[Combat] La Grande Salle

Plus le temps s'égrenait et distillait son nectar vénéneux dans les synapses de chacun, plus l'air déjà pesant qui régnait dans la pièce écrasait d'angoisse les survivants du massacre. Parce que c'en était un, sans nul doute. Un pur massacre. Yaxley avait connu et perpétré bon nombre d'horreurs sous les ordres du Seigneur des Ténèbres... Il avait exécuté certaines personnes gênantes avec la flegme du bureaucrate consciencieux, efficace qui ne subissait aucune fioriture. Il avait à coup de baguette, décimé milles et un corps, lacéré des milliers d'esprit, détruits quantité d'âmes, envoyé à coup de palettes de douze de nouveaux occupants à Hadès pour le Champ d'Asphodèle. Il connaissait l'horreur propre aux batailles, aux guerres sanguinolentes, aux embuscades, aux guérillas, aux complots. Il avait vu des corps se déformer de douleur, se tordre sous la torture, se recroqueviller sous des illusions cauchemardesques, des hommes devenir pire que des monstres. Il avait vu et entendu tant de choses, dans sa vie, dans sa carrière, qu'il soit affublé de ce masque étouffant ou non... Il l'avait appris de ses expériences passées, la raison n'avait sa place nul part dans le Royaume de l'Homme, encore moins quand ce dernier se faisait la guerre. Mais là... Là... C'était encore autre chose, bien plus sombre, bien plus ténébreux, bien plus fou. C'était étrangement mélodieux dans la tête de tout un chacun tant la folie des combats avait transformé ce spectacle macabre en une symphonie discordante où les instruments juraient d'un ballet funeste. C'était, mes amis, une volée de marches de plus grimpées dans l'escalade de la violence.

Il aurait été fort prétentieux et complètement erroné de dire qu'en cet instant Yaxley sentait la peur poindre dans son coeur. Les graines qui y germaient toutefois tenaient plus du dégoût, d'une lassitude au parfum amer qui venait caresser son regard de leurs effluves trompeuses. Il avait vu tant de choses alors, sans dire qu'une gosse de onze ans qui explose et éclabousse toutes les personnes alentour ne lui arrache pas même un soupir, mais il n'en avait cure. Il savait sa mission immédiate vouée à l'échec. 4 contre onze, avec en face deux des plus prestigieux mages de ces dernièrs siècles, c'était un sacrifice inutile. Il tenterait pas même de raisonner ses compagnons. Thorfinn s'était fracassé la jambe à plusieurs endroits, il ne valait plus rien, était à la merci des autres. Prendergast avait la folie des grandeurs, il le sentait déjà pester de ce qu'il appellerait sa lâcheté. Mieux valait être vivant, apte à chercher du soutien et à apporter le sien plutôt que de finir aux mains de l'Ordre du Phénix. Yaxley le savait, un Mangemort capturé était un Mangemort mort. Il n'était pas parmi les plus vieux partisans pour rien et ce n'est pas le jeunot qui s'obstinait à une tâche impossible qui aurait pu le faire changer d'avis. Quitte à sa battre, autant être utile à la cause commune et servir, tant qu'on le pouvait sans craindre d'éveiller les soupçons, ses intérêts personnels. Et pendant ce temps, il continuait sa course jusqu'au Hall alors que Fergal restait derrière. 

Sans être insupportable, la douleur commençait à sérieusement torturer Yaxley. Ce dernier sentait des larmes de sueur perler le long de ses joues, sa bouche devenir sèche, pâteuse, ses membres le soutenir de plus en plus difficilement. Ce n'était plus qu'un mannequin désarticulé cherchant pitoyablement une échappatoire afin d'assurer sa propre survie. La douleur irradiait dans chaque fragment de son corps souffreteux. De son seul bras valide, le vieux Mangemort se tenait les côtes dont il sentait le balancement gémissant à chaque fois qu'il esquissait un pas. Le monde était redevenu rouge. Rouge de douleur, rouge de souffrance. Rouge aussi étaient les perles qui sinuaient le long de sa mâchoire et de son crâne, rouge de sang, son sang. La bataille avait fait plus que l'esquinter, elle avait brisé quelque chose en lui. Quelque chose qui persistait à le bloquer encore, une sorte de conscience fantôme qui susurrait à son oreille de sa voix suave des promesses d'espoir. Elle restait silencieuse depuis que la fille avait explosé. La fille sans nom, celle-là même qui avait arrosé d'une pluie fine de petite fille les combattants. Ce monde était creux, déraisonné, irraisonnable, et les échos de la folie retentissaient à chaque instant un peu plus fort que précédemment. A la cadence sourde d'un batteur énergique qui frapperait, frapperait, frapperait jusqu'à l'épuisement. Frapperait jusqu'à ce que ses bras, complètement ankylosés, quémandent un peu de repos, que son esprit, fatigué du bruit, demande à se laisser aller. Le monde sonnait creux, étrange, bizarre, injuste. Le monde ne sonnait plus… L'orchestre avait arrêté de jouer, net.      Les instruments s'étaient tus en une note brève, glaçante d'effroi. La raison avait quitté ce monde et sur son trône de misère, de massacre, de maladie, la folie régnait seul. Poudlard n'échappait pas à son joug.

Yaxley continuait sa danse maladroite. Un pied après l'autre, un pied… après l'autre. Râle de douleur. Il avance avec la précision d'un chef d'orchestre suivant le tempo. Se répétant la même phrase, pas après pas, pour ne pas perdre le rythme de sa marche binaire, pour ne pas s'arrêter et finir par se rendre compte que la douleur, ainsi immobile, le cloue au sol. Il enjambe un corps baignant dans son propre sang. La sorcellerie a de cela de bien qu'elle est rarement salissante. La fille reste une exception. Lui aussi. Il n'était rien de plus qu'un Né-Molu ayant eu la bêtise de se mettre sur le chemin de Yaxley. Son teint est blême, livide, toute vie l'a quitté alors que le sang continue de s'épancher autour de sa carcasse. Le couteau est là, lui aussi, comme pour rappeler l'acte, ses crans ensanglantés. Le Mangemort s'en saisit de la main qui ne tient pas la baguette, le frotte contre sa cape avant de le ranger soigneusement dans sa robe de sorcier. Sait-on jamais…  Après tout, il lui avait été utile une fois et les sorciers avaient mainte fois montré leur ignorance des techniques moldus. Puis, tuer un Né-Moldu avec un objet dénué de toute trace de magie, la mort prenait un tournant symbolique, presque spirituel… Divaguant, Yaxley continuait de prendre la fuite.

Un instant, Rowan porta les doigts à son visage pour s'extraire de l'horreur de ce monde. Il ferma les paupières en un espoir maladif et vacillant ; préférant le néant paré d'un noir infini au rouge rutilant de la Grande Salle. La situation virait au cauchemar. Bien plus qu'il n'avait pu l'imaginer – mais qui pouvait réellement s'attendre à une boucherie pareille ?

Cadavres mutilés ; membres frétillants ; sucs visqueux et noirâtres. La nausée courrait toujours en sa chair, c'est pourquoi il devait se concentrer. S'extraire de son humanité ; temporairement. Celle qui le poussait instinctivement vers l'amour. L'imprudence. Le pardon.

Il ré-ouvrit les yeux avec un frémissement souffreteux, son regard immédiatement porté vers Lucy Rosebury. La chair de sa chair ; le sang de son sang. Et, ici bas, elle n'était pas la seule à pouvoir s'y targuer. Cette seule pensée le fit presque bondir sur place – et gronder des blessures vives et douloureuses de ses membres. Par tous les dieux, son enveloppe charnelle lui faisait mal.

Mais il n'avait guère le temps de s'y pencher.

Sa mémoire s'agita, trembla et s'affirma. L'ancien Serpentard tentait de se rappeler les mots exacts de Zyskowski ; plus tout ce qu'il avait observé en arrivant sous la cape d'invisibilité. Il n'y avait aucune trace des plus jeunes. Avaient-ils vraiment été évacués ? À ses côtés, Charlie Weasley s'adressa au professeur McGonagall, énumérant des détails qu'il eut du mal à assimiler.

Si Hope était en sécurité ; assurément que l'infante Astoria aussi. Par contre... Daphné ?

Le coup ; le rappel fut si violent qu'il manqua d'en rendre gorge une nouvelle fois. Il toussa, le ventre serré par la frayeur et l'impératif de la chose. Il devait retrouver sa sœur. Immédiatement. Un rapide coup d’œil aux alentours confirma les derniers écueils de la situation : les Mangemorts fuyaient.

C'est là qu'il perçut le sortilège qui vint frapper son amie d'enfance. « Amaranthe ! » Daphné ne pouvait pas attendre. Mais Amaranthe non plus. Il se précipita alors auprès de la rousse, ses mains venant y cueillir ses épaules. « Bon sang, Amalie, reprenez-vous ! » Aisé à dire, n'est-ce pas ? Il songea un instant à saisir sa baguette d'orme ; mais le bois craquelé n'augurait rien de bon, tout comme la douleur qui sévissait sur son corps. La crainte d'empirer la situation prima sur le reste. « Amalie, entendez-moi ! »

Résumé:

Statistiques:

Chaque pas lui arrachait désormais un grognement alors que, pendant le long de son corps, son bras invalide se balançait a chacun de ses mouvements. La douleur devenait difficilement supportable pour le vieux Mangemort. Il sentait désormais le couteau peser dans sa robe, sa baguette toujours en main. Au moins savait-il qu'il pourrait se défendre si quelqu'un se jetait de lui. Hélas, il entendit encore ce vieux bougon de Maugrey hurler en dirigeant sa baguette sur lui. Il sentit ses jambes se coller et complètement déséquilibré, Yaxley s'étala de tout son long sur le sol. Péniblement, il se releva et ne prenant pas garde aux insultes que maugréait Alastor, il continua sa fuite lente et douloureuse en sautillant, vieux lapin grisonnant et bondissant. Il franchit finalement la porte de la Grande Salle, et sautillant, bondissant sur ses deux pattes collés, Yaxley le boucher de Poudlard continuait sa folle route vers le Hall.