[Intrigue] Il était une fois ...

Une nouvelle fois, l'intruse avait passé les barrières de sa conscience, s'était glissée entre les limbes de ses rêves, l'asservissant au bon vouloir de ses visions. Son corps s'était convulsé, agité, tordu, retourné : marque de la lutte contre cette agression subtile et intime.

Cette fois-là avait été différente. La dame du rêve était sortie de son crâne : elle avait fait une apparition spectrale dans le dortoir. Hope avait compris que quelque chose se tramait. Harmony avait dû ruser.
Elle paniquait : la femme gagnait-elle des forces, puisées au creux de l'esprit de la jeune sorcière ? Mais elle avait donné une piste à la jeune fille. Peut-être la clef de résolution de toute cette affaire était le tableau dont la femme parlait. La Serpentarde, curieuse, animée par la hâte d'être débarrassée de ce parasite, avait accepté de la suivre.

Elle avançait à pas de loup dans les couloirs du château, craignant de croiser le chemin de ronde des Préfets. Elle connaissait le parcours que prenaient certains d'entre eux, les plus prévisibles. Elle l'avait étudié pour prendre le moins de risque possible en se rendant aux réunions des Partisans.

La silhouette rejoignit un couloir plus petit et s'arrêta devant une peinture ancienne, naïve, dont le personnage somnolait, sous un pommier du décor. Elle lui expliqua que son frère venait souvent ici. Son frère avait donc été élève ici. Quand ? A une date ultérieure à celle de création de cette peinture. Harmony essaya de discerner la signature sur le tableau, une note quelconque sur l'huile apposée à la toile, ou bien sur le cadre.

Dans un murmure, Harmony reprit ses questions. "Excusez-moi, je vous ai déjà posé cette question. Vous ne m'avez pas répondu. Qui êtes-vous, au juste ?" Elle n'avait pas répondu, les premières fois, prétextant l'urgence dans un songe inquiétant. Ici, elles étaient seules, au calme. "J'aimerais connaitre votre nom." Elle lui devait bien ça. "Votre frère... Vous étiez tous les deux à Poudlard ?"

Elle l'observa tenter de pousser le tableau. Bien entendu, l'apparition était intangible et ne put déplacer l'objet. Avant de l'aider, Harmony la regarda bien en face. "Je vais vous aider, madame. Mais avant, j'aimerais que vous me répondiez. Vous comprenez, vous êtes l'hôte de ma conscience depuis des mois, maintenant. Vous savez beaucoup à mon sujet et je ne sais rien. Je souhaite vraiment vous venir en aide, mais j'aimerais savoir qui j'aide." Elle lui sourit - elle n'était plus en colère, plus comme les fois précédentes.
Elle était simplement intriguée et ne voulait pas servir de marionnette dans un but qu'elle ne comprenait pas. Aussi elle fit un pas en direction de l'être luminescent. Son sourire était doux.

"Vous dites vouloir vous libérer. Est-ce un maléfice dans la broche qui vous retient ? Votre âme, lorsque vous serez libre... Vous pourrez rejoindre les vôtres ?" Elle pencha la tête de côté. "Je vous pose beaucoup de questions mais, voyez-vous, c'est que j'aimerais vous aider. Si vous m'en dites plus, je pourrai mieux vous assister."

Et en signe de bonne foi, elle passa sa main sur le contour du cadre. Oh, elle allait faire ce qu'elle lui demandait. Mais elle espérait néanmoins une réponse. Une petite piste. Elle lui devait bien ça.

Elle détaillait les traits éthérés de son amie nocturne. La compagne de ses songes. Ses longs cheveux blonds ondulaient plus bas que ses omoplates. Le dessin flouté de son visage adoucissait encore ses joues rondes, son nez mutin. Elle semblait jeune. Elle paraissait être morte jeune.
Quelle avait été sa vie ? Les questions se faisaient plus pressantes. Car, si elle en avait eu des extraits, des impressions, Harmony ne la connaissait pas. Elle ne savait même pas son nom. Et bientôt elle la délivrait et elle la quitterait définitivement.

Elle finit par lui poser la question. Jane Croft. Croft... C'était un nom qu'elle avait déjà lu. Grâce à la date qu'elle avait pu distinguer, près de la silhouette assoupie sur le tableau, elle eut un déclic. Croft. C'était la période de la Guerre des deux Roses. Elle avait lu certains livres sur cette période, afin de préparer ses cours d'Histoire de la Magie – Harmony ne laissait jamais rien au hasard. A cette époque, un sheriff et trésorier du roi Henri VII s'appelait Croft. Richard Croft. Il s'était impliqué dans cette guerre, lors de la bataille de Mortimer's Cross, et était mort au début du siècle suivant. Elle se souvenait des détails de cette bataille car on y avait aperçu un rare parhélion : trois soleils alignés dans le ciel. Harmony garda cette information pour elle, le temps de la mettre en ordre et en cohérence avec les autres éléments qu'elle connaissait de son invitée mentale.

Elle lui sourit. Le portrait qu'elles cherchaient était à l'emblème de Gryffondor. Elle connaissait donc la maison de Jane. Son frère était-il lui aussi un Rouge et or ? Elle lui demanderait peut-être plus tard. Pour le moment, elle devait comprendre le sens de toute cette mascarade. Elle lui avait déjà dit qu'elle était prisonnière d'un artefact, cette broche, certainement, mais elle avait été coupée par l'avancée de créatures sombres, semblables à des détraqueurs, sur l'océan. A sa réponse, le sourire d'Harmony se tordit.
L'éternité, un rêve caressé par tant d'ambitieux, était une illusion prisonnière pour l'âme perdue de la douce Galloise. Harmony hochait la tête, désolée. « Merci, Jane. Je vais faire tout ce que je peux pour vous aider. »

S'exécutant, Harmony poussa le tableau vers la gauche, curieuse de trouver l'éventuelle cachette qu'il dissimulait.
Une question la taraudait toutefois. Elle se souvenait bien des chants dans une langue qu'elle reconnaissait mal, le drapeau gallois au dessus de la tombe. Pourtant, il lui semblait que le Croft Castle était situé dans le Comté de Hereford qui, s'il jouxtait le pays de Galles, n'en faisait pas partie. « Excusez-moi, j'ai une autre question... Croft. Vous êtes une parente de Sir Richard Croft ? Je croyais avoir vu le drapeau gallois pendant l'enterrement de... votre père. Les Croft sont anglais, non ? » Elle fronçait légèrement les sourcils, essayant de mettre de l'ordre dans ses pensées, pour donner corps à la silhouette scintillante, comprendre qui elle était et ce qu'elle faisait dans une broche d'occasion achetée par Yvain dans un village du pays de Galles.

Doucement, délicatement, Harmony appuyait sur le cadre qui se décalait sur la gauche. Un mouvement qu'il n'avait plus dû opérer, des siècles durant, après quelques années où il fût pour un élève un refuge. Harmony se prit à songer qu'il devait exister de nombreuses cachettes de ce genre, dans le château. Une bâtisse ayant accueilli des milliers d'élèves, d'un siècle à l'autre, apportant chacun leurs craintes, leurs rêves et leur histoire enfantine. Ils ont grandi entre ces murs, véritables tuteurs des sorciers de ce pays, imprégnés de l'affection filiale qu'ils leur ont porté, alors qu'ils étaient adolescents.
Elle-même considérait le château comme son foyer, Serpentard comme sa famille – sa deuxième famille, celle qui l'avait acceptée, qui avait compris ses tracas et ses ambitions. Nul doute qu'un château autant travaillé par le flux magique gardait en lui les marques des âmes qui l'avaient traversé.

Devant elle se dévoilait un passage sombre, recouvert d'un épais manteau de poussière. Harmony s'avançait, non sans hésitation, à la suite de Jane. Elle espérait ne pas être victime d'une crise d'éternuements, où elle alerterait bien vite Miss Teigne.
Elle finit par poser sa question. Jane confirmait : Sir Richard Croft était son père. Elle lui expliquait alors son lien avec le Pays de Galles. La lignée des Glyndŵr. Ce nom, évidemment, était connu de la jeune fille. Elle hocha la tête. Elle avait lu les résumés des annales concernant Owen  Glyndŵr, le Gallois qui voulait l'indépendance de son pays. Elle sourit à Jane. Descendre d'une telle lignée devait effectivement s'accompagner d'un attachement fort pour le drapeau au dragon. Elle ne se doutait pas un seul instant qu'il puisse y avoir de la souffrance dans l'énonciation de ce patronyme. En effet, il restait un héros national pour les habitants de la région de Cardiff.
Aussi, la dernière remarque de son guide lui fit froncer les sourcils. N'était-elle pas fière de ses origines ? Peut-être faisait-elle mention d'une forme de déshonneur dont aurait souffert leur famille, par rapport à la Couronne. Mais Richard était un officiel de Sa Majesté, pourtant... Harmony ne comprenait pas.

Elle prit la suite de Jane et avança dans la cachette, après avoir formulé à voix basse un Lumos. Sa baguette devant elle, elle inspectait les lieux. « Allons, trouvons ce tableau ! » dit-elle avec un enjouement non feint. Une fois que Jane aurait trouvé un réceptacle plus adéquat, elle pourrait tranquillement répondre à ses questions.

Harmony avançait à la suite de sa guide, avec précaution. La Serpentarde se demandait encore ce qu'elle faisait, à cette heure de la nuit, à crapahuter dans un tunnel inconnu, à la suite d'un spectre, pour retrouver une peinture ancienne. Ça n'avait strictement aucun sens qu'une jeune fille aussi raisonnable qu'elle se retrouve dans une telle situation.
Elle devait avoir pris de mauvaises habitudes auprès de ses nouvelles connaissances. S'enhardir, oui, pour le simple frisson de l'aventure, non.

Mais elle était bien obligée. Autrement, Jane Croft continuerait de la visiter et ne laisserait plus son esprit seul. Et puis, finalement, elle voulait savoir le fin mot de cette histoire. Quelque chose lui disait que les livres d'histoire ne répondraient pas à ses questions.
Ce n'était pas une intuition soudaine, mais un prétexte de plus.

Alors elle pointait prudemment sa baguette, éclairant le sol d'un lumos. Il y avait des livres partout, des parchemins rapiécés, qui devaient être couverts de notes de cours, sur les carreaux froids. Non loin, des coussins. Quelqu'un se réfugiait vraiment là. Le frère de Jane, a priori, s'était organisé une véritable cachette pour... étudier, lire ? De nombreuses salles étaient accessibles, toutefois, dans le château, pour trouver un semblant de calme. De nouvelles questions assaillaient Harmony et elle se sentait de moins en moins à l'aise dans cet environnement.
A l'inverse, Jane semble animée d'une joie toute nouvelle. La nostalgie ?

Elle n'a le temps de le lui demander car un vrillement dans l'air agresse leurs oreilles. Ce n'était pas un acouphène, n'est-ce pas, si le spectre lui aussi avait pris un air terrifié ? Mais alors que le bourdonnement persiste, la sensation étrange qui mettait tous les sens de la Serpentarde en alerte retombait.
Etonnée de ce brusque revirement de situation, elle cherche l'origine du bruissement qu'elle perçoit encore. Impossible d'en trouver la source. Elle ne comprend pas ce que ça peut être.

Son air interloqué rencontre celui de Jane. Et alors qu'elles s'interrogent du regard, un craquement sonore les interrompt. Plus de lumière. Harmony répète, fébrile, le sort : en vain. Elle ne peut plus utiliser sa magie. « Jane, que se passe-t-il ? Je n'arrive plus à me servir de ma baguette. » Elle ne perçoit même plus le halo lumineux du spectre. « Cet endroit était-il protégé ? Votre frère, il s'y réfugiait, pourquoi ? Seulement pour trouver du calme ? » Au creux de sa voix, la panique pointait.
Elle ne voulait pas finir là.

Complètement perdue. Elle n'avait plus aucun repère. Son souffle qui devait se faire rauque était inaudible. Elle n'était plus qu'une conscience dans la nuit. L'extrémité de ses doigts fourmillait contre le bois d'aubépine, son cœur s'emballait : elle paniquait. Elle était complètement perdue dans l'inconnu. Dissoute dans l'opacité. Elle n'entendait rien que l'acouphène croissant, ne sentait rien d'autre que le contact de ses vêtements, respirait un air vicié sans comprendre comment. Ses pensées se bousculaient, s'entrechoquaient dans un désordre assourdissant.

Finalement, la voix de Jane brisa la chape annihilissante. Harmony sursauta. Le ton de sa guide, teinté d'effroi, n'empêchait pas son soulagement. Elle ne rêvait pas, elle était toujours là, elle n'était pas seule. Elle étouffait de ne rien comprendre et sa voix brisée articula « Des... Quels autres ? » Mais un autre son la surprenait. Etonnamment doux. Des sphères d'un bleu chatoyant se détachaient de l'immatérialité dans laquelle elles étaient plongées. Leur lent flottement rassérène quelque peu la Serpentarde.
Harmony essaie d'en attraper une. « Je... ne sais pas. Je ne crois pas que cette pièce nous veut du mal. » Elle tentait de déceler un quelconque contraste, grâce à la lumière des boules vaporeuses. Elle cherchait à comprendre de quoi il s'agissait, fronçant les sourcils.