Discussions de colocataires

Rowan acquiesça avec lenteur tout en écoutant les allégations tenues par son camarade. La crainte ? Il ne pouvait nier cette dernière, omniprésente dans un coin de son esprit. L’éducation qu’il avait reçu et toujours respectée à la lettre, ne tolérait pas l’altruisme en dehors du cercle familiale. Et encore. Un présent était toujours attendu d’un retour d’une valeur équivalente, pour affermir les liens au sein de la clientèle. Un vision propre à l’aristocratie, dévorée d’ambition...

Le jeune homme se massa le menton d’une main distraite, réfléchissant, tandis que Clemens concluait ses propos. Cela lui tira un sourire impromptu, ostensiblement égayé.

« Je dois t’avouer que cette idée me plaît tout particulièrement. Toutefois, je suis loin d’être une fragile petite fleur incapable de se défendre... » Certes, en comparaison de son ami et de sa musculature, il ne faisait pas le poids. Mais il avait d’autres opportunités de parvenir à ses fins... « J’espère que nous n’en arriverons jamais là. »

L’ancien Serpentard laissa retomber ses mains contre ses cuisses, ses pensées voguant malgré lui vers le début de leur conversation. Il se remémora l’interrogation persistante de son colocataire, vis-à-vis de la petite française. Et les sensations singulières qui s’étaient emparées de lui. Tout cela lui semblait encore insaisissable en dépit de sa sérénité durement récupérée.

« Je me demande, Clemens... » Intérieurement, il jaugea son propre questionnement. Futile ? Certainement. Pourtant, Rowan se sentait le besoin de comprendre. « Existe-t-il des raisons logiques et intelligibles, qui expliqueraient qu’un corps se retrouve à expérimenter une effervescence émotionnelle ? Soudainement ? » Il porta son regard vers son ami, le visage ancré dans un sérieux effroyable. Et sincère.

Quitte à être ébranlé par l’image de Vela et d’Anna, autant essayer de cerner pourquoi...

Ses yeux continuaient à suivre et analyser chacun des mouvements et réactions de Rowan, à la recherche d'un signe auquel il devrait réagir pour ne pas laisser la situation s'enliser ou dériver vers une dispute. Ses dernières paroles teintées d'humour semblait cependant avoir égayé son colocataire qui avait répondu, certes d'un air sérieux, mais avec une certaine touche d'amusement pour relever ses propos. Clemens hocha la tête avec un sourire. Il savait évidemment très bien que son ami était capable de se défendre, il avait d'ailleurs souvent été témoin de ses "techniques" de protection à l'époque de Poudlard. Quelques mots et sous-entendus suffisaient souvent à l'ancien Serpentard pour faire plus de dégâts qu'un gros costaud avec ses points. Cela lui était cependant égal. Dans sa conception des choses, l'amitié était aussi une forme de protection.

L'Allemand avait la sensation que la conversation se terminait et bien qu'il n'ait pas véritablement eu toutes les réponses aux questions que sa curiosité triturait depuis la veille, il semblait raisonnable de ne pas pousser les choses trop loin. Le nombre de confidences qui étaient tombées durant cette soirée dépassait déjà - et de loin - ce qu'il s'était imaginé provoquer en attendant le retour de son ami. Et il ne voulait pas le brusquer.
Néanmoins, alors qu'il s'apprêtait à se lever, Rowan l'interpella au milieu d'une réflexion et Clemens tourna vers lui son regard bleu, à nouveau espiègle et curieux. La question le fit cependant vite et bien déchanter. Que répondre à une question pareille ? Il observa intensément son colocataire, quelque part incertain d'avoir bien compris l'interrogation de son ami, s'attendant presque à une correction, des détails, voir un éclat de rire qui ferait passer toute cette question pour une blague. Les yeux qui se levèrent vers lui étaient cependant d'une honnêteté intense et imperturbable.

L'étudiant se passa une main sur le visage, il avait à nouveau besoin de contenir un rire. Il avait le sentiment de devoir ré-expliquer cette sombre histoire de choux et de roses qui expliquent l'arrivée des enfants dans le monde. Soudain, une réflexion ridicule lui vient à l'esprit : Que faisaient les gens qui vivaient dans des appartements ? Comme justifier l'arrivée du petit frère dans un chou, quand on n'avait même pas de jardin ? Etait-il concevable de sous-entendre la naissance d'un fils dans un potager public ? Sa lutte contre le rire était beaucoup trop intense et il dut prendre deux longues inspirations pour imposer à nouveau le calme sur son être. Clemens se tourna à nouveau vers Rowan, accrocha son regard dans le sien, choisissant avec soin les mots qu'il allait prononcer.

" Quelle drôle de question... Rien n'est logique quand il s'agit d'effervescence émotionnelle. Cependant, si je dois te donner une explication, il me semble qu'il n'y a que deux possibilités, dans le cas qui nous occupe. "
Il fit une pause et grimaça légèrement, se demandant comment il en était arrivé à avoir une conversation pareille. Il se gratta le menton, sans trop savoir à quel point il était nécessaire d'aller dans les détails.
" Soit tu es amoureux. Soit tu as envie d'elle. Les deux pouvant bien entendu être mêlés. "

L’incompréhension de ses émois précédents ne faisait que plus l’agacer, et le pousser à appréhender ce qu’il ne parvenait pas à définir convenablement. Plus que quiconque, Rowan détestait la confusion et la perte de contrôle. Il ne pouvait décemment pas tolérer que ses protections s’affaiblissent en raison d’une... Secousse émotionnelle. Cette cuirasse mêlée de conscience et de détermination, si fonctionnelle, se devait d’être inébranlable.

Que ne serait-il pas sans son rempart de nonchalance ?

Le jeune homme devait donc résoudre son interrogation, trouver la clé défaillante et verrouiller la porte donnant sur les pans fragilisés de son âme. L’accès aux ardeurs et aux doutes des tréfonds de son être, avait l’obligation d’être préservé contre toutes intrusions. Vraisemblablement, ces secrets insaisissables... Risquaient de représenter une menace s’ils finissaient par être extirpés de leurs cachettes.

En conséquence... Pour se protéger davantage, l’ancien Serpentard devait comprendre l’origine de ce mal abstrait. Tapis au fond de lui. Latent.

D’une certaine manière, Rowan portait tous ses espoirs vers Clemens, qui avait eu tantôt l’opportunité d’être aux faits des affres de la vie. Lui, son camarade germanique, possédait sûrement une réponse à lui fournir. Un résultat cohérent et limpide face à une donnée corporelle et psychique inintelligible.

Toute sa concentration portée sur son ami, le jeune homme eu la singulière impression que ce dernier brûlait d’amusement. Il ne s’en offusqua pas, trop avide de saisir enfin son graal, qu’importe le prix qui lui en coûtait...

Du moins. C’était ce qu’il pensait avant d’entendre la conclusion de son colocataire. Son cerveau eu... Un malheureux réflexe de survie. L’espace de quelques secondes, qui lui parurent une éternité affreuse, il bloqua. Amoureux. Envie.

Quelle était cette sordide machination ?!

Aucune fissure ne vint altérer son indifférence durement récupérée, mais l’éclat de ses yeux témoignait d’une profonde... Incrédulité. D’embarras et de tourment. D’oscillation ?

Amoureux... Amorosus ? Selon une vieille définition du dictionnaire qui lui revenait... La désignation d’une personne s’étant prise d’amour pour une autre ?

Oh bon sang. Il s’en serait presque pétrifié si il ne l’avait pas écarté vivement de son esprit. Ça ne lui ressemblait pas. Et, de toute évidence, en dehors de son cercle familial et de ses proches, il n’arrivait pas à définir quelle sorte d’attachement cela pouvait bien être... Amoureux, lui ? Quelle plaisanterie !

Eros ne pouvait pas le berner de cette manière... N’est-ce pas ? Non ? Le doute lui persistait. Et que dire de la suite ! De l’envie et de la passion ! Rowan qui se pensait bien au-delà de ces aspects charnels... Déchanta sincèrement. Ce n’était pas logique. Pire, cela ne pouvait être. Comment l’expliquer aux autres... Et à lui-même ?

Comment savoir si ces deux suggestions étaient vraies ? Le cas échéant, laquelle le dominait ?

Rowan se prit la tête entre les mains, souffla avec exaspération, puis se massa le front en fermant les yeux pour ne pas paniquer. L’encyclopédie était plus qu’intelligible à ce sujet. Toutefois... De quelle manière pouvait-il discerner l’un et l’autre... Lui qui n’était déjà pas capable d’émettre une pensée sur la simple... Reproduction humaine ?

« Ma foi... Je crois avoir besoin de sommeil. » L’ancien Serpentard rouvrit progressivement les yeux, adressant un pâle sourire à Clemens. « Je te remercie pour ta réponse. Bien qu’elle ne m’avance pas spécialement... »

Ces femmes risquaient bien de finir par le tuer.

Ses yeux clairs fixaient Rowan, son regard rendu incrédule par la parfaite maîtrise que celui-ci témoignait. Clemens avait cru, avec sa réponse honnête et franche, le faire vaciller, hésiter, douter. S'il en était quelque chose, il en le montrait néanmoins pas. Le regard qui s'opposait à lui était vif, témoignant d'une réflexion intense qui se jouait dans la tête de l'ancien Serpentard. L'Allemand aurait souhaité pouvoir entendre ce qui s'y déroulait, curieux de voir son ami sous un nouvel angle, celui d'un homme faillible comme tous les autres, faillible face aux émotions qu'un femme pouvait évoquer et les passions qu'elle pouvait enflammer. Rien de tout cela n'était cependant visible. Il se détendit peu à peu, la nervosité qui avait manqué de le secouer à nouveau d'un rire incontrôlable se dissipait, maintenant que le plus gros pavé de cette discussion avait été prononcé.

Rowan se tourna vers lui, l'air fatigué et amusé à la fois, lui signifiant son besoin de sommeil. Clemens hocha la tête, compréhensif, il pouvait s'imaginer qu'il soit nécessaire de réfléchir à cette nouvelle information afin de savoir qu'en faire. Il souhaitait apporter plus d'aide et de détails à son colocataire, sans savoir comment s'y prendre, ni que dire. Aussi loin qu'il pouvait s'en souvenir, ce processus d'analyse des émotions s'était déroulé d'une manière plutôt naturelle. Dans les cas véritablement difficiles, il en avait parlé avec son père, qui s'était toujours beaucoup amusé des interrogations de son fils. Il jeta un oeil à Rowan, se demandant s'il s'agissait de son rôle à lui, en tant qu'ami, de le guider dans une telle réflexion. Il n'en savait rien. A défaut de savoir comment réagir, il se contenta de traverser la pièce pour rejoindre son propre lit et finit également de se déshabiller. Soudainement, il resta immobile au milieu d'un mouvement, puis se tourna lentement vers son ami.

" Je ne sais pas si cela va t'aider plus mais... L'amour est souvent présenté comme une faiblesse. Je n'en suis pas convaincu. Parvenir à se laisser corps et âme dans les mains de quelqu'un d'autre demande infiniment plus de force de caractère que de fuir à tout prix l'attachement. " Il fit une courte pause. " La douleur qu'une trahison peut apporter est la pire épreuve qu'un homme puisse traverser. Résister et vaincre celle-là, c'est être prêt à se dresser devant toutes les autres. "

Clemens se laissa tomber sur son lit, indécis, puis leva à nouveau les yeux vers son colocataire.

" Je ne sous entends pas que tu sois faible, évidemment, au contraire. Mais... Je te souhaite de céder un jour. La vie n'est plus pareille ensuite. "

Il soupira et détourna le regard, ayant conscience d'avoir été plutôt fleur bleue pendant un instant. Quelques visages lui revinrent en mémoire, de son adolescence et d'autres moments, à Poudlard et à Londres. Ces souvenirs le rendaient nostalgiques. Ces battements de coeur manqués, une main qui tremble... Il leva les yeux vers son ami et remarqua finalement que celui-ci était appuyé contre le bois gravé de sa tête de lit. Un sourire contrit lui traversa le visage.

" Pardon, j'avais déjà oublié que je m'entrainais en attendant ton retour... " L'étudiant en métamorphose attrapa sa baguette, laissée quelques instants auparavant sur sa table de chevet. " Apparitus ! Voilà... à présent, tu pourras au moins dormir sans te torturer le corps, à défaut de ne pas te torturer l'esprit" commenta-t-il avec douceur.

La soirée avait été longue, mais ô combien intéressante ! Quand Clemens s'était rendu au bal de Halloween, il ne s'était pas attendu à vivre autant d'intrigues et d'évènements inattendus. Il fallait croire que les étudiants de Haveirson se connaissaient trop bien, et étaient trop liés par leurs passé, afin de pouvoir passer une soirée détendue et sans histoires. L'étudiant était encore plongé dans ses pensées quand il poussa la porte de sa chambre. Luuna flottait à travers sa tête, dans une image un peu floue, mais pleine de douceur. Il avait passé un excellent moment en sa compagnie et il espérait qu'elle partageait ce sentiment. Il s'était laissé débordé par le présence de Heath et reconnaissait que sa réaction à son égard avait été plutôt sanguine et déplacée. Avec un soupir, le Sinistros se laissa tomber sur son lit. D'une main distraite, il envoya son chapeau et son masque valser, quelque part, hors de son chemin, et resta assis là, un instant.

Ses yeux observaient le lit vide de Rowan, avec une attention étrange. Peu à peu, l'image de Luuna s'effaçait de son esprit, et le souvenir de son ami, agacé et blessé, lui revenait. Depuis qu'ils s'étaient rapprochés en sixième année, les querelles Kolagann-Neubach n'avaient cessé d'être une ombre au dessus de leur amitié. L'ancien Serpentard avait été tenu à un jeu de jambe fin et maîtrisé afin de n’empiéter ni sur les plates bandes de l'un, ni de l'autre. Clemens réalisait enfin que tant lui que Heath avait dû mettre leur ami commun sous une pression incroyable. Tout ça pour quoi, au final ? Une haine qui leur avait été instillée presque dans les gênes, parce que sa mère était une traitre à son sang ? L'Allemand ne pouvait même pas se souvenir d'avoir tenu une conversation de plus de dix minutes avec son cousin. Malgré les brumes alcoolisées qui lui alourdissaient la tête, il se sentait ridicule.

Clemens se leva et se débarrassa de ses vêtements, qu'il abandonna au pied de son lit, comme à son habitude. Il farfouilla ensuite dans ses affaires à la recherche d'une plume et d'un morceau de parchemin. Rowan allait sans doute rentrer tard, en tant qu'hôte de la soirée, la fin des festivités ne marquaient pas, pour lui, l'heure du coucher. L'ancien Serdaigle s'attabla et griffonna rapidement une note.

" Rowan,

Je me suis comporté comme un abruti tant envers Heath, que envers toi. Tu souffres nos querelles depuis bien trop longtemps et je réalise seulement à quel point elles sont ridicules et surtout, combien elles doivent te peser. D'autant que, d'après ce que j'ai pu entrevoir de tes activités, tu as eu fort à penser durant ce bal. J'imagine que la belle blonde auprès de laquelle tu te trouvais, est Vela ? Je regrette de t'avoir, indirectement, arraché à elle.
Bref, je dormirai sans doute quand tu reviendras, mais tu as l'autorisation de me réveiller si tu as besoin de parler. Ou de me taper dessus. Ou de m'envoyer un sort. Ou ce que tu veux. "

Il abandonna la note sur l'oreiller de son colocataire, et se glissa sous ses draps. Le sommeil le cueillit presque aussitôt.

Sous son étoffe, la nuit épaisse et sombre des derniers jours d'octobre noyait l'ensemble de l'académie Haveirson. Quelques rares illuminations perçaient la brume naissante du petit matin, à peine plus visible qu'une risible étincelle. Les festivités dédiées à Halloween s'étaient achevées il y a déjà quelques heures, lorsque Rowan prit le chemin de ses quartiers dans cette ambiance obscure et automnale.

La quiétude des couloirs et la sérénité de la salle commune de Sinistros, rendaient son retour discret, mais aussi pénible et éreintant. Il avait l'inqualifiable impression d'être une ombre parmi d'autres, qui se faufilait au cœur d'une forteresse de silence. Celle des étudiants épuisés par une soirée plus mouvementée qu'elle ne le présageait initialement.

Lui-même s'était révélé bien incapable de prédire la moindre péripétie.

Le bal avait été le lieu imprévu d'épisodes aussi singuliers qu'incommodants. Habitué à ne rien laisser transparaître, l'ancien Serpentard ne semblait pas y avoir perdu son indifférence légendaire. Du moins, aux yeux de la foule des convives. Intérieurement, il avait tour à tour brûlé de velléité et d'affliction.

Lui qui souhaitait profiter d'une soirée en présence d'Anna ou de Vela, n'avait au final que très peu exploité les opportunités qui s'étaient présentées. A son immense regret. Tant pis.

D'un pas feutré, le jeune homme s'introduit dans sa suite, se servant d'un faible « lumos » pour éclairer ses gestes. Juste quelques instants, le temps de verrouiller la porte de la chambre afin d’échapper aux curieux impertinents.

Après quoi, il porta son regard exténué vers Clemens, endormi. Avec une précaution toute particulière, mais douloureuse, Rowan alla s'étendre sur les draps de son lit. Sans se dévêtir. En se laissant tomber de fatigue, il fît la déconcertante rencontre avec un parchemin. Agacé que l'on se mette une nouvelle fois en travers de son chemin, il attira sa férule d'orme pour en éclairer la missive.

Il passa de l'exaspération à la tendresse.

D'une voix lente et éprouvante, le jeune homme appela son colocataire par son prénom. Plusieurs fois. Il espérait effectivement échanger quelques mots avec ce dernier, avant de définitivement s'effondrer de fatigue.

Le vent soufflait dans ses cheveux et l'air glacé lui donnait les larmes aux yeux. Le paysage du London Orbital filait à toute vitesse autour de lui, dans un mélange de couleurs psychédélique. Son Nimbus était d'humeur sauvage et il lui fallait toute sa maîtrise de joueur de Quidditch pour garder la maîtrise sur son balai. Il avait une grande mission à accomplir. Son regard était fixé sur le dos de sa cible, il était déterminé à l'empêcher de causer la chute du Royaume-Uni. Cette course de balais était absolument déterminante pour leur avenir à tous. Balloté par les vents, Clemens grognait de concentration tandis qu'il peinait à redresser sa monture après une embardée pour éviter un semi-remorque. Les moldus roulaient tellement vite, sur ces autoroutes ! Ses yeux, vifs et attentifs, partirent à nouveau à la recherche de sa devancière. Margaret Thatcher, fièrement dressée sur son Comète 260 hurlait des injures à l'intention de John Mayor. La Dame de Fer ne pouvait décidément pas surpasser le Premier Ministre ! Subjugué par les appels de la foule en délire, Clemens entama une remontée spectaculaire. "Clemens ! Clemens !". Ses fans lui donnaient une force nouvelle. "Clemens !"

Le Sinistros sursauta et ouvrit les yeux. Une faible lueur accueillit son regard hagard et il lui fallut quelques secondes pour réaliser où il se trouvait. A nouveau, il entendit son prénom, murmuré d'une voix douce à côté de lui. Il comprit enfin ce qui l'avait arraché de son sommeil un peu agité. Avec regret. Les images de son rêve lui revinrent en mémoire; il ne saurait jamais si il allait rattraper Thatcher. Ca aurait été une ligne de choix à rajouter sur son CV en tant que poursuiveur. L'idée le perturba néanmoins, sans qu'il parvienne à savoir pourquoi. D'une main, il se frotta doucement le visage afin de chasser les dernières brumes de sommeil. Ah, voilà. Il avait toujours été batteur. Son esprit finissait tout juste de remettre en ordre ses perceptions de la réalité. Rowan.

Clemens se redressa sur un coude, tout en se tournant vers le lit de son colocataire. Sa couverture glissa le long de son torse dénudé, laissant apparaître les fines marques de sa musculature. La tête ébouriffée, le regard interrogateur, l'Allemand émergeait de ses bras comme Céyx se dévoilait hors des brumes de Morphée. Il sourit à son ami, étendu tout habillé sur son lit. La fatigue marquait son visage, mais il ne trahissait nulle marque de colère. Evidemment, sire Westminbrook était un grand maître de la retenue, mais l'absence d'un quelconque indice de fureur rassura l'ancien Serdaigle.

" Enfin rentré, Rowan. " murmura-t-il en étouffant un bâillement. Il aurait voulu dire plus, mais n'avait pas encore les idées assez claires. Une lueur espiègle passa néanmoins dans ses yeux. " Je suis content que tu n'aies pas jugé utile de me lancer un sort. "

Assez rapidement, la répétition du nom de son colocataire eut l'effet escompté. Ce dernier s'extirpa peu à peu des derniers lambeaux du sommeil qui enserraient son corps athlétique. Sous le regard éreinté mais compatissant de l'ancien Serpentard, dont les traits tirés témoignaient de l'affaiblissement de ses défenses. La fatigue l'usait ostensiblement.

Rowan se redressa légèrement, se posant contre la tête-de-lit en bois sculpté. Il s'adressa à son ami d'une voix basse et épuisée. « Je ne te le fais pas dire, Clemens. »

Le moindre effort semblait lui coûter, et il évita sciemment de se dévêtir au risque de s'endormir comme une masse. Alors, lancer ne serait-ce qu'un sortilège...

Un drôle de sourire lui vint à la remarque de son camarade. « Je crains de ne pas être en état, même si la proposition était diablement tentante. » Une idée singulière le frôla et manqua de le faire rire. « Sans compter que je ne me serais pas pardonné de te laisser rejoindre la salle commune... Avec une mignonne queue de cochon. » Il se tût un court instant, s'imaginant Clemens avec cet insolite appendice. Égayant.

Toutefois, ils avaient plus intéressant à traiter.

« C'était une soirée vraiment... Déconcertante. J'ai l'impression que toute mon énergie a filé entre mes doigts. C'est fichtrement désagréable. » Il lui lança un pauvre sourire. « Mais il faut que nous conversons. Il y a beaucoup à dire et à réfléchir, tu ne crois pas ? »

Clemens prit une mine ostensiblement interloquée à l'étonnante suggestion de son ami. Pour qu'une telle idée émerge dans son esprit autrement si guindé, et surtout, pour qu'il en arrive à l'exprimer à voix haute... Diable, Rowan devait être véritablement à bout de force. Une fois la première surprise passée, il laissa cependant échapper un petit rire. La perspective était en effet peu appétissante, mais néanmoins distrayante. Son esprit s'envola rapidement vers toute une série de possibilités et de détournements théoriques des sortilèges de Transfert.

Avec force efforts, l'Allemand porta à nouveau sa concentration sur son colocataire. Il aurait le temps d'explorer plus tard les possibilités de la métamorphose. L'aube et le crépuscule étaient de toute évidence réservés pour leurs discussions sensibles, visiblement. Il sourit finement tout en hochant la tête, puis prit le temps de se redresser complètement. Clemens s'assit en tailleur, toujours silencieux et étira ses épaules douloureusement engourdies par le sommeil. Au contraire de son ami, il avait déjà quelques bonnes heures de sommeil derrière lui et pouvait prendre un peu de soin au réveil. Enfin, il posa ses yeux bleus, à présent vifs et attentifs sur Rowan et prit la parole d'une voix calme et maîtrisée.

" En effet. Même s'il me parait délicat de savoir par où commencer... D'autant que tu as, sans nul doute, un sujet qui t'intéresse plus qu'un autre. " Il se gratta le menton distraitement et choisit le point le plus évident.
" Je sais ce que tu vas me dire, il est grand temps que Heath et moi cessions nos gamineries. Je n'ai absolument aucune idée de comment on va y arriver, mais je te promets d'essayer. "
Il marqua une nouvelle pause et compta quelque chose sur ses doigts, il resta bloqué quelques secondes sur son annulaire. " Pour le reste... Luuna, Anna, Isolde, Vela, par où veux-tu commencer ? "

L'étonnement manifeste de son camarade lui tira un éclat vif et égayé dans le regard. Comme quoi, il parvenait encore à le surprendre avec des facettes plus... Rares de sa personnalité. Cela dit, elles étaient entièrement dépendantes de son état de fatigue...

Et guère souhaitées en temps normal. Mais il ne pouvait pas protéger tous les rouages de son esprit avec si peu de force. Au risque d'endommager des protections que la soirée elle-même avait affecté.

Avec une attention toute particulière bien que sujette à un épuisement latent, l'ancien Serpentard écouta les propos de son colocataire. Assurément, le premier motif abordé ne se révélait pas le plus simple. Toutefois, il était furieusement nécessaire de l'évoquer.

« Je t'en remercie Clemens, vraiment. Je sais à quel point ce n'est ni évident ni aisé pour toi de t'orienter vers cette idée. Alors je t'en suis amplement reconnaissant. » Il marqua une pause, sa main gauche venant frotter ses yeux pâles et épuisés. « Crois-moi, si vous parvenez à un accommodement, vous serez plus fort que vous ne l'avez jamais été. Quand tout part en vrille, la famille est notre dernière barrière en ce monde... Du moins, j'ose l'espérer. »

Les prénoms et les situations défilèrent ensuite sur les doigts de son ami.

« Vela. Indubitablement. » Sa main glissa le long de sa joue, lente et caressante. « C'était bel et bien la jeune femme blonde à mes côtés. Délicate et éclatante. Néanmoins, toutes nos convives se sont révélées d'une beauté troublante lors du bal... Ni toi ni moi ne pouvons le nier. »

Pourtant, l'espace d'un instant, son visage fût traversé par une fureur sourde et énigmatique. Il se trouva bien incapable de la maîtriser. « La seule exception à cette délicieuse règle est l'héritière Avery. Je ne suis pas mécontent qu'elle ait quitté les festivités avant la fin. »

Dire qu'il n'appréciait pas son ancienne fiancée était un délicat euphémisme, que même Heath n'oserait pas avancer en sa présence.

Sans s'en agacer plus, Rowan se ravisa. « Je crains avoir raté le rapprochement avec Vela, pour profiter d'une danse avec elle. Autant qu'avec Anna. Je suis un bien piètre hôte, n'est-ce pas ? Au moins je me console en me disant que tu avais une admirable cavalière. Vos pas ont enflammé la piste plus d'une fois sous mes yeux. »

Ses yeux bleus fixés droit sur Rowan, il le laissait parler, poliment. La fatigue lui pesait probablement suffisamment pour ne pas lui imposer une conversation vive, animée, où les mots de l'un s'intercalaient dans ceux des autres. D'autant que sa réflexion sur Heath l'avait laissé perplexe. Contre quoi la famille pouvait-elle bien être une barrière ? Clemens avait connu une cellule familiale plutôt restreinte. Reniés par la branche maternelle, expatriés loin de la branche paternelle... Le Sinistros avait une conception de la sphère familiale bien particulière. Plus que ses parents, cette chaîne de sons faisait également naître l'image de Isolde dans son esprit. Même les longues soirées passées au bar de son père, où les joueurs de poker étiraient leur art jusque tard dans la nuit. Rien de cela ne l'avait retenu quand son monde s'était disloqué.

Vela. Un sourire sur son visage. Clemens avait aisément compris pourquoi la jeune femme avait cet effet hypnotique sur son colocataire. Son costume avait été un enchantement pour les regards et nul doute qu'elle n'avait pas du se sentir seule durant la soirée. Il se contenta d'un hochement de tête approbateur, sans relever un quelconque sous-entendu. Il s'était attendu à ce que son ami s'étende plus au sujet de la blonde Serpentarde... Étrange, surtout pour évoquer l'héritière Avery, son ancienne fiancée pour laquelle il vouait une répugnance sans bornes. Une lueur perplexe flottait dans les lueurs bleutées de son regard. Il avait comme l'impression que Rowan cherchait à noyer un poisson, mais lequel ?

Les dernières paroles de son ami lui arrachèrent un rire. L'Allemand était à la fois surpris et amusé de voir la tournure que cette discussion était en train de prendre... inattendue. Ah, qu'importe, il n'était pas le dernier à poser les questions qui dérangent. Cette fois, il tâcherait de se prêter au jeu avec bonne volonté.

" Tu as eu fort à faire. Il est toujours délicat d'être hôte et participant à la fois. Surtout quand on veut couvrir de ses faveurs deux demoiselles. " répondit Clemens, taquin. " Je ne suis pas convaincu d'avoir été un cavalier à la hauteur des compliments non plus. Même si Luuna semble avoir apprécié la soirée. "

Il se tût un instant, songeur. Son regard semblait se perdre dans le néant, en proie à une intense réflexion.

" Je me demande... Je me demande dans quelle mesure il était judicieux de l'inviter à m'accompagner. Même si je refusais de me l'avouer avant le bal... J'ai probablement cherché à défier Heath. "

Il ferma les yeux. Ses idées s'emmêlaient dans sa tête, vives, colorées. Des sensations se mêlaient aux mots, rendant le tout proprement confus. Des souvenirs lointains, d'autres si proches, un dénominateur commun et pourtant, tout était si différent. Soudain, son regard se riva à celui de Rowan. Sa voix était rauque, presque amère.

" Est-ce que j'ai fait une erreur ? Retrouver Luuna après deux ans, sans m'attendre à la voir ici... m'a emmêlé la tête. Notre amitié est repartie sur les chapeaux de roue comme quand nous avions dix-sept ans. Mais... Rien n'est plus pareil, à vrai dire. "

Bien au-delà de la largesse des festivités et du faste déployé, censé impressionner l'ensemble des étudiants, la soirée avait été aussi essentiellement orientée autour de la gente féminine. Inutile de le désavouer maintenant. Le bal était indubitablement le lieu de prédilection pour tenter d'appréhender leurs camarades du sexe opposé. Quant aux danses, elles offraient l'occasion inestimable d'établir une proximité autrement plus rare.

Autant dire que plusieurs femmes avaient gravité autour de lui, au cours de la soirée. En bien, en mal. Vela et Anna en tête. Et, évidemment, Rowan s'était révélé une nouvelle fois incapable de parvenir à ses fins. Le seul véritable plaisir qu'il eût l'opportunité de saisir, avait été de congédier impétueusement Autumn.

C'était mieux que rien...

L'ancien Serpentard pinça légèrement les lèvres aux premiers mots de son colocataire. Ces deux jeune femmes revenaient sans cesse dans un coin de son esprit. Bon sang ! D'une main qu'il voulu ferme mais qu'il devina tremblante, il se frotta la joue. Leur conversation d'une autre nuit le frôla, et ne fît qu'accentuer la confusion qui l'habitait depuis plusieurs semaines.

C'est avec difficulté que le jeune homme se concentra sur les propos suivants de son ami. Il tenta d'esquisser un sourire réconfortant à l'attention de ce dernier. « Tu te fourvoies, Clemens. Tu as été de loin le meilleur cavalier que pouvait souhaiter Luuna. »

En puisant dans ses quelques rares observations, la somptueuse rouquine ne lui avait pas semblé être avare en appréciations. Loin de là.

Les allégations qui suivirent captèrent cependant toute son attention. Rowan essaya d'accrocher le regard de son camarade, y cherchant quelque chose qu'il se garda bien de définir. Certes, la provocation dans la cour était loin d'être anodine, vis-à-vis de Heath, néanmoins... Rien ne justifiait de se priver de la présence de demoiselle Greenleaf.

Brusquement, il bloqua. Rien... Sauf quelque chose que personne ne lui avait partagé ? Un épisode méconnu ? Une donnée manquante ? Par tous les dieux, quelle était encore cette sombre histoire, impliquant à la fois Heath, Clemens... Et Luuna ! Ne pas savoir était peut-être plus sain ...

Le ton soudainement rude de l'Allemand le rappela à la réalité.

« Je ne pense pas, mon ami. Tu es plus adroit que tu ne veux bien le croire, et dans le cas présent, il ne s'agit pas d'une bévue. » L'ancien Serpentard le jaugea avec affection. « En trois ans, les choses évoluent d'une façon que nous avons tous du mal à concevoir. Tu as de la chance de pouvoir profiter de son amitié... Et du reste, quoi qu'il advienne. »

Il se sentait bien maladroit d'apporter une concision nécessaire à quelque chose que lui-même ne contrôlait pas. Clemens était davantage doué en la matière que lui !

« Je m'interroge... Est-ce que tu as expérimenté l'effervescence émotionnelle, dont nous parlions autrefois ? Avec Luuna ? » Rowan avait prononcé sa phrase avec une grande précaution. « J'ai été transcendé par cette dernière en présence de Vela, au bal. Peut-être que toi... Aussi ? »

Clemens adressa un regard reconnaissant à son ami, il appréciait la tentative de réconfort. Même si Rowan avait une expérience plutôt limitée du contact courtois avec les demoiselles en particulier, son éducation formelle et précise lui avait inculqué les valeurs nécessaires pour être un bon hôte. Celles-ci se laissaient très probablement dévier sur le comportement attendu d'un cavalier. L'Allemand choisit de s'en remettre à ce jugement et de chasser ses doutes quant à savoir s'il avait été à la hauteur de Luuna, ou pas. En quelque sorte, il se cachait derrière ce vague reproche afin de ne pas faire face à une question plus épineuse… à laquelle il souhaitait éviter de répondre.

Adroit ? Il réprima un rire. Était-ce vraiment une question d'adresse ? Il n'en était pas convaincu, d'autant que cette perspective chassait beaucoup du romantisme que le bal avait suscité chez les étudiants de l'académie. Avec horreur, il réalisa cependant que le sujet de sa prétendue bévue tournait autour d'un secret qu'il ne lui appartenait pas de révéler. Heath avait-il fait part de son idylle estivale à Rowan ? Il était impossible de le savoir sans poser directement la question, ce qui engagerait une autre conversation. Encore un point que Clemens tenait à éviter. Décidément, si son comportement au bal n'était pas une question d'adresse, son échange avec Rowan en était une. Il essayait de naviguer avec nonchalance au milieu d’écueils bien trop saillants pour s'en sortir indemne.

«  Je ne suis pas sur de savoir à quel reste tu fais référence. »

L'ancien Serdaigle avait tiqué sur la formulation. Non seulement il était dérangé par la tournure de la phrase, mais encore plus par les mots qui avaient été employés. Profiter, à ses oreilles, sonnait faux. Il ne voulait profiter ni d'elle, ni de personne. Son but n'était pas de s'attirer de quelconques faveurs qui lui seraient profitables. Peut-être était-ce néanmoins la pierre angulaire des relations humaines, s'attirer ce dont on avait besoin et espérer donner suffisamment pour ne pas faire fuir son vis-à-vis. Il soupira. Il était encore bien trop tôt pour la psychologie de comptoir.

Ses yeux bleus se fixèrent sur Rowan avec intensité et brillance. Clemens était surpris que son ami tourne cette idée particulière droit vers lui, cette explication qu'il avait lui-même formulée. Pire encore, cela le poussait face à un mur qu'il lorgnait depuis un moment déjà sans savoir comment le gravir.

«  Je… Je ne sais comment te répondre. J'ai peur de fausser ma pensée et les tiennes en décrivant une sensation que nous n'éprouvons pas de la même façon. »

A l'écart de ses propres questionnements, une certaine joie l'emplit cependant. Son colocataire semblait peu à peu appréhender ses émotions et parvenir à les exprimer. Malgré sa maîtrise de façade, ses pulsions avaient trouvé le moyen de s'imposer à leur hôte. Partiellement, du moins. Clemens répondit finalement avec une lenteur soignée.

« Je mentirai si je disais que Luuna m'a laissée de marbre. Ce serait ridicule. Notre complicité n'a pas été discrète. Mais je ne sais pas de quelle effervescence il s'agit... »

Tout était une question de contexte. De circonstances.

« Je n'arrive pas à déterminer quelle ampleur tout cela peut prendre. »

La fatigue, latente et pernicieuse comme un orage, dominait la plupart des échanges entre les deux étudiants. Du moins, selon la première impression de Rowan. Il était bien loin de se douter de l'équilibre précaire, dont faisait preuve son ami face à leur conversation. Et de la souplesse ardue qu'il se devait de conserver coûte que coûte.

L'ancien Serpentard, littéralement désarmé par l'épuisement physique et mental, éprouva de la difficulté à cerner l'embarras de son colocataire. Avait-il employé des notions inadaptées ? Fait référence à un souvenir gênant ?

Lui-même, face à ce terme fâcheux, se trouva soudainement fort confus. Bien malgré lui, une certaine rougeur échappa à sa surveillance, gravitant les pentes interdites de ses pommettes pour y manifester son désarroi. La faible luminosité de la pièce, en cette heure matinale, fût sa seule chance de passer son humanité sous silence. Les ombres pouvait-elles lui porter un quelconque secours ?

« Ma foi, par ce terme, je me suis hasardé à évoquer... Disons, tout ce qui pourrait avoir attrait à une relation très privilégiée entre un homme et une femme. » En espérant ne pas devoir lui en faire un dessin. Vraiment.

Bien. Il se sentait très mal à l'aise. S'il s'imaginer parler un jour de... Non, ne le nommons surtout pas.

D'un geste lent et exténué, Rowan se massa le front puis les yeux. Décidément, les échanges nocturnes étaient porteurs de grands moments incommodants. Les réponses qui suivirent, ne firent que confirmer cette observation. Autant y aller précautionneusement. En douceur. Au risque de brusquer son ami... Et lui-même.

Après tout, personne ne l'avait jamais formé à ce genre de situation ! Quel stresse épouvantable ...

« Dans mes souvenirs, Luuna est une jeune fille aimable et gracieuse. » Il marqua une pause. Bon sang. « Au bal, elle resplendissait encore davantage que tout ce que je lui ai connu. Grâce à toi, Clemens. Votre complicité, si je peux me permettre, dépasse de loin une simple amitié. » Comment avancer ça sans s'emmêler les pinceaux ? « Mais je suis bien incapable d'en définir l'ampleur... »

Il ne pût s'empêcher de penser à Vela. A cette pression folle et insondable, au contact qu'il se serait damné à avoir, aux mains qu'il aurait souhaité porter sur sa peau d’albâtre... Alors, supposer ce que ce pauvre Clemens avait pu endurer lui aussi ... !

« Il est délicat de se projeter, n'est-ce pas ? »

« Ma foi, par ce terme, je me suis hasardé à évoquer... Disons, tout ce qui pourrait avoir attrait à une relation très privilégiée entre un homme et une femme. »

Clemens scrutait le visage de son ami avec douceur. Ses traits étaient cachés dans la pénombre et il ne pouvait clairement distinguer l'expression qui s'y dessinait. Néanmoins, il connaissait suffisamment Rowan pour savoir quelle épreuve cela devait être, de chercher la précision dans un tel domaine. Un léger sourire se perdit sur ses lèvres. Après tout, parler de sentiments était toujours complexe; lui-même avait beau traîner derrière lui une expérience plus complète en ce domaine... Il était tout de même bien en peine de décrire ce qu'il ressentait pour Luuna. Il se laissa tomber en arrière et contempla les décorations de son lit à baldaquin, pensif.

La voix de son colocataire l'atteignait comme de l'autre bout du monde, peinant à traverser le flou qui régnait dans ses idées. La description qu'il faisait de sa cavalière recouvrait exactement les souvenirs qu'il avait d'elle. Une jeune femme resplendissante dans un costume sensé être effrayant. Les regards qui se tournent vers elle, son sourire et sa bonne humeur inébranlable... En était-il la cause, lui, vieil ami retrouvé deux ans plus tard ? Il grimaça à cette idée.

" Tu as raison sur une chose, au moins. Il y a entre nous plus que de l'amitié. " L'Allemand se redressa sur les coudes, afin de porter à nouveau le regard sur son ami. " Mais ce n'est pas nouveau. Aussi loin que je puisse me souvenir, elle a toujours exercé une certaine fascination sur moi. "

Clemens fixa Rowan avec intensité et lâcha un petit rire. Ses yeux bleus brillaient d'une lueur amusée.

" C'est un peu ma Vela, en quelque sorte... Avec la pression que les Gryffondor mettaient sur notre amitié, et la protection farouche dont la gratifiait Sirius, Lawrence et Flutis, cela aurait été jouer ma vie que de lui avouer. "

Évidemment, il était conscient que son secret à lui avait été bien moins lourd à porter que celui de Rowan envers la blonde Serpentarde. Il avait au moins pu jouir de l'amitié de Luuna et être vrai avec elle. Presque, du moins. L'étudiant prit alors son courage à deux main, et balança son pavé dans la mare. Ce serait au moins une pierre qu'il n'aurait plus à porter sur le cœur.

" Je ne sais pas si le désir que je ressens pour elle est une réminiscence de mon admiration d'ado de 17 ans... ou un sentiment nouveau et singulier. Je l'apprécie toujours autant qu'avant, je pense du moins. Luuna est une jeune femme fantastique. " Les idées se mélangeaient dans sa tête et il grogna pour lui-même à la recherche des mots exacts pour exprimer ses idées. Dans ce genre de situations, il regrettait de ne pas avoir le vocabulaire de son colocataire. " Soyons honnêtes, du temps de Poudlard, je me suis souvent contenté de relations superficielles. "

Son esprit s'envola à nouveau vers un autre souvenir, ici à Haveirson. Une remarque légère et amusée sur l'utilisation de sa tête. Un sourire énigmatique se dessina sur les lèvres de l'Allemand, dont il n'était lui-même pas conscient. Une série de nouvelles expériences avaient enrichi son vécu... et quelque part, profondément changé sa perspective sur les relations humaines.

" Je crois que je ne me contente plus de ça, à présent... Neubach et sa cour d'admirateurs, ça appartient au passé. "

Clemens soupira et haussa les épaules. Seul le temps lui donnerait les réponses... probablement.

" Est-ce que ça t'éclaire sur ce que tu ressens pour Vela... Ou Anna ? " questionna-t-il, curieux.