Take my Hand | Drago Malefoy

Quand on évoquait le nom des Malefoy, une myriade de choses venaient à l’esprit. Une philosophie du sang ancrée depuis des siècles dans l’histoire familiale, un esprit de famille clanique et protecteur, mais surtout une richesse indéniable. Si certaines choses n’avaient pas changé, il était clair que le compte en banque des Malefoy n’était plus ce qu’il avait été autrefois. Le manoir familial, isolé dans un domaine boisé presque revenu à l’état sauvage, semblait tout prêt à s’effondrer. Certaines réparations ne seraient vraiment pas du luxe, mais avec les récents événements, plus personne n’avait le bassement matériel en tête. Narcissa était trop occupée à essayer de trouver comment sauver son fils. Et Drago, comment sauver sa mère.

C’était pour elle qu’il n’avait pas accepté la proposition de Blaise & Daphné de se rendre en Italie, ne serait-ce que pour quelques jours, ou quelques semaines. Il aurait pu, il le savait, pour sauver sa propre peau, laisser la Trace s’effacer, et revenir à la faveur d’un mois d’avril ou de mai peut-être plus calme. Mais ç’aurait été trahir sa mère, et l’esprit de famille tenu pour sacré chez les Malefoy. Oh, il n’oubliait pas son père, mais que pouvait-il pour lui ? Enfermé à Azkaban, il était désespérement hors de portée.

Drago savait qu’il avait agi sur un coup de tête. Voir le nom de ses deux meilleurs amis dans la rubrique nécrologique de la Gazette avait sapé ce qui lui restait de foi. Il redoutait tellement de voir alignés d’autres noms qui lui tenaient à cœur qu’il avait préféré s’isoler, repousser tout le monde. Personne ne pouvait l’aider, et il s’était rendu compte, dans la douleur, que l’inverse était aussi vrai. Il n’était d’utilité auprès de personne, il ne faisait que les retenir, dans un sens ou dans un autre.

Depuis qu’il était rentré au manoir, Drago avait fait profil bas. Sa mère était présente, au moins physiquement, mais quelque chose s’était définitivement brisé chez les Malefoy, quelque chose qui mettrait du temps à se réparer, pour peu que ce soit possible. Chacun était heureux que l’autre soit là, et pourtant peu de paroles furent échangées. Drago regardait les heures passer en contemplant son plafond, allongé dans un lit qui bientôt, ne sera peut-être plus le sien. Tout changeait si vite… tout était si incertain. Et au final, peu de choses semblaient avoir d’importance.

L’ambiance nébuleuse de ses pensées fut déchirée par des coups secs à la porte. Le manoir était grand mais pas au point de ne pas les entendre. La chambre de Drago était d’ailleurs juste au-dessus de la porte. Ce dernier sursauta, et fut soudain pris de panique. Et si c’était les Aurors qui venaient perquisitionner la maison ? Les emmener, lui et sa mère, pour un interrogatoire, direction ensuite Azkaban !? Paralysé de peur, le cœur battant la chamade, Drago entendit à peine la voix d’Yvain. Il ne pouvait pas comprendre ce qu’il disait, mais une chose était sûre : c’était sa voix. N’y croyant qu’à moitié, Drago se leva et alla jeter un coup d’œil par la fenêtre. Yvain…? Il… Il était venu ? Jusqu’ici ? Seul ?

Sans même s’en rendre compte, Drago se précipita dans le couloir puis dans les escaliers et ouvrit la porte dans un grand geste. Il aurait pris Yvain dans ses bras, si seulement il n’avait pas réalisé à ce moment là qu’il en avait envie. Ce désir devenu conscient, il en devenait absurde, obscène et Drago ne put se résoudre à aller au bout du geste. À la place, il resta un peu derrière la porte, qu’il ouvrit encore plus largement.

— Entre. J’ai pas envie de devoir nettoyer derrière toi si tu devais être trempé.

Il avait voulu être sarcastique, peut-être même un peu sec, mais sa voix abîmée de n’avoir pas servi ces dernières heures rendait la réplique faiblarde, fragile & friable.

Yvain. Est-ce que c’était un rêve ? Une apparition dont le seul but était de lui faire miroiter un espoir fou avant de le briser définitivement ? Merde, Drago venait de se rendre compte qu’il fixait son ami du regard, et il se dépêcha de détourner les yeux avant que ceux-ci ne se remplissent de larmes. Il referma la porte, profitant d’être face à elle — et dos à Yvain — pour reprendre ses esprits. Il y avait de fortes chances pour qu’il n’apprécie pas la suite des événements. Pas du tout même.

La pseudo-pique de Drago fit l’effet d’un pétard mouillé, et la réponse d’Yvain n’était pas beaucoup mieux. Les deux garçons étaient gênés, rendus maladroits par les circonstances on ne peut plus spéciales de leur rencontre. Le blond n’aurait jamais cru qu’Yvain vienne le chercher jusque chez lui, tout en ayant inconsciemment nourri cet espoir. Il était un de ces mecs qui feignent le courage en annonçant à tout le monde qu’ils allaient vaincre le dragon seul, mais qui attendaient en secret qu’on les suive.

L’entrée n’était pas beaucoup plus propre et rangée que le reste du manoir. Depuis la débâcle dobbyesque, Papa Malefoy avait refusé d’avoir un nouvel elfe de maison, et Maman Malefoy en était bien peinée. Drago se disait parfois que même s’ils en avaient eu un, ou si Dobby était resté, ça n’aurait pas rendu l’endroit beaucoup plus accueillant. L’adolescent aimait sa maison principalement parce que c’était son foyer, pour les souvenirs qu’il y avait (et encore) : c’était clair que pour un étranger, c’était vraiment pas l’endroit idéal pour passer les vacances.

Drago entendit à peine les quelques mots d’Yvain à propos des orages. Il était à l’abri maintenant, et il y avait de la place pour lui… Il n’allait sûrement pas repartir dans la soirée, si ? Dos à Yvain, le blond essayait de ne pas paniquer à l’idée de rester enfermé plusieurs jours avec l’ami qu’il avait copieusement insulté dans une lettre, il y a quelques jours de cela. Tout n’était pas perdu si Yvain était là… Mais ça ne voulait pas dire qu’il le lui avait pardonné.

Il lui parla de Blaise. Comme ça. Ça sortait de nulle part et ça venait prendre Drago à la gorge. Ce n’était pas nouveau que Blaise & Yvain ne s’entendent pas, mais de là à s’égorger en son nom ? Vraiment ? C’était sûrement plus simple de s’en prendre à ses ennemis qu’à ses amis, car le seul problème de Drago, jusqu’à preuve du contraire, c’était lui-même. Et cette marque qui lui encombrait le bras, dont il ne savait que faire, et qui allait sûrement le mener à la mort. Mais clairement, Drago savait qu’il avait fait de la merde, et il ne le mettait sur le dos de personne. Il avait envie de dire qu’Yvain n’était pas un problème, mais les mots refusaient de sortir. Il n’osait même pas se retourner, à vrai dire, toujours face à la porte, le dos voûté. Rassemblant le peu de courage qu’il lui restait, Drago pivota lentement, jusqu’à remarquer que c’était Yvain qui lui tournait le dos. Une expiration presque soulagée lui échappa, juste avant que son ami ne plante son regard dans le sien.
Merde.

Drago était si à l’aise qu’il mit du temps à comprendre la question d’Yvain. Des trucs amusants ? Il avait une gueule à s’amuser, là, sérieusement ? Drago prit un air surpris et offensé, qu’il perdit cependant bien vite. Il avait manqué à Yvain. Il lui avait manqué. L’air lui manqua soudainement, et son sang vint colorer la peau blafarde de ses joues. Il lui avait manqué.

— Te fous pas de moi, je manque à personne.

C’était sorti tout seul, comme un réflexe. Prolongement de sa fuite verbale, Drago bougea enfin, passant devant Yvain pour gagner un des salons du rez-de-chaussée.

— Tu veux du thé ?

Il demandait mais il avait déjà sorti le service et s’apprêtait à faire chauffer de l’eau. Faire quelque chose, bouger, s’occuper pour ne pas avoir à le regarder trop longtemps, de peur qu’il ne lise trop facilement en lui. Faire diversion, à tout prix.

Il aurait dû le savoir. Jouer l’autruche avec Yvain, ça ne fonctionnait pas. Déjà qu’il n’avait pas marché dans le piège grossier des lettres — même si Drago avait eu paradoxalement peur que cela fonctionne et que les ponts soient à jamais coupés — alors il n’allait pas se faire avoir par une diversion de bas étage à base de ‘je change de pièce et je te demande si tu veux boire du thé’. Drago ne faisait qu’essayer de gagner du temps, rien de plus. Un peu plus de temps, quelques minutes, quelques secondes avant que n’éclate cette affreuse discussion qu’ils devraient forcément avoir un jour. Il profita de ce court répit pour faire une théière d’Earl Grey, dos à Yvain, essayant de respirer le plus calmement possible. Manquerait plus qu’il fasse de l’hyperventilation, tiens.

Yvain finit par ouvrir les hostilités. Heureusement, Drago venait juste de poser les tasses sur la table, et s’effondra dans un fauteuil sous le poids des mots. Il ne se foutait pas de lui… Bien sûr. C’était évident mais Drago ne pouvait pas l’admettre. Il le savait, mais refusait de voir cette vérité-là en face. Les conséquences de ces quelques petites syllabes étaient encore trop difficiles à porter pour lui.

La suite n’était pas beaucoup plus légère. Que devait-il comprendre, exactement ? Qu’est-ce qu’il avait d’y comprendre, lui ? Il se prit la tête entre les mains, réfléchit quelques instants. Que pouvait-il lui dire, à cet ami qui avait parcouru tant de kilomètres sur un balai alors qu’il lui avait balancé des injures la dernière fois qu’il lui avait donné des nouvelles…? Daphné & Blaise aussi tenaient à lui, mais ça n’avait pas la même résonnance. C’était différent. Ce qui liait Yvain & Drago, c’était les Partisans. C’était cette ombre à laquelle ils avaient juré allégeance. Bon gré mal gré.

— Non… Non, on ne va pas s’engueuler, t’as raison. Ce serait débile.

Une sacrée perte de temps et d’énergie, même si dans le fond, ce serait la meilleure chose à faire pour eux. Yvain pourrait s’envoler loin, faire ses trucs sans avoir Drago le loser pour le ralentir, pour entraver son ascension.

— Mais je suis pas sûr de te vouloir docile.

C’était sorti tout seul, et ça sonnait si étrangement dans l’atmosphère moribonde de son salon que Drago ne put s’empêcher d’esquisser un léger sourire. Ce dernier s’effaça rapidement alors qu’il baissa les yeux sur ses doigts qui s’étaient noués nerveusement sur ses genoux.

— Yvain… Cette lettre… C’était des conneries, ok ? Je voulais juste pas qu’on me suive. J’arrive à rien, j’ai beau faire, j’ai aucune directive, rien… Je sais bien pourquoi, tu sais, je sais qu’Il m’a mis là juste pour que j’échoue. Et j’ai échoué. Je peux pas avoir d’amis, Yvain… mes amis… On voit comment ils finissent. Je peux pas… Je veux juste pas…

Putain, ne pas pleurer. Ses mains vinrent ébourriffer ses cheveux, cachant au passage des yeux de plus en plus humides. Livré à lui-même, Drago n’avait pas pu faire son deuil. Il s’était senti vide de toute émotion, perdu dans un monde qui ne semblait plus fait pour lui. Il avait perdu ses repères, et il avait préféré faire le vide autour de lui. Pour protéger ses proches. Pour se cacher aussi. Pour faire diversion. Pour que le vide qu’il avait dans le cœur soit plus tangible, soit réel, visible. Il n’avait pas pleuré. Il n’avait pas réussi.

— Si… s’il t’arrivait… la même chose…?

Il ne se le pardonnerait jamais. Il ne pourrait pas.

Comment trouvait-il la force de plaisanter dans une situation pareille ? Docile. Pas de doute qu’Yvain allait forcément le comprendre de façon totalement tordue, lui qui avait l’esprit résolument sous la ceinture. Pourtant, ça n’avait pas l’air de gêner Drago, sur le visage duquel apparut un petit sourire. Un peu de légèreté, avant d’ouvrir les vannes. Et advienne que pourra.

Déjà, la lettre. Lui dire qu’il n’en pensait pas un mot, même s’il ne pouvait se résigner à ne pas considérer qu’Yvain était quand même, d’une certaine manière, malade. Juste que pour Drago, maintenant, il pouvait passer outre. Yvain lui était trop précieux pour qu’il s’arrête sur de tels détails. C’était ses imperfections, son originalité de caractère qui le rendaient si éblouissant, après tout. Yvain, sans tout cela, ne serait pas Yvain.

Ce dernier s’approcha, entra dans le salon quand il comprit que Drago n’avait vraiment pas dans l’idée de rajouter une couche de merde par-dessus les fosses à purin qu’étaient devenues leurs vies. La proximité d’Yvain ne parvint pas à calmer Drago, bien au contraire. Il se sentait de plus en plus proche du craquage complet, chose à laquelle il se refusait catégoriquement. En sentant la main de son meilleur ami sur son genou, il prit bien attention de garder les siennes dans ses cheveux. Manquerait plus qu’il ait un geste malheureux, quelque chose qui serait fatalement mal compris par Yvain…

Oui, il y pensait en refusant d’y penser. C’était une idée obsédante, entêtante & répugnante qui ne le quittait pas. Étrangement séduisante aussi. Impossible, de toute façon. Il n’était pas encore assez faible pour ça. Peut-être que plus rien n’avait d’importance et que sa courte vie était vaine et inutile, mais Drago n’était pas encore assez désespéré pour en arriver à cette extrémité-là. Et quand bien même. Il y avait Harmony, non ?

Pourquoi essayait-il de se justifier mentalement de quelque chose dont il clamait lui-même ne pas avoir envie ? Déstabilisé par la tempête qui lui agitait les neurones, il eut bien du mal à se concentrer sur les paroles d’Yvain. Il venait de lui confier sa peur de le voir mourir par sa faute, lui et tout ses amis. Et derrière, bien sûr, la peur panique de mourir lui-même.

Mais Yvain lui assurait qu’il n’allait pas mourir. Et qu’il n’en serait pas responsable, de toute manière. Facile à dire… Il lui dit aussi que ça ne servirait à rien, et plein de choses que Drago savait. Quelque part, il le savait mais il n’arrivait pas à se convaincre qu’il avait raison. Il ne pouvait pas s’empêcher de penser qu’en disparaissant, tous ces problèmes là disparaîtront avec lui.

— J’aurais tellement voulu naître à une autre époque…

Un souhait dénué de tout espoir, un énième cri de détresse pour celui qui se refusait encore à trop montrer ses émotions, à moitié par fierté et à moitié par pur engourdissement. Le monde ne lui semblait presque plus réel par moments, avant de soudainement devenir si omniprésent, si oppressant que Drago ne pouvait imaginer aucune issue pour lui ou ses proches.

Il sursauta. Yvain venait de le prendre par les épaules, renversant totalement la situation en pensée. Vraiment ? Le pensait-il seulement ? Ne disait-il pas ça pour essayer de le raisonner, pour lui faire plaisir, d’une manière particulièrement tordue certes, mais on parlait d’Yvain & Drago… Ce qu’il deviendrait ? La réponse était si simple. Tellement évidente.

— Vis. Tu as plein d’autres personnes avec toi. Tu peux encore t’en sortir, tirer ton épingle du jeu. Moi… Qui voudrait sauver un Malefoy ? Mis à part toi, évidemment… Je n’ai aucune importance. Ma famille est la risée des nôtres et nos ennemis ne nous craignent plus. On a tout perdu, Yvain. Tout. C’est pour ça qu’on nous laisse en vie. Parce qu’on menace plus personne. On est risibles. Je veux pas que ce soit pareil pour toi… Loser par association, c’est presque drôle.

Il esquissa un sourire sans joie, se décidant pour une fois à regarder Yvain dans les yeux. Il voulait soutenir son regard, qu’il puisse voir dans le fond de ses iris qu’il ne mentait pas. C’était bien ça son ressenti, à tort ou à raison. Les Malefoy n’étaient que l’ombre de ce qu’ils avaient été. Qu’ils s’éteignent, ça ne serait pas une grande perte.

— Je ne peux pas t’entraîner dans ma chute. Je suis déjà en train de chuter. J’attends juste de trouver le sol.

Jusqu’ici tout va bien. C’est ce qu’on disait, non ?

Oh. Il se plantait ? Drago aurait bien aimé qu’Yvain le lui explique plus en détais là, parce que vu à quoi ressemblait sa vie, le blond était plutôt sûr de ne pas se gourer. Alors il lui expliqua avec ses mots empreints de fatalisme & de noirceur ce qui se passait dans le fond de sa tête. Yvain pouvait bien lui broyer les épaules, il allait lui en falloir davantage pour que Drago ne trouve le courage de se relever, aussi bien physiquement que psychologiquement. On s’était trop acharné sur lui et sa famille récemment. Il avait fini par craquer.

Encore que pas totalement. Une fois sa tirade terminée, il eut encore la présence d’esprit de tourner son regard vers Yvain, cherchant une réponse, n’importe laquelle, à ce qu’il venait de lui dire. Quelque part, Drago espérait avoir tort. Juste que… Le monde n’arrêtait pas de lui tomber dessus comme autant de preuves qu’il avait bien raison, et qu’il allait finir par être totalement détruit. Comment aurait-il pu en aller autrement ?

Et là, Yvain accentua sa prise. Il arracha même une grimace de douleur à Drago, qui ne dit pourtant absolument rien. Il continua à regarder son pote, à l’écouter attentivement, à essayer de lire entre les lignes. Les mots le touchaient bien plus qu’il ne l’aurait avoué, mais il se concentrait bien trop dessus pour que sa soudaine émotivité ne soit visible. Ne pas pleurer, on avait dit. Alors il ne pleura pas, même si son regard se chargea d’une lueur de reconnaissance tout à fait… reconnaissable.

— Tu as un plan.

Ce n’était pas une question. Yvain n’était pas venu ici simplement pour taper la discute ou pour rester à son chevet en attendant tranquillement qu’il en meure d’épuisement. Non, il était venu parce qu’il avait une idée en tête, un de ces trucs qui pourraient effectivement les sauver. Drago était désespéré, mais pas au point de cracher sur la malice de son stratège. Un petit sourire flotta sur le visage de Drago, avant que celui-ci ne grimace de nouveau.

— Tu me fais mal…

Par contre oui, s’il pouvait lui lâcher un peu les épaules, ce serait sympa. Yvain était venu pour le sauver… pas pour le réduire en miettes. À moins que ce ne soit là son plan B ? Peu probable, compte tenu de ce qu’il venait de lui dire. Putain, pour un peu, on aurait pu croire à une déclaration d’amour.

Non Drago. N’y pense pas. Trop tard. L’idée paraissait si révoltante, si répugnante que Drago s’y focalisa soudain avec une fascination morbide, se souvenant soudainement de sa propre déclaration, passée elle totalement sous silence. Un coup de folie qu’il regrettait, et qu’il espérait n’avoir jamais à expliquer. Jamais. D’ailleurs, ça ne s’était jamais produit. Jamais.

L’expression d’Yvain bascula à cette seule phrase. Tu as un plan. Au début, Drago n’y avait pas pensé, et ensuite il n’y avait pas cru. Mais il était bien là, derrière ces prunelles sombres. Yvain avait un plan. Et même s’il était désespéré, mal ficelé, c’était Yvain alors il allait forcément fonctionner. Ça ne pouvait pas en aller autrement. Drago répondit au rictus de son ami par un sourire amusé et soulagé, signe de la confiance totale qu’il plaçait en lui.

Le septième année se calma soudainement et se recula même pour aller prendre place dans l’autre fauteuil. Oui, il lui avait fait mal, mais s’il avait été plus direct, Drago n’aurait pas été sur le point de craquer. La coquille s’était de nouveau refermée, les larmes ravalées, et le désespoir relégué au second plan. Peut-être définitivement, d’ailleurs, même si Drago ne voulait pas aller trop vite en besogne. Pour qu’un plan puisse fonctionner, dans la situation actuelle, il allait falloir une bonne dose de chance. Heureusement pour Drago, Yvain était sûr de lui. Ça faisait un changement rafraîchissant.

— Un jour viendra où tu n’auras pas de plan, Yvain. Mais je suis content de savoir que ce jour n’est pas arrivé.

Le blondinet se tut, et but son thé en écoutant attentivement son ami. C’était comme si la mélancolie qu’il avait ressentie quelques minutes auparavant s’était soudainement envolée, comme si le fait de pouvoir suivre les idées d’Yvain suffisait à lui remonter le moral. C’était à la fois très beau et très effrayant si c’était le cas.

Le plan était simple : se barrer d’Angleterre le plus vite possible et éviter de se faire tracer. Yvain comptait bien emmener Narcissa Malefoy également, la mettre en sécurité en même temps que lui, chose à laquelle Drago hocha solennellement la tête. Il se demandait bien où ils allaient pouvoir aller, quand Yvain mentionna le Danemark. Il était sérieux là ? Le Danemark ? Avant même qu’il ne réussisse à se contrôler, les yeux de Drago brillèrent, se remémorant un échange de courriers qui devait sûrement paraître débile & sans importance pour Yvain. Le Danemark. Il lui avait dit un jour, qu’ils y fugueraient. Et c’était ça, son plan. C’était si fou & simple que c’en était presque génial.

Drago allait en effet protester sur le chapitre ‘transports moldus’, mais Yvain marquait un point. Jamais le Ministère ou les Mangemorts n’iraient chercher les Malefoy dans un bête train ou bateau moldu. Ça ne les ressemblait tellement pas de voyager par ces moyens là que… Qu’ils n’avaient pas le choix de les emprunter. Drago comprenait, et il était prêt à se laisser mener par Yvain. Il était prêt aussi à convaincre sa mère si elle n’était pas d’accord. C’était leur seule chance de survie. Alors non, Drago n’avait pas de question… Ou alors si. Mais pas celles qu’aurait imaginé Yvain.

— Et toi ? Comment tu vas justifier ton absence ?

Et évidemment, il y en avait une autre. Plus retorse, plus sensible… Le sommet d’une pente glissante sur laquelle Drago ne voulait pas s’engager tout en étant indéniablement attirée par elle comme on aurait l’appel du vide.

— Et pourquoi le Danemark ?

Les choses n’allaient pas être simples là-bas : Drago ne parlait pas danois, après tout… M’enfin, restait à savoir combien de temps ils allaient devoir rester en planque dans un pays étranger. Au moins quelques semaines pour que la Trace s’efface, mais leurs poursuivants avaient d’autres moyens de les retrouver, non ? L’exil. C’était la seule solution pour ne pas mourir. Fuir, comme des lâches.
Heureusement, Drago n’a jamais clamé qu’il était courageux.

Ah. Il était content aussi ? Ça devait sûrement être une bonne chose. En quelques secondes, l’atmosphère du salon s’était un peu allégée, même si le plan d’Yvain n’était pas le meilleur du monde et que Drago sentait son cœur se serrer à l’idée de quitter son manoir & son pays. Quitter ses amis aussi, pour rester seul avec sa mère, au moins pour un temps.

Perdu dans ces sombres pensées, le blondinet en sursauta en entendant Yvain se plaindre de sa brûlure, avant de demander l’air de rien où il avait acheté son thé. Drago haussa un sourcil, se demandant un temps si son pote était sérieux mais il avait déjà la réponse. Yvain était sérieux. Il était comme ça, l’esprit bondissant d’une idée à une autre sans s’encombrer de transitions. Qu’ils parlent d’un voyage illégal menant à l’exil ne l’empêchait pas de songer à des choses aussi triviales & futiles que de boire du bon thé sur la route. C’était agaçant, mais Drago ne le lui reprochait pas. C’était aussi ça qu’il appréciait chez lui.

— Je ne sais pas où on se fournit, mais on peut bien prendre le reste pour la route. D’ailleurs, je suppose qu’il va falloir faire croire à une disparition…

Ce qui supposait de n’emporter quasiment rien pour ne pas éveiller les soupçons et rendre leur fuite trop évidente. Drago songeait qu’il allait devoir laisser des choses personnelles pour qu’on ne puisse pas privilégier de suite un départ volontaire. L’idée lui brisait ce qui lui restait de cœur, mais si c’était nécessaire, il était prêt à le faire.

Quant à Yvain, la réponse à la question de Drago était on ne peut plus simple pour lui. Personne ne s’intéressait à un type comme Yvain, et le blondinet avait fini par l’oublier. Avec un petit sourire, il ajouta presque tristement, avec regret :

— C’est vrai que tout le monde ne te connait pas. On a tôt fait de se fier seulement aux apparences.

Ça avait également été son cas, et ça l’était peut-être encore un peu. Drago estimait connaître Yvain, mais peut-être pas autant qu’il l’aurait voulu. Pas autant qu’il aurait dû. Pas alors que lui le connaissait trop bien. Ce regard qu’il lui lançait était un peu trop perçant à son goût. Trop dangereux. Tout comme cette idée d’aller au Danemark.

Lui donner de beaux souvenirs ? Sérieusement…? Drago s’enterra dans sa tasse de thé, baissant soudainement les yeux pour qu’Yvain ne puisse pas y lire tout ce qui s’y trouvait. Il n’avait pas oublié, et il avait toujours été sérieux. Putain, Drago était en colère. Son cœur se gonflait d’un sentiment qu’il préférait réprimer, mais sa tête enflait de rage. À quoi bon espérer ? À quoi bon entretenir cette idée folle ? Pourquoi Yvain n’y coupait pas court tout de suite, pourquoi est-ce qu’il ne lui faisait pas croire qu’il ne tenait pas à lui ou qu’il se foutait bien de lui ? Que rien de ce que Drago ait dit ne soit important…? La bonté d’Yvain était cruelle, acide, brûlante comme de l’alcool jeté sur une plaie béante. Elle ravivait des questions que Drago ne voulait pas poser, des questions dont il ne voulait pas les réponses. Drago aurait préféré d’Yvain un mensonge confortable à cette vérité douce-amère, ce poison au goût exquis qu’on ne peut s’empêcher de savourer alors qu’on sait qu’il nous tuera.

Il fallait qu’il parte. Lui et sa mère. Le plus vite possible. Fuir Yvain était devenu presque aussi primordial que de fuir cette Angleterre natale qui voulait leur mort. Fuir. Si seulement Drago pouvait fuir ce qui se tapissait dans le fond de son âme…

— Demain matin, le temps que tu te reposes, non ? Sinon ce soir. D’après ce que j’ai compris, le plus tôt sera le mieux. Mère sera sûrement d’accord.

L’expression de Drago s’était faite plus dure, plus froide, pour mieux résister au monstre qui s’était emparé de lui quand Yvain avait évoqué le Danemark et indirectement, leur correspondance. Les lettres. La lettre.

— Au fait Yvain…

Merde, qu’est-ce qu’il faisait…? Embarrassé, Drago rougit et ferma la bouche en baissant les yeux, avant de murmurer :

— …Non, rien…

Bravo. Vraiment, bravo.