Tenue Correcte Exigée

Quinlan ne put réprimer un sourire en voyant Clemens galérer avec ses bras. Le Docteur prenait toute la place et n’avait pas l’air de vouloir bouger de là. Quinn le comprenait… Aurait-il était si bien installé sur un torse pareil qu’il n’aurait voulu céder sa place pour rien au monde. L’espace d’un instant, l’esprit du guérisseur vagabonda loin de la métamorphose pour s’attarder sur des sujets plus concrets… avant d’y revenir quand Clemens lui répondit à propos des registres et du nombre d’Animagi dans le pays.

— Tu peux le comprendre mais tu t’es quand même lancé là-dedans. C’est que ce n’est pas si inutile… et puis même, on se fiche de l’utilité. Si on ne devait faire que ce qui est utile, on se ferait chier.

Quinlan ne revint pas sur l’idée d’un fichage : il estimait qu’il avait été assez clair sur ce qu’il en pensait. Le choix reviendrait entièrement à Clemens, mais il n’aimait pas l’idée qu’il se déclare si jamais il atteignait son objectif. Et il l’atteindrait, ça ne faisait aucun doute pour Quinn.

Vint alors la réponse aux questionnements, et surtout aux objections de Quinlan. Et la déception était encore une fois bien visible. Clemens lui pourrissait tellement son groove là… C’en était presque douloureux. Jouant distraitement avec sa baguette, ce dernier s’amusait à lui faire faire des petites étincelles inoffensives. Oh, il écoutait les explications du Sinistros, mais elles lui rappelaient pourquoi il avait toujours été si nul en métamorphose.

— Ouais c’est nul. Parce que j’étais un peu parti du principe que si tu pouvais changer la masse d’un corps, tu pouvais aussi le démultiplier. Enfin. Je comprends pourquoi j’étais si nul en métamorphose tout à coup. Je le suis toujours, tu me diras.

Effectivement, la désartibulation c’était plutôt moche à voir et c’était peut-être la seule chose que Quinlan savait guérir et qui demandait des connaissances en métamorphose. Pareil pour certains sortilèges de transfert ayant mal tournés. Le reste… C’était le flou artistique.

— Mais du coup, c’est pas du tout possible de se changer en nuée de papillons ? Ou genre avoir le contrôle sur eux… parce que quand même, je me disais que ce serait drôle et assez puissant…

Mais c’était qu’il insistait en plus ! Il s’en rendit compte et secoua la tête en se relevant.

— Laisse tomber va. Si tu me dis que c’est possible, ou du moins que personne n’y est jamais arrivé… J’aurais été un gros papillon bien dégueu, ça n’aurait pas été beaucoup plus mal, remarque !

Une pensée traversa son esprit, et le fit éclater de rire.

— En fait, je SUIS un gros papillon bien dégueu : la nuit je m’endors tout gluant dans ma chrysalide et j’en sors le matin flamboyant comme jamais. Je commence à m’encroûter aussi, ça fait un moment que je n’ai pas été nager… Quant à la partie ‘dégueu’, je pense que t’as saisi de quoi je veux parler.

Il afficha un sourire carnassier rappelant ceux de Clemens. Il jouait encore, cherchant jusqu’où il allait pouvoir aller. Posant sa baguette sur la table basse, il s’avança jusqu’au canapé pour venir caresser du bout des doigts le Docteur, toujours étendu sur Clemens.


— Je crois qu’il t’aime bien.

Le Docteur ronronna de plus belle, et se mit sur le dos, les quatre fers en l’air pour mieux se faire gratouiller le ventre.

— Quelle traînée ce chat…

Quinlan sourit de nouveau, lançant un regard plus qu’éloquent à Clemens.

Oui bon d’accord, la métamorphose ne pouvait pas tout, et Quinlan ne serait jamais une magnifique nuée de papillons bien flippants. Tant pis. De toute façon, ce n’est pas comme s’il allait se lancer dans la même entreprise que Clemens. De une, il était loin d’être spécialiste en métamorphose — il n’était même pas généraliste — et de deux, il avait quand même autre chose à faire de ses journées. Alors oui, il était déçu, mais il allait s’en remettre.

— Tu crois vraiment qu’on tombera un jour à court de questions à la con ?

Quinlan partit d’un rire sonore, avant de se relever et de faire la remarque que, de toute façon, il était déjà un papillon. À sa manière. C’est-à-dire un peu cradement. Et la réaction de Clemens ne se fit pas attendre.

— Ben quoi, c’est vrai non !? T’es le mieux placé pour savoir à quel point je peux être larvesque et poisseux une fois la nuit tombée.

Et on en remet une couche ! Il était plutôt de bonne humeur le Quinlan, pour faire des blagues aussi nulles et vaseuses et insister grossièrement. Mais voilà, c’était de lui qu’il se moquait alors tout était permis. Il rit à nouveau, s’approchant de Clemens pour aller caresser son chat.

Mais le Docteur ne resta pas bien longtemps tranquille. Il profita d’une accalmie pour s’éloigner aussi soudainement qu’il était apparu. Il alla faire la carpette un peu plus loin, satisfait d’avoir pu martyriser Clemens tout en profitant de ses caresses.

— Oh, si je suis jaloux de lui, il peut bien être jaloux de moi, non ?

Le Docteur avait rapidement pris l’habitude de s’effacer, en fait. Quand Clemens débarquait dans l’appartement, ce n’était jamais que pour discuter ou manger. Alors il réclamait ses papouilles, et après un haussement d’épaules métaphorique, il allait s’allonger un peu plus loin. Généralement, il s’endormait ailleurs, avant de débarquer à trois ou quatre heures du matin dans le lit pour dormir à leurs pieds, les réveillant au passage avec ses douze kilos.

Quinlan ne se laissa pas démonter par la remarque, même si elle résonna étrangement dans sa tête. Ainsi, Clemens pensait qu’il était au-dessus du vil sentiment qu’était la jalousie ? Si seulement. Avec un soupir où naissait un sourire un peu éteint, il avoua.

— Depuis que j’ai une bonne excuse pour l’être.

Il n’avait pas envie d’épiloguer là-dessus surtout compte tenu de la situation dans laquelle ils étaient. Ils auraient tout le temps d’en parler plus tard, non ? Même si, effectivement, il faudrait bien qu’ils en parlent à un moment ou à un autre.

Toute cette histoire avait évolué beaucoup trop vite pour Quinlan, et toute à la fois beaucoup trop lentement. Même lui qui était plutôt sûr de ce qu’il ressentait finissait par être gagné par le doute en présence de Clemens. Finalement, on en revenait toujours à cette question sans réponse, entêtante, obsédante : où était la limite ?

Clemens pensait-il vraiment qu’il n’y avait là que du jeu et rien d’autre ? Était-il aveugle à ce point-là, ou simplement dans le déni ? Quoi qu’il en soit, Quinlan ne se rendit compte de rien, lui rendant un regard soudain moins ardent et joueur.

Il chercha de nouveau le regard bleu profond de Clemens, s’y perdant un instant. Il espérait vraiment qu’il allait être compris : il n’était pas doué pour les sous-entendus, pas autant que le Sinistros. La communication n’avait jamais été leur fort, sauf peut-être au tout début, avant que les enjeux ne deviennent si personnels et si énormes. Quinlan déposa un léger baiser sur l’épaule de Clemens en attendant une réaction, se souvenant qu’il lui devait toujours un massage.

C’était bien normal de douter, et Quinlan le savait… Inquiet, il prit Clemens dans ses bras, leur aménageant un petit interlude de douceur. Le Sinistros avait besoin d’être rassuré et Quinn n’était pas du genre à abandonner un partenaire qui se sentait perdu, peu importe les raisons. Ce câlin sembla avoir l’effet escompté, puisque Clemens afficha enfin un petit sourire.

Alors oui, ils allaient avoir besoin de parler, et le plus vite serait le mieux. Il y avait pas mal de choses à mettre à plat, dans plein de domaines… Quinlan n’avait pas hâte d’en arriver là, mais c’était nécessaire et presque urgent.

La situation était on ne peut plus bancale, ça ne faisait aucun doute. Et pourtant, ils réussirent, par le plus grand des miracles, à ne pas tomber et s’aplatir sur le tapis. Pas que ça aurait changé grand-chose, mais bon.


Il était essoufflé. Il ne savait pas combien de temps il était resté là, sans bouger, sans penser. S’allongeant plus ou moins dans le canapé tout en évitant à Clemens de tomber, Quinlan reprit finalement ses esprits. Il allait s’excuser encore une fois, mais il fut pris de court par la proposition de douche.

— Ah… Carrément.

Mais il s’était déjà levé. Peu importe. Quinlan en profita allègrement, passant son regard sur le corps du Sinitros alors qu’il rejoignait la salle de bains. Et avec un long soupir, il se décida enfin à se bouger à son tour.

Il se demandait comment ils en étaient arrivés là, parfois. Comment un étudiant séduisant, intelligent et résolument hétéro avait fini par lui céder… Et surtout comment il s’était laissé prendre à ses filets. Il était beau le papillon, punaisé, encadré et accroché au mur. Et le plus triste dans tout ça, c’est qu’il avait la drôle d’impression que Clemens continuait à se fourvoyer sur ce qu’il avait dans la tête.

Ils se douchèrent sans un mot ou presque, Quinlan hésitant un temps à lancer un deuxième round. Mais non, ils pouvaient bien faire une pause… Surtout qu’au bout d’un moment, ils allaient finir par s’ennuyer à faire toujours la même chose. Il ne pouvait pas en vouloir au Sinistros, tout restait trop nouveau pour lui, mais Quinlan commençait vraiment à avoir les crocs.

***

— T’as faim ?

Le temps passait vite quand on s’amusait, et il était presque l’heure de dîner. Après leur douche, Quinlan était parti se réfugier dans sa chambre pour se changer — et aussi vérifier que les miroirs étaient tous occultés. De toute façon, il savait déjà ce qu’il allait porter, et tant pis pour ce que Clemens en penserait ! Quinn sortit donc de sa chambre en portant un boxer à la matière bizarre par-dessus lequel il avait passé une longue robe d’intérieur en mousseline noire brodée d’argent. Il l’avait redécouverte et franchement, il n’allait pas se priver. Tout en attendant la réponse du Sinistros, il rangeait un peu le salon, faisant léviter les vêtements éparpillés un peu partout.

En moins de trois heures, il s’était changé deux fois. Qui dit mieux ?

Ce n’était pas nouveau et ce n’était pas non plus une surprise : Quinlan avait des goûts bien particuliers en matière de vêtements, et ça se voyait jusque dans son intimité. Même sa robe d’intérieure était des plus originales, et il avait même un peu tiqué quand son père la lui avait offerte, quelques années auparavant. Il se souvenait d’une réflexion un peu piquante au cas où son père commencerait à se demander s’il n’avait pas une fille, mais non, il n’y avait pas de malentendus de ce genre. Le tissu était beau, agréable à porter et la coupe avait la classe. Ni l’un ni l’autre des Fitzsimmons ne voyaient plus loin que ça.

Bref, il revint dans le salon et demanda si Clemens avait faim : l’heure avançait, et lui-même entendait son estomac gémir. La réponse de l’étudiant l’étonna un peu, mais il y répondit avec un petit sourire :

— Seulement si tu as un problème avec la pizza. J’ai une royale et une quatre fromages, comme tu veux. Sinon… J’ai de quoi improviser une salade, mais il manque vraiment une cuisine à ces apparts…

Évidemment, si Quinlan se mettait vraiment à cuisiner, ça demanderait un nouveau changement de fringues. Il n’était plus à ça près, après tout. Seulement, il tenait vraiment au coup de la pizza. Pour lui, c’était comme une réponse à Monsieur Troiboules — dont il ignorait toujours le véritable nom, d’ailleurs.

Cela dit, il se doutait bien qu’ils ne la mangeraient sûrement pas en regardant un film. La télé du salon — modifiée magiquement pour fonctionner à la baguette et sans électricité — pouvait encore attendre. Dans le silence qui s’était installé, Quinn sentait certaines interrogations devenir plus pressantes.

Clemens avait sous-entendu qu’il n’était pas jaloux, et surtout, qu’il ne pouvait l’être. Quelque part, ça l’avait atteint même si ça n’avait rien de blessant en soi. Quinlan détestait trop ce sentiment pour ne pas se sentir un peu flatté par les mots de Clemens. Néanmoins, il se doutait aussi que pour la plupart des gens, aimer et être jaloux allaient de pair. Non, Quinlan n’avait pas été atteint parce que Clemens ne le pensait pas jaloux. Il avait été atteint parce que Clemens pensait qu’il ne l’aimait pas.

Resté debout comme un chien qui attendrait un ordre, Quinlan n’avait pas senti son sourire mourir alors qu’il regardait Clemens. Il ne remarqua même pas tout de suite que l’étudiant était en train de se barbouiller la tronche, avant d’avoir une soudaine révélation. Et de hurler de rire, brisant cet instant perdu dans le temps et l’espace.

— Clemens…

Il lui montra sa propre barbe d’un index tourbillonnant, tout en s’avançant vers lui. Prenant un mouchoir de la boîte qui traînait sur la table — heureux hasard, ou geste calculé ? — il le lui tendit.

— Je savais que j’étais beau, mais quand même, de là à te barbouiller la gueule…

Un large sourire vint ponctuer cette phrase, prononcée sur le ton le plus léger possible. Pourtant, il y avait quelque chose derrière, une espèce d’ombre qui planait, une menace. Quinlan savait qu’il était séduisant, mais il savait aussi que ça ne suffisait pas toujours.

Il n’y avait pas de mal à se faire une salade de temps en temps, non ? Quand Quinlan avait la flemme de descendre jusqu’à la cafétéria, c’était son repas favori. Ça, ou les tartines et le chocolat chaud le soir. Il avait beau être sportif, avec un régime comme ça, lui aussi n’allait pas tarder à s’encroûter… Et ce soir, ce serait pizza ! Parfait, comme le disait Clemens, d’un air si pensif qu’il s’en noircit le visage. L’absurdité de la situation chassa les pensées peut-être un peu trop sérieuses du guérisseur, le rendant de nouveau plutôt joueur.

Cela dit, la réplique tout droit venue du cœur de Clemens atteint un poil trop facilement celui de Quinlan. Ce serait d’une fausse modestie insolente s’il niait son propre charisme, mais de là à dire qu’il l’avait ensorcelé… S’il-te-plaît, Clemens, c’est au moins réciproque. C’était peut-être la seule chose qui l’était, en fait.

Le guérisseur était resté bloqué sur cette phrase, et bien qu’ayant gardé son sourire, il ne sut quoi répondre. Muet, il regarda le Sinistros squatter encore une fois sa salle de bains. Puis, il se décida enfin à se bouger et à sortir les pizzas. Elles n’étaient pas cuites, mais la magie ménagère faisait des miracles ! Un sort ou deux plus tard, elles fumaient chacune dans un plat de chaque côté de la table. C’était peut-être le sort le plus utile que connaissait Quinlan, en fait… De ce fait, il ne remarqua pas tout de suite le regard de Clemens posé sur lui. Il le sentit plus qu’il ne le vit, et se tourna vers lui juste à temps pour lui rendre son baiser.

— Et elle n’attend plus que toi. Je préviens, je prends la royale et d’habitude, je ne partage pas. C’est bien parce que c’est toi.

Oui bah quand on avait faim on n’aimait pas trop attendre, non plus. Quinlan laissa Clemens farfouiller après une bouteille de chianti, lui préférant son habituel cuba libre. Une version légère, le but n’était pas de finir complètement retourné non plus. Cependant, il sentait qu’il aurait peut-être besoin d’une petite aide extérieure dans les discussions qui allaient suivre. Il brûlait d’envie autant qu’il redoutait de parler de certaines choses, sans savoir comment lancer le sujet. Alors il garda le silence. Longtemps.

Il voulait lui demander comment ça allait après l’épisode du labyrinthe, s’il avait enfin réussi à ‘être honnête avec lui-même’, pourquoi il était persuadé qu’il ne pouvait être jaloux, ce qu’il pensait d’eux et de leur relation… Mais rien ne franchit ses lèvres. Jusqu’à ce qu’une petite phrase ne contourne le barrage, l’air de rien.

— Tu ne m’as toujours pas dit où on allait fêter le Nouvel An.

Le carton d’invitation disait qu’il en informerait les invités de vive voix, mais Quinlan n’avait toujours pas été mis au courant. Il aurait bien aimé connaître l’identité des autres convives, mais là encore, il n’osait pas trop demander. D’un côté, il avait bien compris qu’il n’était pas toujours le plus délicat des hommes, mais d’un autre… Avoir l’impression de marcher sur des œufs — ou plutôt, dans un champ de mines — à chaque fois qu’il parlait avec Clemens commençait à devenir fatigant.