La folie des grandeurs. (Banquet)

Le matin du vingt-quatrième jour de décembre, le jeune homme avait quitté les murs faussement protecteurs de son académie pour gagner les abords d’Avalon et la silhouette emmitouflée qui l’y attendait patiemment. Vêtu d’une épaisse cape noire aux bordures d’un ocre étincelant, il s’était avancé jusqu’à proximité de l’église. Dès lors, un individu au visage acariâtre se détacha du portique bardé de fer pour le rejoindre.

Rowan inclina sobrement le visage vers William Gallant, l’allié tant estimé de son père. Ils échangèrent quelques mots, sans se formaliser du froid éreintant et de la neige qui commençait à tomber sur leurs épaules. Les informations filtrèrent progressivement dans la voix du concierge, confirmant ce qu’il savait déjà – l’annonce était tombée il y a plus de deux heures dans la gazette – et les dernières nouvelles sur son père. L’aîné rassura le cadet sur les périls que les siens affrontaient pour leur idéologie, se gardant toutefois d’entrer dans les détails. Il s’agissait seulement de mettre un peu de baume au cœur du jeune héritier.

Après quoi, William confia une petite boite à son filleul, couverte d’une étoffe coûteuse et quelques gemmes resplendissantes. Puis, ils se quittèrent sur ce geste, chacun ayant désormais des prérogatives à remplir. L’un, auprès des ténèbres, le second, auprès de sa fiancée.

***

À l’heure entendue par l’invitation de Dumbledore, le Sinistros gagna Poudlard en calèche avec certains de ses camarades. Pour l’occasion, il s’était apprêté avec des vêtements coûteux et taillés sur-mesure, tous d’un noir net et impeccable. Seule son écharpe, mêlant de l’émeraude sévère à de la jade ambré en quelques inscriptions runiques, détonnait dans cette tenue d’une richesse pondérée.

Une fois arrivé en ces lieux lourds de souvenirs, Rowan s’était empressé de rallier Daphné dans les couloirs menant à son ancienne maison. Là-bas, après lui avoir déposé un baisé sur la main, il lui avait offert avec une prévenance singulière l’étui qu’il transportait depuis la matinée. Au creux de ce dernier trônait une vieille bague d’argent, surmontée d’une améthyste dans laquelle deux corbeaux volaient en permanence. Elle semblait avoir vécu un grand nombre de décennies, mêlant des souvenirs heureux à des périodes bien plus sombres.

En dépit de la nonchalance affichée sur son visage, le jeune homme éprouva une drôle de sensation à la main de sa promise s’équipant d’un tel artefact. Toutefois, il se garda bien de l’afficher. Pour ce soir, la boîte de Pandore devait rester scellée.

Ceci fait, les deux jeunes gens gagnèrent la grande salle en une démarche excessivement princière, leurs deux mains liées avec une telle cérémonie que leur arrivée ne passa guère inaperçue. L’ancien Serpentard, ancré dans une indifférence noble et déterminée, se fraya un chemin à travers les petits groupes d’élèves et de professeurs. Tout en avançant, il sentit le regard insistant de quelques jeunes adolescentes trop en fleur à son goût. Intérieurement, il se permit un bref ricanement. Si seulement elles savaient.

Rowan conduisit son amie jusqu’à une table vide, l’aidant à s’installer sur une chaise avec toute la douceur dont il était capable, avant de se positionner à sa droite.

Les dès étaient lancés.

Lorsqu’il avait reçu la missive de Margaret, quelques jours plus tôt, le monde avait manqué de s’effondrer autour de lui. La colère, soudaine et incontrôlable, l’avait percuté de plein fouet. Dans la volière, sa première réaction avait été de frapper le mur fondateur si fort qu’il s’en était brisé deux phalanges. À la souffrance du cœur s’était alors ajoutée celle du corps, attisant la fureur qui grandissait dans sa poitrine jusqu’à hurler. Hurler à n’en plus finir. À s’en casser la voix.

Tant de vacarme avait attiré quelques élèves plus jeunes et un enseignant qui passait par-là. Leurs pas rapides les menèrent à un Yvain prostré dans un coin, à moitié sonné par sa propre douleur, et sanglotant jusqu’à s’en étouffer. Sans être pleinement conscient de ce qui lui arrivait, le Serpentard avait été conduit à l’infirmerie. Il y était resté plus d’une journée.

En son fort intérieur, la mélancolie avait succédé à la rage.

La seule personne qu’il avait véritablement aimé jusqu’à ce jour, venait de quitter le giron protecteur de Poudlard. Elle partait. Elle se dérobait à une embuscade trop fièrement calculée depuis six années. Et à son affection qu’il tentait en vain de réprimer. Pourquoi ? Pour une vengeance qu’il commençait à deviner sans pour autant en saisir toutes les implications. Ni la comprendre. Courait-elle après des fantômes ?

Dans le fond, son inconscient avait été plus perspicace. Il savait parfaitement ce qui était en jeu. Alors, pour la première fois de sa vie, Yvain se mit à douter. De tout. De ses parents. De son éducation. De son allégeance au seigneur des ténèbres. A quel point cela en valait-il la peine ? Devait-on se battre les uns contre les autres jusqu’au sang ?

Quelque chose chancela en lui ce jour-là.

***

Une demi-heure avant le début du banquet, le jeune homme s’était habillé avec les rares vêtements qui ne portaient pas de trous, ni de rafistolage trop visible. Un ensemble simple, mêlé de noir et de blanc, qui parvenait malgré tout à le mettre suffisamment en valeur. Du moins, il l’espérait.

Une fois coiffé et débarbouillé, il alla rejoindre Harmony dans la salle commune. Des regards inquiets se portèrent sur son déplacement : les rumeurs se répandaient toujours avec une vitesse singulière et désagréable. C’était la raison pour laquelle il s’était montré d’une humeur inhabituellement maussade ces derniers jours, cherchant à réparer son excès par ce moyen.

Pourtant, en découvrant sa camarade dans une si jolie tenue, quoi qu’un peu simple aussi, Yvain s’était rasséréné. « Tu es parfaite, Harmony. » Une soirée grandiose les attendaient. Autant en profiter ! Les Ténèbres étaient si proches de leur but...

Sans perdre de temps, le Serpentard avait mené sa cadette dans la grande salle. De loin, il eu l’opportunité d’apercevoir Daphné et... Rowan. Oh. Évidemment ! C’était vraiment trop beau pour s’en priver. Ni une ni deux, il gagna leur table avec un large sourire. « Salut vous deux ! » Il se tourna vers le fils de Ranulf Westminbrook, un éclat curieux glissant dans son regard. « Je suis ravi de te croiser ici, pour le coup. On peut se joindre à vous ? »

Une légère inclination de la tête de son aîné lui permit ensuite de s’installer à leurs côtés.

HRP:

L’annonce était tombée le matin même.

Alors attablée à la table des Serpentard pour le petit-déjeuner, Daphné ne s’était jamais autant accrochée à son masque d’indifférence, refusant de laisser apparaître une quelconque forme de faiblesse devant ses camarades. Elle répondit aux félicitations avec un sourire, quelques mots et un hochement de tête, ignorant résolument le regard de Blaise qui pesait sur sa nuque – ils règleraient ce problème plus tard, une fois seuls. Elle avait reçu tant de lettres de sa famille qu’elle aurait pu entretenir le feu de cheminée de la salle commune avec, et l’idée lui parut diablement séduisante pendant un instant. Elle se contenta cependant de les parcourir rapidement des yeux pour y déceler une quelconque information, mais ce n’étaient que rappels déguisés à l’honneur et à son devoir.

Sa mère ne lui avait rien écrit.

Elle avait passé la journée avec Astoria, attendant que l’heure de se préparer ne sonne. Sa cadette avait eu le mérite de ne pas la questionner à propos de ces fiançailles, et passer cette journée avec le seul membre de son sang qui n’avait pas tenté de lui imposer quoi que ce soit fut ce qu’elle pouvait obtenir de plus proche de Noël.

L’occasion de parler à Blaise ne se présenta pas.

Les deux Greengrass se rendirent ensuite dans leur salle commune pour aller se vêtir lorsque le jour commença à décliner. Daphné avait décidé tôt ce matin-là qu’elle serait éblouissante, malgré l’appréhension qui lui donnait mal au ventre, en voyant l’annonce de son mariage prochain inscrit sur le papier de la Gazette. Plus son malaise avait grandi, plus le choix de la robe s’était confirmé ; elle se conduirait en reine ou ne s’y rendrait pas.

Ce fut donc vêtue d’une robe de soie vert d’eau drapée, serrée autour de sa taille par une ceinture, les cheveux ramenés en un chignon simplement ornés d’une barrette de perles blanches, qu’elle attendit son cavalier dans les couloirs qui menaient à la salle commune des Serpentard.

La vision de Rowan, aussi bien apprêté qu’elle se l’était imaginé, manqua de briser son masque si savamment porté tout au long de la journée. La bague d’argent et d’améthyste qu’il glissa à son doigt lui sembla si lourde que sa main ne pourrait jamais la supporter, mais l’impression s’évapora aussitôt qu’elle cessa de la fixer.
La soirée s'annonçait difficile. Nécessaire, mais éreintante.

Leur entrée dans la grande salle n’aurait pas pu être plus remarquée ; la posture parfaite de Daphné, l’élégance noble de Rowan suffirent pour qu’ils soient dévisagés alors qu’ils rejoignaient une table vide en fendant la foule. Elle ne répondit pas aux regards des autres, se contentant de regarder droit devant elle avec un léger sourire.

Ils s’assirent tous deux à une table vide, Rowan à sa droite. Ils furent presque aussitôt rejoints par Harmony et Yvain, qui leur demanda la permission de s’asseoir avec eux. Après avoir répondu au salut d’Yvain, Daphné resta de marbre, attendant que Rowan ne prenne la décision tout en souriant à sa protégée. Lorsqu’ils furent assis eux aussi, elle se décida à faire les présentations car si ses souvenirs étaient exacts, Rowan était parti de Poudlard avant qu’Harmony n’entre en première année.

« Rowan, je te présente Harmony Sharen, une camarade de Serpentard. Harmony, je te présente Rowan Westminbrook, mon fiancé. »

Sa voix n’avait pas flanché, et elle n’avait pas montré d’intonations particulières qui auraient pu mettre à mal l'expression sereine qu'elle affichait. Elle avait simplement l’impression que le poids de la bague avait de nouveau décuplé.

« Comment allez-vous ? » s’enquit-elle.

En pénétrant dans la grande salle ce matin-là, la mise élégante et consciencieuse mais l’expression boudeuse d’un enfant ensommeillé, Blaise fut intrigué par l’intensité du bruit exalté par la table de sa maison. Qu’est-ce qu’avait encore fait Harry Potter pour tous les griser de la sorte ?…et pourquoi souriaient-ils, papillonnant avec fièvre autour de ...- autour de Daphné Greengrass ; Daphné Greengrass qui, souriante et placide, recueillait sereinement les murmures chaleureux de ses camarades de maison passionnés. Fronçant les sourcils, prenant place aux côtés de Drago, Blaise observait la scène, tout-à-fait perplexe; portant à son assiette un toast beurré, luisant d’une confiture pourpre, avant que Pansy Parkinson s’enquiert avec enthousiasme; « Tu étais au courant, Blaise?…Elle te l’avait dit ?»…Et comme elle voyait le visage du jeune homme s’ombrer d’inquiétude, d’un mouvement implacable, la jeune fille lui tendit le journal.

L’UNION DES FAMILLES GREENGRASS & WESTMINBROOK ! …annoncée en de larges lettres capitales. A la manière d’une affirmation gonflée d’orgueil.

oh!….alors tu l’ignorais, toi aussi ! Tu devrais aller la féliciter. C’est vraiment romantique - et puis Rowan est un bon parti, et, avouons-le, il est très séduisant.  Daphné est tellement…Blaise? Blaise avait levé sur Daphné un regard fiévreux - les yeux furieux d’un animal blessé; il ignora les apostrophes soucieuses de Pansy (qu’est-ce qui ne va pas ? tu sembles…fébrile. as-tu de la fièvre?) pour quitter la grande salle - Goyle, la voix étouffée par sa cuillerée de porridge, glapit à sa suite: Blaise? tu comptes manger tes toasts ou bien…? mais le bourdonnement énoncé par ses camarades lui était incompréhensible, impénétrable, à la manière d’un cocon alambiqué, tissé par quelques araignées démentes; il était sonné comme après avoir reçu un coup - exalté et fougueux comme après avoir reçu un coup; étourdi par le poids du sentiment qui lui comprimait le corps. Sans réellement identifier ce sentiment - c’était le malaise qu’il éprouvait lorsque sa mère lui annonçait sa rencontre avec un «gentleman charmant et attentionné » et qu’il éprouvait de nouveau quelques mois plus tard lorsque, sobrement, Diane Zabini lui communiquait sobrement la mort « tragique, prématurée » de son amant. Le dégoût & l’incompréhension.

Et pourtant ! Et pourtant, le soir même, Blaise était tout-à-fait souriant lorsqu’il pénétra dans la salle du banquet ! Adressant dans des clins d’oeils complices quelques compliments à ses camarades féminines - faisant rougir Millicent Bulstrode.  Vêtu d’une chemise blanche  - popeline de coton supérieur, col en pointe, boutons de nacre, il aurait pu machinalement le réciter d'une voix atone si cela avait été nécessaire; et d’un pantalon de sergé de laine noir — s’il n’avait pas noué de cravate à sa nuque, la coupe chesterfield de son long pardessus noir étoffait sa silhouette longiligne. Sa peau noire et lisse exhalant les riches effluves boisés d'un parfum capiteux. Insouciant et railleur, se portant avec l’arrogance insolente qui le caractérisait alors qu’il échangeait quelques hochements de tête courtois avec les connaissances qu’il apercevait, Blaise semblait tout-à-fait enjoué !
…A moins, bien sûr, de prêter attention à la crispation des muscles de sa mâchoire souriante; à l’éclat un peu dangereux de son regard. Un regard qui ne s’arrêtait pas tout à fait sur vous, mais qui examinait distraitement la salle avant de se poser sur la table de Rowan P. Westminbrook et de Daphné Greengrass, dont l’apparition, altière et cérémonieuse, avait été accueillie de murmures enthousiastes.

« Et toi, comment vas-tu, Daphné ? » feula-t-il en guise de salut alors qu’il prenait place autour de la table. Prenant place, implacable, à la gauche de Daphné. Imposant sa présence, leur adressant à tous un même mouvement bref du menton (Harmony & Yvain! Etaient-ils venus ensemble…? Blaise avait envie de ricaner!) « Je n’ai pas eu l’occasion de te féliciter, ce matin.» si sa voix était empreinte de regret, la lueur de ses yeux, qui fixaient ceux de la jeune fille, semblait dépourvu d’excuse; ils étaient brûlants; signifiaient, consumés de reproche: tu ne m’en as pas donné l’occasion. « Rowan. » le salua-t-il, offrant malgré le ton glacial de sa voix le plus doux de ses sourires complices à son -tout-à-fait respectable !- aîné ; « félicitations. »

Le matin du 24 décembre, Harmony se réveilla en sursaut. Après s'être scrutée dans la glace afin de faire disparaître le moindre bouton, elle appliqua sa potion lissante avec application. Si le bal avait été remplacé par un banquet intimiste à la veille de Noël, l'événement n'avait pas changé d'importance à ses yeux. Elle s'y rendait avec Yvain. Il lui aurait été difficile de mettre des mots sur sa relation avec le jeune homme. D'abord, parce qu'elle ne savait pas s'il était un allié ou un ami, si son attirance pour lui était réelle ou simplement... une réaction adolescente. Elle essayait de ne pas confondre intérêt et attrait naturel pour sa personnalité.

Mais là n'était pas le vrai problème. La perplexité que lui inspirait la jovialité coutumière d'Yvain, assortie à son fond sombre et inquiétant (pour certains, rassurant pour elle !) était même dépassée. En effet, peu de temps auparavant, son camarade avait tenu un lit à l'infirmerie après une "crise". Les rumeurs allaient bon train et se contredisaient toutes. On savait seulement qu'il avait implosé dans la volière. Le coeur d'Harmony avait loupé un battement lorsqu'elle comprit que les ragots du matin concernaient son ami.
Elle avait voulu se ruer à l'infirmerie - réaction qu'elle ne comprenait pas bien elle-même. Evidemment, Mme Pomfresh s'opposait à toute visite, le garçon avait besoin de calme et de repos.

Une fois qu'il avait réinvesti le dortoir aux cachots, Yvain n'avait pas l'air "guéri" pour autant. Il demeurait rêveur, son regard d'ordinaire vif et sa voix chantante traînant. Avec une gêne flagrante, sans pour autant être notée par son camarade, Harmony avait tenté de se montrer présente. Elle n'avait jamais eu à réconforter un ami et n'avait aucune idée de la façon de s'y prendre. A défaut, elle restait à quelques pas de lui, lui adressant parfois un sourire niais ou compatissant, selon le cas.
Elle avait bien essayé de deviner la cause de ce brusque changement. C'était forcément dû à la lecture d'une missive. Elle avait d'abord écarté la possibilité d'une déconvenue chez les Partisans. Yvain aurait parfaitement réussi à cacher la crainte qu'une telle nouvelle pouvait lui inspirer. Mais si, alors, quelqu'un de proche avait été touché ? Là encore, quelque chose ne collait pas. Ou était-ce son orgueil qui parlait ? Harmony était persuadée que si un parent d'Yvain était blessé ou même tué, il aurait pu lui en parler.
N'empêche, après le meurtre de son papa, Harmony elle-même avait été prostrée pendant des semaines, apprenant en un mois à lire, puis à écrire. Elle n'avait évoqué ses sentiments avec personne, pas sa mère, ni même sa soeur jumelle. Pourquoi Yvain lui en parlerait, à elle ?

Elle n'osait pas lui demander. Elle n'osait pas non plus demander à ses amis proches. Elle restait donc là, à l'observer du coin de l'oeil, appréhendant le banquet. Elle ne se sentait pas capable de le distraire, de l'amuser. La promenade où il lui avait demandé de le suivre dans ses "danses les plus folles" semblait bien loin.


Mais, arrivée à la table du petit-déjeuner, Harmony trouva un autre sujet de préoccupation. Un bourdonnement fébrile parcourait l'assistance vert et argent. Tous avaient leur exemplaire de la Gazette à la main. Et l'agitation ne gagnait pas les autres Maisons. Quelle était donc cette information qui perturbait autant les élèves de Serpentard sans faire trop réagir les autres ? Cela devait concerner un.e membre de leur Maison.
Pas besoin de chercher bien loin, le nom était sur toutes les lèvres. "Daphné". Daphné Greengrass ? Harmony se plaisait à la considérer comme une amie, un mentor. Sa curiosité fut donc piquée et elle se décala, avec son bol de porridge aux fruits secs, histoire de mieux entendre la conversation.

Son regard fut attiré par la discussion entre Zabini, qui venait d'arriver, et Pansy Parkinson. Le premier avait les traits si durs... Une déception ? Un sourire goguenard se dessina malgré elle sur le visage de la jeune fille. Tout ce qui pouvait faire s'évanouir le sourire railleur de Blaise était bienvenu.
C'est là qu'elle entendit quelques mots : "féliciter... bon parti... séduisant". C'était vraiment intriguant !
Voyant un journal abandonné, elle l'attrapa avec empressement. L'Union des Familles Greengrass et Westminbrook, titrait la Gazette.
Daphné était donc fiancée ? Avec.. Quelqu'un de la famille de Hope ? L'union de deux familles aristocratiques n'aurait normalement fait ni chaud ni froid à l'adolescente - c'était attendu -, mais celle-ci concernait deux de ses connaissances. Elle avait hâte de féliciter Daphné et de questionner sa cadette sur son ressenti. En même temps, elle se dit que, finalement, il y avait des avantages à être de sang poisseux. On était bien plus libre.


Cependant, l'anxiété avant le grand soir reprit bien vite le dessus. L'après-midi, Harmony n'arrivait pas à se concentrer sur ses lectures. A la place, elle tenta de multiples coiffures avant de se décider pour des cheveux lâchés. De toute manière, rien ne tenait. Sa robe était jolie, féminine avec son bustier ajouré bleu ciel. Mais elle ne pouvait s'empêcher de noter ses clavicules trop marqués, ses bras maigrichons et le peu de poitrine que la robe devait souligner. Elle décida donc d'attendre dans la salle commune, plutôt que de rester une minute de plus devant ce miroir. Elle avait investi dans cette tenue, pas question de le regretter à présent !

Yvain descendit tôt de son dortoir, lui aussi. Il était vêtu simplement, mais avec élégance. Un sourire pointa, éclairant son visage, à la vue de sa camarade. Il lui dit qu'elle était parfaite d'une voix si douce, caressante bien qu'empreinte d'une certaine mélancolie. Harmony lui sourit.

- Merci ! Tu es très élégant, toi aussi !

Ils se dirigèrent en silence vers la Grande Salle. Harmony ne cessait d'imaginer des manières de lancer la conversation, en vain. Alors qu'elle admirait la décoration, elle sentit Yvain s'éloigner. Elle le suivit vers une table occupée par deux jeunes gens extraordinairement vêtus. Daphné et un jeune homme pâle, aux cheveux de jais rejetés en arrière. Rowan ?
Yvain leur demanda s'ils pouvaient les rejoindre et Daphné en profita pour présenter Harmony à son fiancé.

- Enchantée, je crois que les félicitations sont de mise. Je suis aussi une amie de Hope. répondit-elle, adressant un sourire chaleureux à l'héritier Westminbrook. Elle avait choisi cette formulation ambiguë, se doutant que le mariage était arrangé.

Les quatre jeunes gens allaient commencer à discuter tranquillement quand une haute silhouette se pencha sur la table. Zabini. Evidemment.
Avec son ton indicible, lourd de préjugés et de sous-entendus pour qui le connaissait, il adressa ses félicitations au couple. Par pitié, qu'il ne s'asseye pas là ! Il avait sciemment ignoré Yvain et Harmony. Avait-il du mépris pour le 7ème année aussi ? En tout cas, Harmony n'était pas certaine de tenir le long d'un dîner avec une atmosphère glaciale telle qu'il savait les insuffler, où qu'il aille.

Après s’être élégamment installé à l’une des tables, le jeune homme avait laissé son regard scruter la foule des élèves et des professeurs. Il était curieux de reconnaître quelques visages ici et là, dans cette immense mascarade à la veille de Noël, dans laquelle lui et Daphné tenaient le premier rôle. Dès que cette pensée le frôla, il porta un regard prévenant à sa splendide fiancée, s’assurant par ce biais qu’elle tenait le coup.

C’est à cet instant qu’une silhouette masculine et décontenancée s’écarta de la masse des individus pour les rejoindre. Rowan fronça les sourcils en distinguant les traits mélancoliques de son allié, puis il se ravisa pour ne pas étaler plus l’inquiétude qu’il sentit monter en lui. « Yvain. » Il inclina sobrement son visage dans la direction de ce dernier, avant de l’inviter à s’installer à ses côtés. « Le ravissement est partagé. » Furtivement, il se remémora la brève rencontre de ce matin. Quelque chose lui échappait dans la trame insidieuse qu’il imaginait se profiler à l’horizon. Mais quoi ?

Sa promise lui présenta ensuite l’adolescente frêle et blonde qui accompagnait le fils de William Gallant. « Enchanté, mademoiselle Sharen. » La nonchalance implacable qui l’habitait ne vacilla pas à sa nomination officielle, pas plus que celle de sa compagne de galère. Les masques de la folie étaient-ils trop bien installés sur le désespoir de leurs cœurs ? Dans tous les cas, ils parvenaient magnifiquement à tenir le rythme infernal de leur mission. « Je vous en remercie. » La courte présentation d’Harmony l’égaya intérieurement. Une camarade à Hope et à Daphné ? Il espéra de tout cœur que ce soit une bonne chose.

L’esprit acéré et précautionneux du Sinistros détaillait cette information sous toutes les coutures lorsqu’une autre voix se distingua à proximité. Il tourna alors son visage pâle et indifférent vers Blaise, se permettant de le détailler de bas en haut... Comme un rappel fallacieux de sa supériorité ? Quelques souvenirs remontèrent en lui, teintés de patience et d’exaspérations discrètes. Le jeune Zabini, égocentrique et insouciant, qu’il avait réussi tant bien que mal à supporter dans son entourage lors de ses dernières années à Poudlard. Partagé entre l’appréciation et l’agacement, il lui reconnaissait néanmoins une intelligence vive et une maîtrise de l’ironie bien plus poussée qu’on ne pourrait le croire de prime abord. Celle qui piégeait allègrement les plus faibles, tout en se montrant suffisamment insidieuse pour provoquer la méfiance des plus forts.

En l’occurrence, Rowan garda le silence jusqu’au dernier mot lâché par le Serpentard. Là aussi, le terrain lui semblait périlleux et incertain. Était-ce la faute à de l’arrogance ? À de la rancœur impromptue ?

En dépit de ces soudaines frasques, le jeune homme inclina une nouvelle fois la tête en guise de salutation vers son cadet. « Blaise. » Sa voix était si posée qu’on la devinait maîtrisée d’une force cruelle. Ou bien habitée d’une sérénité affectueuse à l’égard de Daphné – voire d’une joie ostensible – apportée par l’annonce des fiançailles. Laquelle de ces hypothèses se révélait la plus exacte ? Difficile à dire. Lui seul le savait réellement... Et il comptait bien jouer là-dessus. « Je t’en remercie également. »

Ceci fait, il pencha légèrement son visage sur le côté, cherchant le regard de sa fiancée avec une telle douceur qu’il en éprouva secrètement du regret pour sa boîte de pandore. Il escomptait conférer à son amie un peu de sa force tranquille, tout en lui assurant une énième fois qu’elle n’était pas seule face à l’adversité. Ni face à Blaise.

Yvain s’était installé avec une joie sur-jouée – quoi qu'un peu mélancolique – à la table de ses camarades, tout en veillant scrupuleusement à ne pas oublier Harmony. La sollicitude discrète et maladroite de sa cadette l’amusait autant qu’elle soulageait les terreaux les plus fragiles de sa douleur. Toutefois, il se gardait bien de le lui dire, au risque de passer pour un sot redevable et affectueux.

Le regard du Serpentard resta posé un long moment sur Daphné, cherchant vraisemblablement à percer un mystère auquel il ne parvenait pas à répondre. Certes, il avait été au courant des tractations qui se réalisaient entre les deux familles, son père ayant accompagné le patriarche Westminbrook plus d’une fois chez les Greengrass, mais... De voir la chose devenir concrète à ce point, aussi vite, le surprenait. Une telle union, était-elle liée aux prochaines ambitions des disciples du Seigneur des Ténèbres ? Ranulf espérait-il protéger de cette manière son fils, si jamais les choses tournaient mal ?

Un doute sombre et féroce gagna son cœur. L’enthousiasme l’avait de nouveau quitté pour un air maussade et languissant. Sans prêter plus attention à la conversation cérémonieuse – les félicitations lui passaient bien au-dessus du choixpeau – il répondit un vague « ça va » à la question de la sixième année. Dans le fond, lui-même n’était pas convaincu par sa réponse.

Que diable ! Il devait y ajouter un peu de forme. Au moins pour eux. « J’ai hâte d’aller ouvrir nos cadeaux, ça nous... » La voix de Blaise vint couper instantanément la sienne, lui tirant une vive grimace. Malgré tout, le jeune homme prit sur lui de le saluer avec un signe de la main, faute de mieux.

L’atmosphère ne venait-elle pas de perdre quelques degrés, là ?

La quiétude apparente de Rowan lorsqu’il répondit aux félicitations d’Harmony la rassura un peu plus encore, bien qu’elle n’ait jamais douté des capacités de son fiancé à conduire ce jeu d’apparences jusqu’au bout mais plutôt des siennes. La mention d’Hope la fit chercher Astoria des yeux, pour vérifier qu’elle était bien en sécurité et en bonne compagnie – elle était un peu plus loin, attablée avec des cinquièmes années, et semblait répondre avec beaucoup de plaisir à sa camarade. Pour le moment, tout allait bien.

L’expression soucieuse d’Yvain la surprit légèrement lorsqu’elle croisa son regard, plutôt habituée à ses éclats de joie et de bonheur assez fatigants. Elle eut l’impression qu’il la dévisageait depuis plusieurs secondes déjà, mais elle ne s’y attarda pas ; après tout, tous les élèves de Serpentard l’avaient scrutée pendant la journée, comme s’ils allaient parvenir à deviner les dessous de ces fiançailles sur le visage de la promise. Elle écouta en revanche avec attention la phrase qu’il ébaucha, mais une autre voix bien trop familière pour qu’elle ne la reconnaisse pas immédiatement se chargea de terminer à sa place.

Blaise s’imposa en s’asseyant à la gauche de Daphné comme s’il souhaitait présider la table, n’accordant qu’un très bref signe du menton à Yvain et Harmony. Après tout, il venait d’interrompre Yvain, il n’était plus à ça près.

« Très bien, merci » répondit-elle en soutenant son regard.

Elle connaissait cette expression : c’était celle qu’il affichait à chaque fois que sa mère faisait des frasques qu’il ne parvenait pas à comprendre, ni à accepter. Elle la détestait, car elle savait ce qui la suivait immanquablement – énormément de problèmes. Et pourtant, elle avait l’habitude de gérer les humeurs houleuses du Serpentard.
Sauf qu’habituellement, elle n’en était pas la cible.

« J’en suis vraiment navrée » déclara-t-elle avec sincérité, cette fois-ci, lorsqu'il lui fit part de ses regrets de ne pas avoir pu la féliciter plus tôt.

S’ils en avaient parlé plus tôt, elle aurait peut-être pu désamorcer cette situation délicate avant même qu’elle ne commence. Avec un peu de chance.

Un léger mouvement à sa droite lui fit tourner la tête vers Rowan, et ce fut son regard réconfortant qu’elle croisa. Elle se laissa happer sans réticence, rassurée de savoir qu’il serait là, quoi qu’il arrive. Comme lorsqu’ils avaient pour la première fois parlé de ces fiançailles aux Trois-Balais. Elle lui répondit avec un sourire affectueux qui aurait sans doute pu s’épanouir un peu plus s’ils n’avaient pas été interrompus par l’arrivée bruyante de quelqu’un, une fois de plus.

Sauf que cette fois, c’était un professeur, et pas un jeune mâle blessé dans son égo.

« Je suis Daphné Greengrass » répondit Daphné avec un mouvement de tête respectueux une fois que Rowan se fut présenté. « C’est un honneur. »

Les paroles suivantes laissèrent Daphné perplexe pendant quelques secondes. Cela manquait de couleur, et elle regardait Blaise en disant cela. Puis elle commença à parler du Choixpeau, avant de s’excuser de les interrompre.

« Ce n’est rien, nous ne faisions que nous saluer. »

Arrêter l’Etude des Runes après ses BUSE avait visiblement été un des choix les plus judicieux qu’elle avait jamais faits.

HRP:

Rowan Phillip Westminbrook, le dévisageant avec flegme. Rowan Phillip Westminbrook, que la famille paternelle de Blaise lui avait suggéré de « fréquenter » ! Il avait besoin d’une figure masculine forte dans sa vie - et ce n’était pas les « jouets » de sa mère qui allaient assumer ce rôle, s’irritait sa grand-mère, de cet agacement fiévreux que l’on imputait à ses origines méditerranéennes. Elle s’adressait en italien à Blaise, qui s’exprimait en anglais à Poudlard, où il répondait en français aux cartes postales que lui envoyait sa mère depuis les quelques destinations exotiques qu’elle gagnait en hiver. C’était le cas ce mois-ci; la presse à scandale européenne se délectait déjà des clichés langoureux où Diane « Sureau » Zabini affichait sa mise altière et élégante sur une plage luxuriante. Se plaignait dans sa correspondance éplorée de l’omniprésence des médias autour d’elle, elle…une veuve fragile !…Comme si elle n’était pas celle qui appelait les paparazzi depuis son hôtel, leur promettant de sa voix transformée par la magie des clichés « exclusifs » de la « veuve noire ».  L'épouse de ce politicien italien prometteur, disparu tellement jeune.
(Comme Blaise redoutait le prochain numéro de Sorcière Hebdo !)


Rowan Phillip Westminbrook, accueillant d’une courtoisie mesurée ses glaciales félicitations. La sobriété de son aîné lui donnait envie de ricaner; subitement; car ainsi raisonnent les adolescents un peu rebelles, que l’autorité électrise à la manière du parfum salé du sang chez les prédateurs; car que pouvait-il répondre à ça?; car Daphné avait soutenu, impassible, son regard; car il venait de croiser l’oeillade tendre & brûlante de Daphné et de Rowan; car après tout, cette scène n’était-elle pas ridicule ? Tous tendus & éthérés & fiers comme ces lévriers racés au corps longiligne, prêt d’une simple morsure à se rompre dans le bruit humide d’un craquement d’os; même Harmony et Yvain maquillaient la modestie de leur caste avec une extraordinaire habilitée; dissimulant l’impureté de leur sang comme l’on panse une plaie douloureuse et sanguinolente. N’était-ce pas étouffant? Blaise étouffait. continuait pourtant de sourire, moqueur & sordide comme une hyène malade.

L’intervention d’Alexandra Zschoke était bienvenue, évidemment. Nécessaire, éventuellement - car il se sentait tout à fait motivé à demander à Yvain,  qui se tenait là, l’air morose, si les rumeurs étaient exactes & s’il était devenu « complètement fou » de manière définitive ou non. Si ses problèmes d’acné avaient « totalement disparus » & s’il était définitivement parvenu à gérer ses problèmes de poids. L’idée que Blaise se faisait du small-talk était plutôt personnelle et il était d’humeur à refouler son ressenti sur n’importe qui.
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…Sauf, peut-être, sur sa professeur de Runes.


« Bonsoir, professeur Zschoke », articula-t-il galamment avec la courtoisie d’un élève modèle. Accueillant d’un haussement de sourcil perplexe sa remarque sans toutefois s’en formaliser. Daphné prit l’initiative de l’accueillir auprès d’eux; et il acquiesça lentement;
«Exact. Nous saluer.», sa voix lourde de ressentiment. « Vous devriez prendre le temps de féliciter Daphné, en revanche, professeur. » Observa-t-il innocemment.  « Après tout - y’a-t-il meilleure nouvelle qu’un mariage ? Je vous le demande. » Si son rictus moqueur n’était pas suffisamment explicite, les célèbres frasques de Diane Zabini suffisaient à traduire l’ironie de sa phrase.

Pour une habituée des fêtes de Noël poudlardiennes telle que Harmony, ce réveillon s'annonçait bien différent de ceux qu'elle avait connus dans l'enceinte du château. D'ordinaire, elle passait ses journées à travailler, fureter dans les couloirs désertés avec son meilleur ami pour découvrir de nouveaux endroits où s'amuser... Elle avait été enthousiaste, cette année, d'entendre que d'autres élèves resteraient pour les fêtes. Elle avait même été toute joyeuse à l'idée de danser avec Yvain au bal. Puis le bal avait été annulé, Yvain avait perdu son enjouement caractéristique, elle s'était rendu compte que Blaise restait aussi...

Elle passait des journées agréables, elle n'allait pas se plaindre. Mais pour la première fois de sa vie elle ressentait une appréhension quand elle retournait à sa salle commune. Elle se raidissait à l'idée de croiser le visage morne de son ami ou de se faire accueillir par une pique insolente de Zabini. A chaque fois, elle priait pour tomber sur Angel ou même Daphné dont la sympathie était invariable.

Ce banquet était censé être le point d'orgue des vacances. Il s'annonçait chaotique. Les échanges étaient calculés, polis entre les fiancés et les autres Serpentards. Yvain semblait avoir retrouvé un peu de chaleur. Pour les apparences ? Peut-être avait-il besoin de distraction. Harmony avait envie de discuter avec lui, mais tous les sujets qui lui passaient par la tête lui paraissaient ennuyeux, sans intérêt. Aussi elle conservait le silence, son masque courtois vissé sur son visage juvénile. Elle conservait ce sourire poli, un peu froid, en seul commentaire de l'interlocution de ses voisins.

Tout d'un coup, une grande silhouette féminine s'approcha, annonçant son arrivée par le claquement sonore de ses hauts talons. L'adulte était un professeur récemment arrivé au château. Dumbledore l'avait présentée au banquet de rentrée. Le professeur Zschocke-Travis enseignait les runes. Harmony n'avait pas choisi cette option - ce qu'elle regrettait parfois - et ne connaissait donc que des rumeurs à son sujet. C'était une enseignante sévère et exigeante qui ne faisait pas dans la dentelle avec ses élèves, notamment lorsqu'ils faisaient montre d'approximation voire pire, d'ignorance.
Si son comportement en classe était un reflet de son caractère en général, sa présence ne faisait qu'ajouter une tension superflue à une table qui croulait déjà sous le poids de drames combinés.

Avec un peu de chance, quelqu'un mettrait de la musique et Harmony convaincrait son cavalier à la rejoindre sur la piste. Si elle n'était pas spécialement motivée à danser, en général, l'échappatoire que cela représentait en l'occurrence serait salvatrice !
En attendant, la jeune restait totalement muette, au point qu'on pouvait presqu'en oublier jusqu'à sa présence.

Le jeune homme finit par lâcher sa fiancée du regard, pleinement rassuré par sa stabilité impeccable, pour s’intéresser brièvement à Yvain. Le matin même, le père de celui-ci lui avait soufflé quelques mots intrigants et sibyllins, en rapport avec une information qu’il ne parvenait pas à définir sans se risquer à des hypothèses brûlantes. Était-ce la raison pour laquelle son affilié se trouvait si maussade ? Difficile à déterminer en l’état. Il valait mieux s’abstenir de tout commentaire... Et attendre le moment opportun pour l’attirer hors de la vue des impertinents.

Une nouvelle fois, une intrusion imprévue cassa le fil durement contrôlé de ses pensées. La silhouette haute et raide d’une membre du corps professoral de Poudlard s’intégra à leur joviale conversation. Du moins, elle n’en portait que le nom, tant les échanges se montraient cordiaux et... Glacés.

Tout en l’examinant respectueusement, Rowan se fit quelques remarques singulières à son égard. Celles qu’il évitait consciencieusement d’afficher, ne serait-ce que pour ne pas se choquer lui-même par l’excès d’ironie. Seul, il se serait laissé allé à un sourire narquois pour un tel constat. Le sarcasme grinçant dont il faisait usage contre lui-même et l’arrivante n’était pas raisonnable. Toutefois, il ne doutait pas une seule seconde que cette dernière n’éprouva pas le moindre scrupule à venir orchestrer de vagues désagréments à leur table.

Sans abandonner sa légendaire nonchalance, durement travaillée ces derniers jours, le jeune homme inclina le visage vers l’intruse en guise de salutation. Le geste suffisait à se montrer poli tout en restant dans les rails de l’indifférente neutralité. Celle que les aristocrates de son genre conservaient jour et nuit sans souffrir de l’exaspération des petites gens. En apparence. « Je me présente, Rowan Westminbrook. Enchanté de vous rencontrer, dame Zshoke. » À sa courte phrase d’introduction, menée avec une sérénité que rien ne semblait pouvoir ébranler, se succéda la voix de Daphné.

L’ancien Serpentard laissa sa camarade répondre pour eux deux, ne trouvant rien à avancer pour effacer l’insolence voilée des propos de l’enseignante. La bassesse de ces derniers était telle qu’il préféra porter son regard vers Blaise. Grave erreur. Ce dernier sur-enchérit sans s’encombrer de détails.

S’ils avaient été des bêtes, Rowan se serait contenter de siffler son mécontentement vers son cadet trop impulsif et bruyant. Encore que là, l’idée le traversa silencieusement tant l’affront le piquait. Néanmoins, ancré qu’il était dans un flegme à des lieux des glapissements d’une ribaude vieille et sotte accompagnée d’un jeune mâle en manque de prouesses, rien ne sembla le toucher. Au contraire.

Son regard pâle et céruléen brilla par la quiétude exacerbée – et finement ouvragée – qui le dominait. Elle tinta sa voix d’une intonation pourtant singulière, que la douceur de son ton noya presque aux oreilles des non-aristocrates. « En effet, Blaise. Je me le demande. » Celle qui sous-entendait, entre la menace énigmatique et l’injonction paternelle, s’il souhaitait vraiment se perdre sur un tel chemin en sa présence.

Intérieurement, Yvain tentait par tous les moyens de se motiver, ne serait-ce que par principe. Il avait tant espéré cette soirée, avec la présence essentielle de sa nouvelle alliée, que la morne mélopée qui l’envahissait avait de quoi l’exaspérer. Par la barbe de Merlin, l’heure était aux fausses réjouissances et aux rires vides avant la grande surprise du maître ! Pourquoi ne participait-il pas à cette dernière grande mascarade ?

Dans le fond, il préférait ne pas s’aventurer à proximité de la réponse à sa silencieuse question.

Après l’intervention désopilante de Blaise, le Serpentard se contenta de ruminer dans son coin. Du moins, jusqu’à l’apparition d’un énième problème à la liste déjà trop longue de cette satané soirée. Alexandra Zschoke-Travis. Sans rien dire, il la fixa.

Puis, l’information lâchée par cette dernière gagna prestement son cerveau. Professeur d’étude des runes. Le visage d’Yvain perdit dans l’instant son air maussade, au profit d’une terreur crispée et livide. Aux frasques orales de Zabini s’ajoutait désormais la présence d’une enseignante diabolique. Celle d’une matière dont il avait séché le dernier cours. Rien que ça.

Merde.

Tout en assistant aux échanges glaciaux des uns et des autres, le jeune homme tenta de se changer les idées. Pour commencer, il se mit à se servir dans les bons plats apparus sur la table à la suite du discours de Dumbledore. Il en profita pour agrémenter l’assiette d’Harmony avec quelques mets, se permettant même quelques mots à voix basse. « J’ai l’impression de traverser l’arctique. Pas toi ? » Il continua son petit manège alors que la voix de Rowan répondait à celle de Blaise. « Note, ils ne pourront pas refroidir le dessert. »

Sous la table, Yvain fouilla dans sa poche avant d’en sortir un petit paquet qu’il tendit à la quatrième année, loin des regards de leurs aînés. « Ni ça. »

Blaise était son ami depuis six longues années, à présent, et elle avait toujours toléré ses excès et son humour parfois déplaisant car il n’avait jamais tenté de la blesser intentionnellement. Récemment, elle s’était même inquiétée de ce qu’il risquait de lui arriver s’il ne cessait de refuser de voir la réalité en face, de voir que le faste de l’aristocratie Sang-Pur était en plein déclin ; mais elle ne pouvait voir sa réflexion autrement qu’en traîtrise, et elle la blessa autant qu’elle abîma sa vision de Blaise. Ce fut Rowan qui répondit à l’affront, Daphné luttant bien trop pour conserver sa nonchalance pour envisager ouvrir la bouche. Elle ne prêta pas même attention aux mouvements du côté d’Yvain et Harmony, son regard vissé sur le sixième année – elle ne parvenait pas encore à identifier si elle était en colère ou si elle était simplement déçue de son attitude. Trop de sentiments nouveaux à son encontre. Faire le tri était bien trop compliqué dans cette situation.

Elle glissa sa main dans celle de Rowan dans une tentative de renouveler l’apaisement que ce geste lui avait prodigué la dernière fois, malgré le léger frisson désagréable que ce contact inhabituel lui procura. Elle était déjà bien trop agitée intérieurement pour que la réflexion du professeur ne l’agace davantage, se répétant comme un mantra pourquoi ils faisaient tout ça.

Il y avait trop en jeu pour qu’elle laisse filer ses émotions dès le premier soir, pour qu’elle ruine leurs plans si finement tissés. Cela ne serait guère remercier Rowan après tous les sacrifices qu’il avait effectués. Elle se força donc à prêter davantage attention aux paroles du professeur de Runes, espérant que cela la détournerait de son ressentiment.

Un sourire étira ses lèvres lorsqu’elle entendit la dernière réplique de la fauteuse de troubles, savourant sa vengeance à l’avance en imaginant Blaise empêtré dans ses propres paroles.

« Assurément, Blaise. Nous ne jugerons pas. »

Elle était même parvenue à glisser un peu de légèreté à son ton, soucieuse de ne pas donner d’excuses à Blaise pour être encore plus désagréable encore. Dans une autre situation, il aurait ri de sa remarque, et aurait sans doute répondu que c'était à cause du Bal des Trois Sorciers qu'il avait changé de bord. Elle serra un peu plus encore la main de son fiancé à cette pensée, se demandant combien elle serait encore prête à supporter avant de laisser les fêlures apparaître.

Elle n’aurait pourtant pas pensé que ce serait son ami, peut-être même son meilleur ami si elle était honnête avec elle-même, qui les aurait provoquées. Elle n'avait visiblement pas besoin de lui offrir des excuses pour nourrir sa colère qu'elle ne comprenait pas vraiment, de toutes manières ; il y parvenait très bien tout seul.