite des soeurs Greengrass dans les artères nébuleuses de Pré-au-Lard.

Daphné.

La voix brisée et tremblante de leur cadette, qui s'échinait pourtant à formuler le nom de sa sœur avec douleur, lui fissura pernicieusement le cœur. À quel point la situation exigeait-elle qu'ils se montrent si froids et hostiles, à l'égard d'une enfant – aujourd'hui un début de femme – dont ils connaissaient la moindre frayeur ? La plus petite once d'innocence et de douceur ?

Aux perles salées et aux traces carmins, s'ajoutaient désormais l'éclat violent et percutant de la terreur. Il voulut baisser sa garde et aller la récupérer, poussé par un instinct fraternel qui lui broyait littéralement les entrailles, mais sa conscience se montra diablement inébranlable. Les échos du danger, cerclant les environs avec une sombre fureur, ne pouvaient que confirmer ses appréhensions.

Alors que Rowan et Blaise se refusaient à fléchir, face au doute, leur blonde compagne profita d'un instant de faiblesse pour céder à l'urgence. Elle abandonna la sécurité au profit de sa chair et de son sang, semblant prête à tout pour la préserver. Une réaction légitime. Que seule la prévenance glaciale de la survie – celle inculquée de force par ses aînés – parvenait à refréner.

Le jeune aristocrate pinça les lèvres, avant de darder son regard vers son camarade. Zabini.

Une baguette non-fonctionnelle ? Inutile ? « Ce n'est clairement pas une bonne chose. » Cette fois-ci, sa voix s'était muée en un sifflement plus qu'en des paroles. Témoignant de la montée flagrante de la tension dans ses veines. Il n'eut guère le besoin de détailler davantage sa pensée. Tous deux, en dépit de leurs précédentes discordances, se comprenaient.

D'un mouvement lent et précautionneux, il emboîta le pas à Blaise. Ses iris glissèrent sur le dos de leurs protégées, avant de se porter sur les alentours. Le cri, au loin, laissait présager du pire. Tout comme le sang. La bile. Les larmes.

Mieux vallait qu'ils quittent les lieux. D'un geste du menton, l'ancien Serpentard désigna à son confrère de mésaventure qu'il gagnait la proximité de sa fiancée. Une fois à sa portée, il souffla quelques mots à voix basse. Suffisante pour eux quatre. « Daphné. Quel est ton plan ? » Face à eux, dans les ténèbres, la terrible réalité s'animait d'un rire moqueur. Car, toute l'ironie de la situation n'était-elle pas qu'ils agissaient à l'instinct ? Que, de plan, ils n'en avaient que des mots ?

Les pleurs d’Astoria avaient toujours été la chose la plus difficile à supporter pour elle. Bien plus que les manies désagréables des grands-mères Sang-Pur qui croyaient que tout leur était dû, aux ongles acérées comme des serres et à la langue pendue ; que les conversations laborieuses et péniblement enflammées qui revenaient sans cesse aux repas de famille, et qui avaient toujours traits au comportement de sa sœur, à la guerre, au Seigneur des Ténèbres.

Tout cela n’était rien comparé à sa façon de trébucher, de s’accrocher à elle comme si elle était la seule chose qui pouvait la maintenir debout – et du coin de l’œil, Daphné la voyait lever sa main devant son visage, hypnotisée par le mouvement de sa main qui s’ouvert et ses fermait, par les tendons et les muscles qui coulissaient et se serraient sous sa peau. Sous le sang pourpre et brillant.

Daphné devait lui enlever ce sang.

La question de Rowan, légitime, lui fit pincer les lèvres – car elle ne savait pas, pour le moment, comment y répondre. Elle n’avait pas de plan. La situation était trop confuse, trop proche de ses peurs les plus puissantes pour qu’elle ait déjà réussi à savoir quel était le meilleur chemin à emprunter.

« J’y réfléchis encore » avoua-t-elle à mi-voix. « Mais ce qui est sûr, c’est qu’elle ne peut pas rester ici. »

Ne s’arrêtant de marcher qu’une fois que les voix et l’agitation parurent lointaine et étouffées par la distance et les bâtiments, elle saisit finalement sa sœur par les épaules, liant brièvement son regard au sien – elle n’était toujours pas revenue. Saisissant sa baguette de noyer noir dans un réflexe, l’agitant en murmurant, une seule question occupait pourtant son esprit, embrasant sa conscience et empourprant ses joues ; qu’est-ce qu’on avait fait à sa sœur ?

« Tergeo. »

Et il ne se passa rien. Bien entendu. Le battement, la palpitation qu’elle ressentait autrefois au cœur de sa baguette s’était éteint depuis des jours, maintenant – quittant la fluctuation pour quelque chose de plus… Définitif. Elle retenta le sort par désespoir, avant de se détourner vers ses camarades d’infortune, l’expression si neutre et maîtrisée qu’elle en devenait douloureuse ; car sa mâchoire était si crispée et ses yeux si gonflés de lutter contre des larmes de rage.

« Est-ce que tu peux le faire, s’il te plaît ? » demanda-t-elle en regardant Blaise, sa baguette inutile pendant misérablement au creux de sa main droite.

Astoria était en dangeret elle ne pouvait rien faire pour l’aider. Alors elle se tourna vers Rowan, sans lâcher sa sœur de son autre main, car elle devait sentir que quelqu’un était là pour elle ; qu’elle ne la laisserait jamais tomber. Elle ouvrit la bouche pour le supplier de l’aider, d’emmener leur cadette loin de Pré-au-Lard, de transplaner avec elle pour la mettre à l’abri ; mais elle ne pouvait pas se résoudre à l’abandonner alors qu’elle semblait si perdue et chétive. Les mots ne franchirent pas ses lèvres.

Reportant toute son attention vers elle, la gorge serrée et les battements de son cœur devenant lancinant, elle tenta de la rassurer ;

« Tori ? » sa voix, basse et douce, tentait d’être la plus rassurante possible malgré son malaise. Car sa sœur était en état de choc, et couverte de sang. « Tout va bien, tu es avec Rowan, Blaise et moi. Tu te souviens comment tu es arrivée à Pré-au-Lard ? »

Les silhouettes des jeunes filles, cassées par leur marche maladroite, s’enfonçaient dans la brume à l’instar d’une flamme vacillante. Et comme si elles les semaient de leurs pas, la ville s’éveillait en cris.

C’est au sein de l’enfoncement d’une rue sombre que Daphné choisit d’interrompre sa marche fiévreuse - une rue toujours paralysée par le sommeil lourd des nuits d’hiver...semblait-il. Car la brutalité de la situation lui donnait les allures d’une pièce de théâtre, où tout demeurait irréel, chimérique - “abstrait”...et nébuleux : le canevas ne leur appartenait pas.

Et comme c’était inquiétant ! Blaise était inquiet, et il était agacé, fébrile, comme il le devenait lorsqu’il était inquiet - lorsqu’il ne comprenait pas ; lorsqu’il se heurtait avec une fièvre obstinée à l’insondable - la signification d’une rune alambiquée ; une situation à laquelle il lui manquait des clés ; à la confusion et à l’inattendu. Aussi, si Rowan conservait son implacable froideur, lui considérait les deux jeunes filles avec urgence,  brûlant d’impatience.  

...s’inclinant pourtant à l’apostrophe de Daphné Greengrass, parce qu’il n’avait jamais su refuser à Daphné Greengrass quelque chose - et il en avait une conscience douloureuse ; d’une façon identique à celle d’un blessé, qui s’efforce vaillamment de dissimuler aux regards navrés/inquisiteurs du monde un handicap terrible. Vainement : car si Blaise secouait la tête, désapprobateur, contrarié, il s'exécutait pourtant - offrant à Rowan un regard résigné - emprunt d’humilité - articulant «Tergeo », et ôtant le sang pourpre qui poissait les mains d’Astoria et le manteau de Daphné, les empreintes qui s’étaient imprimées dans la neige, sans savoir quel était cet indicible secret qu’il dissimulait.
De quel secret il se rendait le complice - ce "secret" qui extirpait des hurlements à la nuit.

Considérant avec confusion la jeune fille éplorée, enfouie dans la fourrure noire & brillante du lourd pardessus.
Le sien - car peut-être n’était-ce pas Baddock, qui s’en était emparé ce soir-là.

(il avait tenté de le confronter, bien sûr - s’enquérant de ses relations avec “l'aînée Greengrass”, feignant le détachement, une connivence paresseuse. Mais Malcolm avait semblé perplexe - déconcerté - voir un peu heurté par sa question. « Quoi ? Daphné ?...» s’était-il étonné ; « Daphné est fiancée à Rowan Westminbrook - je ne “m’intéresse pas” aux filles fiancées ». Avait suggéré avec hésitation, à la manière d’un conseil, comme pour apaiser l’agacement sur le visage de son aîné ; « Peut-être devrais-tu en faire autant, Zabini.»
Mais, non sans lui jeter un regard noir, Blaise avait été contraint de le délaisser ; Harmony pénétrait dans la salle commune, a l’instar de quatrième années qui achevaient leur journée de cours.)

« Daphné, ce n’était pas Malcolm », réalisait-il, pressant, alors que la jeune fille, penchée sur sa sœur, s'enquérait des raisons de sa présence à Pré-au-Lard. Se détournant, impérieux, vers Rowan - sans savoir ce que cette sinistre conclusion impliquait exactement. Sans savoir le sens que Rowan pouvait extirper de cette déduction.

Alors qu’ils s’enfonçaient toujours plus au loin, tentant – vainement – de s’éloigner du chaos nocturne et menaçant, le jeune aristocrate accentua la pression de ses doigts sur l’orme de sa baguette. « Je partage ton impression, Daphné. » Il pinça de nouveau – une énième fois maintenant, en vérité – ses lèvres en une fine ligne anxieuse. « Nous ne pouvons pas la laisser ici, quoi qu’il soit arrivé... Et quoi qu’il risque d’arriver, désormais. » Au loin, s’ajoutait d’autres voix à la toute première.

Ses iris pâles, glacées par l’inquiétude étouffée ordinairement par son armature, se posèrent tour à tour sur ses deux sœurs de cœur. Lourdes d’une affection profonde, qu’il muselait en cet instant à cause de l’urgence et de la précarité de leur sécurité. Car, que pouvait-il se tramer ici bas, si ce n’est du danger ?

Ancré dans une nonchalance protectrice et tendue, prête à se rompre au moindre signe d’agression, Rowan laissa son regard glisser vers la férule de noyer noir. Vide. Futile. Par respect et empathie, il s’abstint du moindre mot, se permettant seulement de suivre la valse du désespoir entre leurs doigts crispés et leurs soupirs réprimés.

Toujours engoncé dans un silence précautionneux, l’ancien Serpentard sentit ses entrailles se fendre et geindre d’un mal trop familier. Il souffrait de voir ainsi Astoria, hébétée et perdue, et sa promise, en passe de se perdre dans la brume de l’incertitude. Certes, son corps leste et maîtrisé ne laissait strictement rien transparaître d’un quelconque trouble... Mais, ne se connaissait-ils pas depuis trop longtemps pour se fourvoyer ainsi, l’un et l’autre ?

La voix pressante – et étrangement agitée – de Blaise attira son attention froide et calculatrice. Malcolm. Un fallacieux prétendant. La rage sourde de ces dernières et obscures semaines, s’agita dans les tréfonds de son âme. Elle ne perça pas dans sa voix, il se contrôlait bien trop maintenant qu’il s’agissait de survie et non plus de mièvres facéties sentimentales, tout en restant quiète et patiente dans ses veines.

Aux sueurs sibyllines de son cadet, il répondit d’un ton lent et cruellement détaché. Celui derrière lequel se dissimulait, non sans un rictus malveillant, le sifflement intimidant et irascible d’une puissance pleine de ténèbres. « J’en viendrais presque à souligner l’évidence même. » Ses iris glissèrent sur les environs, vérifiant que l’agitation se restreignait à la zone qu’ils évitaient ardemment. « Aucun de nous est en sécurité ici, et je doute très fortement que les hurlements qui bercent la nuit d’une douce symphonie, ne nous soient pas liés. N’est-ce pas ? »  Trop de choses se mêlaient les unes aux autres pour qu’ils ne perçoivent pas à quel point... Cette nuit présageait du pire.