Labyrinthe : aventure et mésaventure.

Est-ce que l’ombre avait frappé là où ça faisait mal ? Sûrement oui. Megan posa cette question, indiscrète au possible, mais bon, compte tenu des circonstances… Quinlan hésita avant de répondre :

— Oui et non. Dans l’idée, c’est pas loin de ma phobie principale. Mais je pense que l’ombre ne sait pas tout, ou du moins que ce n’est pas entièrement du sur-mesure.

Il fronça les sourcils, réalisant soudainement que si Megan et Clemens avaient eu droit à quelque chose d’assez générique, au moins en apparence, lui avait entendu son frère. Il se tourna alors vers Clemens.

— À moins que tu sois hydrophobe ou cadavrophobe, et toi Megan, ciseaux-rouillés-o-phobe, je crois qu’il n’y a que moi qui ait eu droit à quelque chose de vraiment personnel.

Peut-être que c’était lui, la cible ? Le comble puisqu’il n’avait même pas fait exprès d’être là en premier lieu… Il haussa les épaules, et écouta Clemens qui soutenait mordicus que ce n’était qu’une illusion. Il était convaincant, et surtout, Quinlan voulait être convaincu. Mais même si c’était une épreuve… Pourquoi ? C’était quoi le but, sinon de torturer psychologiquement le premier clampin qui mettrait le pied dans les sous-sols ? C’était stupide. Quinlan soupira.

Il vit le Docteur s’arrêter à une intersection, puis se retourner vers lui comme s’il avait vu quelque chose de particulièrement inquiétant. Son chat était un félin plein de bravoure, courageux à la limite de la témérité et d’une certaine manière, cela rassura grandement l’humain qui en avait la garde. Quinn eut donc tout juste le temps de reprendre son calme avant qu’une nouvelle illusion ne leur tombe sur le coin de la figure.

Cette fois, ils étaient dans un long couloir avec plein de portes, et surtout, un colosse avec une grosse massue à la main. Le sarcasme de Megan le fit ricaner, et sa poigne se referma un peu plus sur sa baguette. Il s’attendait à tout, au pire, mais sûrement pas à un Clemens qui se précipitait sur lui pour lui arracher le parchemin. Ah oui tiens, le parchemin. Bon, pour ce qu’il était utile, de toute façon. Il regarda le Sinistros le changer en miroir et… quelque chose en lui se passa.

Le miroir grandit, et prit la moitié du couloir. Intrigué, et comme dans un état second, Quinlan s’en approcha. Avec la fourchette, il s’ouvrit la paume gauche, et toucha le miroir de sa main ensanglantée. L’objet changea alors d’apparence, devenant noir comme la nuit et brillant comme du verre. De l’obsidienne. Sur le sol, une fumée diffuse apparut, n’ayant rien à voir avec la brume déjà présente. Un feulement retentit, venu de nulle part. L’ambiance avait changé. Quelque chose d’autre était présent.

Une fois le rituel achevé, Quinlan reprit conscience.

— …Qu’est-ce qu’il vient de se passer là ?

Ils étaient trois sorciers perdus dans les sous-sols, mais ils n’étaient pas entièrement seuls à se battre contre l’ombre et ses illusions. Comme s’il ignorait tout de ce qu’il venait de se passer, Quinn émit l’idée qu’il avait eu avant de voir le miroir apparaître devant lui :

— Au pire, on peut toujours essayer de faire s’effondrer le plafond sur lui… Il est insensible aux sorts, mais le décor ne l’est pas, non ?

C’était une bonne solution de repli, si seulement ils n’avaient pas un gigantesque miroir fumant d’un noir riche et sombre faisant office de bouclier.

Megan avait beau gueuler que Quinlan était un grand malade à utiliser de la magie du sang, ce dernier n’était tout simplement pas conscient et ne s’arrêta pas. Il ne revint à lui que lorsque le rituel fut achevé — et sans avoir besoin de baffe, merci —, juste à temps pour voir Megan avoir la même idée que lui : péter le mur. Le couloir ainsi obstrué, ils venaient de gagner un temps précieux. Courant à leur suite, Quinlan, accompagné du Docteur, se réfugièrent dans ce qui semblait être une vieille salle de classe surannée.

Dans ce moment de calme relatif, les hypothèses fusèrent de nouveau. Megan arriva à la conclusion que ce n’était pas un épouvantard, chose avec laquelle Quinlan était plutôt d’accord.

— Je ne connais pas la plus grande peur du Docteur, mais je pense qu’un épouvantard aurait pris une autre forme pour moi.

Inutile de préciser laquelle, c’était déjà bien assez douloureux comme ça. Enfin, façon de parler, puisque Quinn était toujours sous anesthésie générale. Il n’avait même pas remarqué que sa main saignait d’ailleurs, puisqu’il ne s’en souvenait pas du tout.

Bon, respirer et réfléchir un peu. Ils n’étaient toujours pas à l’abri, mais au moins ils pouvaient souffler un peu. Quinn en profita pour retirer sa robe de sorcier et lui lancer un sort qui la lacéra, la changeant en une longue corde de fortune. Il la roula autour de son bras et la porta à l’épaule. On ne savait jamais, ça pouvait toujours être utile. Il avait à peine fini quand Clemens leur montra sa trouvaille.

Quinn haussa les épaules, mais se mit aussi à chercher des yeux un objet qui détonnait avec le reste du décor. Puis, il entendit Clemens revenir sur l’idée du temps. Le temps…

— J’ai pas l’heure. Mais je l’ai déjà dit que ça pouvait être une déformation temporelle. On est peut-être dans le passé, ou dans le futur. On n’en sait rien.

Se prenant vivement la tête entre les mains comme s’il était victime d’une douleur fulgurante qu’il ne ressentait pourtant pas, Quinn eut une sorte de flash. Le temps. Le temps. Il vit une grande surface ronde, d’un noir brillant, polie avec assez de soin pour servir de miroir. De la fumée s’en émana, avant de se dissiper pour montrer Neal avec des trous sur le visage. La voix du Choixpeau hurlant ‘SERPENTARD’ dans sa tête. Belle. Peter. La mort de son idole. Roxanne. Le Docteur, encore tout chaton. Son premier cours à Haveirson. Clemens. Megan. Le Pérou. Une pierre sur laquelle il s’était coupé en la ramassant. Une pierre noire et brillante. Son reflet à l’infini dans deux miroirs opposés. Le couloir et son rituel étrange. La fumée revint enfin.

Quinlan n’était pas sûr d’avoir tout compris, mais se tourna vers Clemens :

— Tu pourrais métamorphoser à nouveau quelque chose en miroir ? N’importe quoi. Je sais pas pourquoi, mais y’a un rapport avec le temps, j’en suis sûr. Je vous expliquerai quand j’en saurais plus moi-même mais je suis sûr que d’une manière ou d’une autre, le temps, le miroir et la fumée sont liés. Miroir, fumée, l’illusion. Le miroir fumant… Cette expression me dit quelque chose mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus…

À présent, il parlait davantage pour lui-même que pour Megan et Clemens, passant très certainement pour un fou mais tant pis. Il était sûr qu’il y avait un lien : il venait tout juste de revoir sa vie défiler devant lui dans un flash, dans un miroir enfumé. C’était forcément lié.

Oui alors Quinn était au courant qu’il touchait à quelque chose de très borderline et qu’il ne maîtrisait pas totalement, mais franchement, Megan pouvait parler. Ce n’était pas lui qui avait dézingué une pauvre porte avec un sort de magie noire. Là, il n’était même pas sûr que ça en soit. C’était une magie rituelle venue d’une autre culture et d’une autre époque… Difficile de la juger avec un simpliste noir & blanc. C’était un peu trop binaire pour quelque chose de manifestement très complexe.

Quinlan avait un pressentiment, quelque chose qui au fond de lui, lui parlait. Pas au sens propre, mais une impression diffuse qu’il était guidé par un instinct exacerbé. Et il était tellement sûr de lui qu’il ne songeait pas un instant qu’il pût paraître effrayant pour Megan et Clemens. Il fallut attendre qu’ils changent de salle et que l’étudiante ne se blesse en tentant de ralentir la chose dans le couloir pour qu’il s’en rende compte. Clemens mit les points sur les I, lui rappelant au passage que sa main saignait. Ah oui.

Il soupira un grand coup, et avant de continuer sur ses rituels chelous, il allait voir Megan. Elle s’était blessée dans son initiative inconsidérée de faire tout péter — bon, c’était une idée qu’il avait également eue alors il n’allait pas lui faire de remarque. Le guérisseur joua son rôle, lançant quelques sorts de premiers soins qu’elle devait pourtant connaître.

— Bon j’ai compris, vous me trouvez flippant. Mais je vous jure qu’il y a quelque chose que je peux faire… J’en suis sûr !

Assis sur une table près de celle que Clemens avait changé en miroir, le Docteur observait la scène d’un œil circonspect. Il émit un miaulement sec, et se tourna vers Clemens. Quinn leva les yeux au plafond.

— Ok ok… J’ai dû avoir des problèmes de mémoire, parce que ça me revient par bribes… Je crois que c’est pas péruvien à proprement parler mais ce qui ne va pas chez moi… enfin, ce qu’il se passe, je pense que c’est de la magie rituelle pré-colombienne. Maya ou aztèque je sais plus. Mais ils avaient une divinité appelée ‘Miroir Fumant’, j’ai oublié le nom, c’était imprononçable.

Tezcatlipoca.

— J’ai lu ça à la bibliothèque il y a quelques semaines mais je n’arrivais pas à m’en souvenir avant aujourd’hui… C’est trop long à expliquer alors juste : il y a un lien entre ce que j’ai fait dans le couloir, mon absence de douleur et ce dieu.

Il avait bien envie de dire que si ce dieu pouvait les aider, il n’allait pas se priver mais Megan avait raison. Il y avait toujours un prix à payer, et les Aztèques étaient plutôt portés sur les sacrifices humains…

— Et c’est le dieu du temps et des illusions.

Entre autres.

— Je suis sûr que je peux faire quelque chose, alors…

Il ne finit pas sa phrase, mais ça sonnait vraiment comme un ‘laissez-moi faire’. Sans attendre, il reprit sa main ensanglantée qu’il posa sur le miroir que Clemens venait de métamorphoser avec la table. Il attendit mais dut rapidement se rendre à l’évidence : ça ne marchait pas. Quelque chose manquait. Peut-être le sentiment d’urgence, l’adrénaline… Ou simplement le fait qu’il était conscient de faire ce qu’il faisait sans en mesurer les tenants et aboutissants suffisait à faire rater le rituel.

Baissant le regard sur le miroir maculé de sang, Quinlan croisa son propre regard. Avec l’éclairage insuffisant de l’endroit, ses pupilles lui apparurent noires… avant qu’il ne se rende compte qu’il les voyait vraiment noires. Perplexe, il releva les yeux vers Clemens et Megan, avant de les fermer. Il laissa le tic-tac de l’horloge l’hypnotiser, le son se faisait de plus en plus présent et oppressant. Autour de lui, une fumée venue de nulle part rampa sur le sol. Quand il rouvrit les yeux, il vit que le miroir était désormais noir.

Et ce qu’il y vit lui glaça le sang. Au-dessus de son épaule planait une ombre informe… Pourtant, même sans visage, Quinlan savait qu’elle riait. Elle ricanait. Et lui passa à travers le corps.

De l’extérieur, rien n’était visible : Quinlan avait toujours les yeux noisette et aucune ombre n’était venue lui dire bonjour. Tout se passait dans le miroir. Ce n’était qu’une vision, une illusion. Ou la vérité. Quinlan était inexplicablement convaincu qu’en regardant dans le miroir, on pouvait voir le futur, le passé, ou au-delà des illusions. Peut-être que c’était ça, la clé ?

Le problème, ça allait de transporter la table… Quelque chose lui disait que c’était une mauvaise idée de lancer un sort à ce miroir pour n’en garder qu’un morceau…

Son miroir ne semblait être d’aucune utilité finalement : il n’avait même pas eu le temps de le tester. D’une certaine manière, ce n’était pas forcément une mauvaise chose. Quinlan jouait avec un type de magie qu’il ne maîtrisait pas et qu’il connaissait mal. Il avait bien lu deux ou trois trucs mais il faisait le reste à l’instinct… À moins qu’il ne s’agisse d’autre chose ? Maintenant qu’il y pensait, il aurait très bien pu être possédé, ou quelque chose du genre. Si la situation n’avait pas été si critique, il aurait même pu se demander les implications et les conséquences sur son essence. Seulement, il avait d’autres chats à fouetter.

Le Docteur approuva d’un miaulement d’alarme. Le tic-tac de l’horloge, devenu de plus en plus oppressant avec le temps, s’arrêta soudain. “Le temps est écoulé.” Ah parce qu’il y avait un temps limité ? C’était quoi cette histoire encore !? Quinlan n’eut pas le temps d’épiloguer : l’homme du couloir explosa le mur de sa masse, envoyant des éclats de verre et de bois à travers la pièce. En essayant de se protéger, Quinlan sentit la peau de ses bras se déchirer sous la violence de la déflagration. Étrange d’avoir la sensation de se faire lacérer sans en ressentir la douleur… Comme si rien de tout ceci n’était vraiment réel.

Fondu au noir. Quinn ouvrit les yeux et se retrouva dans la première salle. À côté de lui, Megan et Clemens, se relevant péniblement de ce qui semblait être une rêverie particulièrement désagréable. Alors, rien de tout ceci n’était réel !? Désorienté, le guérisseur regarda sa main, qui n’était pas blessée. Ses vêtements étaient secs et intacts, comme s’il n’avait jamais quitté cet endroit. Comme si rien ne s’était passé.

Qu’est-ce que…?

Il n’eut pas le temps de poser la question à voix haute qu’il aperçut Clemens quitter l’endroit sans un mot. Sans même un regard. Le voir s’en aller ainsi, comme une âme en peine errant entre les mondes, entre le fait d’hanter et d’être hantée… Quinlan sentit son cœur se serrer. Mais ce n’est pas pour autant qu’il en oublia totalement la jeune femme encore présente :

— Désolé. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais on en reparlera.

Ou pas. Il n’avait pas spécialement envie de revivre tout ça, et surtout pas avec Megan. Il était presque sûr que c’était réciproque. Non, à la place, il emboîta le pas d’un Clemens passant la porte qui avait soudainement réapparu. N'osant pas le toucher comme on aurait peur de réveiller un somnambule, Quinlan vint à sa hauteur, et de chercher son regard.

— Clemens...

Il n'allait pas lui demander comment ça allait. Il s'en doutait.

— Je suis là, murmura-t-il finalement.

Comme si ça allait changer quoi que ce soit ! Quinlan inspira un grand coup et passa un bras autour des épaules de Clemens. Il ignorait comment serait pris son geste, si tant est que le Sinistros réagisse tout court, mais sur le coup, il ne voyait que ça à faire.