« Never let me down again, Anna. »

Voilà au moins une chose qui trouvait une explication concrète. Elle lui sourit dans un élan sincère de trouver en lui une similitude avec elle qui ne soit pas teinté d’une souffrance quelconque. Elle en était simplement heureuse. Encore qu’il partageait aussi son goût de la littérature. Ses mains se resserrèrent sur les siennes dans une pression compréhensive et réjouit tandis qu’elle réfléchissait et se questionnait encore sur lui.

Lorsqu’il répondit aux questions suivantes la pression de ses mains se transforma en élan de compassion. Elle n’aurait pas bien vécue une telle situation. Elle eut presque envie de l’embrasser sur la joue et de l’enlacer afin de lui communiquer plus de chaleur que la simple réunion de leurs deux mains ne pouvaient le faire. Il la rassura mais elle se fit la réflexion pour elle-même que n’importe quel enfant serait touché. Après on faisait avec, mais faire avec ne voulait pas dire que c’était une situation que l’on souhaitait ou qui nous était égale. Elle s’était longtemps demandé si les siens n’allaient pas se séparer, mais Anna les soupçonnait d’avoir tenu pour elle. Désormais ils semblaient avoir retrouvé une sérénité ensemble et elle s’en réjouissait.

Il ne lui laissa pas plus le loisir de s’interroger que la situation prit une tournure plus… scabreuse. C’était elle qui avait créé la proximité physique dans un geste qu’elle pensait innocent, mais il lui avait fait réaliser qu’il ne l’était pas tant que ça. Elle rendait compte que dernièrement aucun de leurs échanges n’étaient innocents. Chacun déclenchaient des sentiments et sensations immodérées, loin du calme et de la pondération qu’elle s’efforçait habituellement de maintenir dans sa vie de tous les jours. D’un côté comme de l’autre toutes ses réactions étaient exacerbées : ses colères, ses joies, ses inquiétudes, ses désirs, ses plaisirs aussi elle devait l’avouer. Cette fois-ci c’était d’ailleurs ces derniers qui étaient mis en lumières. Leur contact, bien que relativement restreint, créait chez elle des sensations électrisantes dans l’ensemble de son corps. Elle se sentait soudainement sûre d’elle sur la manière de conduire ses doigts contre sa peau et renforcer l’effet créé chez le sinistros. Cela lui venait instinctivement. D’habitude elle aimait jouer c’était vrai, mais pas ce genre de jeu. Avec lui elle ne se sentait pas ridicule, mieux elle avait l’impression d’être à égalité, voir désirable. Elle l’observa rougir avec un plaisir coupable décuplé.



Lorsque son visage vint se poser près du sien, elle replongea ses yeux dans ses bleus azurés, son souffle toujours agité. La jeune française peu attirée habituellement par ces couleurs d’iris se prit à penser qu’ils étaient tout de même terriblement beaux. Maintenant elle attendait impatiemment sa réponse. Une curiosité étonnante se muait en elle. Elle avait terriblement envie de savoir, de le faire céder et en même temps elle espéra qu’il lui résiste encore un peu.



Son regard dans le sien, elle hésitait à aller plus loin pour les pousser à des confidences. Devait-elle parler en premier ? Elle avait en effet parfaitement confiance en lui, trop peut-être et Clemens avait insisté sur le fait qu’elle ne risquait rien à lui révéler. De toute façon, ce n’était pas un secret d’état. Jusque récemment elle ne l’avait même jamais caché.

- Rowan, je suis en partie moldue. Ma mère l’est en tout cas. Je ne le dis plus depuis qu’Il est revenu car ce n’est pas très sûr en ce moment pour nous. Mon père est exposé, plus que certains. Ainsi j’évite d’en faire étalage, moins les gens sont au courant, moins ils en parlent. Tu me comprends, n’est-ce pas ? Enfin tu devais te douter, je ne suis pas douée pour le cacher et je n’en ai pas réellement envie. S’il n’y avait pas cette situation, tu l’aurais su depuis longtemps je pense. Bien qu’au fond ça ne change rien. Enfin voilà c’est dit. Tu te doutes aussi donc de ce que je peux penser des idées des mangemorts. Enfin je suis sûre que ma supposition est sotte et que tu vas me confirmer que tu ne t’es pas engagé là-dedans et que ce n’est pas ça que tu tentes de me cacher.

Elle rit à l’absurdité de ce qu’elle venait de supposer. Bien sûr que non l’étudiant au regard si doux et bourré d’amour ne pouvait pas soutenir des idéologies aussi barbares et intolérantes. Ce n’était pas lui.

Ces quelques détails lâchés sur sa parenté et sa vie, maigres et imprégnés de souvenirs, provoquèrent une singulière sollicitude dans les délicates iris de son interlocutrice. À la prévenance affectueuse qu’il lisait en elle, s’ajouta même l’agréable pression de ses doigts contre les siens. Ce contact plus appuyé, dans ce qu’il avait de simple et de compatissant, lui fit un bien fou. De la même façon que les bras de Clemens lui avait offert un refuge contre le désespoir, quelques jours plus tôt, les gestes les plus évidents étaient aussi les plus rares à son égard. Et, de ce fait, ils se révélaient précieux.

Toutefois, leurs derniers mouvements les conduisaient à autre niveau d’approche. Celui que Rowan avait fui pendant vingt longues années, par peur de tomber sur des émois incontrôlables et hasardeux, qui risquaient de le léser et de le détourner de la raison. Celui auquel il s’abandonnait aujourd’hui allègrement, loin des faux-semblants aristocratiques et des protections de son armature fracturée. Guidé par la redoutable inclination qui le possédait entièrement au seul nom de la Française. À la seule vue de sa silhouette gracile et attrayante. Au seul son de sa voix.



Dès que sa camarade s’aventura avec espièglerie contre son épiderme, Rowan récupéra une lucidité diablement aiguë et sensible. L’épuisement qui le guettait de sa menace impitoyable, céda peu à peu la place à une énergie grisante et impétueuse. Extraordinaire. Il ne comprenait pas tous les mécanismes à l’origine d’un tel revirement, et, en vérité, il n’avait guère l’envie de s’en préoccuper. Si les déités daignaient lui offrir de quoi maintenir la fatigue à une distance salutaire, il ne s’en plaindrait pas. Tant qu’il ne s’adonnait pas à de trop vives folies...

Tout en usant de douceur, le jeune homme avait alors effectué quelques mouvements taquins auprès de la Française. Sa propre conscience vacillant entre une passion fulgurante et une avidité nouvelle, que rien ne semblait capable de retenir. Ni le froid du jardin, ni la faible luminosité, ni le silence des couloirs à la veille des vacances.



Tandis que son amie formulait les réponses à sa dernière interrogation, les yeux pâles de l’ancien Serpentard brillèrent d’une étincelle étrange. Il l’aimait. Il la désirait. Une chose simple à s’avouer en dépit de tout ce que cela impliquait quant aux supputations adroites et... Inquiétantes qu’elle lui donnait. En attendant les dernières élucubrations, il cessa de bouger tout en conservant l’entêtant proximité qui les liait. La seule action qu’il s’autorisa au bout de quelques secondes, fut celle d’inhaler la fragrance de sa peau et de sa chevelure.



Son souffle se déplaça lentement contre la tempe de la Française, s’accordant un moment rare et utile pour ordonner ses pensées déchirées entre deux extrêmes. Deux souhaits discordants. C’est à cet instant qu’elle lui confia un secret qui n’en était pas tant à ses yeux. Au début de leur relation, il avait préféré fermer les yeux sur cela et privilégier la découverte d’autres qualités chez sa camarade. Puis, progressivement, il s’était rendu compte qu’il ne pouvait guère nier sa nature. Pas plus que la sienne propre. Est-ce que cette information changeait quelque chose dans la perception de son amie ? Non. Pour la simple et bonne raison, qu’il avait dépassé depuis longtemps les tristes considérations sur le sang d’un sorcier et les thèses macabres qui y faisait référence.

« Anna. » Sa voix, basse et douce, se glissa vers l’oreille de cette dernière. Il en profita pour suivre les contours de la chair ronde du bout des lèvres, à peine joueur. « Depuis que je suis en âge de poser une réflexion cohérente et personnelle sur notre monde, je sais à quel point les théories sur le sang sont des stupidités. » La sottise de ses jeunes années était lointaine et disgracieuse. « Cela ne change rien pour moi. » Une demi-vérité. La révélation renforçait, d’une manière absurde et dramatique, le choix insensé et contraint qu’il avait fait. En effet. Il avait toutes les raisons de s’inquiéter pour son existence... Et, ainsi, de prendre les mesures les plus terribles pour assurer la continuité de celle-ci.

Avant même qu’elle eut fini de parler, il vint porter son visage près du sien, son souffle effleurant légèrement ses tempes. Elle apprécia simplement le moment pour sa douceur et le calme soudain qu’il leur apportait. Comme d’habitude Rowan avait le don de partager avec elle une sorte de confiance et de sérénité. Même si ce coup-ci l’apaisement ne fut pas complet, sa respiration près de son oreille venait aussi en complément de leur échange précédent, dont la frustration n’aurait pu trouver conclusion que dans une suite.

Dans le rire qui suivit elle s’éloigna instinctivement de lui, comme si ce dernier avait été nerveux plus que réel. Une sorte de protection contre une idée qu’elle aurait du mal à avaler si elle s’avérait exacte. Elle trouva sa réponse longue à venir, trop longue, si bien qu’elle finit par se demander si elle avait bien fait de lui dire. Il n’avait pas posé de questions, il en posait rarement au contraire de la jeune femme. Avait-il déjà compris qu’entre eux mieux valait ne pas trop chercher à savoir ce qui se cachait sous le costume de l’autre ? Elle se tendit légèrement malgré elle. Elle se pencha vers lui et alla glisser sa tête contre son épaule. Ainsi elle alla chercher une proximité entre eux, un moyen de se rassurer et de se convaincre qu’ils n’étaient pas si différents. Enfin elle l’entendit prononcer son nom avec sa douceur habituelle. Ses lèvres vinrent même rejoindre son oreille. Il la rassura et un sourire s’épanouit doucement sur ses lèvres. Bien entendu que ça n’avait pas d’importance, ça n’avait pas à en avoir.



Elle enserra de nouveau leurs mains dans un geste de compassion, son regard était désolé. Puis dans un élan, et avant que tout ne bascule, elle se jeta à son cou. Sa joue vint se perdre contre ses cheveux et elle s’enivra de son odeur. Son cœur se serra. Elle était désolée. Elle l’admira de l’accepter elle si totalement. Elle aurait aimé en faire autant.

Leurs échanges, doux et lents, berçaient son âme d’une mélopée si fantastique qu’il s’y perdit agréablement pendant plusieurs minutes. Longues. Affectionnées. Celles qu’il ne regrettait, et ne regretterait jamais, d’avoir vécu ne serait-ce que le temps d’une soirée fiévreuse et houleuse. Indubitablement déchirante.



Il craignait de se perdre dans cette folie libidineuse, bien plus par inquiétude et tendresse pour elle que pour lui, lorsque la Française se décida à lui répondre et à marquer la distance. La chute lui sembla singulièrement vertigineuse. La tension sauvage s’estompa, et les alentours s’enfoncèrent dans la triste réalité qui les entourait. Quelques rares clartés transperçaient ici et là, l’épais manteau de la nuit.



Le Sinistros préféra fermer les yeux et encaisser les faits, lorsqu’il fut surpris par le mouvement éperdu de sa camarade. Instantanément, ses mains passèrent dans le dos de cette dernière, l’attirant encore une fois à lui. Fermement. De précieuses secondes s’écoulèrent dans la quiétude de leur étreinte désespérée, avant qu’il ne trouva la force de lui répondre.

Ils étaient là. Deux corps enlacés au milieu d’un jardin tranquille dans la nuit de l’hiver qui tombait. Leurs souffles chauds formaient des voluptes de fumée qui s’envolait dans l’atmosphère. Rien n’aurait laissé présager qu’ils finiraient ainsi. Elle qui l’avait évité depuis des semaines se retrouvait à craindre que leur étreinte soit la dernière. Le lendemain elle serait loin et leur discussion allait peut-être sonner la fin de leur histoire, étouffée sans même avoir commencé.



Leur étreinte finit, elle était là face à lui. Sa décision était prise, elle l’attendrait. Elle lui laisserait le temps de régler tout cela. Elle reprit la parole une fois de plus.

- Va voir ta sœur, prends soin d’elle. Le 24 au soir est une pensée pour moi. Essaie de me donner des nouvelles de temps en temps. Ta future fiancée, fait attention à ne pas la blesser. Tu ne lui parleras peut-être pas de moi, mais si tu le fais, dis-lui que je suis désolée. Qu’elle ne s’inquiète pas, je serais discrète. Si tu développes des sentiments pour elle, ne te les caches pas, dis-le moi, je m’effacerais.

Elle allait rajouter qu’au fond ce serait plus simple pour tout le monde, mais elle n’avait pas vraiment envie que ce soit simple. Ce qu’elle avait envie maintenant c’était de l’embarquer avec elle et fuirent tout cela. Mais elle n’aurait pas laissé sa propre famille derrière elle, elle savait qu’il ne le ferait pas plus. Elle passa sa main droite sur son visage, laissant ses doigts en dessiner les contours. Elle voulait fixer dans sa mémoire le plus de détails possibles, deux semaines…. Cela paraissait si long tout d’un coup pour elle qui avait tant attendu ces vacances.

Ses doigts s’enfoncèrent légèrement dans la chevelure de sa camarade, esquissant une brève et douce caresse entre ses mèches brunes. Il éprouvait un vague sentiment de réconfort, à pouvoir porter sur elle quelques contacts affectueux sans qu’elle ne cherche à le fuir physiquement. Cette aimable consolation lui permettait de prendre de la distance vis-à-vis de l’énergique colère qu’il avait expérimenté discrètement, au souvenir impérissable de la sommation.

La petite Française s’écarta soudainement de lui, obligeant leurs regards à se croiser et à se lier en un court échange. Plus tendre que passionnel, à son sens. La tension licencieuse des exquises minutes qu’ils avaient volé à la trame du temps, paraissait lointaine et diaphane. À dire vrai, ils étaient plus proches de la déchirure que du reste. Alors, quand elle posa ses mains sur ses épaules à lui, Rowan s’abandonna à la surprise et à l’incompréhension.

Il ne perçut ni dégoût ni haine dans les délicates iris de son amie, pas plus que le rejet terrifié qu’il avait cru venir à eux auparavant. Au contraire. Le jeune homme sembla y lire de la compassion et des remords éphémères. Que pouvait-elle bien penser ? Il était incapable de le deviner, tant son revirement véloce et saisissant le perdait dans la trame logique de ses pensées.

Encore une fois, les paroles de Clemens l’envahirent avec une sagesse excessivement théâtrale. ‘Ces situations-là se caractérisent souvent par leur manque de cohérence.’ Oui. Définitivement. Il avait eu raison sur toute la ligne. Le peu de sens que contenait sa vie s’était dissout sous la perspicacité d’Anna, et l’attachement grandissant qui le dominait à l’égard de cette dernière.

Toutes ces choses ne s’expliquaient pas. Il le savait. Et il s’en moquait. Pire. Il s’en foutait.



Du reste, il escomptait réellement passer des vacances studieuses. Après tout, il avait une vile histoire de miroir à élucider et... Quelques ouvrages d’Occulumancie à consulter.

La petite Française s’évertua à compléter ses propos, sous les iris bienveillantes et affectueuses du Sinistros. Qu’elle pensa avec un triste réalisme à cette opportunité, qu’il aima un jour sa sœur de sang tel qu’il la chérissait Elle, le blessait. Néanmoins, il enfouit cette cuisante impression dans les tréfonds de son âme. « Tu ne seras pas seulement dans mes pensées le soir du vingt-quatre, Anna. »

Rowan se laissa faire de bonne grâce, scrutant le visage de son amie avec un dévouement ostensible. De la même manière, il profita des caresses volubiles et de leurs souffles apaisés, qui lui rappelaient insidieusement que, bientôt, ils devraient se quitter pour quelques jours. Quelques semaines ?

Alors, dans un dernier geste, aussi transi que doux, l’ancien Serpentard déposa ses lèvres contre le front de son aimée.