Café, Bavardages & Passerelles interdisciplinaires

25/02/2016

On se regarde pendant un moment, je suis légèrement troublé par ma réaction si brutale. Il n'a pas l'air d'en tenir compte ou alors ne le fais simplement pas remarquer. Il me précise qu'il sera plus délicat avant que je ne lui propose que nous nous échangions tous les deux nos petits problèmes. Je me doute qu'il ne va en aucun cas tout m'avouer aussi facilement, et moi-même je vais éviter quelques détails, mais au moins si cela pourra nous permettre d'éviter d'arpenter ce genre de chemin dangereux à l'avenir alors c'est parfait.

Il m'explique alors qu'il a toujours été sensible avec ce sujet, pas autant que moi visiblement mais passons sur ce détail qui sera certainement remis sous les feux de la rampe un jour ou l'autre. Il a l'air de s'en vouloir, peut-être n'a-t'il pas réussi à sauver l'un de ses patients ou qu'il a été témoin d'une chose de la sorte. Aussi, c'est à mon tour d'entrer en scène, je plonge mon regard bleu-gris dans le sien, prenant une grande inspiration avant de me lancer, je sais bien que je ne vais pas tout lui dévoiler mais tout de même, le fait d'en parler me met dans un état lamentable.

- Pour sauver quelqu'un de lui-même il faudrait d'abord être capable d'entrer dans son esprit, savoir pourquoi il veut s'infliger ça... "Mais je m'égare, je change de sujet, encore. J'essai tant bien que mal d'éviter de raconter mon histoire mais je n'ai pas vraiment le choix." Pour ce qui est de mon petit problème... Disons que le Doloris laisse bien plus de séquelles mentales que physique... Et encore plus quand ce sortilège ôte la vie.

Je l'observe un moment, les souvenirs qui remontent à ma mémoire sont bien trop sombre et encore trop présents. Les mains légèrement tremblantes je le fuis du regard, cherchant quelque chose qui puisse me réconforter, mais rien, il n'y a que lui et moi dans cette pièce. Je ne peux pas supporter cet air pesant plus longtemps, je vais devoir prétexter quelque chose pour m'enfuir lâchement de ce que je ne pourrai éviter toute ma vie, la vérité.

- Je suis navré cher collègue mais j'ai quelque chose à faire aujourd'hui, nous nous reverrons en salle de classe j'espère.

Je lui serre tout de même la main avec un sourire forcé puis sors de cette pièce assez rapidement. Il faut que je me change les idées et que je reste un moment loin de cet endroit. A peine sorti du bâtiment, j'allume ma pipe nerveusement, tirant un grand coup dessus avant de relâcher une épaisse fumée dans l'air. Cette journée ne s'est pas vraiment passée comme je l'aurai espéré, mais j'aimerai tout de même pouvoir travailler avec ce Quinlan, tant qu'il évite de parler du Doloris...

La salle des professeurs est restée déserte pendant votre petite discussion et ce n’est pas pour te déplaire. Tu as bien remarqué que vous vous étiez tous les deux touchés sur un point assez sensible, signe que la psychomagie est un domaine qui est loin d’être une simple branche de la médicomagie pour vous. Tu as besoin de ses lumières, de ses cours, mais en même temps tu refuses de trop te dévoiler à quelqu’un que tu ne connais pas. Ceux qui te connaissent, tu culpabilises de les accabler du poids de ton passé. Dans un sens ou dans l’autre, tu te retrouves coincé, seul avec tes démons. James Dewitt n’est pas moins humain que toi dans les fêlures que tu devines : le Doloris est un sujet hautement sensible avec lui, ce qui est une information en même temps qu’une absence d’info. Tu brûles d’en savoir davantage, tout en reconnaissant James le droit de ne pas raconter sa vie à un quasi-inconnu. Ce même droit auquel tu t’accroches comme la moule sur son rocher. Ta curiosité, aussi vive qu’elle soit, passe fatalement en second.

Tu l’écoutes pointer du doigt le problème principal d’une étude de cas sur le suicide, tout comme les inconvénients de parler du Doloris. Il n’a pas tort, bien sûr, et tu respectes sa décision mais tu émets quand même silencieusement quelques réserves. Une victime du Doloris pourrait très bien souffrir de blessures secondaires, des traumas osseux dus à une chute ou auto-infligées sous le coup de la folie & de la douleur. Tu n’argumentes pas plus, cependant. Tu as compris que, quoi qu’il arriverait, le Pr. Dewitt ne voulait pas aborder ce sujet. C’est dommage, mais tu respectes ça.

Peut-être que vous n’avez pas vu le temps passer, ou peut-être es-tu arrivé au mauvais moment, mais le psychomage prend rapidement congé. Tu jettes un coup d’œil à l’horloge, te disant qu’il te reste quand même pas mal de temps pour préparer ce cours sur les traumas qu’il va bien falloir que tu fasses un jour. Sûrement de la théorie, encore, à moins qu’un de tes étudiants ne se casse miraculeusement un bras en arrivant dans l’amphi. Tu détestes cette impression d’être un prof barbant dont les cours sont ennuyeux à souhait, mais tu n’allais pas non plus briser les os des gens pour leur offrir un cours pratique sur mesure. Bref, t’as le temps d’y penser.

— Oh ! Et bien à la prochaine fois alors, Pr. Dewitt !

Tu le regardes partir en te levant dans un vieux réflexe : maintenant que tu es debout, tu en profites pour fouiller un peu dans les affaires que tu aurais pu laisser dans la salle des profs, avant de la quitter toi aussi, quelques minutes plus tard. Comme d’habitude, tu estimes que tu travailles mieux dans le bordel sans nom qu’est ton appartement.