La flèche ou la cible: choisir sa voie.

Je ne comprends pas tout de suite ce qu’il se passe. La scène se déroule sous mes yeux, mais je n’en suis pas acteur, je ne suis qu’un simple spectateur. Moi qui ait laissé mes émotions prendre le contrôle, je ne me reconnais pas dans ce que je viens pourtant de faire. Le sort est parti de ma baguette et c’est bien ma voix qui a fait vibrer l’incantation dans l’air. Je ne pensais sérieusement pas réussir à le lancer. Pas du premier coup, pas si facilement. J’ai eu tort.

Le sort a réussi. Il a touché Megan au flanc droit. Je reste quelques secondes muet, incapable de parler ou de bouger, avant de me mettre cette tarte mentale dont je parlais la veille à Isolde. Je me gueule dessus intérieurement, et avant même que je ne le réalise, je me précipite vers elle pour m’agenouiller à ses côtés.

— Ça va aller…

Toute trace de rage est partie, ma voix est douce et se veut rassurante, alors que Megan hurle sa douleur. Avec minutie, je répète le sort de guérison, le Vulnera Sanentur, que je connais bien. Peu à peu, ses plaies se referment, et le sang qui s’en échappait regagne son corps. Rapide et efficace, comme tout bon urgentiste, je mets quand même cinq bonnes minutes pour faire le tour de la question et reprendre mes esprits.

Une fois inoccupé, la réalité me revient à la face. J’ai attaqué Megan. Elle était d’accord. Merde, qu’est-ce qu’il me prend tout à coup ? Cela dit, il y a du positif dans l’affaire : je sais comment lancer un sort de magie noire.

— Bon, je crois que j’ai compris cette histoire d’émotions…

Franchement, j’en ai même eu ma dose. Laisser la rage et la frustration m’envahir pour lancer un sort n’est pas du tout la même chose que de détourner un sort de son objectif premier. Dans le second cas, c’est comme si la blessure était une conséquence indésirable, comme si je n’avais pas vraiment fait exprès. Mais là, là je dois le vouloir. De toute mon âme. Vouloir faire du mal, vouloir tuer… Je sais bien que je n’en suis pas à mon coup d’essai de ce côté là, mais franchement, l’avantage avec les poisons, c’est que finalement, ce n’est pas vraiment moi qui tue. C’est la substance. L’intermédiaire me dédouane, lave presque mes mains du crime que j’ai commis. Là, je n’ai plus cette protection et je ne peux pas me détourner de ce que je fais. Je regarde la douleur que j’inflige en face, sans pouvoir fermer les yeux. Le problème étant que je ne sais toujours pas si ça me déplaît.

— Je pense qu’on va en rester là pour aujourd’hui, non ?

Il n’y a plus de sang sur le sol, mais je le vois encore, gravé dans le fond de mon esprit comme une persistance rétinienne. Et à la place de Megan, je vois le vieux Krockwell que j’ai torturé, je vois les Mangemorts et qui aurait pu se cacher derrière l’un de leurs masques, je vois tous ces bully et ces gens qui abusaient ici d’une petite-amie, là d’un fils… Je vois Roxanne, baignant dans son sang. Je me vois moi, hors de moi, dans tous les sens du terme, hors de contrôle.
Et encore une fois, je sais pas si ça me déplaît.

Un flash me revient alors que je suis penché sur Megan. Pas Roxanne, mais quelque chose de bien plus ancien, une phrase que je n’ai jamais vraiment oubliée, une réaction que je pensais anodine, mais qui ne l’était clairement pas. Pommier, plume de phénix, 27 centimètres. Ollivander avait ajouté que le pommier était un bois particulièrement réfractaire à la magie noire, et sa baguette m’avait brûlé la main. Comme si, depuis le début, j’avais ça dans le sang. Alors que je range ma baguette dans ma poche, je me dis que peut-être, en étudiant d’un peu plus près ses caractéristiques, j’en apprendrais un peu plus sur moi. J’abandonne l’idée dans l’instant. À quoi bon ? Je suis un empoisonneur, je suis un Ange de la Mort qui joue les justiciers, je peux bien être un mage noir par dessus le marché, qu’est-ce que j’en ai à foutre ?

Megan elle-même avoue que le costume me va un peu trop bien. Non seulement j’ai compris mais… Mais quoi ? Elle est trop faible pour parler, ce qui est ironiquement très parlant : le sort que j’ai lancé a frappé, et fort. Même si je l’ai guérie immédiatement, elle ne s’est pas assez remise de sa blessure par balles pour ne pas être complètement dans les vapes. Je l’aide alors à se relever, tout en confirmant que la séance était bien terminée pour aujourd’hui.

— Ne t’excuse pas et va dormir. Tu n’auras qu’à m’envoyer un hibou pour me dire quand tu veux t’entraîner, d’accord ?

Je sens que je vais moins apprécier cette correspondance que l’autre, mais tant pis. Mon coup d’éclat d’aujourd’hui va sûrement changer la vision qu’elle a de moi, même si je ne me suis jamais présenté à elle comme un enfant de chœur. Je sais qu’elle est méfiante, paranoïaque même, à un niveau clinique, alors je peux bien m’imaginer ce qu’elle va penser…

Je l’escorte à l’extérieur de la salle, puis la laisse partir et rejoindre sa confrérie. Perdu dans mes pensées, je marche lentement dans les couloirs tel un fantôme. J’ai encore du mal à réaliser ce que je viens de faire et au-delà, quel chemin je viens de prendre. Je devrais la remercier, et lui dire d’annuler ce deal avant que ça ne prenne des proportions gigantesques.

Elle a confiance en moi ? Juste parce que j’aime Clemens et parce que je suis à l’Ordre du Phénix. Si le premier m’abandonne ou que j’abandonne le second, nous redeviendrions immédiatement meilleurs ennemis. Autant en profiter maintenant, en apprendre le plus possible parce que cynique et pessimiste comme je suis, je suis convaincu que rien de ce que je pourrais lui apprendre ne contrera ce qu’elle, elle m’apprendra. Parce que dans la vraie vie, c’est toujours le côté obscur qui gagne.