Born to die. [PV - Intrigue personnelle]

Les murmures frémissants d’Astoria – « Dany » – l’empêchaient de prêter attention aux mouvements et aux éclats de voix, au loin. Car toute son attention était braquée sur le visage cireux de sa sœur, ses lèvres tremblantes et ses yeux vitreux à force de retenir les larmes – comment aurait-il pu en être autrement ?

La voix de Blaise, pourtant, et la mention de Malcolm attirèrent son attention. Car le souvenir de cette rencontre était encore vivace dans son esprit, attisant parfois une colère aussi brûlante que sa peur était exaltante. La terreur n’avait pourtant jusque-là jamais paralysé Daphné ; sa tête demeurait froide, calculatrice en toutes circonstances, et son anxiété l’avait toujours poussée à tout prévoir – Daphné avait toujours un moyen de s’échapper.

Mais pas ce soir-là. Il fallait sans doute qu’une de ses peurs les plus secrètes et légitimes se réalisent pour que ses mains soient aussi agitées que son esprit ; insaisissables. Touchant sans cesse les épaules d’Astoria comme pour s’assurer de leur véracité. Comme si elle allait soudainement s’évaporer entre ses doigts comme la buée qui s’échappait de sa bouche. Astoria n’avait aucune raison de se trouver ici. Alors elle examinait ses poignets à la recherche des blessures qu’elle avait attendues depuis que sa cadette était apparue dans leur champ de vision, peinte de sang et de bile.

Elle n’en trouva pas.

L’intervention de Rowan, loin d’être rassurante, lui fit pourtant cesser ses mouvements frénétiques causés par la brume de panique qui commençait à envahir son esprit – sa raison. Car ce sang avait bien une raison d’être là. Souillant l’air de son odeur métallique de rouille et de sel.

Elle l’écouta avec attention, se laissant apaiser par sa façon si caractéristique de parler, par les habitudes que cela lui faisaient se remémorer. Avisant ce qu’il disait – une part d’elle-même désirait s’insurger à l’idée qu’Astoria ait quoi que ce soit à voir avec les hurlements, la panique et ces étoiles bleues lugubres comme un mauvais présage, mais… Savoir que quelque chose n’allait pas signifiait qu’elle allait devoir prendre une décision.

Nier. Ou faire quelque chose.

« Transplane avec elle. »

Et sa voix s’était assurée, ses tremblements avaient cessés, elle dévisageait Rowan avec une assurance retrouvée ; car il y avait-il une autre option ? S’enfuir un peu plus profondément encore dans le déni dont elle s’entourait comme s’il s’agissait d’un châle particulièrement épais pour se protéger du froid de l’hiver n’avait plus aucun sens, maintenant que sa sœur étant en danger.

« Blaise et moi rejoindrons Poudlard par nos propres moyens.  Astoria ne peut pas rester là. »

Car Astoria passerait toujours en première ; Rowan aussi, sans doute possible. Et si jamais la situation était plus grave qu’elle l’imaginait, au moins les deux personnes sans lesquelles elle ne serait plus tout à fait complète seraient en sécurité.

« Je vais juste prendre ça » fit-elle en passant délicatement sa main dans les poches du manteau, attrapant avec précaution ce qu’elle cherchait – la baguette au bois si clair qu’il était presque blanc, si différente de la sienne. La baguette de tremble d’Astoria. « Au cas où. »

Et, après avoir jeté un simple sortilège de lévitation pour s'assurer que la baguette lui obéissait, elle guida délicatement Astoria vers son fiancé – vers son frère. Le seul à qui elle accepterait de confier quelqu’un de plus précieux que sa propre vie. Apposant simplement sa main sur son bras et liant son regard au sien pour exprimer sa gratitude infinie envers lui, puis recula pour lui laisser l’amplitude nécessaire pour transplaner. Laisser Astoria partir était une vision si douloureuse qu’elle en détourna le regard, liant sa main à celle de Blaise d’un mouvement maladroit, comme toujours – mais assuré.

Et elle ne perdit pas son assurance en se dirigeant vers Poudlard – vers les cris, vers l’agitation qui troublait le village. Elle qui l’avait tenu à l’écart pour ne pas s’écrouler sous le poids d’une nouvelle dette, s’accrochait un peu plus à lui encore, glissant son bras au creux du sien, car l’attroupement des quelques passant était funeste. Car les dettes qui la liaient à Rowan étaient déjà immenses, de toute manières. Car la présence de Blaise était rassurante.

Blaise se détourna avec irritation vers Rowan - tout à fait agacé ; heurté par son flegme ; &, le jaugeant avec insolence, dans un sourire de confusion matinée de dérision, il feula ;

« Attends - une “douce symphonie”? Non mais de quoi tu parles - » Contraint au silence, soudain : Astoria s’extirpait de sa torpeur comme l’on s’échappe de la noyade -  essoufflée et transie, secouée de hoquets mouillés.

Et Blaise soutenait difficilement le regard indécis de la jeune fille sur lui, comme s’il l’eut agressé en posant ses yeux sur son visage effarouché. Embarrassé par la souffrance lorsqu’elle était aussi viscérale, aussi crue et brutale qu’une lumière trop vive.

Observant Daphné manipuler son corps frêle. Assurée, mais avec une précaution similaire à celle avec laquelle on embaume les dépouilles raidies.

Un soulagement que la disparition de ce corps ! Car Astoria n’avait rien à faire ici. & rien eu à y faire - où, en tout cas, il était plus aisé de le prétendre à présent que la rue était vide de sa silhouette défaite et qu’ ils n'étaient rien d’autre qu’un couple d’adolescents drapés de vêtements onéreux au milieu des artères compactes de brume.
Blaise offrit son bras à Daphné et si elle demeurait composée - Daphné Greengrass, assurée & froide & implacable, l’était souvent - la main crispée qu’elle y portait traduisait son malaise.

« Hey », murmura-t-il, en se penchant distraitement à son oreille, « Elle ne risque rien, avec Westminbrook.»

Il était un mauvais menteur mais ce n’était pas un mensonge - car Blaise en était convaincu, par le dessous de la mauvaise foi et de la frustration et du ressenti.  De la jalousie, qui marquait son esprit à l’instar des cicatrices d’une brûlure toujours cuisante.

« Je veux dire - ils seront OK », assura-t-il, comme si l’identité d’Astoria n’avait pas d’importance - comme si l’identité qu’avait pu prendre Astoria, un bref instant, avant de la laisser hagarde & confuse, n’avait pas d’importance - car aux yeux de Daphné, savait-il, elle n’en avait aucune - car Daphné avait préféré soustraire à la foule horrifiée sa sœur aux mains crispées. Souriant avec insolence - comme l'on s’efforce de distraire un enfant avant de forer d’une seringue la toile de sa peau - comme l’on s’efforce de distraire un enfant qui appréhende la douleur - avant la douleur ; « Il va lui réciter des poèmes au sujet du clair de lune, je le sens inspiré.»

(& il demeurait concentré en vérité, la mâchoire serré & le regard grave, parce qu’à la manière dont l’on sait où se rendre sans en être capable, il devinait que la vérité que traduisaient les cris horrifiés, sans toutefois pouvoir en estimer l’ampleur, sans toutefois savoir comment la lier a ce pardessus qui lui avait été dérobé & à ce type qui hantait Poudlard en empruntant son apparence frelatée, était terrible & écœurante & que Daphné près de lui n’y pensait pas encore car Daphné pensait à la détresse qui froissait le visage candide de sa soeur avant de penser au sang, poisseux & pourpre, et à la provenance du sang.

Mais si Daphné prétendait être impassible, il pouvait prétendre être désinvolte alors qu’ils gagnaient la rue secouée de plaintes.)

Assurément que les allégations qu'il se permettait de tenir en ces instants fébriles et incertains, risquaient de lui attirer quelques discordances de la part de ses compagnons. La constatation glaçante et détachée, formulée au-devant de leurs consciences éprouvées sans velours ni draperies précautionneuses, ne pouvait que provoquer de telles réactions.

Pour toute réponse au feulement de Blaise, le jeune aristocrate lui adressa un regard pour le moins singulier. Perçant. Sombre. Y luisait, d'une lourdeur brûlante, le déploiement d'une détermination implacable et nécessairement distante. Trop pragmatique. Pleine d'un lyrisme sordide, déployé comme une protection à l'encontre des événements.

L'ordre, tombant soudain des lèvres de sa supposée fiancée, attira ses iris pâles et inquisitrices. « Bien. » Rowan acquiesça sobrement, usant d'une quiétude diablement caractéristique, quoi que la raideur sèche et osseuse de ses traits laissa entrevoir un pan de tout ce qui tournait au fond de lui. Les ténèbres de son âme, se révélaient tenues d'une main de maître... Prêtes à être lâchées sur la première cible à proximité.

« Je vais la mener le plus loin possible. » Alors que sa promise menait à lui leur sœur, les doigts fins et libres de l'ancien Serpentard glissèrent à l'intérieur de sa cape. Au sein d'une poche dissimulée par l'ébène de l'étoffe, il s'autorisa à vérifier la présence de son masque. Son index caressa le métal scintillant et rigide, gravé de runes, avant de quitter cette proximité tortueuse au profit de l'épaisse zibeline d'Astoria.

Il serra l'épaule de sa protégée avec une douceur terriblement contrastée par la froideur de son expression. « Restez vigilants. » Son menton s'inclina en une dernière salutation. Puis, attirant sa cadette à lui, ils se dématérialisèrent.

Les paroles que Blaise voulait réconfortantes la fit sourire, un peu. Sa remarque sur le lyrisme de Rowan la rassura – car oui, Astoria était en sécurité avec Rowan. Elle en était certaine comme elle savait que la Terre n’allait pas cesser de tourner du jour au lendemain ; que le monde continuait à exister, même lorsqu’elle fermait les yeux. S’accrochant un peu plus à lui pourtant, mais détendant sa prise sur son bras, ils arrivèrent rapidement là où ils avaient croisé Astoria pour la première fois – puis à l’endroit d’où venaient les cris et l’agitation.

Elle aurait préféré ne pas avoir à jeter un coup d’œil à cette scène obscène, vraiment ; mais elle devait s’assurer que cela n’avait rien à voir avec sa deuxième moitié, même si l’idée était absurde. Profitant donc du mouvement d’un homme qui s’écartait de l’attroupement, comme s’il était dégoûté par quelque chose, elle glissa un regard curieux, avant de se figer tout à fait. De s’approcher, entraînant Blaise sans même s’en rendre compte.

Pendant un instant, Daphné crut naïvement qu’elle allait réussir à tenir le coup.

Mais les mèches blondes, tâchées de carmin, qui s’échappaient de la coiffure habituellement si méticuleuse ; le sang noirâtre et collant qu’elle voyait tâcher ses vêtements, toujours sobres et élégants – car il fallait toujours mettre la beauté de son visage en avant, et non son corps ; cela serait si peu raffiné – et à la commissure de ces lèvres qu’elle avait presque toujours observées être pincées en une moue mitigée, rarement approbatrice… Tout cela brisait les défenses qu’elle tentait de s’ériger à la va-vite, défonçant les murailles derrière lesquelles elle avait tenté de se recroqueviller pour ne pas voir le cadavre de sa mère. Pour ne pas songer que cela serait à jamais la dernière image qu’elle aurait d’elle, et non pas ces quelques fois où sa fierté pour sa fille aînée avait allumé son regard, les baisers qu’elle posait parfois sur son front lorsqu’elle était encore enfant pour la féliciter des efforts qu’elle lui offrait. Car si Daphné avait toujours eu une relation ambivalente et complexe avec sa mère, jamais elle n’avait douté de son amour pour elle.

Elle aurait peut-être pu tenir bon, car après tout c’était à cela qu’elle avait été conditionnée toute sa vie durant, si la vision des mains ensanglantées d’Astoria ne s’était pas greffée à celle du corps sans vie de sa mère. Et les Aurors parlaient sans qu’elle ne comprenne, car incapable de détacher ses yeux bruns de ceux de sa mère – plus inexpressifs qu’ils ne l’avaient jamais été. Rien n’avait de sens.

Et la bile, amère, qui lui brûla la gorge, la rappela à la réalité.

Se détournant de la scène et se tenant à Blaise comme si sa vie en dépendait, Daphné vomissait, éclaboussant ses chaussures de bile et souillant le bas de sa robe bleue – si belle et si précieuse à ses yeux – alors que sa main gauche s’enfonçait dans l’épaule du Serpentard. Cela devait sans doute être douloureux, en dépit des gants qu’elle portait ; mais la pensée ne lui traversa pas l’esprit. Des larmes, créées par la confusion douloureuse qu’elle ressentait, glissaient pourtant sur ses joues, sans qu’elle ne parvienne à ressentir leur présence.

Daphné ne ressentait rien. Et ce vide était terrifiant.

Le sang n’était pas une surprise - Blaise s’était attendu au sang noir et collant qui s’imprimait sur les pavés humides de neige.
Le corps rompu de Scarlett Greengrass : il ne le reconnut pas immédiatement. Lorsqu’il rencontrait la mère de Daphné à l’occasion des “brunchs” mensuels qu’elle partageait avec Diane Zabini ou des fêtes galantes, “cocktails” et réceptions minutieusement orchestrés au sein du manoir Greengrass, elle offrait, à l’instar de la surface lisse d’une pierre précieuse, rien d’autre qu’une élégance froide et immuable, qui renvoyait aux autres femmes un reflet un peu déformé d’elles-mêmes.

Daphné se détournait pour vomir, et il eu le réflexe d’empoigner sa cascade de cheveux blonds alors qu'elle forait de ses doigts les muscles tendus de son épaule.
Parfaitement calme, au demeurant, malgré sa fièvre, sa peau brûlante..! Si ce n’est sa respiration, difficile l’espace du bref instant qui lui fut nécessaire pour se recomposer, à la façon dont un coup soudain vous coupe le souffle.  

« Zabini, Blaise - B-L-A-I-S-E », énonca-t-il obligeamment a l’attention de l’Auror, extirpant de la pochette de son costume un carré de soie estampillé de ses initiales pour se pencher sur le visage de Daphné - essuyer sa bouche après avoir porté sa main à sa mâchoire. Le geste, s’il était précautionneux, demeurait ferme : car son but était de contraindre Daphné à ne pas détourner le regard de son visage pour poser son attention sur le corps mutilé qui gisait sur le pavement.  Sur le coupe-papier frappé d’ornements sophistiqués.

(& puis songer après ça aux mains ruisselantes de sang d’Astoria Greengrass.)

« Et Daphné Greengrass. Cette femme - c’est sa mère, Scarlett Greengrass. Vous avez du entendre parler d’elle, elle organise des galas de charité -- Daphné? Ça va aller, d’accord?...Viens là - Nous étudions à Poudlard - nous sortons d’un bal. »

Des noms aussi éblouissants que des bijoux !... Et comme les pies voleuses sont bavardes ! Pour la soustraire aux visages inquisiteurs, après avoir enfoui dans son pardessus le mouchoir humide de bile et de mascara poisseux, il avait rabattu sur Daphné sa cape, la détournant de la foule impudique d’une prévenante prise de ses mains, à l'arrière de son crâne et sur sa taille. Un réflexe urgent, cette façon de presser Daphné Greengrass contre son corps, imprimant sur sa chemise, à la hauteur de ses clavicules, les larmes qui brûlaient ses yeux.

« Elle ne peut pas rester ici », dit-il, pressant, impérieux, à l’attention des Aurors ; il existait enfouie dans sa voix rauque la menace de l’insolence. « Nous devons rentrer. »