L'entrelacement de fils à découvrir - Libre

Le 28 mats 1997 vers 10h,

Avril approchait et le printemps écossais avait fait fondre les résidus de neige. Seuls les monts au loin étaient encore blancs, le reste empêtré dans la grisaille. Les températures s'étaient adoucies et le Saule cogneur avait repris ses attraits fleuris, toutefois, il était impossible de sortir se promener sans avoir prévu la cape de pluie.
Maintenant qu'elle était certaine que Minerva allait bien, Harmony reprenait ses promenades habituelles. Chaudement vêtue, sous son ciré brun. Elle ressassait, soupirait, à chaque pas évacuait un peu de la tension qui s'accumulait. Rien n'allait comme il fallait. Crabbe et Goyle étaient morts et le Sacrifié en avait après Daphné et Cyril. C'était terriblement compliqué de démêler toutes ces informations et d'en tirer un sens, une direction à prendre. Elle n'avait pas vu Drago depuis l'annonce de la mort de ses amis. Certainement qu'il refoulait. C'était bien ce qu'on attendait de l'héritier qu'il était, d'un préfet de la noble maison de Serpentard : qu'il soit digne en toute occasion et qu'il ne laisse rien paraître de sa peine, de sa frayeur.

Elle même n'avait pas peur. Elle était une adolescente au profil banal, fille d'un couple ordinaire, dont le nom pouvait éventuellement être connu, certes, mais de vieilles sorcières collectionnant les chats multicolores. C'était une jeune fille sage, sans histoire, que l'on croisait seule dans le Parc ou bien à la bibliothèque aux premières heures d'ouverture. Elle n'avait pas à se soucier pour elle-même.

Mais les révélations de ce copieur infâme l'inquiétaient tout de même. Surtout que, de leur côté, rien n'avançait. Et Yvain, devant préparer ses examens, avait prévu de rentrer pour les vacances d'avril. Elle se retrouverait certainement seule à nouveau dans les cachots. Il fallait qu'elle voie qui passerait les vacances au château. Autrement, peut-être qu'exceptionnellement, elle accompagnerait Will, Abby et Sara à Londres. C'était une alternative raisonnable.

Les nouvelles venant des quatre coins du Royaume-Uni étaient pourtant bien sombres et, malgré l'Initiative pour la paix, que sa mère avait mentionné dans sa récente lettre, l'heure était à l'escalade. Les Mangemorts s'en prenaient ça et là à des personnes démunies : d'abord un orphelinat, puis un centre commercial. En dépit de toute logique. Les dégâts magiques tuaient plus difficilement que les balles de pistolet mais l'effroi provoqué, dans les deux pans de la population, était bien réel. L'heure était à l'escalade.
Elle devait travailler avec l'ardeur du Fléreur ayant senti l'or, pour débusquer un semblant d'union. Tout son esprit était occupé par cette nécessité – l'histoire de cette jeune femme emprisonnée dans une broche lui semblait alors bien dérisoire. Il était impératif de créer l'union des sorciers. Sinon, cette guerre serait faite pour durer. Et ils seraient écrasés sous le joug peaufiné sur des millénaires par des Moldus cyniques et puissants.

Enfin, surprise par une averse plus violente, elle retourna au château. Une fois dans le hall, avec ses bottes maculées de boue et son ciré qui gouttait, elle se félicita d'avoir pensé à lancer un Impervius avant de sortir. Elle sortit sa baguette et prononça un « Récurvite » en direction de ses chaussures. Au moins elle ne laisserait pas de traces de terre au sol – et Rusard ne pouvait pas se plaindre de quelques gouttes d'eau.
Dans le hall se croisaient quelques dizaines d'apprentis sorciers. Lieu de rendez-vous pour les promenades, il était aujourd'hui délaissé, la météo décourageant le plus bravache des Gryffondors d'aller se balader.

La nuit avait été terriblement éprouvante. Oui. Sérieusement. Bercée par l’anxiété grandiloquente des derniers événements, plutôt que par la mouvance épique de quelques cauchemars. En toute franchise, le septième année aurait encore préféré affronter les terreurs nocturnes et poisseuses de son imagination. Celles-là, au moins, avaient le mérite de ne rester que des songes. Des images sordides. Des souffles tremblants au creux de l’ombre.

Inoffensifs. Enfermés et brisés à jamais dans les dorures de son sourire joyeux. Contrairement au reste.

Le monde. Leur monde. En proie à la catatonie ; aux injonctions stupéfiantes d’extrémistes aux appartenances douteuses. Tous priant, tard le soir, que leurs adversaires crèvent la bouche ouverte avec leurs mômes avant le levé du soleil. Pour que justice soit faite. Mon cul, ouais. Ça n’empêchait pas les cadavres de s’aligner le long des pavés de Pré-au-Lard. Aussi bien que dans les grands sanctuaires de l’humanité ; Londres en tête.

S’ils escomptaient rétablir l’équilibre en crucifiant les lignées de l’aristocratie sorcière, ils allaient vite être à court de morts. Parce que, ils l’oubliaient sûrement, mais ceux qu’ils décriaient comme les ennemis de la nation... Étaient déjà en voie d’extinction. Genre. Un peu. Quitte à vouloir épurer la société de tels individus, ils pouvaient aussi – et très simplement, hein – leur interdire l’accès au mariage.

Même pas besoin d’égorger des gamins à côté de chez Honeydukes, du coup. Simple. Concis. Efficace. Non. Vraiment. Ils gagneraient du temps avec cette méthode.

Et Drago pourrait espérer survivre.

Quel bordel. C’était justement parce que son meilleur pote avait une drôle d’épée de Damoclès au-dessus du crâne, qu’ils devaient se casser au plus vite de toute civilisation connue. Stockholm ? Ouais. Mieux valait ça que de retrouver le corps du fils Malefoy dans des ordures ménagères un beau matin d’avril. Ce serait, comment dire, gênant.

Yvain avait entreposé son sac de voyage sur les draps repliés de son lit, y glissant dedans tout ce qu’il jugeait utile. Ou réconfortant. Merde. Super-Giselle. Et KVS (oui, bon, lui, il somnolait paisiblement contre l’oreiller). Son balais devait traîner dans les vestiaires de Serpentard. À l’extérieur. Chouette.

Un soupir lâché, et le jeune homme filait déjà loin des locaux de vert et d’argent. Pourtant, sa précieuse mission sembla vaciller lorsqu’il distingua au milieu du hall la silhouette de sa blonde acolyte. La délicieuse Harmony. Oh. Un autre problème à venir. Il allait devoir la prévenir. L’inviter ? Euh. À voir. Enfin. Elle ne risquait rien en restant entre les murs de Poudlard, au pire. « Hé, Harmony ! »

Bon. Allez. Sourire. Mentir. Faire genre que tout vole comme sur le dos d’un dragon. « Il pleut salement dehors, c’est ça ? » Décidément, la journée s’annonçait excellente. « Dire que je dois aller récupérer mon balais... » Il esquissa une moue hésitante, avant de se concentrer davantage sur elle.

Le cœur battant. Des traits si angéliques allaient atrocement lui manquer. « Tu as un petit côté chat hérissé tout mignon, avec tes mèches humides.... J’ose pas imaginer si tu étais complètement trempée. » Attendez. Il venait vraiment de lui balancer ça ? Ah. Ben. Oui.

Alors qu'elle vérifiait de connaître personne parmi les personnes qui passaient, et allait retourner aux cachots, une silhouette terriblement familière vint du couloir en question. Yvain. Elle lui adressa un sourire non feint, pour une fois, non provoqué par la politesse. Sincère. « Salut Yvain ! » répondit-elle d'une voix légère.
Car les troubles noircissant l'horizon semblaient s'atténuer, du moins, tarir un instant les remontées de bile aigre, lorsqu'on était avec un allié. Et la simple présence d'Yvain Gallant la rassérénait un peu. Elle manqua de rire à sa joviale remarque – c'était d'un banal ! La pluie, le temps qu'il fait : le genre de conversation trompant l'ennui qu'on espérait plus avoir depuis plusieurs semaines. Elle ne se faisait bien sûr aucune illusion. Sa ballade avait adouci ses humeurs et elle profitait des quelques prolongations offertes.
« Oui, j'me suis fait avoir par une grosse averse. Je pense que c'est parti pour la journée. » Mais son sourire s'évanouissait à la mention des intentions du jeune homme. Son balai ? Pourquoi diable en aurait-il besoin ? Il ne lui servait que pour les matches de Quidditch, donc il n'y avait aucune raison qu'il veuille le rapatrier dans le château. « Ton balai ? » répéta-t-elle, d'un ton plus sérieux. Elle fronçait les sourcils.

Mais le regard prolongé la troublait. C'était le hall, par Merlin, qu'est-ce qui lui prenait ? Il avait l'air… ailleurs. A sa remarque, les coins des yeux clairs d'Harmony se plissèrent, en une expression rieuse. Son sourire était mal assuré – mais pour elle, c'était déjà beaucoup. Elle avait encore du mal à gérer la spontanéité de son aîné, mais y prenait goût. « Oh ! Tu trouves ? » dit-elle, baissant les yeux sur ses cheveux, dont les longueurs étaient trempées. Bientôt, ils allaient se mettre à onduler, boucler. Elle avait amélioré sa potion Lissenplis au fil des années mais elle ne pouvait pas faire face à la puissance d'un tel crachin. Bof, ça importait peu, non ? Peut-être même que ça lui plairait, de la voir avec une apparence plus détendue. Davantage que la face pleine de boutons, en tout cas !

Elle pinça une mèche de cheveux entre ses doigts. « Ce n'était pas la plus brillante des idées que d'aller marcher ce matin, faut croire. » C'était drôle, cet accent cockney qui transparaissait. Il fallait qu'elle fasse plus attention. Elle se laisser aller. « Bah, tant qu'à faire, je peux t'accompagner, si tu veux. Trempée pour trempée ! » Elle leva des yeux attentifs vers lui. « A moins que tu ne préfères y aller seul, je peux alors te prêter mon ciré: il est vraiment grand ! »

Mais elle ne voulait pas le laisser s'échapper comme ça. Le fait qu'il veuille son balai maintenant était bizarre. Et la veille, dans les dortoirs, elle avait entendu de l'agitation. Allez, elle pouvait bien enfoncer le clou, il lui parlerait davantage dans un endroit plus reculé. Et nul doute qu'avec cette pluie, les terrains de Quidditch seraient désertés. « Je me demande ce que ça donne sur toi, l'effet « chat mouillé ». Ça doit valoir son pesant de Mornilles! »
Elle avait bien pris de l'assurance, ces derniers mois. Rabattant sa capuche sur ses cheveux, déjà en train de perdre toute leur raideur coutumière, elle lui tendit la main, d'un air de défi.

De rares silhouettes drapées de capes humides évoluaient dans l'immensité du hall, le regard perdu vers les tracés extérieurs d'une pluie printanière. Un brin diluvienne, en fait, maintenant que ses yeux éreintés se perdaient vers la sortie. Des intempéries assez courantes en ce premier jour d'avril ; d'une dernière froideur ; d'une infime promesse de renouvellement ; d'un éclat de vie difficile à ignorer. Un moyen de leur rappeler, d'une voix distante et assurée, que le monde continuerait à tourner.

Loin d'eux. Sans eux, même, s'il le fallait.

Et le sourire de la délicieuse Harmony était, lui aussi, condamné à se fâner. Comme tout le reste. Une extinction généralisée, sournoise et définitive. Pourtant naturelle, compte tenu de leur humanité : promise aux grandeurs en dépit de la fragilité criante de leurs chairs. La mortalité. L'unique destination de leurs existences éphémères. Qu'ils soient sorciers ou non.

Quoi que le Seigneur des Ténèbres prétendait – depuis son avènement – à outrepasser ce cycle. À quel prix ? Un lissage de ses traits version cadavre, accompagné d'une absence notable de nez et une pâleur troublée d'un vert crayeux franchement étrange. Ouais. Bon. Il avait la puissance absolue – là, malheureusement, pas possible de le nier – en échange d'une laideur grandiloquente. Époustouflante.

Il comprenait mieux pourquoi, les défenseurs supposés du gouvernement magique, s'échinaient à étouffer la moindre once de magie noire. Les sorciers finiraient tous par devenir moches et difformes. La natalité s'effondrerait. Et les moldus auraient toutes les raisons du monde de les transformer en brochette fumante sur la place centrale. Vraiment, il comprenait et compatissait à leur mission.

Enfin. Presque. Massacrer ses proches – sous le prétexte qu'ils avaient le sang trop pur, et que, de ce fait, ils étaient forcément coupables – était encore une réalité difficile à accepter. À croire que torturer et tuer des innocents, dès lors qu'on le faisait avec le titre d'Auror, était une chose aisée à accepter. Normal quoi. De toute façon, c'était la faute des méchants ; ils avaient pas le choix. Et eux, surtout, ils étaient des héros gentils. Des instigateurs de la lumière.

Mouais. Tu parles de morale. La culpabilité, elle était visiblement optionnelle chez les justiciers.

Le rire de sa précieuse cadette l'obligea définitivement à se concentrer sur elle. Oublier les problèmes ; la protection de Drago ; la folie indistincte de leurs aînés meurtriers. « Ouais, je crois bien. Le ciel a décidé de nous faire profiter de ses blagues... Quel sacré emmerdeur celui-là. » Et, l'espace de quelques instants, détailler l'esquisse de bonheur sur le visage de la quatrième année. Si belle et si fragile en apparence. Tout en se trouvant animée, au creux de ses reins, par une détermination flamboyante. Implacable. Une compagne de choix pour leurs espoirs. Un peu trop perspicace malheureusement. « Je dois le récupérer, je vais le prendre avec. »

Hem. Ça allait devenir gênant. Tout ça pour une histoire de manche en plus.

Par chance, la remarque précédemment lâchée parvint à apaiser l'inquiétude soudaine et piquante de leur proximité. « Oui, tu es belle. » Yvain s'autorisa à ignorer les alentours, préférant glisser son regard le long des lèvres de la blonde adolescente. Telle qu'il le ferait avec une caresse ; impossible ici au milieu de leurs pairs. Une aubade menée du bout des doigts avec douceur et désespoir. Empreint du devoir à venir et d'une abstinence horrible. « Bonne idée, ou pas, ça te va bien. » Et sourire. Sincèrement. Attentionné. Puis, se laisser gagner par une expression davantage joyeuse et amicale ; pour ne pas trahir les brûlures de son cœur. « Oh, non, tu sais... Je veux bien te garder avec moi dans cette terrible épreuve. C'est plus amusant d'être trempés à deux que tout seul. » Un léger rire lui échappa.

Entaché d'une reconnaissance fébrile et indicible.

Brusquement chassée par les deux dernières phrases de son interlocutrice, pour laisser place à un silence étrange. Intéressé. Réfléchi. Rompu par un éclat taquin et franchement enjôleur. « Tu risques d'être surprise. » Susurré avec une détermination joueuse, face au charme entêtant de sa camarade et à ce qu'elle laissait supposer.

Elle, si distante d'ordinaire, qui se montrait imprudente ? Excitant.

Yvain accepta alors sa main.

Leur échange allègre témoignait de la même politesse – de la même volonté de polir les aspérités d'un quotidien branlant et incertain. De présenter une bonne figure, aux autres, certes, mais l'un à l'autre également. Ils ne devaient pas faillir. Et puis l'envie pointait également de puiser dans les traits sémillants de l'autre une forme de sincérité rassérénante – nous allons bien, puisqu'il faut y aller, mais, toi, tu vas bien, n'est-ce pas ?
Rien n'était moins sûr mais il semblait nécessaire de s'en persuader, de se leurrer de cette tache lumineuse et floue.

La mention du balai ramenait toutefois Harmony à sa fonction. Elle n'était plus une simple adolescente et c'était là ce à quoi elle avait aspiré. Elle n'était qu'à la première marche de son ascension. Et le voile dont se drapaient ses yeux clairs la ramenait aux prémisses d'un enchevêtrement d'enjeux, dont l'intensité croissait jour après jour.
Elle ne pouvait pas laisser Yvain aller le chercher seul, elle devait l'accompagner. Pour qu'il lui explique ce qui se tramait. Qu'importe la pluie.

Et puis ses cheveux qui frisottaient déjà çà et là étaient de toute manière décoiffée. Et elle voulait passer du temps auprès de lui. La nonchalance paraissait bien peu naturelle chez Harmony Sharen tant elle se contenait, d'ordinaire. La première fois qu'elle avait raconté à Yvain aimer jouer dans la neige avec Aston Oberlin, elle avait songé qu'il ne la croirait pas. Pourtant elle pouvait bien s'amuser. Parfois. Dans les bonnes conditions.
Elle avait grandi dans une animalerie ; loin d'elle la crainte de salir ses vêtements, de se mettre au travail manuel. Simplement, elle se conformait aux standards de sa maison pour mieux y évoluer. S'élever.

Elle riait alors simplement. « Oui, ma chouette a foncé à la volière, une vraie trouillarde celle-là ! » La pluie était certes ennuyeuse, souillant l'apparence soignée des êtres civilisés. Mais elle purgeait la terre, nourrissait les assoiffées et s'insinuait dans le sol. La terre, le lac, le ciel. Un ensemble immuable insensible aux turpitudes humaines. Les fautes finissaient par être avalées par les géants qui attendaient l'heure, attentifs à l'horloge.
Elle ignora la précision quant au balai - plus tard - pour accepter le compliment détourné. Elle, un petit chat mignon. Hérissé. Ah, le choix des mots était amusant.
Son sourire se dessinait alors que le jeune homme détaillait ses traits. Le silence lui pesait encore. « Merci. » Il devait certainement le penser, s'il lui avouait ainsi, s'il en venait même à être jaloux de la voir danser avec d'autres. Harmony Sharen n'était pas ce que l'on qualifierait de jeune fille complexée. En fait, elle avait même peu conscience de son corps. C'était comme une enveloppe fonctionnelle, pas forcément très agréable, qui lui permettait de mettre en mouvement son esprit sémilllant. Elle était fine et élancée, parce qu'elle mangeait peu et n'y prenait pas vraiment plaisir. Les traits de son visage, juvéniles, étaient souvent fermés, renfrognés, au point de disparaître, comme un parchemin, au profit des mots qu'il portait. Voilà. Son être était comme un parchemin rempli de notes : le contenant n'avait que peu d'importance et elle-même l'ignorait.
C'était peut-être pour ça qu'elle n'aimait pas le sport non plus. Elle préférait s'enfoncer sous l'eau, se laisser glisser, légère, à la surface. Ou bien frayer les airs, réduite, éthérée.

Pourtant elle se regardait plus souvent, depuis qu'Yvain s'était approché. Oui, les éléments de son visage étaient bien symétriques, ses formes étaient nées, encore graciles, peut-être vouées à le demeurer. Ses cheveux aussi étaient fins, longs rideaux d'un blond nacré sur ses épaules. Ses yeux lui plaisaient. D'une couleur douce, perles au reflet changeant, ils étaient un miroir de la personne qu'elle était réellement. Comme la surface d'un lac. Et elle pouvait décider de ce qui transparaîtrait ou non.

Elle lui proposa donc de l'accompagner. « Bien, en route alors ! » Sa main froide fut enveloppée d'une douce chaleur. Bon. Elle se montrait un peu exubérante. Ses accents cockney, ses cheveux mal coiffés, sa main donnée. Au final, ils étaient dans cette « merde », ensemble. Autant qu'elle lui montre qu'elle savait sortir de son cadre bien établi. Tout était démonstration.
Et de la bravoure, ils allaient en avoir besoin. La pluie n'était rien.

Elle l'entraîna, alors, souriante, dehors. Heureusement, l'averse s'était un peu calmée. Il pleuvait toujours, mais rien de diluvien au point de ne plus s'entendre parler. Et il n'y avait plus personne.
« Je compte bien ne pas tout de suite t'ennuyer », répondit-elle, une fois la porte passée. Serrait un peu sa main. Elle laissa quelques secondes défiler.

« Dis. » Laisser tomber le sourire. Poser une question d'une voix tremblante, tendre. « Pourquoi as-tu besoin de ton balai maintenant ? » Les vacances approchaient, mais pas tout à fait. Ce n'était pas rassurant. Elle avait peur qu'il confirme sa pensée. Car, s'il partait, elle serait seule. Enfin, avec Drago peut-être, mais depuis que Crabbe et Goyle était faits martyrs, il n'était plus tout à fait… un membre productif pour leur plan.
Elle se sentait vaguement comme une pièce rapportée au tandem des garçons plus âgés et la perspective de continuer seule l'effrayait. Car ce ne serait pas une responsabilité donnée comme une médaille, mais un abandon à une tâche pas si importante finalement. Une tâche qu'une gamine blonde pourrait bien assumer seule. Si c'était le cas, elle se sentirait lésée. Car elle valait mieux que ça.

Autour d'eux, les silhouettes encapuchonnées effectuaient des mouvements incessants de va-et-vient à travers le hall. Un large espace de pierres humides, animé par des ombres tantôt groupées tantôt solitaires, de leurs pairs. Une foule disparate de camarades courageux – franchement, vu la pluie dehors, c'est ce qu'ils étaient – ou naïfs. Voir complètement à l'ouest, dans le cas où ils n'avaient pas capté que c'était un peu le déluge dehors.

Ah. Le printemps. Et les superbes invectives de son ciel grisâtre. Les giboulées, quoi. Provocateurs de crinières ondulées et sensuelles. Mouillées par un flot divin et un brin glacé ; après tout, ils étaient en Écosse. Pas vraiment en Uruguay. En terme de douche agréable et stimulante, on ne pouvait pas dire que leur localisation se présentait comme une destination de choix.

Du bout des lèvres, oubliant toujours plus leurs comparses aventureux, il s'émerveillait brusquement de l'entendre rire ; et de le voir, surtout. Sa conscience s'efforçant de retenir les détails de leurs échanges, tels des souvenirs précieux et trop courts. Trop brefs. Menacés par le devoir et la survie. Merde. Ça le déchirait, en fait, cette décision. Seulement, il n'avait pas vraiment le choix, n'est-ce pas ? Harmony ne risquait rien, ici. Rien du tout. Son affiliation était suffisamment secrète et son comportement, tout autant insoupçonnable.

Leur meilleur atout dans la guerre d'usure qu'ils menaient contre les partisans des moldus.

Contrairement à son meilleur pote, ce cher Drago-je-me-fous-dans-la-merde-en-beauté. Le type ayant un le pire karma de merde de toute l'Angleterre, si ce n'est du Royaume-Uni. Oh, oui. Un problème à venir ? Paf. Attiré comme un aimant par le fils Malefoy. À chaque fois. Entre l’arrestation de son père l'année passée, et maintenant la mort de Crabbe et Goyle... Il cumulait un peu. Beaucoup. Passionnément. À croire qu'il aimait collectionner les emmerdes. (Parfois, Yvain se posait réellement la question.)

Bref. Pour pas changer, c'était le bordel.

Au point qu'il risquait de laisser sa précieuse acolyte derrière lui. Entre les murs protecteurs de Poudlard. Putain. Sérieux. Mec, tu te perds là. Reprends-toi. C'est ce que tu peux faire de mieux pour elle. Juré. Ouais. Une part de lui-même était toujours moyennement convaincue. Or, si elle se tirait avec eux... Ne risquait-elle pas de se compromettre ? C'était cher payé en échange d'une protection rapprochée.

« Tu m'étonnes, je la comprends. » Yvain esquissait un sourire. Teinté de mélancolie. De tendresse – alors qu'il devrait théoriquement se retenir. Pitié, mec, pas de sentimentalisme. Pas maintenant. Au milieu de tout le monde. Alors, une nouvelle fois, ses émotions se dissimulaient derrière celles de l'amitié et de la sympathie. Faire croire à la connivence. Mais pas à la séduction.

Raté. Dès que l'adolescente se montra joueuse, il cessa de paraître purement amical. Tout en lui brûlait davantage de la taquinerie ; de la distraction charmeuse. Définitivement attachée. « Allons affronter courageusement cette fichue pluie ! » D'un rire sincère, il se joignait à sa présence. Jusqu'à serrer fermement les doigts de sa cadette contre les siens. La chaleur de sa paume se mêlant à la froideur faussement candide de sa compagne.

Le feu et la glace. Amusant.

« Pour m'ennuyer, faut y mettre le paquet. Tu le sais. » Ses iris luisaient d'un intérêt flamboyant. Différent de celui qu'on y lisait la veille, lorsque la gorge noyée par la rage, il s'était pointé dans la chambre des sixièmes années. Pour accuser Blaise. Et comprendre. « Là, en plus, y'a de la pluie sur notre chemin. Et de la boue. Ça, ce serait plutôt drôle. » Enfin. Il avait quand même un train à prendre dans un état acceptable. « Si tu vois ce que je veux dire. » Un argument qui ne parvenait pas à contenir le soudain attrait de son esprit pour l'équation suivante : de l'eau à outrance et sa blonde cadette. Oh. Ouais. Un peu trop intéressant. Hem.

L'étrange tremblement qu'il cru percevoir dans la voix de son interlocutrice, le poussa à froncer les sourcils. Le balais. Ah. Gênant. « Le train part bientôt, en fait. Et... Je pense que je vais en avoir besoin pendant les vacances. »

Est-ce qu'il comptait revenir ? Lui-même ne savait pas. « Salement besoin, à mon avis. Avec tout ce qui se passe dans le monde magique, je ne suis pas très à l'aise de ne dépendre que de mes jambes ou du transplanage. Surtout pour les bagages les plus lourds. Et puis... » Chouette. « … Drago ne va pas bien. » Bon. C'était un moyen d'embrayer sur le cœur du problème, faut d'être diplomate.

Ils furent accueillis au dehors par l'averse, rideau de pluie gâchant l'horizon, fines gouttelettes rebondissant sur leurs capuches – légères, à peine plus violentes qu'une bruine – mais sans imperméabilisation, ils aurait bien vite ressemblé à la serpillère de ce cracmol de Rusard, une fois le hall nettoyé.
Cette bonne humeur, un peu forcée, était nécessaire. Il fallait bien se raccrocher à la banalité d'une rencontre pour se préparer à l'adversité. Un semblant de normalité pour éviter la dérive de l'esprit.

Il lui assurait qu'elle ne risquerait pas de l'ennuyer. Bizarrement, elle en doutait. Oh, il avait besoin d'elle, c'était avéré : il ne la jetterait pas instamment. Mais ils restaient très différents. Lui, beaucoup plus fantasque, enjoué, intense, qu'elle, discrète et sérieuse, réfugiée dans ses habitudes. Jusque là, au moins, il n'avait pas été insistant. Le secret entourant leur relation avait aidé, certainement.
Mais elle restait distante – et si sa main ne lui transmettait pas cette douce chaleur, sous la pluie ; et si elle n'avait pas quelque chose à prouver, elle aurait plongé la sienne dans sa poche dès que possible.

Elle lui offrit un regard perplexe. Quoi, la boue ? « Je n'ai rien contre une bataille de boules de neige mais une bataille de boue, réellement ? » Ce n'était pas un vrai reproche, juste de l'incompréhension. Non, elle ne voyait pas ce qu'il voulait dire.
D'ailleurs, il avait l'air malin, ruisselant de pluie – sa mèche brune fière, toujours gonflée par une magie inconnue, risquait d'être bien aplatie, à présent. Cette pensée lui arracha un petit rire. « Tu fais très bien le matou trempé. Enfin, sauf que n'importe quel chat ferait la tête maintenant. » Il était bien trop joyeux pour figurer un chat coincé sous l'averse. Elle en savait quelque chose.

Elle pressait tout de même le pas vers le stade – mine de rien, elle avait un peu froid. Un instant fila et la raison de leur sortie aventureuse la fit douter. Elle savait qu'il rentrerait pour les vacances, mais elle ne croyait pas qu'il emmenait sa Giselle pour jouer au Quidditch dans le jardin. Pas avec ce qui se tramait.
Il le lui confirma. ...mes jambes ou du transplanage. Surtout pour les bagages les plus lourds. C'était bien ça, alors. Il fuyait. Il avait prévu de s'en aller.
Elle s'immobilisa et, d'un regard fiévreux, l'obligea à faire de même. Ils étaient seuls de toute façon. « Yvain. » commença-t-elle, froide. Masquant la panique – car s'il partait, que ferait-elle ? Car s'il partait, alors d'autres fuiraient. Et qu'adviendrait-il de leur mission ? A quoi servirait-elle ?
« Tu ne comptes pas revenir pour tes examens, c'est ça ? » La pluie n'avait vraiment plus aucune importance. Au mieux fournissait-elle une isolation sonore à leurs conciliabules.

Elle se rapprocha pour murmurer, l'air inquiet. « Tu crois être si exposé que ça ? » Il avait la couverture parfaite, pourtant. Et si des rumeurs circulaient sur son ascendance, ils n'avaient jamais été inquiétés.
« Il faut que je sache, tu comprends ? Il faut que je sache si je me retrouve seule ici. » Une forme de colère s'instillait dans ses veines. Bien sûr, Yvain devait se protéger, mais de là à considérer la Cause en second plan ? Comment créerait-elle, seule, l'union des sorciers dans l'enceinte de Poudlard ? Elle s'était douté de n'avoir qu'un rôle subalterne – mais de là à ce que leur mission n'ait aussi peu d'importance. D'ailleurs, elle n'avait plus rien entendu d'Alycia de la bouche de Drago.
Dans ses mots teintés d'une inquiétude à peine voilée, sourdait la colère d'être abandonnée – pire, d'être inutile. Ses yeux pâles ne lâchaient pas ceux d'Yvain. Tout ce tumulte, dont il fallait tirer des directives.

Non, vraiment. Il ne sentait pas particulièrement la pluie. Pourtant, elle continuait de tomber sur et autour d'eux. Semblable à d'innombrables filaments humides. Évanescents. À peine visibles dans l'air encore gorgé de froid de la fin mars. Le septième année y prêtait si peu attention, qu'il n'avait pas remarqué que les précipitations s'étaient faites davantage clémentes. Imprégnées de décence face aux égarements de deux adolescents.

Tu parles. Ils étaient mouillés et inquiets. C'est tout. D'accord, c'était un minimum chouette, mais pas pour les raisons habituelles. Enfin. Pas celles de tout le monde. Bordel. Son cerveau ne tournait définitivement pas rond. Fallait se méfier.

« Hé ouais, une bataille de boue. » De sa main libre, Yvain esquissa un mouvement de lancé. Une réussite ; se soldant par une caresse trop vive sur la joue de sa cadette. Du bout des doigts. Assurés dans leur action, quoi que toujours éperdument prudents. Elle était bien trop fragile pour que de tels gestes soient effectués avec insolence. « C'est le genre de truc qui efface toutes les différences possibles et imaginables. Bon, par contre... Ouais, ça tâche. » Autant que ma... Ouais. Non.

Il laissa s'échapper un léger rire, brutalement tempéré par la charge amusée de sa précieuse alliée. « Un sacré matou, alors. Le pelage hirsute et grondant... » De nouveau, un éclat de tendresse vint bousculer la sympathie évidente de ses iris. Seulement, il ne chercha pas à le contenir ; au contraire, les braises de son attachement s'enflammèrent avec puissance. « … Note, si je pouvais me réincarner, ce serait en un gros chat. Bouffer, dormir, b- … Tu vois ce que je veux dire. Toute la journée. Enfin. Pour le dormir en tout cas. »

Ok. Mec. Là, tu venais de toucher le fond.

« … Bref. » Sa paume chercha à réchauffer sa jumelle, profitant de cette proximité rare et éphémère entre eux. Définitivement suspendue par l'arrêt brutal de sa cadette. Le regard agité et piqué d'une émotion indéchiffrable. De mauvaise augure. « Je ne sais pas, en fait. » Ils en venaient donc aux faits. Merde. Ça ne lui plaisait pas. Pas comme ça. Pas maintenant. « J'aimerais quand même finir mon année et obtenir mon diplôme... Mais... »

Il soupira. « Non, je ne me sens pas exposé. Mon père l'est plus que moi. Lui, il porte la marque. » Lui, il avait été au bout de ses idées. « C'est... Franchement, Harmony, regarde-moi. Personne ne peut croire que je travaille pour l'unification des sorciers. » Ils s'étaient rapprochés, sûrement plus qu'ils ne se l'autorisaient lors de leurs déplacements au château. « Si ta question est de savoir si je fuis, c'est non. » Plus qu'ils ne le devraient, même. « En fait, je vais plutôt sauver Drago. »

Le penser était une chose ; préparer le voyage en était une autre. Et le dire... Ben, sérieux, ça lui remuait l'estomac. Si ce putain de Zabini ne s'était pas foutu en travers de sa route, comme d'habitude, les choses seraient drastiquement différentes. « Blaise a foutu la merde. Du coup, notre diplomate en herbe s'est dépêché de prendre la poudre de cheminette. Littéralement. » Quel bordel. « Il faut que je le retrouve. Avec le Sacrifié qui rôde... Merde, c'est mon meilleur ami. Je ne pourrais plus me regarder dans le miroir s'il crève. » Cet idiot de Malefoy n'avait aucun instinct de survie. « Si je parviens à le chopper, et le mettre en sécurité... Je reviendrais pour t'aider. »

Soudainement, sa voix se fit plus déterminée. Affirmée. Presque intransigeante. « Je n'ai aucune envie de te laisser seule ici, Harmony. Tu le sais. » Et je t'interdis de penser autre chose. « Si les choses tournent mal, et que je suis coincé... Je trouverai un moyen pour te seconder malgré la distance. Mais ce sera uniquement notre plan B. Il ne me plaît pas, mais au moins il existe. D'accord ? » La gravité s'estompa aussi vite qu'elle lui était venue. « Quant à ce crétin de Zabini... Je compte bien lui faire regretter toutes les emmerdes qu'il nous a causé. »

Ah oui donc il envisageait réellement une bataille de boue ? Bon, en réalité, cela ne faisait pas nécessairement peur à Harmony. Elle avait passé quelques années à la ferme puis, même si elle se présentait comme citadine, avait passé toute son enfance dans une maison qui sentait bon la fiente de hibou. Alors un peu de boue… Elle n'aimait pas trop ça mais pourrait se plier à l'exercice. Même s'il était profondément puéril.
Parce qu'elle essayait toujours de diluer son image enfantine dans une attitude sérieuse et appliquée. Elle devait lui montrer qu'elle était forte, digne de la tâche – leurs atermoiements adolescents venaient ensuite. Toutefois, depuis la Saint Valentin, ils s'étaient mêlés à son objectif et il n'était plus possible de les délier.

Elle eut un petit sursaut quand les doigts d'Yvain trouvèrent sa joue et lui offrit un regard profondément tendre. Ces moments, à la volée, elle les appréciait de plus en plus. Et souvent, quand elle retrouvait sa chambrée, elle s'agaçait d'y trouver de plus en plus d'attrait – pourquoi ne pouvait-elle pas s'en passer ? Il lui semblait toujours repartir confuse. Et son acuité était importante. Elle concluerait, pour l'instant, qu'il fallait s'adapter, apprendre à concilier la douceur et l'intellect rigoureux qu'elle s'employait à développer.
Surtout, elle savait qu'Yvain n'était pas niais. Elle ne l'ennuierait pas, disait-il. Parce qu'ils savaient tout deux que dans leurs esprits tortueux s'articulaient les fils arachnéens d'une stratégie commune. C'était un garçon tout à fait intéressant.

« Tu penses vraiment que j'ai peur des taches ? Je ne suis pas du genre à avoir peur de mettre les mains à la pâte. » lui asséna-t-elle fièrement. Bien sûr, elle ne se doutait pas un instant de l'interprétation absconse que pouvait faire Yvain de cette information. Elle y voyait un second degré, mais pas celui-là. Elle ne pouvait pas s'imaginer.

Elle moqua un peu son apparence : oui, il était drôle, en matou hirsute. Grondant ? Ah oui, tel le chat assoupi près du foyer ronronne, image apaisante tandis que l'écho du grondement menait à des travers insoupçonnables. Car elle avait deviné qu'Yvain était un prédateur, louvoyant derrière le ronron de ses grimaces, marquant ses proies. C'était bien pour cela qu'elle avait choisi d'être là.
Il pourrait donc se réincarner en chat. Dormir et manger toute la journée. Mouais, il avait peu d'ambition – mais un peu de repos ne leur ferait sans doute pas de mal. Quoiqu'elle avait du mal à s'identifier à un tel personnage. Elle pour qui six heures de sommeil étaient amplement suffisantes et qui se sustentait de quelques fruits et d'une biscotte émietté le matin. Mais elle n'était pas bien sûre de le suivre de nouveau.

Les prémisses évoqués par le médicomages lui revinrent subitement à l'esprit – elle avait rapidement quitté l'atelier pour accompagner Daphné, mais en avait entendu assez pour ses chastes oreilles. Et son interrogation résonnait. Elle eut comme un haut-le-coeur ; comme celui qu'elle avait eu, lorsque sa sœur avait trouvé amusant de prendre l'ascenseur au cinéma du quartier. Ses joues se paraient du coquelicot à nouveau et son air de défi s'évanouissait pour laisser place à un regard timide.

Néanmoins, elle profita de la tentative infructueuse de lui réchauffer les mains – c'était impossible, elle aurait toujours les doigts gelés. Parce qu'elle était réellement inquiète. Tout d'abord, pour leur mission, qui lui semblait en péril, d'autre part, parce qu'elle tenait réellement à lui. Et s'il était loin, comment pourrait-elle l'aider ? Mais il ne sentait pas exposé. Harmony fronça les sourcils : alors que fuis-tu? Il avait compris sa question.
La réponse acheva de la déstabiliser. Sauver Drago ? C'était… Mais c'était une aberration ! Elle le regardait, de plus en plus déboussolée, l'ondée électrisante tendant ses membres et agitant sa bile. Comment Drago Malefoy, le meilleur étudiant de Serpentard, à deux doigts des résultats de Granger, pouvait avoir eu une idée aussi stupide que de quitter l'enceinte du château ?
Elle qui avait, depuis des mois, revu l'idée qu'elle se faisait de lui, avait l'envie d'éclater sa main contre un mur. Et c'était lui qui les dirigeait ? Vraiment, l'héritage était une hérésie à souiller toute opération, toute campagne – l'histoire l'avait allègrement montré.

Et maintenant Yvain voulait le sauver. Sa main se crispait. « Je comprends même pas comment c'est possible. » lâche-t-elle sèchement, à voix basse. Mais Yvain poursuivait, plus assuré. Il la seconderait, même éloigné de l'académie.
Dans les yeux de la blonde brûlait l'incompréhension. « Si je t'envoie des lettres, je risque de t'exposer. Et si personne ne peut croire à ce jour que t'es des nôtres, comme moi, tu crois pas que ça va te mettre une cible dans le dos ? Les Malefoy sont une famille puissante que je sache. Pourquoi ne pas alerter sa mère ? »  Une mère ferait tout pour son fils unique. Est-ce qu'il avait peur que le Seigneur y voit une désertion ? Ça n'avait pas de sens. Et quand bien même c'était son meilleur ami, si ses motivations étaient aussi viles, alors c'était une désertion. Rien de moins. Et il ne pouvait pas faire tomber dans son sillage tous ceux qui travaillaient réellement à la Cause.

Certes, leur entreprise derrière les murs de l'école semblait vaine et sans intérêt, mais Yvain était près de la quitter pour agir. Les traits de l'adolescente restaient tirés. Elle n'avait beau être une gamine – ils lui renvoyaient suffisamment cette vérité à la figure – elle avait compris que tout ceci n'avait aucun sens. C'était n'importe quoi.  « Bref. Je resterai là et je continuerai, de toute façon et quoi qu'il arrive. Rien ne m'en fera dévier. » Sa colère enrobait ses mots d'une rugosité détonnante pour ses traits de pastel.
Et il suggéra le cas Zabini, extirpant un ricanement chez son alliée. Elle resserra sa prise sur la main aimée. « Bizarrement, ça ne m'étonne pas. Ce type nuit à tout ce qu'il touche. » Et si c'étaient sa nonchalance torve et répugnante qui était à l'origine de ce chaos, il mériterait sa peine. Harmony faisait confiance à Yvain pour la lui administrer. « Si tu as besoin de n'importe quelle aide… Je serai là. » L'aristocratie était diablement poisseuse.

« Les mains à la pâte, hein ? Je veux voir ça. » Il riait, soudain, bercé par la drôlerie de leur situation. Trempés et tremblants sous la pluie toujours plus clairsemée des derniers jours de mars. Les lèvres animées par l'amusement qu'ils éprouvaient à se taquiner – se mordiller les doigts tels que le feraient des chiens aimants et joueurs. Des bestioles mignonnes en apparences ; aux canines néanmoins acérées dès qu'ils ouvraient la gueule. Prêtes à déchirer la chair disgracieuse de leurs opposants.

Des chiots que n'importe quel gamin s'arracherait sous le regard lasse et résigné de ses parents.

Non, vraiment. Ils étaient parfaits dans leurs rôles. Camouflés par leurs comportements originaux – l'une trop sage, l'autre trop joyeux – de la masse détestable de leurs pairs. Ceux qui, comme Vincent et Gregory, s'attiraient le rejet et la méfiance des élèves portant des blasons enjôleurs. Gryffondor. Serdaigle. Poufsouffle. L’extrémisme de leurs confrères provoquaient un revirement heureux en la faveur des disciples de Salazar plus ouverts ; eux deux en l'occurrence. Diluant les réticences et les défiances dans un verre d'eau salé. Encore que ça, il ne pouvait pas le savoir avant d'y avoir porté les lèvres.

Mais ce serait trop tard.

« Je retiens. Dès qu'on croise une flaque, je nous balance dedans. » Les traces de joie s'estompèrent, laissant seulement la promesse perdurer. Ce serait drôle, voyons. Déconcentrer la studieuse Sharen par des tâches. Des souillures brunâtres et humides. Oh. Cette pensée était fichtrement déplacée. Toutefois... Dans d'autres circonstances, une telle débandade pourrait être agréable. Là, bon, il n'avait pas le temps. Ni de la réchauffer, ni de se salir. Semaine de merde. Sérieux.

Le regard timidement tourné dans son direction l'alerta plus que de raison. Oups. Bon. Elle avait du comprendre. Bordel. Il était vraiment le prince de la discrétion et de la délicatesse. Tu parles de ténèbres. Si ça se trouvait, même Voldemort parvenait à séduire avec davantage de finesse. Oui. Enfin. Le nez en moins, c'était quand même pas très tendance actuellement.

Bref. Le temps filait à toute allure. Et leur entrevue risquait de mal tourner. Il le percevait dans les iris brûlantes de sa cadette. Ça ne s'arrêtait jamais, putain ? Cette fierté mal placée. « Il a peur, je suppose. La mort de Crabbe et Goyle a du le secouer. » Une chose compréhensible, théoriquement. Ben. Non. Pas aux yeux de sa précieuse alliée. « Enfin, c'est pas logique comme réaction, je suis amplement d'accord. Il fait de la merde puissance dix. » Poutant, ça restait son pote. Son meilleur ami. Son chef.

Son attachement était putain de cohérent quoi. « On utilisera autre chose que les lettres. Je vais réfléchir pendant le trajet. » Désormais, Yvain était moins assuré ; plutôt las. Une faiblesse temporaire et douloureuse, de celles que l'on préfère étouffer en silence. D'habitude. Sauf que là, ça faisait un peu trop de coups à encaisser sur deux jours. « Je comptais justement me rendre chez sa mère en premier lieu. Tel que tu le dis toi-même, les missives, c'est un peu dangereux en ce moment. »

Et la brutale rancœur de sa camarade lui vrillait réellement l'estomac. « Je sais. Tu es quelqu'un qui va au bout de ses décisions. Je n'en ai jamais douté, pas une seule fois. » Pas même en t'approchant. « Tu arriveras à tenir le temps que je règle cette affaire de merde. »

D'un mouvement lent, le septième année obligea son interlocutrice à reprendre leur cheminement. Ils n'avaient plus que quelques mètres à franchir pour rejoindre les vestiaires de Serpentard. « Ouais, carrément. » Un sourire lui revenait. Froid. Impitoyable. Inhumain. « Je vais avoir besoin de parchemin absorbant, je pense. La potion est presque prête. »

Eh bien aux remarques de son acolyte, Harmony n'eut plus les moyens de répondre. Elle lui offrit un sourire amusé, mêlé de timidité. Elle ne savait pas trop dans quoi elle s'embarquait, mais la tournure de leurs plaisanteries avait une teinte différente des blagues d'Aston ou des chamailleries avec Milo. Elle savait de quoi il retournait. Une ondée extatique la parcourait, nuancée de la crainte de la chouette qui s'élance au moment de quitter le nid pour la première fois.

Mais d'abord, elle voulait faire la lumière sur les motivations plus générales d'Yvain. Elle avait besoin d'y voir clair et elle sentait que le vent tournait. Il voulait prendre son balai, mentionnait des bagages… Elle comprenait qu'il puisse avoir davantage de responsabilités qu'elle, qu'il devait préparer sa sortie de l'enceinte maternelle de Poudlard. Cependant, au travers de ses mots à demi formulés sourdait une précipitation indéniable. Et ce n'était pas rassurant.
Elle avait été mise à la tâche et s'employait à se rapprocher d'O'Connell, de McWood, de Tiller – faisait le pont entre Lucy et Cyril, songeait même à rejoindre sa famille pour les vacances ! Se rendait-il compte de toute la préparation que cela requerrait ? Elle se forgeait un nouveau masque afin de, par parcelles, oeuvrer à l'union des sorciers contre la menace moldue. Mais ce n'était pas suffisant ! Ce ne serait pas suffisant si elle était seule partisane à agir dans l'académie. Elle ne pourrait gérer McWood et Johnson, lancer l'inquisition à la recherche de nouveaux membres. Et puis, si elle réussissait ? Si elle ouvrait la porte de leur repaire aux nouveaux arrivés ? Alors, quoi ! Elle leur dirait qu'elle est seule ?
Ça ne tenait pas debout.

Aussi ses entrailles se tordaient et ses membres se raidissaient à mesure qu'Yvain lui expliquait. Et elle répliqua, furieuse – non pas blessée -, car rien de tout ça n'avait de sens. Bien sûr que sa loyauté auprès de son ami était honorable ; elle-même avait en son sein noué un pacte pour l'assister – d'ailleurs, l'idée qu'il fusse loin et hors d'atteinte la paniquait car, là, elle serait tout à fait impuissante.
Elle se calmait cependant. Il avait de la merde, reconnaissait Yvain. Oui : avant tout, la Cause. La peur menait aux atermoiements destructeurs – elle pouvait difficilement qualifier de « chef » un garçon qui agissait sous l'impulsion de la peur. La crainte d'une menace était rationnelle et il fallait l'étudier pour construire la stratégie qui viendrait à bout de ladite menace. Pour elle, Drago était un fuyard.

Un fuyard qui exposait les autres, comme Yvain, trop dévoué, trop déterminé à sauver son ami pour son propre bien. Qui risquait de faire capoter toute leur entreprise. Enfin Yvain semblait ennuyé – confronté au pragmatisme envolé de sa cadette qu'il fallait juguler. Ses mots aidèrent – il n'était pas idiot, lui. Il avait réfléchi et réfléchirait, lui.
Et puis il lui donnait raison. Fière et gênée, le rouge qui mâtinait ses joues se chargeait d'une autre signification – moins de la colère que de l'embarras.
« Oui je tiendrai, bien sûr ! » répliqua-t-elle avec le ton de celle qui veut se montrer affirmée. Revenait l'inquiétude, qu'elle n'exprima pas autrement que par une nouvelle pression sur la paume d'Yvain.

Quant à Zabini, elle saluait l'initiative. Yvain était doué en potions et malin comme un diable. Elle suivait ses pas pour arriver à l'entrée des vestiaires. Il n'y faisait pas plus chaud, mais au moins, elle pourrait retirer sa capuche. Ses longueurs étaient trempées et reprendraient leur ondulation naturelle quand ils retrouveraient la chaleur des cachots. Elle s'assit sur un banc en attendant que le brun récupère ses affaires. Détaillant le lieu, son œil fut attiré par un petit objet au sol, comme un balai miniature. Elle s'accroupit pour le récupérer, tournant le dos à Yvain. Elle fut étonnée de voir qu'il s'agissait d'un tricot grossier. Qui diable aurait une peluche en forme de balai ? Elle était vraiment petite, en plus. Elle se releva lentement, l'étudiant, intriguée.

Oh, il le savait. Parfaitement. Jouer sur de telles plaisanteries n’était clairement pas une affaire facile et sans conséquences. Surtout avec la délicate – et innocente, n’est-ce pas ? – Harmony. Enfin. Le septième année s’était fait la promesse de ne pas exagérer les choses, et de la laisser venir à son rythme auprès de lui.

Oui. Même si la frustration le poussait à rêver à des situations un brin trop déjantées. Dénudées. Il ne put s’empêcher de sourire avec un enthousiasme étrange. Cette pensée avait de quoi le titiller. Bien qu’elle se trouva vite reléguée à l’arrière plan. D’autres interrogations venant désormais monopoliser son esprit.

Et souligner tout le bordel provoqué par Malefoy fils. Ouais. Là, malheureusement, il ne pouvait pas vraiment sauver les fesses de son meilleur ami face à sa précieuse alliée. Il se foutait suffisamment dans la merde seul, comme un grand. Ah. Ça. C’était vraiment peu de le dire. Avec des idées de génie en plus – tu sais, mec, la lettre là. Celle qui avait ruiné son calme ; et poussé à la confrontation.

« De mon côté, je ferais de toute façon attention. » Le temps leur manquait déjà cruellement. Cette escapade à la recherche du Prince des Serpentards allait sérieusement lui coûter. Mais voilà. Drago était Drago. Le laisser crever pour les belles narines de Voldemort ne lui plaisait aucunement. « Plus vite je pourrais remplir cette mission, plus vite je pourrais te revenir. »

À ces mots, ses iris s’embrasèrent d’un sentiment réel, quoi que toujours contenu. Fichu discrétion. Obligatoire. Même sous la pluie et dans la tiédeur bienvenue des vestiaires ? « Bon, je vais récupère Giselle. » Une once de regret vint balayer la douceur des yeux d’Yvain, alors qu’il partait en quête de son balai. Quel bordel sérieux. Pourquoi fallait-il que le monde se décide à chier soudainement sur ses bottes ? À croire que foutre la merde était devenue une occupation légitime et distrayante.

Tu parles. Pour certains, oui. Blaise, par exemple. Qui ne tarderait pas à goûter sa vengeance. Lui et son immaculée génitrice.

Le Serpentard esquissa un rictus passablement malsain. La commissure de ses lèvres se tordant en une expression sournoise et excitée par la suite de ses plans. Un tableau troublant, dangereux et éphémère. Déjà estompé la seconde suivante : lorsque ses doigts ouvrirent son casier pour y retrouver son fidèle compagnon de toujours.

Gravé d’un SG sur le manche. Heureusement qu’il n’avait pas appelé son destrier ‘SuperSara’. Ça aurait été un peu glauque, sinon.

D’un pas lent et distrait, le jeune homme revint vers sa blonde cadette. « Trouvé. » À l’instant précis où cette dernière observait quelque chose de dos. « … J’espère qu’elle tiendra le voyage. Parce que si elle me lâche en pleine cambrousse... Je serais bien con. » Enfin. Il savait transplaner. Donc à demi-con. « Si c’était pas aussi dangereux, je suis certain que te prendre avec aurait eu un goût très agréable de comédie romantique. »

Yvain fit le tour de sa camarade en imitant la démarche droite et assurée d’un chevalier. « Et nous nous serions embrassés devant Londres fumante sous les gravas. » Il s’arrêta face à elle, partagé entre le rire et la sincérité. Avant de remarquer l’objet présentement observé.

Un souffle semblait chatouiller ses oreilles, comme une brise légère soulevant une mèche de cheveux encore humide, contre son oreille. Avec lui un doux vertige paraissait vouloir l'emporter. Elle ne connaissait que trop bien ces sensations et déjà, elle craignait le vacillement, l'emprise de l'être indicible dont le souvenir occupait un recoin de son esprit. Elle fut parcourue d'un frisson, anticipant l'intrusion.
Mais rien. La voix s'évanouit et celle d'Yvain redevenait audible.
Elle ne devait pas se laisser emporter par ces tracasseries dont elle n'arrivait toujours pas à tirer du sens. Mine de rien, elle avait eu le sentiment de tisser un lien avec cette femme. Peut-être n'était-elle qu'une vermine, un parasite qu'elle ferait mieux de renvoyer dans les limbes auxquelles elle appartenait. Comment faire ? Elle provenait de la broche. Il fallait détruire le réceptacle de sa parcelle d'âme. Il fallait… briser la broche.

Mais à présent qu'elle levait les yeux vers Yvain, l'air ailleurs – comme par trop souvent – elle ne pouvait se résoudre à briser ce cadeau. Parce que c'était le présent qu'il lui avait offert à Noël, qu'il avait glissé, un sourire amusé aux lèvres, dans sa main, discrètement – alors qu'ils étaient attablés avec des personnes illustres aux rares noms de Westminbrook, Greengrass et Zabini. Alors qu'ils avaient scellés leur amitié, qu'il l'avait entraînée sous la table, la sauvant d'un sort certain. Et c'était là qu'il l'avait attiré à lui, dans un mouvement dépassant toute retenue – parce que le moment l'exigeait, comme la preuve tangible qu'elle était sauve et qu'ils étaient entiers.

Elle cilla, serra dans sa main la petite peluche, saisie d'une fugace nostalgie. Le banquet avait été terrible. Et pourtant. C'était peu, en comparaison des horreurs qui avaient suivi. Elle eut un sourire désolé et lâcha, dans un souffle : « Tu crois que nous sommes vraiment faits pour la comédie ? » Au creux de ses yeux luisait une tendresse non dissimulée.
Mais la dernière phrase chatouilla ses entrailles. S'embrasser. Devant les cendres londoniennes. Instinctivement, elle pressa sa langue contre son palais. L'odeur de fumée semblait réelle. Ses volutes l'enivraient et lui soutirèrent un sourire. Emprunt d'amusement et d'une forme d'attirance. Ses yeux clairs glissaient des yeux de son aîné aux traits de son visage, à ses lèvres. Elle n'oserait pas. Mais s'attardait trop pour qu'il ne remarque pas son trouble.

Elle suivit son regard vers l'objet qu'elle tenait entre les mains. « Il est mignon, ce petit balai. C'est une amulette, peut-être. » Elle le porta au niveau de ses yeux. « Je vais le poser en évidence, histoire que le joueur à qui il appartient le retrouve. Ça doit être un souvenir d'enfance ! » Elle sourit, ragaillardie - cet instant cocasse ne durerait pas et les temps à venir l'inquiétaient, alors autant en profiter, n'est-ce pas ? - et fit volter doucement la peluche vers une étagère entre deux casiers, lui faisant faire un looping au passage.
Puis abaissa sa baguette et pris la main d'Yvain ; grisée par ce geste audacieux, ses yeux clairs lui adressaient une tendresse renouvelée. Ils étaient seuls, après tout.

D’un geste distrait, Yvain caressa délicatement le manche de son précieux balai. Il connaissait les lignes de son bois dans les moindres détails, à force de le tenir en toutes occasions – aussi bien sous le glissement de la pluie que sous l’ardeur lancinante du froid écossais. En fait, les saisons avaient même sculpté le bois par la persistance de leurs terribles conditions climatiques.

SuperGiselle en avait retiré par mal de petits souvenirs, à force de chutes vertigineuses et de mouvements brusques.

Comme la jambe d’un gosse trop turbulent. Parsemée de bleus et de coups à vifs, récoltés lors des jeux et des séances d’aventures un brin sportives. Sans cesse sollicitée par le reste du corps pour de nouvelles expéditions en territoire hostile. Par des envies sommaires – et innocentes, enfin, à l’époque – et le besoin irrépressible de courir. Bref. Son balai, c’était un peu son troisième membre.

Le septième année savait qu’il pouvait s’appuyer sur lui en permanence. Que ce soit au quidditch... Ou pour des missions plus complexes. Genre. Partir en chasse de Malefoy fils pour lui sauver le cul. Si possible, avant qu’il lui arrive un truc définitif et pas très plaisant. Un peu comme pour Crabbe et Goyle. Égorgés dans une ruelle de Pré-au-Lard et abandonnés-là. Moins que des hommes. Pas même des porcs.

Le simple fait d’envisager Drago mort, vidé de ses entrailles et les yeux révulsés, lui donnait fichtrement envie de vomir. Ça ne devait pas arriver. Jamais.

L’esquisse d’un sourire attira l’attention du jeune homme vers sa cadette. Elle lui apparaissait étrangement traversée d’émotions rares et précieuses. Séduisante par de telles fragilités ; de tels écueils silencieux et captivants. « Mmmh. » Il aimait la voir ainsi, transcendant l’image habituelle de la sérieuse et studieuse Sharen. « Je crois que nous sommes faits pour tout ce que nous voulons être. La comédie n’en est qu’une branche. » Celle qui se pinçait les lèvres de gêne lorsque le génie étriqué de son aîné s’ouvrait à des allusions sensuelles. « Et tu sais à quel point j’aime être tout, avec toi. »

Tantôt le bon samaritain. Tantôt la bête assoiffée de sang et d’effroi. Ou encore, parfois, le juge mortel et implacable de sa propre justice. Des calculs précis et dirigés d’une main de maître. Rien n’était laissé au hasard dans la toile étouffante de ses plans.

Le regard désormais attentif, Yvain nota l’intérêt de sa camarade et les sentiments qui venaient troubler leur supposée distance. Un bordel sans l’être vraiment ; sans l’être directement. Juste une torture de plus inscrite dans son cœur, faute de pouvoir passer à l’action. À moins que... Ils étaient seuls, n’est-ce pas ?

Tandis que la délicieuse Harmony guidait la petite couture vers des hauteurs protégées, il se mordit la lèvre. Une amulette ? Peut être. Dans tous les cas, un talisman oublié. Abandonné ? Quel con ce Drago. Sérieux. Il ne perdait rien pour attendre et se faire botter le cul. Dès qu’il serait hors de portée des curieux, évidemment. Là, à part le maudire, il ne pouvait rien faire. Mieux valait foutre ses forces dans quelque chose de plus constructif.

De plus doux. De plus puissant.

« Je me demande... » Les doigts de son alliée se glissèrent auprès des siens, lui tirant une expression plus affirmée. À la fois aimante et charmeuse. « … Tu veux que je te conduise au septième ciel ? » Le Serpentard eut à peine terminé sa phrase qu’il enfourcha son balai, les iris enflammées par son attachement. OK. Et par son humour très approximatif. « Enfin, si tu veux bien. C’est toi qui décides. »