La flèche ou la cible: choisir sa voie.

Cela fait quelques minutes que j’attends Megan, mais l’ennui ne me gagne pas pour autant. Je m’occupe comme je le peux, faisant tourner ma baguette entre mes doigts, lançant de temps à autres un sort sur un des mannequins. J’essaie de varier au maximum les sorts, mais il faut bien que je me rende à l’évidence : mon répertoire de sorts offensifs est désespérément restreint. C’est aussi un peu pour ça que j’ai insisté pour donner un cours particulier à Megan, malgré sa récente blessure. Elle sort à peine de l’hôpital alors je sais que ce n’est pas très urbain de ma part, mais tant pis. Le cours que j’ai donné ce lundi n’était pas crucial, même si la réflexion de fond me paraît quand même importante pour un soignant. Mais franchement, il n’y a pas de quoi en faire un cours particulier.

Je m’apprête à lancer un nouveau sort quand elle arrive enfin, pantelante et s’excusant pour son retard. Je secoue la tête. Ce n’est pas grave : l’attente m’a permis de savoir où sont mes lacunes, et comment y pallier. Baissant ma baguette, je m’approche d’elle et la salue.

— Bonsoir ! Hein…?

C’est quoi cette histoire de tête ? J’ai vraiment une tronche à faire peur ? Lire l’inquiétude dans les traits de Megan m’inquiète plus que de raison. Elle ne m’apprécie pas et je le sais, d’où la sonnette d’alarme particulièrement insistante dans mon esprit. Si Megan se fait du souci, c’est que ça doit être grave, non ?

— Oui oui ça va, t’en fais pas. Et arrête de me vouvoyer…

Cette sale habitude qui lui revient régulièrement… J’ai du mal à lui en vouloir, cela dit. C’est sûrement une manière pour elle de garder ses distances, de me signifier que non, on n’était toujours pas potes. Qu’elle se rassure, je le sais bien qu’on ne l’est pas ! Sa méfiance à la limite de la paranoïa est toujours un frein, même si avec les derniers événements, je commence à comprendre. En faisant des efforts pour la supporter, je me rends même compte qu’elle est moins cinglée que je l’aurais pensé. Peut-être qu’elle ne m’aime toujours pas, mais je me dis que… peut-être… j’ai arrêté de la détester.
Merde.

— Et toi, ça va ? J’imagine que t’es pas complètement remise…

Je soupire. J’ai sûrement un peu abusé en lui demandant de venir aussi tôt après sa sortie, m’enfin. Il y a des choses dehors qui n’attendent pas. Je déglutis et je m’assois à même le sol. Libre à elle de faire de même.

— Lundi on a travaillé sur la prise en charge des patients. Mettons que je vienne te voir parce que j’ai eu un accident de potions et que la moitié de mon bras a fondu et coule sur le sol. Je suis totalement paniqué. Toi, ce serait quoi, ton premier réflexe ? Vraiment, la première chose que tu fais.

Relevant les yeux vers elle, je me demande bien quelle sera sa réaction. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, du moins pas de façon aussi catégorique. Il y a bien sûr des choses à ne pas faire, mais il s’agit surtout de ne pas oublier certaines choses essentielles.

Ouais, elle m’a l’air pas vraiment dans son assiette mais c’est pas grave. Je pense commencer à la cerner un peu mieux, et je doute qu’elle soit du genre à apprécier qu’on s’apitoie sur son sort. Si jamais elle a du mal ou qu’elle a besoin de se reposer, j’espère que je serais à même de le déceler par moi-même. De toute façon, une bonne partie de notre rendez-vous presque secret consisterait en une longue discussion théorique. On verra après si elle était assez en forme pour me faire lancer quelques sorts un peu plus propres qu’un Diffindo, mais tout aussi ‘efficaces’. En attendant, on part en mode soignant.

Le cours du lundi consistait moins une leçon sur comment soigner que sur comment prendre en charge un patient. J’ai aussi insisté pour qu’elle rattrape ce cours parce qu’elle en a sûrement bien besoin. Ce n’est pas une remarque méchante, juste la triste réalité. D’après les échos que j’ai eu, son stage à Poudlard ne se passe pas toujours très bien. J’expose le cas fictif, une urgence assez sale avec un impact psychologique important. Je veux savoir quel serait le premier réflexe de Megan, et sa réponse ne manque pas de me faire rire. Elle sait bien que ce n’est pas ce que j’attends, donc elle enchaîne sur quelque chose de plus consensuel, de plus attendu, mais honnêtement je préfère sa réaction la plus spontanée. Elle est plus pertinente, même si elle pense le contraire.

Le contact humain n’est pas son point fort, c’est clair, mais son réflexe en dit long sur ce qu’il se passe dans sa tête.

— Justement, on va en parler. Pourquoi tu veux l’assommer ? C’est quoi l’idée derrière ?

Elle l’ignore mais elle n’est pas si loin de ce que j’aurais fait moi-même. Peut-être qu’il lui manque simplement les outils pour réagir de la manière la plus adéquate.

— Je ne vais pas te mentir, il n’y a pas de réponse universelle à mon problème, puisque chaque patient est différent… Mais par curiosité, si tu devais me rassurer, tu dirais quoi ?

La simulation et le jeu de rôle sont nécessaires, ne serait-ce que pour avoir un minimum de recul sur nos propres actions. Je ne me pose pas en urgentiste parfait, mais je n’ai pas non plus tout appris sur le tas. Je me souviens de discussions avec mes collègues, mes supérieurs à l’époque, qui me disaient en quoi je m’étais foiré et pourquoi mon ou ma patient.e mettrait plus de temps à s’en remettre, principalement à cause de la première impression que je lui avais fait. C’est moche, mais c’est comme ça que ça fonctionne, malheureusement. Qu’on le veuille ou non, l’impact de l’interpersonnel est non-négligeable.

Étrange. J’aurais cru que Megan m’aurait assommé pour m’éviter de trop souffrir ou de paniquer encore plus. Sa réponse empreinte d’un égoïsme plutôt rare chez les médicomages me prend au dépourvu. Je n’en montre rien, et la laisse parler. J’essaie de rebondir sur ce qu’elle me dit, je cherche un mot ou une formulation qui peut m’amener là où j’ai décidé d’aller.

— Hmm… La rapidité est un paramètre essentiel, oui, et c’est sûr que c’est plus simple de soigner quelqu’un qui est dans les pommes. Mais de là à l’assommer… Tu n’as pas plus… déontologique, comme méthode ?

Évidemment, il y avait aussi la solution de parler au patient, même si par expérience, je sais que ça ne sert pas à grand-chose de taper la discute avec quelqu’un qui a le bras qui goutte sur le sol. La réaction de Megan me fait carrément rire, parce qu’elle est complètement surréaliste cette fois.

— Alors ça, je déconseille. Si j’arrive avec un bras qui fond comme une bougie, j’apprécierais moyen qu’on me parle de ma queue. Tu perdrais pas mal de points, sans compter le fait que je pourrais être totalement ailleurs. Je ne sais même pas si je t’écouterais tellement je serais sous le choc. C’est con, mais la chose la plus simple à dire, à répéter même, c’est juste “ça va aller”. Même si tu sais que ça n’ira pas.

Bien sûr, il y a parfois des patients qui ne tombent pas dans le panneau et c’est sûrement ça le plus difficile. S’entendre dire qu’on n’est qu’un menteur de plus, et que tout est déjà foutu. Ironiquement, c’est d’autant plus douloureux à entendre lorsque c’est vrai. Je me force à me sortir de mes pensées, et je me focalise de nouveau sur ce qu’il se passe dans cette salle.

Megan semble totalement perdue. Ce n’est clairement pas ce qu’elle fait de mieux, et j’ai l’impression qu’elle est persuadée d’aligner connerie sur connerie. Pourtant, c’est loin d’être le cas. Assommer un patient tel que celui que je lui offre dans mon cas de figure fictif n’est pas une si mauvaise idée. Pas dans le fond, seulement dans la forme.

— Est-ce que tu connais des sorts qui peuvent m’empêcher de paniquer ?

Ce serait déjà le début d’une solution non ? Si le patient ne panique pas ou plus vraiment, il sera plus à même d’accepter le traitement et son corps guérira plus vite. Je n’ai pas cru tout de suite à cette théorie, mais j’ai déjà vu des cas quasi-désespérés se guérir presque par la simple force de leur esprit, parce qu’ils étaient persuadés qu’ils allaient s’en sortir. Le contraire existe aussi, mais je préfère ne pas m’en souvenir.

Je m’en doutais. Megan comprend bien que la panique est une donné indésirable dans le traitement d’un patient, mais elle ignore peut-être comment faire. Quand je lui demande si elle n’a pas une méthode plus douce ou plus éthique que le coup sec derrière la nuque, elle semble sécher. Les potions sont une solution, mais elles mettent parfois trop de temps à agir. Un sort peut parfois faire l’affaire.

— Tu connais le sort d’Allégresse ? Il peut parfois fonctionner, même s’il vaut mieux éviter de le prononcer dans les couloirs d’un hôpital. Sinon, un Patronus. Si tu sais en faire un. Bref, ce ne sont pas des sorts qui influent directement sur la panique du patient, mais qui peuvent aider à le calmer un peu.

Et sinon, il y a toujours la solution de lui parler, même si comme je le disais, la plupart des patients paniqués n’entendent rien de toute façon. Le choc est trop fort et la douleur trop présente pour que le cerveau fonctionne normalement. Les mots entrent par une oreille et sortent par l’autre, sans que la personne ne comprenne.

— Une fois la panique calmée, tu peux sortir l’armada des sédatifs. Un mec avec un bras qui fond, vaut mieux le mettre dans un coma artificiel.

J’esquisse un sourire sans même m’en rendre compte, avant d’enchaîner sur ce qu’on peut bien dire dans ces moments-là. Je comprends tout à fait la façon dont Megan raisonne, mais pour avoir testé, je le lui déconseille. Ça n’avance pas à grand-chose la plupart du temps, et ça ne fait qu’embrouiller le patient. Il a besoin d’être rassuré, pas de se dire que ça aurait pu être pire.

— Ouais, sérieusement. S’il est sous le choc, il pigera rien de ce que tu lui diras de toute façon, alors autant s’en tenir à quelque chose de simple et répétitif. Lui faire comprendre que ça aurait pu être pire est anxiogène aussi, il vaut mieux ne pas trop laisser la place à l’imagination dans ces moments-là.

La meilleure solution dans ce cas-là, c’est la plus simple. Megan a l’air perplexe : elle s’attendait vraiment à quelque chose de tarabiscoté ? Je sens mes sourcils se hausser, alors que je me penche un peu plus vers elle.

— Tu pensais à quoi ?

Là, j’avoue, j’aimerais connaître le fond de sa pensée. Savoir ce qu’elle avait en tête avant que je ne la réoriente vers ce qui, pour moi, était la meilleure chose à faire. Après tout, peut-être que sa façon de faire n’est pas non plus mauvaise : je ne la connais pas en détail, je ne peux pas juger. La seule fois où je l’ai vue dans un cas d’urgence, elle avait juste servi à rien. Ce n’était pas comme si elle avait eu le temps de me montrer qu’elle s’y prenait mal, puisqu’elle ne s’y était même pas ‘pris’ du tout.

Que Megan ne sache pas lancer un sort d’Allégresse ne m’étonne pas tant que ça. Elle n’est pas du genre à semer la joie et la bonne humeur sur son passage, et je le pense sans la juger. Il est des gens qui agissent comme de véritables anti-dépresseurs sur leur entourage, et d’autres qui font plutôt office de tartes dans la gueule providentielles. Megan fait partie de la seconde catégorie. Difficile de croire que la vie est belle quand on voit ce qu’elle a pu lui faire. Et encore, je ne connais même pas son histoire. L’ombre dans son regard me suffit. Quant au patronus, c’est un effet secondaire assez peu commun mais dont j’ai pu constaté les effets pas plus tard que la veille avec Isolde.

— Un Patronus peut avoir un effet calmant sur certaines personnes. Ce n’est pas systématique, mais ça arrive.

Hmm, pour le reste, Megan est toujours aussi dubitative. Peut-être pense-t-elle que je me fous de sa gueule ? J’aurais pu, mais ce n’est pas le cas. J’essaie juste de faire en sorte qu’elle rattrape le cours qu’elle avait manqué du mieux qu’elle puisse. D’une certaine manière, ce n’est pas mal qu’elle soit seule avec moi. Il n’y a personne pour interférer, ou la faire se sentir mal à l’aise, volontairement ou non. On a tout notre temps, et je sens qu’il est important pour elle que je m’attarde un peu sur ce point.

Je crois comprendre que c’est la fausseté de la phrase qui la gêne. Ouais, je peux concevoir. Le mensonge et moi sommes de vieux amis, mais elle est plutôt franche, d’après ce que je sais d’elle. Mentir est-il si improbable pour elle ? Je ne réponds rien, je la laisse parler. Elle évoque son frère pour la première fois… Ah. Le mensonge est une arme à double tranchant, je ne l’ignore pas. Pourtant…

— Si c’est le mensonge qui te perturbe autant, tu peux dire simplement “on va s’occuper de vous”. Ce ne sera jamais faux, non ?

Mais j’ai quand même ma petite opinion sur le mensonge en milieu hospitalier. Ce n’est que mon avis, mais il vaut ce qu’il vaut.

— Sinon, je pense qu’un mensonge bien avalé peut se transformer en vérité. Comme je l’ai dit, il suffit parfois de faire croire au patient qu’il peut s’en sortir pour qu’il garde la force de se battre. Quelquefois, c’est la seule chose qui fait la différence.

Je soupire légèrement, et j’attends de voir si elle a d’autres questions, si elle souhaite épiloguer là-dessus. Apparemment non. Je la fixe quelques secondes, attendant d’être sûr qu’elle n’a vraiment rien à ajouter, avant d’enchaîner.

— D’accord, un autre cas maintenant. Toute ma famille vient de brûler dans un incendie, je suis le seul rescapé. J’ai quelques égratignures, c’est tout. Tu m’annonces ça comment ?

C’est une situation que je n’aurais pas évoqué en cours magistral, mais je suis désormais de curieux de savoir comment Megan va emballer la vérité pour qu’elle soit acceptable dans un cas comme ça.

La question de Megan ne me surprend pas. Elle me demande si le mensonge a parfois contribué à guérir un patient, et je hoche doucement la tête. J’ai plus de facilité à me souvenir de quand j’ai dû abandonner l’idée de mentir plutôt que quand le mensonge s’est imposé à moi, c’est dire. Mais je ne veux pas non plus être trop catégorique avec elle.

— Il y a aussi des patients qui ont besoin d’honnêteté, quitte à être blessés. Généralement, c’est ceux qui sont du genre à réagir par la colère. Comme je l’ai dit, ça dépend beaucoup de la personne. Enfin. Le mensonge fonctionne dans les trois quarts des situations.

Mais j’enchaîne très vite sur une autre situation. Le cas d’un survivant auquel on doit annoncer que tous ses proches sont morts. Megan se jette sur la réponse et bien qu’elle ne dise pas de grosse bêtise, oublie un détail. Ah. En fait non. Je souris. Tout dépend évidemment de qui je suis. De nouveau, je hoche la tête.

— Exact, tu ne vas pas dire la même chose à un enfant ou à un adulte. Le paragraphe sur la souffrance n’est pas mal, mais je suis un peu dubitatif sur le fait de leur dire que leurs proches seraient morts de toute façon. Je sais pas, je l’interprète un peu comme “je me suis pas foulé c’était foutu de toute manière”. La fatalité a un côté déprimant. Dire que tu as fait ce que tu as pu, ce serait mieux.

Je marque une pause, juste le temps de détourner le regard vers le reste de la salle de duel.

— Je sais ce que tu vas me dire : c’est la même chose. Oui. Mais ce n’est pas dit de la même façon.

À l’instant où ces mots traversent mes lèvres, je me rends compte. C’est une véritable illumination, quelque chose que je n’avais pas remarqué jusque là. J’avais eu des indices, mais j’avais préféré ne pas en tenir compte, volontairement ou pas. Mes yeux s’ouvrent grands alors que je les tourne de nouveau vers Megan.

— Je pense que si on est partis sur de mauvaises bases c’est justement à cause de cela. Pour toi, la façon de dire les choses est presque secondaire non ? Pour moi c’est essentiel. Je me rends compte que la plupart du temps, quand je me froisse avec quelqu’un, c’est bien à cause d’un mot de trop ou d’une formulation maladroite.

Je ricane, me moquant de moi-même. Maintenant que j’ai réalisé cela, je me demande bien quoi faire de l’information. Je tiens à ce que les choses soient faites dans les formes, et je doute de pouvoir changer à trente-trois ans. C’est un réflexe. La moindre intonation douteuse, le moindre mauvais choix de mots me donne de l’urticaire. Je me fais parfois violence quand il le faut, mais si la personne en face de moi ne représente rien de particulier pour mon entourage, je sais que je ne me fatiguerais pas à connaître ses intentions. Megan, elle, me donne l’impression de foncer dans le tas en espérant que ses intentions soient toujours considérées comme la chose la plus importante. Aucun de nous deux n’a raison.

— Je pense qu’un juste milieu est possible. Ne pas trop se focaliser sur la forme, mais ne pas l’oublier non plus.

Avec un sourire, je décide de passer à autre chose. Megan sait désormais sur quoi elle doit travailler, et le reste se fera avec l’expérience.

— Des questions jusqu’ici ?

Je m’apprête à changer un peu de sujet, alors autant voir si tout va bien jusque là, ou si Megan a quelque chose à dire.

Elle répète ce que je dis, comme pour en prendre note mentalement. Je la laisse faire en silence, attendant ses éventuelles questions. J’en ai un peu trop dit sur moi-même au passage, ce qui explique sûrement sa pique de curiosité à mon égard. Je lui lance un regard étonné : je ne me suis vraiment pas attendu à ça. Pris au dépourvu, il me faut un temps pour répondre. Pas parce que je peine à trouver ce qui me déplaît le plus, mais plutôt pour savoir comment le formuler sans passer pour un cinglé avec un complexe de Dieu. Ni pour un pleurnicheur, soit dit en passant.

— L’impuissance. Quand tu sais que la personne devant toi va crever, quoi que tu fasses.

Je déteste me sentir inutile, et cette situation est vraiment la pire pour moi parce que je sais que je ne peux pas faire de miracles. En fait, je me dis que les “ça va aller”, je les répète aussi un peu pour moi, pour me dire que je peux le faire et que ça ira mieux. C’est le moment où je remise aussi mon empathie dans un placard pour l’y verrouiller à double tours. C’est comme un rituel. Quelques petits mensonges, le temps d’enfiler le masque du guérisseur distant et un peu froid. Je fais ça pour me protéger, parce que sinon je sais que je ne tiendrai pas. Finalement, je ne suis pas moins égoïste que Megan qui veut assommer ses patients pour avoir la paix.

J’ai tenu presque dix ans comme ça. Bon, sur la fin il y a eu des couacs, des bavures, des moments où j’envoyais mon statut de soignant paître pour enfiler le costume plus seyant mais aussi plus dangereux du justicier solitaire un peu cinglé. Non, totalement cinglé. J’esquisse un sourire : ça, je ne peux pas le lui dire.

Il n’y a qu’une personne qui sait tout de A à Z, et mon Bro qui soupçonne quelque chose. Megan sait que je ne suis pas totalement net, mais elle n’a pas besoin de savoir à quel point. Je ne dis rien, et ma petite confidence sur nos incompréhensions emmène Megan sur une autre discussion. Tant mieux.

Elle me parle de son frère, du trauma qui l’a complètement bloquée le jour du Festival Culturel. J’ai été dur avec elle ce jour-là, je le sais bien et elle ne l’ignore pas non plus. Sa confession a des airs d’excuses et ça me suffit largement. Je ne lui en demandais pas, de toute façon.

— Je comprends mieux. Ça l’air d’aller, là…?

Je me risque quand même à lui demander si tout va bien aujourd’hui, mais je ne m’attends pas spécialement à une réponse détaillée. Pour moi, il y a presque prescription sur l’incident. J’espère juste qu’elle ne va pas refaire un flash à chaque blessure par balle. Avec les temps qui courent, elles risquent de ne pas être rares.

Enfin. On en parlera plus tard. Ou pas. On verra bien quelle tournure prendra la conversation. Je lui demande si tout va bien, si elle a des questions, mais apparemment non. Parfait.

— Bon, maintenant… Tu cherches à savoir ce qu’il se passe chez ton patient parce que t’as pas encore bien compris. Son explication est foireuse, ça ne colle pas. Tu fais quoi ?

J’arque un sourcil, en espérant que cette nouvelle situation amènera le sujet dont j’aimerais parler avec Megan.