Festin nocturne (Anna, Jade, Megan, Clemens et Rowan)

Minuit allait bientôt sonner. Isolde se tenait devant la porte des cuisines, attendant ses amis qui ne tarderaient sûrement pas à arriver. Elle sourit en pensant à la lettre qu'elle avait envoyée à ses comparses.

Elle s'était amusée à transformer l'invitation en énigme, et se demandait avec malice s'ils parviendraient à la résoudre. En tant qu'ancienne Serdaigle, elle avait gardé une inclination particulière pour les jeux d'esprits. Elle sourit en essayant d'imaginer leur tête lisant sa missive ; elle avait de plus laissée sa lettre anonyme, ce qui avait dû accentuer leur étonnement. Elle se doutait cependant que Clemens devinerait plus aisément l'identité de l'auteur ; il la connaissait bien et était aussi habitué qu'elle aux devinettes de Poudlard.

Elle avait eu l'idée de cette soirée pendant une de ses nuits d'insomnie. Les évènements qui s'étaient déroulés au cimetière l'avaient secouée, et elle avait bien besoin de se divertir. Quoi de mieux que de passer la nuit à s'amuser dans un lieu habituellement interdit d'accès ? Juste avant de partir, elle avait glissé le cadeau de Rachel dans son sac en bandoulière, espérant bien le sortir à un moment de la soirée.

La porte de la cuisine était verrouillée au moyen d'un mot de passe, mais Isolde l'avait découvert en suivant un elfe de maison un soir, et elle était depuis revenue à de nombreuses reprises pour prendre des petites friandises pour Endymion.

L'idée lui vint de se cacher, pour garder intacte la surprise le plus longtemps possible ; elle se jeta un sortilège de désillusion, et son corps se fondit instantanément avec les pierres du mur derrière elle. Le sortilège ne lui garantirait pas une invisibilité totale, mais l'obscurité qui régnait dans le couloir achèverait de la dissimuler complètement. Ainsi camouflée, elle s'adossa au mur et attendit, se demandant qui arriverait en premier...

Uneraell

Quelle ne fût pas sa surprise de découvrir, au petit matin, une obscure missive qui lui était destiné. Lui, cet ancien élève de Serpentard, qui avait justement tant usé de l’anonymat pour encourager Vela ou préserver la sécurité de ses camarades de maison. Après tant d’années, on lui retournait la pareille ?

Il s’en étonna singulièrement.

Habitué à la prudence, le jeune homme profita d’une pause entre deux cours de l’après-midi pour déchiffrer le billet. Dans un coin de la bibliothèque, armé de son carnet de notes, il s’égaya à résoudre l’énigme. L’heure vigile était un indicateur de temps excessivement bien trouvé, quoi qu’il l’invitait à ne pas profiter à raison de ses draps. Tant pis pour le sommeil.

L’évocation du régal lui tira un drôle de sourire, surtout quand il cerna que le but de son expédition serait ce dernier. Une collation tardive ? Un plan pour le moins hors du commun, surtout pour lui. Et, selon ce qu’il dégageait de son analyse, il ne serait pas seul. Bon sang, de qui pouvait bien venir cette lettre ?

Le seul moyen de le savoir était de s’y rendre. Rowan passa donc une partie de la journée à y penser, sans afficher aucune agitation apparente. Le corps et l’esprit trop ancrés dans les rouages de sa maîtrise.

Au moment venu, le soir, le jeune homme quitta les archives dans lesquels il avait passé les dernières heures, toujours aussi prompte à travailler sérieusement. Vêtu d’un ensemble sombre et simple, suivant scrupuleusement les lignes de son corps grand et fin, il se dirigea vers ce qu’il escomptait être le lieu de rencontre. D’une démarche flegmatique, quoi qu’un peu féline sur certains pas, Rowan finit par déboucher dans un couloir. Clemens s’y trouvait.

Serait-ce l’auteur du billet ?

Il lui sembla entendre un murmure, mais étant relativement loin, il ne parvint pas à l’identifier concrètement. Dans le doute, l’ancien Serpentard se rapprocha de son colocataire, une tonalité sibylline lui venant.

« Que d’intrigue, mon ami. Horace est-il si famélique qu’il quémande un souper à cette heure ? »

Isolde n'eut pas à attendre très longtemps avant d'entendre des pas s'approcher de la cuisine. Elle se redressa, se collant au plus près du mur et respira le plus doucement possible, devenant aussi imperceptible à l'oreille qu'elle l'était à la vue.
Clemens arriva d'un pas joyeux. Elle se retint de rire à sa question, et allait lui fournir une réponse du même registre lorsqu'une deuxième silhouette fit son apparition. Tout de noir vêtue, elle s'avança dans le corridor sombre et Isolde reconnut en elle l'ancien Serpentard. Elle avait douté de sa venue, ne le connaissant pas assez pour savoir s'il affectionnait ce genre d'activités nocturnes. Mais, visiblement, sa curiosité avait été excitée par son message. Anna et Jade débarquèrent peu après, l'air un peu plus inquiet que les deux garçons. Elle les observa quelques instants, amusée de les voir chercher l'identité de l'auteur de l'invitation.

Constatant que Clemens et Rowan étaient d'humeur lyrique, elle décida de jouer le jeu encore un peu. Toujours invisible, elle murmura le mot de passe le plus discrètement possible, et la lourde porte s'ouvrit doucement.
Elle annonça alors d'une voix solennelle :

"Amis gourmets, vous avez été bien avisés de quitter vos Pénates. L'heure dite a sonné, et vous allez pénétrer dans l'antre de la gastronomie, le cœur même de cette académie."
D'un coup de baguette, elle alluma le chandelier et les bougies éclairant la cuisine, dévoilant la pièce aux yeux de ses camarades.
"Il est vrai que les livres sont la nourriture de l'âme, mais après cette journée studieuse qui aura largement sustenté vos esprits, il est temps de se tourner vers des nourritures plus bassement terrestres."

Se plaçant dans l'embrasure, elle rompit le sortilège de désillusion et s'inclina très bas devant les quatre étudiants, pas peu fière de son petit effet théâtral. Elle se redressa avec un sourire et les invita à entrer d'un geste de la main.

Elle traversa la pièce d'un pas léger en direction des grandes étagères débordant d'ustensiles divers. Elle n'avait pas d'idée précise de ce qu'elle comptait faire de la soirée, et elle regarda les objets à disposition dans l'espoir que l'inspiration en jaillirait. Elle en avisa un, assez gros, en fonte, ressemblant vaguement à une poêle. Il était formé de deux grandes plaques rectangulaires, jointes ensemble par deux charnières disposées sur leurs plus longs côtés et prolongées chacune par un long manche du même matériau.
L'objet lui rappela un vieux gaufrier mécanique moldu que son père avait jugé indispensable d'acheter un jour dans une brocante, et qui avait aussitôt rejoint leur cave sans jamais plus en ressortir. D'après ses souvenirs, son fonctionnement était simple ; il suffisait de poser le moule rempli de pâte sur une plaque chaude, les longs manches permettant d'éviter de se brûler pendant l'opération. Elle porta le lourd gaufrier sur un des gros fourneaux à disposition, et alluma aussitôt un feu pour le faire chauffer.

"Vous aimez les gaufres ?" leur demanda-t-elle avec un grand sourire.

Elle prit soudainement conscience qu'elle n'avait aucune idée des ingrédients et de la marche à suivre nécessaires pour préparer la pâte. Elle n'était pas spécialement douée dans ce domaine, et faisait ce que ses parents appelaient affectueusement "la cuisine au pifomètre" ; autrement dit, elle n'avait jamais pris la peine de retenir une recette et préférait suivre son inspiration, ce qui donnait évidemment des résultats plutôt aléatoires et rarement attendus.

Elle se tourna vers ses compères et leur demanda d'un air innocent :

"Est-ce que l'un d'entre vous connaît la recette ?"

L'amusement de Clemens grandit au fur et à mesure que les autres invités à cette petite sauterie anonyme le rejoignirent. Il salua l'arrivée et le lyrisme de Rowan avec un hochement de tête approbateur. Son amie était et resterait bien plus doué que lui pour les belles phrases. Son intérêt grandit encore d'un cran quand Anna et Jade arrivèrent ensembles quelques instants plus tard. Ses yeux bleus restèrent fixés sur Anna un instant de trop avant de se tourner vers Rowan, un sourire sur le visage, alors qu'il se remémorait les conversations séparées qu'il avait eue avec chacun des deux. Il n'eut cependant pas le temps de s'amuser plus avant de la situation qu'une voix, surgie de nulle part, déclama de nouveaux vers. Clemens reconnut instantanément la voix d'Isolde, amusé, mais peu surpris. Le jeune homme s'était très rapidement douté, après avoir lu l'énigme qu'il ne pouvait s'agir que d'un ancien Serdaigle... et qui d'autre qu'Isolde pouvait avoir l'idée de lui envoyer une telle missive ?

" Mademoiselle. " Il s'inclina légèrement, de manière également solennelle, avant de pénétrer dans les cuisines, un des rares lieux de Haveirson qu'il ne connaissait pas encore.

Le Sinistros était littéralement impressionné par le lieu, à la fois ancien et très bien équipé, d'une majesté confortable et écrasante. Il se sentit spontanément bien dans ce lieu qui invitait à se servir avec précaution et mitonner les meilleurs plats que quiconque ait jamais gouté. Il marchait au hasard à travers les étagères, observant les objets et ingrédients, intéressé et étonné à la fois lorsque Isolde les interpella. Des gaufres, bien sur ! L'enfant gourmand qui sommeillait en lui s'éveilla et il se rapprocha de son amie, les yeux brillants, mais sa joie retomba presque instantanément lorsqu'elle avoua indirectement ne pas connaître la recette. Il fit la moue et secoua la tête.

" Je te dirais bien qu'il faut de la farine, du beurre, des oeufs et du sucre... Mais je suppose que ça, tu aurais bien pu le dire aussi. " fit-il avec un sourire contrit.

Quelques instants après son arrivée dans le couloir, d’autres camarades les rejoignirent. A cause de la pénombre du lieu, Rowan n’arriva pas à identifier tout de suite les deux jeunes filles... Jusqu’à l’éclat de voix provenant de la petite Française. Anna ! L’étonnement qu’il perçut dans son intonation lui tira un sourire loin d’être innocent, qu’il s’avisa d’effacer de son visage le plus rapidement possible.

« Damoiselles. »

Cette longue journée de travail l’avait partiellement épuisé. Pourtant, un murmure insidieux et singulier lui soufflait l’ordre de se détendre... Surtout en présence de ses compagnons d’échauffourée. Sans s’y référer directement, le souvenir du cimetière s’anima au fond de son esprit.

Alors qu’une vague indolente et mystérieuse le frôlait, l’ancien Serpentard remarqua l’expression amusée de Clemens. Rappelé dans une réalité relativement moins sordide mais tout aussi alambiquée, il se souvint soudainement de leur conversation.

De haut en bas, profondément ancré dans une nonchalance coutumière, Rowan jaugea la petite Française. Ses pensées se heurtèrent à une incertitude équivoque qu’il se garda bien de dévoiler. Ce n’était ni le lieu, ni le moment de se laisser déconcentrer... Même si une émotion aussi malicieuse que fugace semblait griser des recoins encore inconnus de son armature mentale.

Agacé par l’ambivalence de ses troubles internes, le jeune homme lança un regard ambigu à son colocataire. Puis, il se concentra sur la suite des événements, s’inclinant avec une élégance aristocratique pour suivre le mouvement de son camarade allemand. Le talent indéniable de leur initiateur l’égaya, jusqu’à ce qu’ils se retrouvent tous face au dilemme le plus frustrant... Réaliser des gaufres eux-mêmes. A partir d’une recette.

Bon sang. Il n’avait jamais eu dans l’optique d’être dans une situation pour le moins gênante. D’autant qu’il était bien incapable de cuisiner quoi que ce soit !

Avec flegme, Rowan s’écarta du centre de l’action pour se poser contre un plan de travail, tout en considérant Isolde de son regard inquisiteur et céruléen.

« Je suis navré, mes amis. Mais les arts culinaires ne rentrent pas dans mes domaines de compétence... » Il pencha légèrement le visage sur le côté, un expression sibylline lui venant. « Cela dit, je suis curieux de goûter votre future préparation... »

Puis, il porta son regard impénétrable vers Anna.

Lorsqu'Anna comprit que l'initiateur et organisateur de ce petit événement n'était autre que Isolde sa camarade de confrérie, elle fut soulagée et heureuse. Alors qu'ils pénétraient dans les cuisines, la brunette alla se saisir d'un vieil appareil à gaufres en claironnant que ça serait leur but de la soirée. Anna s'en réjouit, ayant toujours aimé cuisiner, puis rit franchement lorsque, à son grand étonnement, elle se révéla bien incapable de tenir sa promesse.

- Eh bien tu nous invites pour faire des gaufres et tu n'as pas regardé la recette? Donne!

Elle poussa délicatement Clemens qui se trouvait sur son chemin et alla éteindre la plaque que sa camarade avait allumée.

- Pas la peine de faire ça maintenant, il va falloir préparer la pâte avant et dans l'idéal elle doit reposer... Ce qui ne va pas être simple d'ailleurs...

Elle se tourna vers les deux garçons et Jade resté en retrait.

- Tu as raison globalement Clemens, je rajoute de la levure pour ma part. voilà pourquoi le temps de repos. Vous voulez bien allez chercher de la farine, du sucre, des oeufs et du beurre? Isolde trouve moi la levure. Jade, salé le beurre si possible et du lait!

Tandis qu'elle répartissait les tâches, elle ouvrait les placards afin d'y trouver les ustensiles dont elle avait besoin. Elle sortit un récipient, une cuillère en bois, différents bols... Mais elle n'arrivait pas à mettre la main sur l'objet qu'elle convoitait tant!

- Quelqu'un pourrait-il me dire s'il a vu une balance?  

Jade avait entendu une voix malicieuse dans l'ombre et avait reconnu celle d'Isolde. Elle était contente de pouvoir faire cette expérience culinaire avec elle et Anna. Elle pourrait également faire un peu plus connaissance avec Clemens et Rowan qu'elle connaissait peu. Lorsqu'elle comprit qu'on allait faire des gaufres, elle sauta de joie. Elle adorait les patisseries, les desserts et les sucreries. Le vieil appareil que présentait Isolde ressemblait à celui de sa grand-mère moldue. Elle se souvint des après-midis à la campagne où sa grand-mère préparait le goûter qu'elles dégustaient au soleil. C'était chouette.

Isolde fut un peu dépitée quand les deux garçons lui avouèrent ne pas être plus savants qu'elle au sujet de la préparation des gaufres. Comme Clemens, elle avait une idée des ingrédients nécessaires mais pour les proportions, c'était le vide total. Elle tenait cependant à son idée, et elle commençait à se dire qu'elle allait faire comme à son habitude, c'est à dire en improvisant, lorsqu'Anna intervint d'un air assuré.

Isolde fut étonnée de voir Anna prendre les commandes aussi énergiquement. Elle la voyait comme une jeune fille un peu effacée, mais apparemment son impression avait été fausse. Elle semblait s'y connaître plutôt bien en cuisine, et se mit à distribuer des tâches à tout le monde.

"Ok chef, de la levure ! Je vais chercher ça !" lui répondit Isolde.

Elle suivit Jade jusqu'au garde-manger, et trouva rapidement ce qu'elle cherchait, au milieu des sacs de plusieurs kilos de farine de toutes sortes. Elle prit la levure et et un des sacs avec elle, et les ramena à Anna. Alors que cette dernière commençait à s'affairer à la préparation de la pâte, Isolde jugea que le moment était opportun pour sortir le cadeau de Rachel et égayer un peu l'ambiance.
A Poudlard, un an auparavant, elle avait appris un sort permettant d'augmenter à l'infini la contenance de son sac en bandoulière, sort qui s'était révélé très utile pour voyager léger pendant l'été. Ce soir, il lui avait également bien servi ; en plus d'y glisser le vinyle de salsa que Rachel lui avait rapporté d'Amérique du Sud, et qu'elle n'avait pas encore eu l'occasion d'écouter, elle y avait caché sa petite radio et un tourne-disque qu'elle avait "emprunté" dans la salle de musique. Elle tira les objets de son sac et les installa sur une table.

"Un peu de musique, ça vous dirait ?" leur demanda-t-elle d'un ton joyeux.

Elle posa précautionneusement le disque sur la platine et des notes entraînantes résonnèrent dans la cuisine, rebondissant sur les murs et les ustensiles et emplissant toute la pièce. D'un coup de baguette, elle écarta une table, leur créant une piste de danse improvisée.
Elle savait que Clemens dansait plutôt bien, et elle-même ne se débrouillait pas trop mal. Son ami de Serdaigle, Tomas, lui avait donné quelques cours à Poudlard, et elle en avait encore de bons souvenirs. Elle attrapa la main de son ami et l'entraîna avec elle dans l'espace dégagé. Voyant que Rowan restait droit et imperturbable, et curieuse de savoir si ce dernier savait danser, elle s'adressa à lui directement.

"Allez Rowan, viens, je suis sûre que tu as des talents cachés à nous montrer !"

L'étonnement calme et la retenue qui avait accompagné leur entrée dans les cuisines s'étaient déjà dissipé, laissant place à une certaine effervescence. La proposition d'Isolde semblait amener de délicieuses attentes dans l'esprit de chacun des étudiants et sous la direction de Anna, chacun s'affairait déjà à sa tâche. Ou presque. Clemens était resté planté au milieu de la pièce, étonné par la prise en charge de la jeune Française, qui distribuait à présent les ordres de droite et de gauche. Cela l'avait toujours étonné comme certaines personnes, en apparence discrètes et réservées, pouvait s'ouvrir et se dévoiler dès qu'elles se trouvaient dans un environnement maîtrisé. Il suivait des yeux les mouvements des uns et des autres, jusqu'à ce que son regard tombe sur Rowan, dont il partageait l'air amusé. Les jeunes femmes semblaient tout à fait à leur aise dans cette cuisine, alors que les deux hommes se tenaient pantois et complètement inutiles.

L'Allemand sentit donc son attention s'éveiller quand Isolde sortit de son sac un vinyle et annonça son intention de mettre de la musique. C'était un domaine qu'il maîtrisait déjà beaucoup mieux et qui lui donnait une possibilité de s'exprimer. Il avait confiance dans les goûts musicaux de son amie et sentit immédiatement son enthousiasme grandir quand les premières notes de salsa résonnèrent sous le plafond haut des cuisines. Un tel morceau ne pouvait pas seulement être écouté, il devait être dansé ! Clemens fixa son amie de longue date avec un regard brillant, l'air d'un enfant qui vient de découvrir le sapin de Noël, et un sourit énigmatique croissait sur son visage. La piste de danse étant maintenant ouverte, il était lui aussi dans son domaine de maîtrise ! Il se laissa volontiers entrainer par Isolde, n'ayant d'yeux plus que pour elle, et laissa le rythme de la musique s'insinuer sous sa peau, devenant maitresse de ses mouvements. La salsa n'était certes pas la danse qu'il maitrisait le mieux - sa passion, c'était le swing - mais il savait qu'il n'aurait pas à rougir.

Sans un mot pour leurs amis, il profita de leur complicité, saisissant les deux mains de son amie et l'emmena au rythme de la musique autour de la piste improvisée qu'elle avait dessinée. Clemens était à présent uniquement concentré sur sa partenaire. Elle semblait avoir progressé en danse depuis la dernière fois qu'ils s'étaient amusés ainsi, et il en profita pour l'emmener de manière endiablée, la faisant tournoyer et pivoter autour de lui. Le jeune homme semblait complètement dans son élément, comme si leur environnement avait disparu et que cet instant de plaisir lui permettait d'exorciser les drôles d'évènements qui avait perturbé leurs quotidiens ces deux dernières semaines. Son sourire ne le quittait pas alors que les corps des deux étudiants ondulaient au rythme de la musique cubaine, le degré de sensualité variant en accord avec les notes jusqu'à l'apothéose finale où l'intensité se fit-elle que leurs amis et les meubles autour devenaient flous, mélange de couleurs et d'expression qu'ils ne se préoccupaient plus de distinguer. Le dernier accord tomba finalement, les deux amis s'immobilisant presque entrelacés, sourires aux lèvres, légèrement essoufflés.

Clemens fit un pas en arrière, et s'inclina légèrement devant Isolde, posant un baiser délicat sur sa main, l'air amusé et ravit à la fois.

" Mademoiselle, merci de m'avoir accordé cette danse. " dit-il, le rire dans la voix, conscient qu'il l'avait emmenée sans presque lui donner le choix. Il se tourna alors vers Anna et Jade, une main ouverte tendue vers elles dans une invitation silencieuse.

Le jeune homme se retrouva passablement interloqué, bien qu'il ne laissa rien transparaître, lorsque Anna entreprit de diriger les opérations de la soirée. Il n'osait pas s'avouer que la voir avec tant de convictions l'amusait au plus haut point, elle qui dissimulait si souvent ses capacités impératives. Et, en l'état, il préférait se reposer sur ses directives plutôt que de se lancer dans la folie des improvisations... Plus hasardeuses que concluantes, généralement, dans les arts culinaires.

N'ayant pas bougé d'un pouce, Rowan fut alpagué par la voix de Jade. Il lui adressa un vif regard après avoir hoché la tête, venant récupérer la vieille balance de cuivre. Sans se presser, il apporta cette dernière à Anna. Avec une curiosité non feinte, il considéra tout ce qu'elle faisait pour réaliser la pâte à gaufres. Remarquable.

La simplicité de ses gestes l'impressionnait, et il resta un moment à l'observer ainsi, les bras croisés dans le dos.

L'ancien Serpentard n'eut pas l'occasion de profiter davantage du travail de sa camarade française, que déjà Isolde trouvait une nouvelle activité à leur proposer. Avec intérêt, il s'approcha de leur piste de danse éphémère, tout en profitant sereinement de la mélodie.

En guise de réponse à l'amie de Clemens, il esquissa un fin sourire qui s'estompa rapidement. Il souhaitait d'abord observer les mouvements de son colocataire, afin d'en juger le niveau, avant de tenter quoi que ce soit. Certes, Rowan savait danser, mais il était loin d'exceller pour autant dans certains styles... Juste de quoi tenir le rythme dans le cas de la salsa.

Une fois le spectacle offert par leurs partenaires germaniques terminé, le jeune homme estima jouable de se lancer. Avec un léger temps de retard, il devança son ami de quelques pas, proposant directement sa main à Anna.

Il adopta un ton doux et assuré, avant de s'adresser à elle dans un français finement maîtrisé. « Je ne te promets pas quelque chose d'aussi fébrile que nos camarades, mais... Peut-on tenter une danse tous les deux ? »