Confidence pour confidence (1er post réservé à Clemens Neubach)

A l’évocation de Megan, elle ne loupa le léger sourire que l’étudiant lui rendit, ainsi que les remarques méritées qui ne manquèrent pas de suivre. Elle écouta Clemens, visiblement Megan jouissait d’un statut particulier. Leur rencontre avait eu l’air de l’impressionner en tout cas. Elle ne rajouta rien. Au fond il pouvait bien ne pas être d’accord sur ce point.
Encore que la jeune femme douta qu’ils ne soient proche de penser la même chose, ils n’y portaient simplement pas le même regard. Ce qu’elle jugeait durement chez la jeune femme était quelque chose qu’elle observait parfois chez elle, et c’était bien là qu’était l’ironie. La française connaissait parfaitement les limites de ce détachement aux choses. On les laissait dans un coin, ils n’existaient plus pour ainsi dire. Sauf qu’en réalité on ne faisait jamais rien disparaître vraiment. Elle finissait par s’en rendre compte petit à petit. Durant leur première entrevue, mais plus fortement durant sa promenade avec Rowan, puis avec Isolde, les souvenirs remontaient. Des souvenirs si vieux qu’ils en étaient presque abîmés par le temps, ternis et pourtant les sensations restaient intactes face à eux. Elle respira profondément. Sa bouche se tordit très légèrement sur le côté, signe de son incapacité à exprimer ce qu’elle percevait dans l’air autour d’elle. Tout cela n’avait de toute façon pas besoin d’être abordé, pas ici, et finalement ni ici, ni ailleurs, il n’y avait pas besoin de revenir sur des vieilleries qui n’avaient pas plus d’explications que le bête sort injuste de la vie.

La petite étudiante fut heureuse de voir qu’il cédait et préféra aller de l’avant sur des choses qu’elle pouvait encore espérer modifier. Son choix s’avéra judicieux, elle décida de suivre le même. Puis tandis qu’elle parlait, elle observa son sourire bienveillant s’évanouir. Clemens était loin d’être idiot. Bien sûr qu’il sentait qu’elle prenait des gants avec lui et cela devait l’inquiéter. Mais si elle avançait tellement à tâtons c’est qu’elle ne savait pas vraiment à quel point le sujet était épineux ou pas. Elle s’aventurait dans des choses qui ne la regardait que de loin et elle en avait pleinement conscience. Elle se focalisa sur son objectif et garda à l’esprit qu’elle n’agissait pas par égoïsme, du moins elle l’espérait. Sous son regard elle fut moins sûre d’elle.

- Non, pas vraiment… Je ne sais juste pas comment t’en parler... Je sais que je vais te parler d’une chose dont je ne comprends pas tout et qui au fond me regarde peu… mais ça me semble important. Je…

Elle hésita une fois de plus. Elle fut presque soulagée qu’on vienne prendre leur commande et qu’on lui offre ainsi une échappatoire, même courte, et qu’on lui permette une fois de plus de faire le tour de ses idées.

- Deux thés noirs, s’il vous plait, répondit-elle avec un sourire.

Elle regarda le serveur s’éloigner, puis finit par reposer son regard sur Clemens. Elle finit lâcha une grande respiration face à lui et décida d’arrêter de tourner autour du pot. Il valait mieux enlever le pansement d’un coup sec, on aviserait ensuite.

- Bon, j’aime beaucoup Isolde. Plus qu'elle ne le pense, je crois. On a, bien entendu, discuté un peu de ton absence et de toi par la même occasion. J’ai eu l’impression que tu comptais vraiment beaucoup pour elle. Je crois que d’une certaine façon tu l’aides. Je ne sais pas comment et au fond ça importe peu. Mais je voudrais être sûre que tu sois capable de continuer à l’aider. Je pense que t’imaginer aller mal, la met mal elle aussi. J’aimerais être certaine que ça va, pas pour moi, mais pour elle. Je voudrais qu’elle aille bien. Enfin bien sûr je serais heureuse que tu ailles bien aussi, ne va pas croire le contraire, mais…

Elle se tut. Perdue dans ses sentiments, elle n’arrivait pas à exprimer l’idée qu’elle voulait le protéger lui, pour la protéger elle. Elle avait senti son amie tellement à fleur de peau. Elle souhaitait juste répondre à sa détresse et pour cela elle avait besoin de lui.

- Elle a vaguement évoqué ses parents. J’ai senti que c’était un sujet fragile, je suppose que tu en sais plus que moi là-dessus et je n’ai pas voulu la brusquer. Je ne te demande pas de me confier son secret. Je veux que tu saches juste que si tu as besoin que je t’épaule pour l’aider elle, je suis là. Je veux l’aider aussi. Bon voilà, c’est aussi le moment où tu me dis que je ferais mieux de me mêler de mes affaires, mais c’est important pour moi.

La petite française lui lança un regard légèrement contrit, désolée d’avoir dû lui dire ça. Mais elle n’avait pas le choix, elle n’avait personne d’autre qui pouvait jouer ce rôle auprès de sa camarade de confrérie. Elle regrettait seulement de lui faire porter ce fardeau de plus sur des épaules qu’elle jugeait déjà bien chargées.

Clemens se mura dans le silence, convaincu que ce serait l’attitude qui aiderait le plus Anna. Son regard un brin alarmé pour ne pas dire fuyant dévoilait toute la détresse dans laquelle elle se trouvait à l’idée de partager un tel sujet avec lui. L’Allemand devait dévoilait tout la maîtrise dont il disposait pour ne pas laisser son regard s’allumer d’inquiétude et pour garder son corps si tendu dans un état d’immobilité. Sa tension devait être visible, mais il ne voulait pas laisser croire à sa camarade qu’il refusait la discussion ou qu’elle aurait à subir de quelconques conséquences après ses paroles. Du moins, il espérait qu’elle ne ferait pas naître la colère. Il voulait s’en persuader.

Ses hésitations faisaient durer le suspense et naître des questions de plus en plus désagréables chez Clemens. Il ne parvenait pas à imaginer quel sujet serait si délicat que Anna craindrait tant sa réaction. Si elle lui faisait part d’un problème chez l’un de ses amis, il ne pourrait que s’en prendre à lui-même d’avoir été si peu présent qu’il n’avait rien remarqué. Une fois de plus, l’erreur se trouvait de son côté, et non pas chez celui qui lancerait l’alerte et tenterait de le faire réagir avant qu’il n’ait tant dérivé qu’il soit passé à côté des failles. L’interruption du serveur ne fit qu’augmenter sa nervosité d’un cran, et il ne daigna même pas lever les yeux pour reconnaître la présence du serveur.

Quand, enfin, elle trouva le courage d’exprimer ses peines et ses inquiétudes, l’Allemand sentit la colère monter en lui, avant de s’étouffer quelques secondes plus tard. Il décida de laisser la jeune femme parler, d’écouter chacun de ses mots avec attention pour être sur d’y réagir avec justesse et non pas dans l’explosion sanguine causée par une phrase mal tournée. Au fur et à mesure, son regard s’adoucit et un fin sourire vint même se dessiner sur son visage. Il reconnaissait bien là la perspicacité de Anna et ne doutait pas que ses extraordinaires qualités d’écoute n’ait joué un rôle dans les confessions de Isolde. Sa meilleure amie avait beau ne pas s’ouvrir souvent, il savait qu’elle en avait besoin, bien qu’il ne soit pas toujours capable de lui offrir l’oreille qu’elle méritait.

“Je suis content que vous soyez proches, toutes les deux. Je ne suis pas étonné qu’elle t’ai fait de telles confidences et c’est même une bonne chose, si tu veux mon avis. Elle a une certaine tendance à garder ses tracas pour elle, jusqu’à ce qu’il pèse trop lourdement sur ses épaules. Nous n’avons pas souvent l’occasion de passer du temps ensemble dans des circonstances propices à ce genre de discussion… J’aurais aimé être dans la même confrérie qu’elle afin de lui offrir un soutien plus constant. Je te remercie de jouer ce rôle.”

Son sourire s’élargit un peu, soulignant la sincérité dans ses propos.

“Ce n’est pas à moi de décider si ce sont tes affaires ou non, surtout après que Isolde ait jugé bon de t’en parler… Et ce serait particulièrement indélicat de ma part, après que je me sois mêlé de ta relation avec Rowan.” Il marqua une courte pause, l’air de réfléchir. “Isolde et moi sommes très proches depuis Poudlard, on s’est rencontrés en jouant au Quidditch dans la même équipe, et notre amitié est naturellement née de notre culture commune. Il n’y avait personne qui pouvait me soutenir aussi bien qu’elle le faisait avec une telle compréhension de qui je suis. Je crois, ou j’espère en tout cas, avoir joué le même rôle pour elle. Et je compte bien m’atteler à tenir cette place.”

Il s’interrompit pour laisser le serveur poser leurs deux thés, et le remercia d’un signe de tête. Après qu’il soit partit, Clemens enserra ses deux mains autour de la tasse chaude, et ferma une seconde les yeux avant de poser à nouveau son regard sur Anna et de reprendre la parole.

“Je compte bien rester à ses côtés aussi longtemps et aussi souvent qu’elle en aura besoin. Je sais que mon absence a été lourde de conséquences, mais j’ai bon espoir qu’un tel événement ne se reproduise pas de si tôt, et je n’ai pas l’intention de la laisser tomber. Je ne suis peut-être pas très doué pour m’aider moi-même, mais je préférerai me faire sombrer en étant là pour elle jusqu’à la dernière minute. Ne te fais pas trop de soucis pour moi, Anna. Je ferais le nécessaire pour tenir le coup.”

Ce qu’il ne disait pas, c’était sa honte latente quant à son attitude à l’hôpital. Isolde et lui en avaient déjà parlé, et même s’il savait qu’elle ne lui en tenait pas rigueur, il aurait trouvé plus simple qu’elle le fasse. Il aurait pu chercher à se faire pardonner et pas seulement traîner ces souvenirs d’agressions et de blessures morales qu’il lui avait infligé presque à chacune de ses visites, un mois durant. Cela, il le garda caché derrrière un sourire tendre, adressé tant à Anna qu’à sa meilleure amie. Il s’était déjà promis d’être un ami indéfectible.

Les quelques courtes secondes qui s’écoulèrent entre ses dernières paroles et celles de Clemens qui suivirent parurent durer une éternité. Anna se demanda si elle avait dit les bonnes choses, si l’idée qu’elle voulait lui transmettre était passée. A son sourire, elle se rassura au moins sur le fait qu’il ne se sente pas agressé par ses propos, ce n’était pas son but. Elle ne voulait pas l’obliger à des confidences qui ne regardaient qu’eux. Sa seule envie était de s’assurer qu’il est conscience de son rôle. Un rôle qu’elle ne déterminait pas bien elle-même et dont elle n’était pas sûr qu’il puisse lui-même le saisir, mais il existait un lien, une chose entre eux que seul des amis proches partageaient. Il n’y avait pas de mots pour définir ce qu’elle avait perçu, juste une impression diffuse, d’où la difficulté à s’exprimer.

- Je ne sais pas si elle m’a réellement fait des confidences… Quelques-unes oui. Mais ce n’est pas vraiment l’important n’est-ce pas ? Elle m’a parlé de Quidditch, oui. C’est une jolie façon de se rencontrer.

Anna s’arrêta. Elle sourit nostalgiquement en pensant à la tête de Clemens ce jour-là. Un souvenir volé qui n’aurait pas dû être le sien mais qui s’était retrouvé attaché à elle malgré tout. Elle se sentit alors bêtement proche de lui, avant de se rappeler qu’il ne comprendrait pas son regard.

- Clemens, penses à moi si tu as besoin de quoique ce soit. Je serais heureuse de pouvoir t’épauler là-dedans. Même si ce n’est que parler lorsque tu doutes, si cela te soulage n’hésite pas. Je préférais savoir que les choses ne vont pas si bien, que de croire que c’est le cas alors que je pourrais au moins être utile par ma présence.

Elle ne savait pas bien pourquoi mais elle craignait que ses amis la croient trop fragile pour tenir le choc. Elle pressentait qu’on tenterait de la protéger de tout. Notamment Rowan. Isolde, elle espérait qu’elle n’hésiterait plus à venir la voir en cas de problème après leur discussion.

Lorsqu’on leur apporta leur commande, ce fut le moment d’une pause appréciable dans leur conversation. Elle sourit à l’homme avant qu’il ne reparte, le remerciant par la même occasion. Elle observa calmement son camarade. Lorsqu’il reprit la parole, ce qu’elle avait craint se dévoila sous ses propos.

- Ton départ était un révélateur, mais j’ai la désagréable impression que je pourrais sentir la même inquiétude de sa part même si tu étais présent mais que tu allais mal. Evite justement de sombrer, fais-nous signe avant. Alors on fera tout notre possible ensemble pour régler le problème. Mais je me fais moins de soucis pour toi bizarrement que pour elle ou pour Rowan, mais on ne sait jamais. Tu as la tête sur les épaules et tu connais tes limites. J’ai bien peur que nos deux amis oublient parfois les leurs pour nous protéger nous… Enfin j’espère me tromper.

Elle ne souriait plus, son regard n’était pas dur pour autant, juste certain. Elle voulait être sûre qu’il la prenne au sérieux. Elle se pencha pour récupérer sa tasse avant de se réinstaller confortablement dans le fond de son fauteuil puis son visage devint de nouveau joyeux.

- Je suis heureuse de pouvoir discuter de ça avec toi. Finalement ça me fait du bien de sortir d’Haveirson et de parler. Nos sujets ne sont pas simples mais pourtant j’ai l’impression que ça va un peu mieux. Ce n’est pas tous les jours faciles en ce moment, hein ?!

Elle souffla sur le thé brulant. Elle porta ensuite son regard autour d’elle. Au fond, comme dans ce qui avait l’air de devenir une habitude pour eux, ils s’étaient depuis le début de leur rencontre enfermés dans cette étrange bulle. Encore une fois rien autour d’eux n’avait eu d’emprise. Seuls leurs sentiments, leurs pensées, leurs idées s’étaient échangés. Au moins quand ils se rencontraient, la petite française était certaine de ne jamais s’ennuyer et de faire fonctionner toute la matière grise qu’elle possédait. Il la poussait toujours dans les limites de ses retranchements. Au moins désormais elle arrivait à mieux le comprendre. Elle sourit bêtement en pensant à la personne que Clemens avait évoquée plus tôt dans leur conversation. Elle espérait qu’il était plus tendre avec elle qu’il ne l’était avec la jeune phénix, sinon elle devait certainement en voir de toutes les couleurs. Au bout de deux heures de conversation Anna était déjà lessivée.

Une jolie façon de se rencontrer. Clemens répondit à cette tournure de phrase par un sourire tendre, se laissant happer par ses souvenirs pendant quelques instants. Sa rencontre avec Isolde n’était pas particulièrement poétique, en réalité. Il l’avait accueillie dans l’équipe de Quidditch à une époque où il était encore arrogant et hautain, ne lui reconnaissant de la valeur que par ses origines. Le biais était terrible quelque part, mais il s’était également révélé salutaire. Son entrée fracassante dans l’intimité de la jeune femme, par un hasard insidieux, les avaient poussés à se rapprocher et à voir au delà des apparences. En tant qu’homme, elle l’avait grandit. Le regard de Anna le ramena à la réalité, l’intriguant par son intensité, comme si elle voyait quelque chose de profond en lui, sans qu’il ne comprenne vraiment de quoi il pouvait s’agir. Amusé et curieux à la fois, la tête légèrement inclinée sur le côté, il la laissa poursuivre.

— C’est adorable, Anna. Mais tu dois déjà savoir que je ne suis pas vraiment capable de parler de mes problèmes. Enfin, peut-être que tu en doutes à présent, puisque tu parviens à me les faire évoquer à chaque fois. Et même à m’en faire découvrir parfois, ce qui n’est pas particulièrement agréable. Je ne t’en veux pas, bien sur, mais je préférerai que ça n’arrive pas trop souvent.

Sa voix était douce, malgré son regard soudainement plus dur. Clemens appréciait véritablement Anna, sans pour autant se régaler de certains côtés presque brutaux dans leurs conversations. Il craignait les travers qu’elle pourrait le forcer à dévoiler, tant elle jouait sur la limite entre ses secrets et son honnêteté. Un jour, il allait devoir lui mentir sans ciller, cependant il avait conscience que chaque nouvelle invention mettait sa couverture à mal. Un jour, quelqu’un découvrirait la faille. L’Allemand glissa ses mains autour de sa tasse, plongeant ses yeux dans le thé, comme si l’odeur chaude qui s’en dégageait pouvait chasser les hontes qui lui glaçaient les entrailles.

Le silence se dissipa trop vite. La tête toujours baissée, l’étudiant sentit les muscles de sa mâchoire se crisper en un spasme involontaire. Il n’aimait vraiment pas le terrain que sa camarade venait aborder, il détestait même les sous-entendus cachés dans ses phrases. Sans vraiment savoir à quel point elle avait conscience de la justesse dans son analyse, il préféra garder le silence. Clemens jouait distraitement avec la boule à thé, tous ses sens en alerte et toute son attention fixée sur la voix de la jeune femme. Impatiemment, il attendait qu’elle revienne sur une phrase plus légère, et enfin, il releva le visage, affichant une expression qu’il espérait détendue.

— Tu as raison, mais le bien-être tant de Isolde que de Rowan me tient à cœur. Je ne compte pas les perdre de vue un seul instant, surtout pas dans le contexte actuel. J’ai…

Il avait manqué de souligner que cette erreur, il l’avait déjà faite dans le passé, moins de six mois auparavant. L’Allemand s’en voulait toujours d’avoir soufflé Rowan de sa vie, simplement parce qu’il refusait de se laisser voir en état de faiblesse. Tout comme il avait préféré chasser Isolde de son entourage plutôt que de voir l’impuissance dans son regard, encore. Il avait sombré seul avec l’espoir égoïste que sa déchéance n’atteindrait aucun de ses amis. Son arrivée à Haveirson lui avait fait comprendre à quel point il s’était trompé.

— Je ne me rends jamais vraiment compte que j’ai besoin de parler, avant de le faire en fait. Ces derniers temps, c’est devenu tellement plus facile de laisser les choses aller, et de s’enfermer dans notre académie, coupé du monde. Comme si on cherchait à se couper de la réalité. Je sais pertinemment que c’est une erreur, mais on le fait tous un peu, dans des mesures différentes.

Clemens lui offrit un sourire, un de ces rares qui sont seulement sincères et pas si joueurs, de ceux si nombreux qu’il affiche quand il a une idée derrière la tête. Anna avait une influence étrange sur lui, qu’il ne comprenait pas encore vraiment. Pour la première fois dans sa vie, quelqu’un parvenait à passer, non seulement outre ses apparences superficielles, mais aussi de lire plus loin dans son regard, presque assez profondément pour y trouver les succubes qui le dévoraient. Une forme de tristesse naquit en lui. Pour se protéger lui, pour la protéger elle, il ne pourrait plus la laisser approcher autant. Jamais.

A l’évocation de la naissance de l’amitié d’Isolde et Clemens, elle avait certainement eu un regard un peu trop appuyé, trop proche par rapport à ce qu’il aurait dû être. Elle n’avait pas vraiment volé ces souvenirs qui lui étaient apparus sans qu’elle n’ait rien demandé. Cependant cette entrée dans le monde d’Isolde avait été trop intrusive, tout comme la sienne. Révélation qui se faisait soudain à elle sous son regard à lui, son incompréhension légitime qui naissait dans ses yeux.

Gênée elle avait repris la parole dans l’espoir de cacher cette faute qu’elle venait de commettre. Malgré tout ses propos furent sincères. La réponse de Clemens lui donna l’impression qu’il ne le fut pas moins.

- T’en faire découvrir ? Non, en vrai sur ce point je ne sais jamais trop comment réagir face à toi. Je te mets mal à l’aise ? Je suis désolée…

Une atmosphère étrange commençait à se dévoiler, sans trop savoir pourquoi Anna eut l’impression d’avoir mal agit. Elle se maudit une fois de plus d’avoir manqué de tact avec son regard. Elle se demanda si elle n’avait pas posé trop de questions. Elle le regarda attentivement. Comme la première fois où elle lui avait véritablement parlé, elle retrouva cette sensation bizarre, ce schéma étrange où elle avait l’impression que tout basculait d’une seconde à l’autre.

Son regard à lui se faisait fuyant quand elle aurait aimé comprendre ce qui avait provoqué ce recul qu’elle ressentait plus qu’elle ne voyait vraiment. Tout était histoire de perception et peut-être se faisait elle des idées.

Elle continua malgré tout à parler, espérant ainsi dissiper le malaise en nourrissant la conversation. Elle ne sut pas si c’était pour lutter contre sa froideur à lui qu’elle interprétait sans pouvoir s’en assurer, ou bien pour ne pas laisser se développer le sentiment d’avoir été ridicule à trop en dire, à ne pas avoir su se taire quand il le fallait.

Il lui répondit enfin, mais d’une courte phrase répétitive et coupée avant même d’avoir pu arriver au bout. Un léger silence se plaça entre eux. Elle le mit à profit pour sonder son camarade. Que se passait-il ? Puis il reprit et elle sentit une porte se fermer. Elle n’aurait pas pu expliquer pourquoi, mais il avait reculé. Elle avait craint qui ne la laisse pas entrer partout, l’avait prédit. On y était. Anna avait l’intuition de passer à côté de quelque chose d’important, mais sans réussir à en déterminer même une seule bride. Elle avait dû louper des indices.

Tandis qu’il parlait, elle tenta de se remémorer leur conversation. Isolde. Rowan. L’église. La mort. Megan. L’aide. Dans tout ça, elle n’arrivait pas à savoir ce qu’elle avait raté. Il y avait bien cette culpabilité en lui d’avoir tué, mais il en avait parlé sans vraiment lui cacher la chose. Il n’avait pas tellement eu l’air de fuir la conversation, au contraire, elle avait eu l’air de la soulager. Il s’était braqué au moment où elle avait évoqué qu’il ne devait pas aller mal. Quelques mois auparavant elle avait senti sa blessure quand ils avaient évoqués son passé à demi-mots. Il avait refusé de lui parler de tout cela en détail et elle l’avait laissé. Certes tout n’avait pas semblé guéri, mais sa passion pour la métamorphose avait l’air de l’y aider, et la française avait eu l’impression que c’était les gens autour de lui qui voulaient qu’il porte encore ce problème que lui qui le portait vraiment. Elle l’avait senti légèrement enfermé dans ce rôle, peut-être à tort.

- Oui, je ressens la même chose en ce moment. Au début j’ai cru que je n’aurais pas dû venir, mais finalement je pense que c’était une bonne chose. Pourtant tu ne m’as pas épargnée. Mais j’avais besoin d’entendre ça, ce n’était pas facile mais nécessaire. Je pense aussi qu’on a tendance à s’enfermer. Moi, la première…

Elle jeta un regard triste à son thé. Elle s’enfermait. Elle s’en rendait compte, surtout quand elle pensait au début de leur échange et à la manière dont elle avait réagi face à ce qu’il lui avait dit sur Rowan, et face à Rowan lui-même. Elle s’avouait aisément qu’elle préférait rester dans les sentiers battus. Elle avait peur de s’en écarter et d’affronter le vide de l’inconnu. Alors elle aussi se risquait peu à se questionner et à se livrer. Une fois de plus elle eut cette impression qu’ils étaient tous deux si semblables à leur façon.

Elle finit par relever la tête. Elle réfléchit à ce qu’elle aurait aimé entendre vraiment, pas ce qu’elle aurait ce qui lui aurait fait plaisir au premier abord mais ce qui lui aurait vraiment fait de bien et qui l’aurait soulagé. Elle ne vit qu’une chose. La seule chose qu’on le lui avait jamais demandé au fond.

- ça va vraiment ?

Elle ne lui demandait pas par insistance. Elle le lui demandait pour qu’il ait la possibilité de lui répondre de la façon dont il le souhaitait, qu’il puisse parler si besoin ou savoir qu’elle s’intéressait véritablement à lui et non pas par politesse. Cette politesse du vivre ensemble qui étouffait parfois la jeune femme, celle qui ne voulait rien dire, celle où on vous pose cette question mais où l’on s’attend que vous répondiez par l’affirmative parce que la convenance le veut ainsi. On ne veut pas savoir si vous allez bien, on applique simplement une règle apprise pour qu’une société fonctionne. A cet instant précis, elle ne sourit pas à Clemens mais elle le regarda profondément.

Mais il était trop ou tard. Elle en avait presque l’intime conviction.

Il avait été brutal avec elle, force était de le reconnaître. Il hocha doucement la tête, sans pour autant vraiment chercher à présenter des excuses. Ses paroles avaient été choisies non pas avec soin, mais avec détermination. Son message n’était pas agréable à entendre, mieux valait l’exprimer clairement plutôt que l’enrober dans une douceur cotonneuse et… trompeuse. Clemens avait voulu faire réfléchir Anna et pour cela, il ne connaissait pas d’autres solutions que la brusquer. Il espérait simplement qu’elle ne lui en voulait effectivement pas, ou du moins, que sa rancœur ne durerait pas trop longtemps.

Néanmoins, la petite Française lui renvoyait toujours la balle avec une force insoupçonnée. Ils se connaissaient si mal dans la vie quotidienne, mais il lui suffisait un seul regard pour découvrir une nouvelle faille. Peut-être était-ce exactement l’absence du biais qui lui permettait de le comprendre si facilement. Elle savait exactement comment ses amis le percevait, homme assuré, fier de ses différences, sans avoir jamais pu l’observer d’elle-même. L’Allemand comprenait ainsi peu à peu quel miroir il devait lui offrir, l’aidant à s’enfoncer loin derrière sa façade sans avoir besoin de la briser.

— Je ne sais pas si je devrais dessiner un parallèle, ou si tu attends des excuses. Je t’avoue que pour le coup, j’ai été un peu égoïste aussi, car je n’ai pas beaucoup pensé à toi dans les sujets que j’ai choisi d’aborder. Je peux me laisser aveugler quand il s’agit de défendre quelqu’un.

Clemens baissa le regard vers son temps, jouant distraitement avec la anse, avant de relever les yeux vers Anna. Il avait l’impression de danser sur une corde invisible, incertaine des attentes tenues par sa camarade.

— Je suis désolé que cette conversation n’ait pas été plus agréable de bout en bout, mais comme tu le dis, elle était nécessaire. Je crois aussi en avoir eu besoin, même si je ne m’en rendais pas encore compte avant de t’entendre.

C’était un de ces moments où on avait l’impression de s’enfoncer dans les conventions sociales, comme quand deux personnes se renvoyaient des compliments juste pour être certaines de rester à l’équilibre. Jamais il ne fallait perdre la face, jamais il ne fallait se vanter d’être meilleur que l’autre, tout en cherchant toujours à se faire percevoir comme tel. Les deux étudiants se renvoyaient la faute et les remerciements dans un simulacre d’honnêteté dont Clemens n’était pas dupe. Il ne pouvait pas croire que Anna lui soit véritablement reconnaissante de l’avoir attiré dans cette conversation certes très intéressante, mais aussi passablement violente. Sa question le désarçonna donc, remettant en cause toutes les conclusions tirées de leur échange.

L’Allemand plongea les yeux dans ce regard intense qu’elle lui offrait, neutre, presque sans empathie. Son interrogation avait une profondeur sincère, et il se sentit d’autant plus attaqué. Malgré tout son discours, tout ce qu’il lui avait confié, elle voulait en savoir plus encore. Creuser jusqu’à trouver le fond, ses cadavres enterrés, entremêlés dans ses hontes et nourris de ses peurs. Son regard se durcit. Il ne voulait pas mentir, mais pas plus qu’il n’était capable de répondre. Il n’allait pas bien, car il se débattait encore avec la crainte de son futur et les hésitations sur le chemin à emprunter. L’avenir lui paraissait flou et sauvage.

— Je crois sincèrement que tu préfères t’en tenir aux conventions, Anna. Tu ne veux pas la réponse à cette question, je t’assure.

Il en disait déjà bien trop, reconnaissant avec mépris qu’il perdait le contrôle sur sa vie. Il se donnait aussi un élan dramatique qu’il espérait suffisamment menaçant pour faire battre la jeune femme en retraite. Elle n’aurait pas été la première à lui répéter qu’il devrait parler plus, voir quelqu’un peut-être, se faire aider. Comme les autres, elle n’aurait pas entièrement tort. Une part de sa raison le savait, mais sa conscience refusait viscéralement de laisser cette conclusion apparaître au grand jour. Clemens se laissa retomber au fond de son fauteuil, emmenant sa tasse avec lui. Il voulait se réfugier dans un silence buté, à défaut de pouvoir quitter le café sur le champ. Il vacillait, au bord de la chute, n’avait plus les mots pour rien.

— On a assez creusé pour aujourd’hui, si tu veux mon avis.

Elle l’observa se perdre dans des excuses qui n’avaient plus de sens. La jeune fille se fit la réflexion qu’elle les avait poussées à venir, malgré elle. Elle se moquait de ses excuses, Anna s’en rendait compte, elles la gênaient même. Quelle importance avaient-elles ? Il ne s’en voulait pas vraiment, ou du moins pas en totalité, et elle ne lui en voulait plus non plus. Elle le laissa faire, secouant gentiment la tête pour lui faire comprendre qu’elle était loin de tout cela désormais. Ils étaient d’accord, voilà tout ce qui comptait.

Mais bizarrement, à l’écouter, l’impression qu’il la renvoyait loin de lui commença à naître en elle, et celle-ci fut renforcée par la suite. Si elle s’y était attendue, s’en rendre compte et comprendre qu’elle ne pourrait rien de plus pour lui aujourd’hui l’attrista, puis l’agaça. Dans sa dernière question elle avait justement voulu envoyer valser les conventions pour lui permettre s’il en avait besoin de s’en échapper quelques instants. Il n’en avait pas envie était une chose, mais qu’il ne projette pas sur elle ce fait. Car au fond elle préférait mille fois entendre ce qu’il lui cachait que de reparler de ses fautes envers Rowan ou d’un tout autre sujet qu’il l’aurait concerné elle. Au moins elle était innocente dans le premier cas, le deuxième était plus délicat. La seconde phrase calma cependant les mots qu’elle aurait pu prononcer suite à sa première réponse. Elle afficha un air désinvolte et la jeune française laissa sa main balayer la discussion derrière elle, dans un geste sans importance.

- Nous dirons donc que tu vas bien. Néanmoins Clemens permet moi de préciser une chose : je ne t’ai pas posé cette question pour vouloir m’en tenir aux conventions. Les conventions ici ne servent qu’à t’aider et c’est une de leur utilité. Pour vivre ensemble il a fallu créer des règles pour que les uns ne soient pas gênés par les autres. Profitons de cela, mais je t’en prie ne pense pas que je veuille m’en tenir là, je ne le veux que parce que tu le souhaites, ni plus ni moins.

Elle attrapa sa tasse et finit son thé. Elle reposa le récipient sur son assiette et se saisit de son écharpe.

-Allons donc régler nos commandes, je pense qu’il est temps que nous libérions la place. Mais j’espère que nous nous reverrons plus vite la prochaine fois !

Elle se saisit de son sac et se leva dans un même geste, puis se dirigea vers le comptoir. Tandis qu’elle patientait, attendant que l’on vienne l’encaisser, tapotait sur le comptoir. Lorsque l’on vint enfin, elle expliqua rapidement ce qu’elle prenait à son compte dans la commande, régla puis se poussa pour laisser la place au jeune sinistros. Elle sorti le temps qu’il finisse, puis quand il l’a rejoignit enfin elle reprit la parole dans un sourire.

- Merci pour le thé, ce fût un après-midi… instructif. Je pense que je résumerais ça ainsi. Je te promets d’être moins distante avec Rowan, le savoir mal me… bref. Une dernière chose cependant, si une situation similaire devait se produire - ce qui a des risques de se produire, je ne vais pas changer du jour au lendemain – ne me juge pas trop sévèrement trop rapidement. Je fais du mieux que je peux, mais je reste moi et il reste lui. Rien n’est gagné. J’espère qu’il n’y a rien d’alarmant dans ce qu’il a à m’annoncer. Bon j’ai une course à faire tant que je suis ici avant de rentrer, tu m’excuseras donc.

Elle lui souhaita un bon après-midi avant de s’éloigner. En traversant la place elle resserra son écharpe pour se protéger un peu plus du froid de l’hiver qui s’approchait à grand pas.