Soirée de bienvenue

Le regard fuyant de Chris en réponse à ses questionnements sur Clemens fit frissonner Isolde. Elle hocha la tête lentement, sans conviction. Les paroles qui se voulaient réconfortantes sonnaient creuses à ses oreilles. Elle tordit involontairement ses mains, incapable pendant une seconde de cacher son trouble. S’il s’était rendu compte de son absence, pourquoi ne tentait-il rien ? Ses yeux fixèrent le tapis, et elle ajouta dans un murmure :

- Ou alors il s’est juste perdu…

Elle maintint son regard sur le tapis, repoussant en elle ses craintes indésirables. Elle sentait monter en elle une vague incontrôlable qu’il lui fallait à tout prix contenir, le brouhaha des conversations emplissait douloureusement sa tête et ses mains tremblaient légèrement. Ses yeux fouillèrent la pièce en quête d’une idée pour les occuper. Le bar rutilant lui apparut comme un havre et elle s’y réfugia, se recomposa une mine paisible au passage et saisit au hasard des bouteilles sur les étagères vitrées.

Comme on pouvait s’y attendre dans une fête d’étudiants, l’idée encore gentillette de s’amuser à faire des cocktails originaux vira en un moins innocent concours de shots, et la cousine de Chris - mais était-ce seulement possible qu’elle soit sa cousine ? Il avait l’air aussi étonné qu’Isolde d’une telle parenté - était la plus motivée pour faire monter le taux d’alcoolémie de l’assemblée. Isolde regretta un instant d’avoir lancé l’initiative, le souvenir cuisant de son immolation ratée en janvier revenant brutalement à son esprit. Clemens et elle, complètement saouls, avaient eu la brillante idée de faire flamber le règlement ; ce à quoi le Comte avait répliqué en faisant flamber leurs habits. Elle lança un regard inquiet sur les - déjà - nombreux verres dans les mains des étudiant.e.s, et se promit de rester assez sobre pour empêcher toute initiative du genre. Juste assez sobre ; elle aurait bien besoin d’un verre elle aussi, si elle voulait tenir le rôle de la maîtresse de soirée enjouée jusqu’au bout.

Elle se servit un punch, l’oreille distraitement attirée par les conversations voisines. D’habitude si bavarde dans ce genre d’occasion, elle avait la gorge nouée. Pourtant elle ne pouvait pas rester là, sans parler ni rien faire de plus que siroter son verre en évitant de croiser trop de regards. Mimant un intérêt soudain pour le tourne-disque, elle s’en approcha et plongea ses yeux et ses doigts dans le fouillis de pochettes.

Le rire exagéré de Brook la tira de ses rêveries. La jolie blonde voulait attirer l’attention, et elle y mettait tout son coeur. Si Isolde n’entendit pas le plan fomenté pour attraper Ben, elle fut vite instruite par les regards éloquents de Lysandra. Ses yeux volèrent de Brook à Ben, puis aux disques. Puis à Brook. Et avec un clin d’oeil pour cette dernière, elle lança un nouveau morceau.

La musique des Bizarr Sisters résonna dans la pièce. Amplifié par magie, le rock endiablé invitait à la danse - il ne tenait plus qu’à Brook de s’emparer de la piste, et du jeune homme avec.

Satisfaite, Isolde leva son verre.

- Je lance le jeu de Brook ! Au moins serait-elle dispensée de parler le temps que les autres relancent. Elle en venait à compter le nombre de minutes maximum qu’elle pouvait laisser s’écouler entre chaque phrase pour parler peu mais éviter de se tailler une réputation de croque-mort dès le premier jour. Se jeter à plat ventre sur un cognard, raconter une blague au professeur Rogue et s’asseoir sur un but de Quidditch.

Ses doigts nerveux battaient le verre, et elle se sentait vulnérable, debout au centre de la pièce. Le jeune homme au fort accent américain était proche - Brook l’avait-elle bien appelé Leo ? L’humeur trop joyeuse pour elle du jeune homme dissuadait presque Isolde de l’aborder, mais ses pieds l’amenaient déjà devant lui.

- Bonjour ! Leo c’est ça ? Je crois qu’on est colocataire. Je suis Isolde, c’est moi qui ai envoyé la lettre, dit-elle en souriant le plus chaleureusement possible.

Le jeu mettait un peu de temps à démarrer, tout le monde restant plus ou moins sagement dans son coin, et Isolde vit à peine une ou deux fesses se trémousser lorsque le rock des Bizarr Sisters retentit. Heureusement, Brook avait de l’énergie pour toute l’assemblée. D’une voix assurée, elle relança les défis (et le taux d’alcoolémie) et Isolde leva deux fois son verre… puis une troisième fois. Avec un sourire en coin, elle vida d’un trait son troisième shot. Elle se sentait un peu plus légère déjà, et elle roula des épaules et de la nuque. La tension les avait raidis sans qu’elle en ait conscience, et elle soupira en fermant les yeux une seconde.

Elle venait à peine d’aborder Leo que le verre explosa sur Zahara. Les cris de Brook la firent sursauter et elle posa instinctivement sa main sur sa baguette, qui ne la quittait plus. Paniquée, elle fouilla la pièce des yeux, persuadée que le cri était dû à une nouvelle intervention du Comte. Mais Brook semblait avoir cassé le verre toute seule. Isolde allait avoir du boulot de Présidente plus tôt que ce qu’elle aurait pensé. Avec un geste d’excuse, elle quitta Leo.

Elle se fraya un chemin à travers la salle à la suite des deux jeunes femmes, désireuse de s’assurer qu’elles n’étaient pas blessées. L’entrée, sans avoir frapper au préalable, de Skyler lui fit froncer les sourcils et elle avança plus vite vers la chambre. Elle frappa un coup interrogateur sur la porte et passa la tête par l’ouverture, prenant soin de cacher de son corps celui, déshabillé, de Zahara, à la vue du salon.

- Tout va bien ? Je peux vous aider ? Vous n’avez pas reçu d’éclats ?

Comme elle s’en doutait, la présence de Skyler n’était pas vraiment la bienvenue, et elle trouvait déplacé qu’il se soit précipité sur la robe de Zahara alors que les deux venaient à peine de faire connaissance. D’un ton doux mais ferme, elle s’adressa à lui.

- Skyler, merci de ta sollicitude, mais je crois que Brook et Zahara se débrouillent bien seules. Un coup de récurvite et ta robe devrait mieux se porter, ajouta-t-elle avec un sourire à la jeune Arabe.

Elle loucha involontairement sur les superbes robes que Brook venait d’apporter - elle n’osait même pas se demander combien de mois de son salaire de serveuse lui seraient nécessaire pour s’en payer une seule - et d’un geste, invita Skyler à sortir. Leo était heureusement proche ; elle l’invita d’un signe de tête à se rapprocher. Elle s’adossa au mur à côté de la porte, prête à revenir si les deux jeunes femmes avaient besoin d’elle, et lui sourit doucement pour l'encourager à reprendre leur conversation.

Si Chris avait pu choisir un jeu auquel jouer avec sa cousine après des années de séparation, à l'inverse de Brook, il n'aurait très certainement pas choisi le "Never Have I Ever". Lui en l’occurrence, connaissant le caractère du personnage, aurait opté pour un "Celui qui se fait le moins remarquer ce soir gagne." Certes ça n'existait pas mais le reste de la soirée allait prouver que, pour lui et les autres Phénix, inventer un tel jeu n'aurait pas été une si mauvaise idée. Il n'avait rien contre la proposition de jeu, ayant lui-même déjà joué de nombreuse fois. Mais de là à y jouer avec sa cousine... Il avait peur de ce qu'il pourrait apprendre. Elle avait grandi mais était toujours aussi... particulièrement délurée.

Malheureusement -ou pas- elle perdit de son aplomb en apprenant la nouvelle de leur prochaine collocation. Elle avait eu le même effet chez lui alors il ne pouvait que la comprendre. Si seulement Ash était encore chez les Phénix, peut être qu'il aurait été celui héritant d'une chambre commune avec leur petite cousine. Après tout, c'était lui le plus vieux, ça aurait été plus logique qu'il veille sur ses cadets non ? Raaaah, maudit Comte. Maudite université ! Brook parlait et parlait encore. Dans son état d'esprit actuel, il avait encore plus de mal que d'habitude pour l'écouter réellement. Mais les excuses qu'elle prononça lui remirent les idées en place. De toute la jeune vie de Brook, Chris ne l'avait que très rarement entendu présenter des excuses. Elle était trop fière et hautaine pour ça, s'était-il souvent dit. Alors comment vous expliquer que l'entendre proférer ces quelques mots était une touche d'espoir pour le portugais ? Peut-être qu'elle s'était assagie, tout compte fait. Qu'avec le temps, elle était devenu plus raisonnable. Peut être que leur collocation ne serait pas si terrible, se surprit-il à espérer. Chris lui offrit un sourire compatissant avant de répondre, malgré la façon peu respectueuse dont elle parlait de son père. Il ne faut pas trop en demander d'un coup, j'imagine.

« Ce n'est pas de ta faute ne t'en fais pas. Je suis très honoré qu'oncle me voit comme un modèle, mais je doute d'être le mieux placé pour être franc. Mais tu restes ma petite cousine et il sait que je prendrais soin de toi s'il le faut. J'imagine que ça lui suffit. »

Satanées valeurs familiales si importante pour Chris. Il ne pouvait s'empêcher d'apprécier sa cousine malgré son excentricité et de lui pardonner aisément ses comportements abusifs. Elle assurait qu'elle allait arranger tout ça mais malgré tous ses caprices, il doutait qu'elle puisse y arriver. Brook parti de son côté et il ne savait pas si c'était une bonne ou une mauvaise chose. D'un côté il allait être tranquille mais de l'autre, il ne pourrait pas la contenir. Seul le temps détenait la réponse à cette question.

Isolde aussi s'était écartée de lui, faisant de son mieux pour cacher aux autres son mal-être et son inquiétude. Mais il avait vu son regard ainsi que le tremblement de ses mains. A un moment où un autre, il faudrait qu'il trouve un moyen pour lui changer les idées de manière efficace. Mais pas tout de suite. D'abord, prendre le temps de souffler un coup. Mia était partie rejoindre Ben après avoir noté qu'il était en pleine conversation. Avec un  peu de chance, il pourrait aussi passer un peu plus de temps avec elle dans la soirée. Cet étrange sentiment de vouloir être seul tout en ayant envie de voir ses proches. En parlant de personne qu'il voulait voir, en voilà une qu'il aurait aimé ne pas trouver ici. Ou nul part ailleurs sur Terre, pour être franc. Rebeka était donc à Phénix, elle aussi. Son niveau de haine envers le Comte, le destin ou tout autre entité qui s'amusait à faire de sa vie un enfer augmenta d'un cran, alors qu'il pensait cela impossible. Pourquoi avait-il fallu que cette idiote égocentrique se retrouve exactement dans la même confrérie ? Ils n'avaient rien en commun, qu'on ne vienne pas lui dire que la répartition se faisait selon le caractère des élèves ! D'une traite, il finit son verre à peine entamé pour aider à faire passer la nouvelle. Le délicieux et ardent liquide s'écoula jusqu'à son gosier, apportant une vague de réconfort. Comme un anesthésiant. Mais la dose était encore loin d'être suffisante pour que la soirée lui semble supportable alors il se pressa de se resservir.

Seul dans son coin, il jeta un regard circulaire. Comme il l'avait craint, Brook faisait son spectacle. Elle avait mit le grappin sur un garçon qu'elle semblait connaitre et l’assommait sous une avalanche d'histoires. Le pauvre semblait dépité, comme le reste de l'assemblé se tenant près des deux. Chris se sentait désolé pour lui mais pas au point d'aller distraire sa cousine pour le laisser s'échapper. Lui non plus n'avait pas le courage d'entendre toutes ces histoires à propos d'Harvard ou de la richesse de sa famille. Ils avaient beau être du même sang, leur réalité n'étaient pas les mêmes quand il s'agissait de niveau de vie et il ne tenait pas vraiment à connaitre le quotidien des familles de la haute sphère. Heureusement son répit ne tarda pas car déjà Brook s'éloignait vers le bar en compagnie d'une jeune blonde. Se connaissent-elles ? Pourquoi Chris avait-il la tenace et désagréable impression que Brook connaissait déjà plus de monde que lui ici ?

Le Sinis... l'ancien Sinistros profitait du calme qui l'entourait. La soirée commençait à prendre forme et les petits groupes se formaient. Même Ben et Law semblaient être occupés dans de prenantes discussions. De même pour Jessica, Isolde ou Mia. En fait, tout ceux qu'il connaissait et auprès de qui il aurait pu trouver refuge et compagnie. C'était à croire qu'il n'allait avoir d'autre choix que de rester seul ou sociabiliser. D'un point de vue "stratégique", le meilleur choix était le petit groupe dans lequel étaient Mia, Lawrence et Ben. Statistiquement, c'était l'endroit regroupant le plus de ses connaissances. Mais alors qu'il tentait de se motiver à y aller, Brook reprit la parole haut et fort pour continuer le jeu qu'elle avait lancer « A moi ! Aller au lit encore tout habillé, sécher un cours, coucher dans un lieu public ! Aller aller ! Ceux qui l'ont fait vous buvez  ». Par réflexe, il détourna les yeux pour ne pas voir le nombre de gorgée bu par sa cousine. Connaitre ce genre de détail à propos d'un membre de sa famille, d'autant plus sa petite cousine, très peu pour lui. Puis, par honnêteté, il bu trois longues gorgées de sa boisson. A ce rythme, il allait bientôt devoir se resservir.

Mais de toute évidence, la cadette Hamilton n'avait pas prévu de s'arrêter à ça. Elle venait de créer un regroupement après avoir, d'une façon qu'il ne s'expliquait pas, renversé son verre sur une autre élève. C'est de justesse qu'il retint un facepalm. Vous vous souvenez, au départ, lorsque Chris pensait qu'elle avait peut être changé et que la laisser aller vers les autres n'étaient peut être pas une mauvaise idée ? Oubliez. Ash bordel, comment as-tu osé l'abandonner ici avec elle ? Et c'est sans se démonter que Brook faisait à présent preuve d'éloquence pour engueuler je ne sais qui je ne sais où. Par Merlin, il avait envie de se cacher. Heureusement, peu étaient ceux déjà au courant du lien de parenté et ceux qui le savaient avait l'air de ne pas y croire vraiment. Puis c'était quoi cette manière qu'elle avait de fixer Ben ?

Alors qu'il avançait ENFIN en direction de son groupe d'ami, il croisa la jeune blonde qui tenait compagnie à Brook un peu plus tôt. Elle avait relancé le jeu mais Chris n'avait pas bu, n'arrivant pas à déterminer si Hazel, en tant qu'assistante, rentrait dans la catégorie "Professeur". Au moment où les deux se croisèrent elle lui adressa un clin d’œil. Il ne la connaissait pas mais elle semblait bien intégrée et enjouée. Interprétant le clin d’œil comme une façon de donner le flambeau, il lui sourit et leva son verre pour continuer.

« Je n'ai jamais écouté Oasis, volé de la nourriture à l'université ou eu des menottes aux poignets ! »

Sa voix semblait enthousiaste, son visage moins. Mais ça ferait l'affaire. Comme la coutume le voulait, il bu trois gorgées de son breuvage finissant ainsi son verre. Heureusement il arrivait à côté du bar et des autres élèves. Posant sa main sur l'épaule de son ami Ben, il le ramena à la réalité. Il connaissait bien le garçon et trouvait qu'il regardait bien trop la petite Hamilton. Ce n'était pas là une remontrance, juste un signal discret pour dire qu'il n'était pas dupe sur ce qu'il se passait là.

« Arrête dont ça et sert moi la même chose que toi, si tu veux bien, mon ami. Ton cocktail m'a l'air bien bon et les mélanges ne me font pas peur, ce soir. »