Tenue Correcte Exigée

Si seulement Quinlan savait à quel point il était doué pour jouer les fleurs ouvertes, offertes, toutes prêtes à être butinées… Il n’en avait pas honte, et en jouait volontiers. Il avait juste tendance à oublier qu’il faisait parfois ça de façon involontaire. Inconsciente, naturelle. Ronronnant comme un félin prêt à se laisser aller à une bonne séance de gratouilles, Quinn ferma les yeux et profita de cet instant. Il avait bien raison, car Clemens se releva, et alla se changer. Dans la salle de bains. Oui bon, s’il avait peur d’abîmer son costume de Prince Vronsky, il pouvait juste se déshabiller dans le salon et ils auraient pu enchaîner directement.

Mais Clemens revint dans le salon de nouveau habillé. Dire qu’il avait l’air d’un jeune homme normal était oublier que c’était Clemens, mais Quinlan n’était pas tout à fait objectif sur ce sujet. D’un regard perplexe mais toujours un peu joueur, il le regarda se diriger vers ses notes comme si de rien n’était. Quel enfoiré. Quinlan avait compris et il se marrait. Je l’adore.

S’asseyant normalement dans le fauteuil, le guérisseur se pencha vers la table basse, écoutant les mots de Clemens. Effectivement, son retour avait été suivi de péripéties pas forcément très plaisantes. Le sourire de Quinn disparut au souvenir du labyrinthe et de ce qui s’y était passé. C’était vraiment une bonne chose qu’ils aient mis ça derrière eux, et qu’ils puissent enfin se remettre à leurs recherches.

Clemens partit directement sur les exceptions à l’axiome des essences : les Vélanes et les Géants. Hmpf, en cherchant bien, il y avait peut-être une hybridation à trouver… Quelque chose. Quinlan y réfléchit un instant, mais il avait besoin de noter ça quelque part pour y revenir plus tard. De toute façon, la seconde partie de la tirade du Sinistros attira son attention.

— Ça paraît logique oui, même si je doute de t’être d’une grande aide en ce qui concerne la métamorphose pure. Si tant est qu’elle existe, cela dit.

Quinlan ne croyait pas à une vision cloisonnée de la magie comme on pouvait en avoir l’image en faisant ses études à Poudlard. Néanmoins, les disciplines, si elles se recoupaient, avaient aussi leur noyau et franchement… Quinn ne se sentait absolument pas qualifié pour parler de celui de la métamorphose.

Le guérisseur se leva, et d’un geste à peine théâtral, retira sa veste, qu’il alla poser sur la table. Là, il récupéra ses propres notes ainsi qu’un verre de coca citronné. Il n’allait pas rajouter le rhum s’ils devaient bosser. Par réflexe, il ramena la bouteille et le verre de Clemens jusque dans le salon. Ce dernier avait montré qu’il s’était assez habitué aux lieux pour se servir seul.

— Pour les Vélanes et les Géants, je peux faire des recherches, mais ça prendra du temps. Maintenant que j’y pense, il y a peut-être un aspect héréditaire à prendre en compte… Il y a une grosse différence entre un humain qui devient lycanthrope du jour au lendemain, ou même un Animagus, et une Vélane qui naît en tant que telle, non ?

C’était une idée qui venait de lui passer par la tête, mais elle n’était pas si idiote, si ? D’un geste distrait, Quinlan retira la ligature de son biceps droit, et sortit la chemise de son pantalon. Il en ouvrit également le col, qui était lacé jusqu’aux pectoraux. Sa tenue désormais un peu plus débraillée lui donnait l’air d’un pirate un lendemain de cuite… ou un vampire gothique après un ‘bon repas’.

Mais que Clemens ne se méprenne pas : le guérisseur n’était pas du genre à perdre le nord. Il avait seulement décidé de le suivre dans cette danse qui se prolongeait, se souvenant aussi qu’avec eux, le sexe, le jeu et les recherches avaient tendance à se mêler de façon totalement anarchique. C’était justement ça qui l’amusait, qui le grisait au plus haut point. Il trouvait le Clemens rebelle et joueur bien plus intéressant qu’un Clemens qui céderait trop facilement à ses envies. Et puis, ils avaient toute la soirée. Toute la nuit. Les papouilles viendraient forcément et c’était d’autant plus drôle si elles les prenaient par surprise. Étrange d'ailleurs, pour quelqu'un qui détestait les surprises...

Au moins Quinlan avait tapé juste avec sa question. Ils n’y avaient pas songé lors de leur première session de travail, mais la naissance était un facteur sûrement déterminant qu’il ne fallait pas négliger. Sous l’œil intéressé d’un Quinlan désormais très pro malgré son apparence sulfureuse, Clemens sortit un schéma. Le guérisseur le détailla un instant : la figure lui rappelait un symbole celte affilié aux runes, qu’il avait même utilisé pour parapher ses propres notes. Intéressant.

Silencieux, il laissa le Sinistros faire la présentation de ses avancées, notant mentalement certaines choses auxquelles il avait peut-être la réponse tout en sirotant son verre. Une fois que la voix de l’étudiant retomba, il prit la parole :

— Pas entièrement avéré ? Il y a des demi-géants et des demi-vélanes… Même sans cas de vélanes-géants connus, on peut déjà raisonnablement les regrouper, non ? Après, il existe peut-être des traces de ce genre de métissage, en cherchant bien.

Quinlan soupira : pourquoi fallait-il que le contexte politique leur soit aussi défavorable ? À croire que le monde était contre eux, car autant ne pas se leurrer, avec le retour de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Prononcer-Le-Nom, avoir accès à ce genre d’informations allait être diablement compliqué. Du moins, si on restait au Royaume-Uni. Peut-être qu’en Scandinavie, ce serait plus simple ? Pourquoi pas… À ce rythme, Quinlan allait finir par y planifier ses vacances de Pâques.

Par contre pour la suite il n’était pas sûr d’avoir tout compris. Qu’il n’y ait qu’un chemin empruntable sur deux possibles, oui, ça il concevait. Mais c’était quoi cette histoire de métamorphose qui se nourrissait… Il allait signifier à Clemens qu’il n’avait pas compris ce passage, mais l’étudiant lui montra autre chose, tout en lui parlant de son frère. Neal. Où était-il passé, d’ailleurs ?

Bref, les plantes. Apparemment, certaines étaient magiques et pouvaient atteindre les moldus, d’autres étaient moldues et pouvaient atteindre les sorciers. Jusque là, Quinlan suivait, mais il ne voyait pas vraiment le lien avec la métamorphose vorace évoquée plus tôt.

— Attends un peu, j’ai peur d’avoir loupé un épisode. À quoi tu penses exactement quand tu dis que la métamorphose se nourrit d’un potentiel magique…? Que c’est pour ça qu’un moldu ne peut pas devenir vampire ou loup-garou mais devient… autre chose ? Un simple malade ?

Quinlan s’avançait un peu, mais il n’était vraiment pas sûr de comprendre sur ce coup. Il hésitait à venir parler de ses propres recherches, qui n’avaient pas beaucoup avancé de toute façon. Il avait besoin de Clemens justement pour essayer de manipuler le grimoire sur lequel il travaillait sans l’abîmer. Il y avait une sorte de puzzle caché, mais il fallait sûrement déchirer le livre pour le résoudre. Et Quinn n’avait pas envie de prendre le risque de se tromper.

Bref, il resta à réfléchir sur le schéma de Clemens, cherchant un moyen de venir étayer leur réflexion commune.

— Pour les plantes, il nous faudrait mon frère. Je ne m’y connais pas assez pour nous faire avancer… Mais je comprends que certaines d’entre elles passent la frontière entre sorciers et moldus.

Une frontière qu’ils n’avaient pas encore bien définie, d’ailleurs, si tant est que ça soit possible.

— Pour revenir à la magie vs morsure, c’est soit l’un soit l’autre, et ça s’applique à tout être humanoïde de naissance avec un potentiel magique. Pourquoi pas aux animaux ?

À peine avait-il émis cette hypothèse qu’il le regretta. Leur sujet était trop large, et il y avait encore trop de zones d’ombres… Mettre les animaux magiques dans l’équation risquait de tout faire basculer, et ils se retrouveraient dans le foutoir mental dans lequel ils étaient il y a quelques semaines. Quinlan se prit la tête dans les mains et soupira.

— On manque de données. Sur tout. Tu veux que je regarde si je peux pas en récupérer pendant les vacances de Noël ?

Autant se proposer, non ? Quinlan n’avait pas grand-chose de prévu pendant les vacances, si ce n’est Noël et bien sûr le Nouvel An. Pour le reste, il pouvait bien profiter de l’euphorie des fêtes de fin d’année pour outrepasser certaines sécurités et tirer quelques ficelles. Les vacances, tout comme les temps de crise urgente, étaient le meilleur moment pour agir.

Effectivement, Quinlan avait loupé un épisode, mais pas celui qu’il pensait. Clemens n’avait pas voulu parler de métissage entre humains, vélanes et géants, mais plutôt entre ces trois humanoïdes et les formes dérivées via morsure ou magie. À cette idée à laquelle il n’avait pas pensé, le guérisseur se gratta la barbe.

— Il y a d’autres paramètres à prendre en compte… Un géant animagus devra avoir travaillé spécifiquement pour atteindre ce but, d’une façon ou d’une autre. Quant à la vélane, encore faudrait-elle qu’elle soit exposée à un lycan…

Autant de cygnes noirs dont ils ne pouvaient décemment pas prouver l’inexistance. Dans le doute, ils allaient devoir en tenir compte dans leurs calculs. C’était exactement ce que Clemens faisait et c’était très bien comme ça. Quinlan n’avait rien à redire à sa méthode… Ce qui n’était pas peu dire.

La suite était encore plus intéressante. Alors que Quinn faisait ralentir Clemens pour demander s’il avait bien compris, il se rendit compte que non seulement il avait réussi à le suivre — alléluiah — mais qu’en plus le Sinistros avait peut-être une piste pour expliquer les pendants moldus des maladies sorcières et vice-versa. Voilà quelque chose qui allait faire plaisir à cette fouine Française qui avait investi son bureau il y a un peu plus d’un mois. Cela dit, ça ne venait pas confirmer que les loups-garous, comme les vampires, n’étaient pas malades. Au contraire. Quinlan sembla contrarié mais accepta de reconnaître l’obstacle devant lui.

— Encore faudrait-il définir ce qu’est une maladie, et comment la distinguer d’une évolution.

Peut-être que c’était là le cœur de ses recherches à lui, en fait. Il n’y avait pas réfléchi assez et il s’en rendait désormais compte. Clemens avait très justement mis le doigt sur quelque chose de problématique, et le cerveau de Quinlan, toujours surdosé de testostérone, se mettait doucement en ébullition.

— D’après ce qu’on sait, les évolutions via morsure ou magie ne s’appliquent qu’aux humanoïdes ayant un potentiel magique. Peut-être que c’est ça la différence…? Hmm… non oublie, ça ne tient pas debout.

Quinn se frotta le visage dans les mains : ils venaient presque de prouver que les loups-garous et les vampires étaient effectivement malades, ce qui allait tellement contre les convictions du guérisseur qu’il se sentit soudainement découragé. C’était pourtant idiot, ils n’en étaient qu’au début de leurs travaux, et ils faisaient peut-être fausse route.

Enfin, autant passer à la suite, non ? Qu’en était-il des animaux magiques, dans tout ce bordel ? Quinlan posa la question qui permit à Clemens d’enchaîner sur ses autres trouvailles. Sur le coup, le guérisseur se sentit un peu con : lui n’avait pas tellement travaillé pendant son absence. Il n’avait pas pu, tout simplement. Il avait laissé ses recherches sur le côté, n’osant y toucher. Pris par sa paranoïa, il s’était laissé distancer par l’étudiant qui ce soir lui en mettait plein la vue.

Retour sur le manque de données et la difficultés d’en avoir, même si Quinlan réussirait sûrement à nouer des contacts avec des loups-garous, histoire d’obtenir plus d’informations. Puis, Clemens enchaîna sur les expérimentations permettant de valider ou non leur axiome.

— Encore faudrait-il avoir un Animagus sous la main. Je vois mal McGonagall nous servir de cobaye.

Évidemment, Quinlan savait exactement où Clemens voulait en venir, et esquissa un sourire.

— J’essaierai de nous trouver un sort ou une plante un peu plus inoffensifs que ce que je connais actuellement. Ce serait con de te tuer pour la science.

Par contre, le guérisseur ne voyait pas trop où voulait en venir le Sinistros en parlant des hiérarchies humanoïdes… C’était intéressant, mais d’un point de vue sociologique. Les moldus avaient déjà tendances à se hiérarchiser les uns les autres selon la couleur de peau, entre autres : ils n’avaient pas besoin de vélanes ou de géants pour établir des pyramides arbitraires. Et même sans ça, les hommes et les femmes ? Bref.

— Ce serait pas la première fois que certains humains se pensent supérieurs à d’autres humains, remarque.

S’ils continuaient, ils allaient avoir un point Godwin avant même de savoir ce dont il s’agissait. Et à ce propos, Quinlan s’offrit de sacrifier un peu de son temps de vacances pour aller à la pêche aux données. Quant à Clemens, s’il allait en Allemagne…

— En parlant de race supérieure et autres joyeusetés aryennes, tu crois que tu pourrais mettre la main sur des données sensibles du Troisième Reich ?

Tout était bon à prendre, au point où ils en étaient. Ce n’était pas parce que ces expériences relevaient davantage de la torture qu’on ne pouvait rien en tirer. La médecine moldue avait fait un énorme bond en avant grâce aux Nazis, qu’on le veuille ou non. Alors pourquoi ne pas se servir de ces données pour la médecine sorcière, si elles existaient ? Du point de vue de Quinlan, ce serait même un peu leur rendre hommage. Tant pis s’il devait vomir à la lecture.

Clemens avait raison : rare ne voulait pas dire impossible et Quinlan le savait bien. Il était inutile d’épiloguer là-dessus, prendre en compte ce genre de possibilités était largement suffisant. Quinn allait le noter dans un coin de la tête, avant de se souvenir qu’il avait amené son carnet de notes. Il y griffonna quelques mots avant de revenir dans la conversation.

Puis vint sa réflexion sur la différence entre simple évolution et maladie. Il avait l’impression de faire fausse route, simplement parce qu’il ne tombait sur les résultats qu’il espérait. Pas de prime abord, du moins. Ce n’était que le début, ils avaient tout le temps de retravailler ça plus tard. Enfin, ils… Il. Clemens n’était pas médicomage et n’y connaissait rien. Avoir un avis extérieur était intéressant, mais là Quinn savait qu’il pouvait faire un bout de chemin seul.

— Je vais noter quand même ta réflexion, elle n’est pas inintéressante. J’y réfléchirai pendant les vacances.

D’autres mots se griffonèrent sur le parchemin, alors que Quinlan sentait poindre une certaine fatigue mentale. Un comble, ce n’était pas comme s’ils avaient travaillé des heures non plus. Bon ok, Quinn avait eu une permanence ce matin, mais ce n’était pas comme si bosser à l’infirmerie était la chose la plus fatigante au monde…

Le sous-entendu de Clemens le réveilla tout à coup. Quinlan n’allait pas le mettre en garde contre des expérimentations sur lui-même : il était le meilleur cobaye de Neal, et vice-versa. Et Quinn étant guérisseur, il avait une sécurité supplémentaire par rapport à un étudiant lambda. Le seul souci, c’est qu’ils ne savaient pas quel serait la forme animale de Clemens s’il atteignait son but.

— Ou l’inverse, quelque chose qui affecte l’animal mais pas l’humain… Bref, on saura en temps voulu. On aura tout le temps d’aller chercher des plantes ciblant les ratons-laveurs, les paresseux ou les chiens de prairie quand tu te seras transformé.

Le sourire narquois et les yeux brillants de Quinlan attestaient de la plaisanterie. Il n’avait aucune idée de l’animal que pouvait être Clemens, mais avec son côté joueur, il voyait bien un félin, même s’il avait le sentiment que quelque chose ne collerait pas si c’était le cas.

Quinn s’adossa contre le fauteuil, les bras croisés derrière la nuque. Clemens lui parlait des hiérarchies et le guérisseur ne voyait pas trop où il voulait en venir. Du coup, il commenta, mais bien sûr ce n’était pas ce que voulait dire le Sinistros. Mettre sur le même plan les humains et les animaux pour faire comprendre que tout le monde se valait ? Pourquoi pas, mais il y aurait toujours un con pour dire ‘oui mais y’a bien une base de laquelle dérive les autres, donc c’est le meilleur et voilà’… Là encore, Quinlan avait besoin de dormir dessus pour qu’il se dégage un angle d’attaque. Décidément, il n’était pas très en forme aujourd’hui.

Quant aux grimoires des sorciers maudits, Clemens lui annonça qu’il en avait déjà en sa possession. Parfait ! Surtout s’il n’avait pas le temps d’aller en chercher d’autres pendant ses vacances, même si c’était apparemment très facile de s’en procurer.

— Si tu en as déjà, alors ne te tracasses pas pour ça. Je n’ai pas grand-chose de prévu de mon côté, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

Le guérisseur s’étira avant de rester complètement avachi dans le fauteuil. Ça faisait du bien de sentir les choses avancer, même s’il gardait l’impression de ne pas avoir été très utile sur ce coup-là. Il se rattraperait la prochaine fois sans faute. Sentant le regard de Clemens sur lui, il le lui rendit, le soutenant en lui donnant une tension bien particulière. Observant le moindre de ses traits, il ne put retenir un sourire en le voyant grimacer.

— Tu veux quelque chose d’autre, peut-être ?

Le mini-bar était plutôt bien rempli, et il y avait quelques bouteilles de vin qui attendaient juste à côté. Quinlan fit un signe vers le coin de la pièce qu’il avait transformé en cuisine improvisée : un petit frigo tout ce qu’il y a de plus moldu, quelques placards avec un peu de grignotage et de quoi boire. Il s’était dit en arrivant qu’il ne garderait pas trop d’alcool chez lui, que ça le forcerait à sortir s’il voulait picoler, mais finalement, si Clemens était un visiteur régulier, il n’y avait pas de mal. Et puis, ce n’était pas d’alcool dont Quinlan aurait pu être dépendant.

— Je mettrai tout ça en mots plus tard. Je ne te suis pas d’une grande aide aujourd’hui, j’ai l’impression.

À croire que mon cerveau s’est fait la malle. S’il était parti, Quinlan avait une petite idée de sa destination. Sur le coup, il eut un peu peur pour sa braguette. Il aimait bien ce jean, ce serait dommage de le pourrir en cassant la fermeture.

Pendant ce temps-là, du côté du canapé, le Docteur était sorti de sa léthargie. Il vint réclamer des câlins à Clemens, d'abord gentiment, du bout du museau. Puis il lui sauta directement sur l'estomac pour y faire son rond en faisant un bruit rappelant celui d'un moteur à réaction.

Le risque de la recherche scientifique, c’était bien de tomber sur des résultats qui ne nous plaisaient pas. Quinlan doutait même que s’il arrivait à la conclusion que la lycanthropie était effectivement une maladie, cela vienne ébranler ses convictions. Au final, un malade reste un être humain et devrait continuer à être considéré en tant que tel. Dans le fond, il espérait qu’un jour ses recherches — ou les recherches de celleux qui l’auraient suivi — permettent au Ministère de statuer plus précisément sur le statut des humanoïdes. À l’heure actuelle, tout était trop flou, que ce soit volontaire ou non. Après, Quinn ne se faisait trop d’illusions non plus. Ce n’était pas parce que quelque chose avait été prouvé scientifiquement maintes et maintes fois qu’il n’y avait pas des idiots pour le remettre en cause.

De toute façon, ils n’en étaient pas là. Ce n’était pas la peine de mettre la calèche avant le sombral : ils n’en étaient même pas encore au stade des expérimentations, même si déjà, ils en parlaient. Ce n’était peut-être pas demain la veille que Clemens s’accomplirait en tant qu’Animagus, mais apparemment il était en bonne voie, et comptait bien expérimenter sur lui-même pour étayer les théories dont il parlait avec Quinlan. Ce dernier n’avait rien à redire, et aurait été gonflé dans le cas inverse. Non, il attendrait de connaître la forme animale de Clemens pour aller chercher un sort ou quelque chose d’autre qui ciblerait uniquement l’essence non-humaine. Sauf que pour l’instant, ils ne pouvaient faire que des suppositions.

— Ben quoi, c’est mignon comme tout un raton-laveur ! Si tu veux je me laisse pousser les cheveux pour être ta Pocahontas !

Et encore, dans une douzaine d’années Quinlan apprendrait — s’il était encore en vie — que les ratons-laveurs pouvaient aussi être sacrément badass. Dommage que le personnage de Rocket Raccoon soit si peu apparu dans les comics Marvel entre sa création en 1976 et 1996. Bref, tout ça pour dire qu’un raton-laveur, c’était très noble comme animal aussi !

— On pourrait aussi expérimenter avec quelque chose qui cible l’humain. Au cas où le raton-laveur en toi soit un poil trop susceptible.

Quinlan avait ajouté ça avec un sourire, mais il pensait vraiment qu’ils allaient devoir expérimenter à la fois avec quelque chose qui cible l’humain, et quelque chose qui cible l’animal. Histoire d’être vraiment sûrs. Enfin, autant que faire se peut.

La conversation s’orienta ensuite sur le fait que pour commencer à démontrer la véracit de leur théorie, ils allaient de toute façon avoir besoin de données recueillies sur le terrain. Il y avait plusieurs moyens d’en obtenir, et Quinn se souvenait d’une de leurs premières discussions, où Clemens avait mentionné à demi-mots le régime nazi et sa terrible section scientifique. Le Sinistros avait déjà des grimoires datant de cette époque, tant mieux ! Après tout, c’était vrai que les fêtes de fin d’année étaient un moment spécial, où l’on n’avait pas vraiment envie de travailler.

— Non mais il n’y a pas de problème, c’était pas un reproche. Je pense justement profiter de l’ivresse générale pour endormir certaines défenses de mon côté. Et puis, on n’est pas non plus à quelques mois près, on… tu pourrais très bien retourner en Allemagne pendant l’hiver ou le printemps.

Il espérait que son lapsus passerait inaperçu, mais n’y comptait pas trop. C’est vrai qu’il développait un intérêt grandissant pour l’Allemagne qui n’avait rien d’objectif, mais il n’avait pas non plus envie de passer pour un pot de colle. Ç’aurait été un comble venant de quelqu’un comme lui.

Et concernant ce qu’il comptait faire pendant les vacances de Noël, c’était bien simple : mettre la main sur certains registres, faire jouer quelques connaissances pour obtenir des informations sur des vampires ou des loups-garous, de source sûre. Le but était de pouvoir préparer un déplacement sur le terrain pendant l’hiver ou le printemps, une rencontre avec une communauté. Et ça lui prendrait sûrement pas mal de temps, ne serait-ce que pour montrer patte blanche. Ironique, quand on cherche à entrer en contact avec des hommes et des femmes-loups.

Quinlan avait l’impression qu’ils avaient atteint un nouveau cul-de-sac. Peut-être qu’ils reviendraient à leurs recherches un peu plus tard dans la soirée. C’était bien ça qui était excitant quand on travaillait avec quelqu’un comme Clemens : ça partait dans tous les sens et ça ne prévenait pas. Profitant un peu de la pause qui s’annonçait, Quinn s’amusa de voir Clemens grimacer. Il pouvait bien aller se servir autre chose qu’un soda, si seulement le Docteur n’en avait pas décidé autrement. Cette fois, le sourire de Quinlan se mua en rire.

— Vraiment ? Je vais finir par être jaloux de lui.

Pourtant, le guérisseur ne fit absolument aucun geste pour les rejoindre. Il resta dans son fauteuil, posant même ses pieds sur la table basse dans une pose détendue et nonchalante, tout en observant le petit manège de son chat.

Ronronnant comme un générateur électrique, le Docteur s’était posé sur le ventre de Clemens, mais ne semblait pas tout à fait à son aise. Il commença à lui patouner dans l’estomac et les abdos, tournant comme pour trouver une place qui lui conviendrait parfaitement. Dans sa folie patounière, il descendit un peu plus bas, martelant de ses gros coussinets le bas-ventre de Clemens. Il ne se priva pas non plus de lui balayer le visage de sa queue touffue avant de s’allonger enfin… la tête sur l’entrejambe du Sinistros.

Témoin du spectacle, Quinlan ne put s’empêcher de rire à nouveau.

— Il est chiant hein ? J’espère qu’il n’a pas sorti les griffes dans un réflexe malheureux…

On avait se demande parfois qui était l’animal domestique et qui était le maître, mais c’était clair que Quinn et le Docteur s’étaient bien trouvés.

Quinlan oubliait bien souvent que les sorciers avaient une culture pop bien à eux… et ne connaissaient pas tous Disney. À moins que ce soit bien spécifique à Clemens… Qu’à cela ne tienne, il verrait le Disney de l’année précédente un jour et le Roi Lion aussi ! Et Aladdin ! Ces films étaient géniaux, comment passer à côté !? Enfin bref, Clemens argumenta en disant qu’il aurait peut-être l’air con, mais Quinn n’était pas totalement de son avis. Chaque animal avait au moins un point fort qui pouvait être exploité. Alors certes, ce sera pas une bête de combat, mais de là à avoir l’air con… Oui mais non. En plus, il avait été sincère : c’est vraiment trop choupi un raton-laveur.

Mais il n’insista pas. Clemens n’avait pas l’air de vouloir épiloguer là-dessus, et il le comprenait. S’il était incapable de faire un patronus, il ne savait pas non plus quelle forme il aurait quand il attendrait son objectif. Quinlan se demandait bien quelle forme il aurait pris s’il avait choisi de suivre la même voie que Clemens. Il connaissait son animal totem, et ce n’était pas franchement glorieux non plus, même si ça pouvait être utile pour l’effet de surprise. Il lui poserait la question, à l’occasion.

Puis ils parlèrent un temps de visiter l’Allemagne à la recherche de grimoires datant de la seconde guerre mondiale. Clemens n’était pas de Berlin et aurait besoin de s’y rendre pour faire avancer leurs travaux, donc il avait besoin de temps et surtout d’une excuse. Oui, ça attendra.

Bref, pendant tout ce temps, Quinlan était resté silencieux, hochant la tête quelques fois, et se mettant un peu plus à l’aise dans le fauteuil. Il s’en voulait un peu de ne pas être plus utile, mais vu les circonstances, ce n’était pas vraiment à bosser qu’il pensait. Le Docteur semblait plus ou moins du même avis, puisqu’il empêcha Clemens de bouger en lui patounant sans vergogne. Ni l’un ni l’autre des hommes ne purent retenir un rire, même si Clemens aurait pu avoir mal à un endroit très sensible.

— Ce serait dommage qu’il t’abîme à cet endroit là, effectivement…

Quinlan fit à peine exprès de se mordiller la lèvre inférieure avant de faire style d’avoir soif et de finir son verre. Jaloux du Docteur ? Peut-être un peu oui.

— Je dirais plutôt quelque chose comme ‘je te montre mon cul en te touchant la queue et t’es encore là à me caresser’. Tel humain, tel chat, hein.

Et lui n’avait pas besoin de la permission de Clemens, contrairement à Quinlan. Mais ce dernier n’allait pas soulever ce point précis car il n’avait pas envie de passer pour un dalleux en manque qui insisterait pour avoir sa dose. À la place, il laissa ses bras retomber le long de son corps, et s’avachit un peu plus dans le fauteuil. Il n’allait pas pousser la provocation, non, mais plutôt détourner totalement la conversation.

— Dis, je me demandais, puisque t’es spécialiste en Animagisme… La forme animale est toujours la même que le patronus, non ? Le mien est un peu spécial, je me demandais quelle forme j’aurais. Et non c’est pas un bonobo.

Plutôt que de le lui dire, Quinlan empoigna sa baguette d’aubépine et songea à un souvenir heureux, le plus heureux qu’il puisse avoir. Il vit Neal et lui, danser devant leurs parents pour Noël, avant que l’image ne se fonde pour révéler un Clemens avec un grand sourire.

— Spero Patronum !

Une nuée de papillons de nuit énormes envahi la pièce, brillant d’une lueur laiteuse. Ils faisaient bien la taille d’une main humaine, voire plus… Ils tourbillonnèrent un moment autour du salon, éveillant la curiosité endormie du Docteur, avant de s’évanouir dans les airs.

— Alors, je serais plutôt un papillon, ou carrément la nuée ?

Une question bête mais ça titillait vraiment sa curiosité.

Clemens pouvait parler ! Il n’était pas complètement sage lui-même et Quinlan était persuadé que derrière ses apparences mignonnes et classiques se cachait une véritable bête sauvage. Sans mauvais jeu de mots ayant rapport avec son futur animagisme : Quinn l’imaginait quand même mal en dobermann ou en anaconda. Si quelqu’un devait jouer le rôle du serpent, entre eux deux… Ce ne serait pas le Sinistros.

Mais voilà, si ce dernier voulait jouer, il n’allait pas être déçu. Malgré son désir de plus en plus fort, Quinlan pouvait encore se retenir et le faisait non sans une certaine délectation. Plus il attendrait, et mieux ce serait quand ça arriverait, non ? Avec un sourire mental, il enchaîna sur une question relative à la métamorphose qui prit Clemens un peu au dépourvu.

Il avait déjà commencé à répondre, sans vraiment s’avancer, quand Quinlan se prit à vouloir frimer avec son patronus. Il en était assez fier, même si on aurait pu s’attendre à quelque chose de plus badass que des papillons. Bon, c’était des Moth Atlas quand même, les plus gros et bizarres des papillons, et réunis en une nuée de plusieurs centaines, ça pouvait effectivement être impressionnant, comme le murmurait Clemens. Ou était-ce parce que Quinn était capable de lancer un tel sort ?

Le réflexe malheureux de son chat ne passa pas inaperçu auprès de Quinlan, qui s’excusa. Après tout, le pauvre étudiant n’avait pas demandé à avoir un gros félin sur la cuisse et encore moins d’avoir ses griffes plantées dans sa peau. Cela ne l’empêcha pas de répondre, pourtant. Loin de resté planté là, debout dans le salon, Quinn s’assit en tailleur sur le tapis couleur crème, face à Clemens.

— Effectivement, sans registre précis on ne peut pas avoir de données statistiques valables… Et je comprends tout à fait que les Animagus rechignent à se déclarer. Personne ne voudrait être fiché comme ça.

Bon, c’était un autre sujet, mais ça justifiait le fait que Clemens n’en savait pas tant que ça.

— Quand même, je me dis qu’il n’y a pas de raison : si tu peux te changer en animal, quelque chose qui te représente, alors pourquoi pas un oiseau, un insecte… ou même un poisson, bien que ça ne soit pas spécialement pratique.

À moins que…

— À moins que l’humain étant un mammifère terrestre, il ne puisse avoir accès qu’à une transformation en un autre mammifère terrestre. Encore que. On a des choses bizarres dans la nature : si cette règle était avérée, quid de l’ornithorynque ou de la chauve-souris ?

Quinlan songea que les vampires de la littérature gothique du XIXème siècle, se changeant en chauve-souris, avaient peut-être comme fond de vérité un animagus. Après tout, pourquoi pas ?

Quant à la nuée, la déception de Quinn était visible. C’était largement plus cool et badass de se transformer en un nuage de papillons que juste en un pauvre insecte. On avait toujours l’effet de surprise et la possibilité de s’échapper d’une situation difficile très facilement, mais quand même…

— Et si ce n’était pas plusieurs entités différentes, du moins pas du point de vue de l’esprit ? S’il y a un esprit de ruche, ça pourrait être possible, non ? Physiquement, il y a plusieurs parties, mais le tout reste contrôlé de façon centralisée. Ça ne me paraît pas si inconcevable…

Bon après, il n’y connaissait rien en métamorphose et il n’allait pas le répéter. Mais si un corps pouvait changer de forme et surtout de masse, alors il pouvait très bien changer de ‘nombre’. Passer de 1 à 100 ou 1000, tout en gardant la cohérence d’un seul esprit. Là encore, il aurait fallu avoir quelque chose de concret à étudier, ce qui était loin d’être le cas. Et puis, ce n’était que de la curiosité.