Saloperies de Grimoires

La psyché du Docteur était décidément bien mystérieuse : que se passait-il dans la tête de ce félin ? Quinn avait eu des éléments de réponse, mais c’était comme si quelque chose dans son esprit refusait de l’admettre. Ce chat était beaucoup plus malin qu’il n’y paraissait, mais sa particularité résidait ailleurs : une sorte de lien étrange le connectait à son humain, et il le comprenait trop bien pour ne pas soupçonner l’influence de la magie à ce niveau-là.

Quant au suçon que Quinlan avait fait à Clemens, il ne semblait pas le gêner. Un mince sourire apparut sur le visage du guérisseur, même s’il aurait bien été en peine d’expliquer pourquoi. Il passa un pouce caressant sur la peau marquée, avant de revenir câliner Clemens. Et de réclamer son propre suçon… Sauf que l’Allemand ne fonctionnait manifestement pas comme ça. Quinlan était certes un peu déçu, mais accepta les baisers de Clemens : il se considérait déjà bien heureux d’y avoir droit.

— C’est un défi que je relèverais bien… à l’occasion.

Ce n’était qu’un murmure avant que le silence n’envahisse la salle de bains. Quinlan, sans rompre tout contact, alla se poser à côté de Clemens, histoire de pouvoir lui aussi allonger les jambes. Appuyant sa nuque contre le rebord et laissant ses doigts jouer le long du bras de Clemens, il ferma les yeux et sentit le sommeil poindre. Un drôle de parallèle avec ce matin, quand on y pensait.

Oh, il n’avait pas loupé la lueur joueuse dans le fond des yeux de Clemens, mais il préférait finalement passer sur ce coup-là. Et puis, l’Allemand n’avait pas vraiment tort : ce serait plus significatif si c’était fait réellement en pleine action. L’esprit de Quinlan se mit alors à vagabonder, sa main sur le bras de Clemens constituant sa seule ancre.

La libido de Quinlan atteignait difficilement ses limites : même sans éprouver le besoin physique de remettre le couvert, son imagination prenait le relai, lui imposant tout un tas d’images, certaines réalisables, d’autres un peu moins. Ou alors, ce ne serait pas demain la veille. Mais ce n’était pas grave, ce n’était pas ce qui était important. Ce dont Quinn avait besoin, dans le fond, c’était de cette chaleur qui lui picotait la peau, de cette sensation agréable d’imaginer une scène où tout se passerait parfaitement, tout en sachant que si elle venait à se produire, elle serait cent fois plus intense.

Quinlan prit une grande inspiration et rouvrit les yeux. Tournant la tête sur le côté, il embrassa l’épaule — gauche — de Clemens et chercha son regard :

— Mon jour de repos n’aura pas été très reposant finalement…

Il sourit sincèrement, ne regrettant pour rien au monde l’après-midi rocambolesque qu’il venait de passer.

— Je vais avoir besoin de rédiger mes notes de recherches avant de tout oublier. Tu peux rester autant que tu veux. D’ailleurs, je pense que tu n’as pas fait attention quand je l’ai dit, mais tu es le bienvenu ici à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, pour bosser, pour un massage ou n’importe quoi d’autre.

Sur ces mots, il déposa un baiser sur ses lèvres et sortit de la baignoire. Faisant à peine exprès d’être dans le champ visuel de Clemens, il se sécha rapidement. La serviette autour de la taille, il regagna le salon, récupéra son grimoire et son carnet de notes, et s’installa au petit bureau qui faisait le coin. Il avait entre temps posé le livre sur lequel Clemens travaillait sur la grande table à manger, histoire qu’il ne l’oublie pas. Et aussi ramassé son pull, son jean et tout le reste, qu'il avait plié et mis juste à côté.

Ce n’était pas une façon passive-agressive de lui faire comprendre qu’il devait se casser, mais vu les gestes et l’intonation de Quinlan, l’acceptation officielle de Clemens dans son quotidien. Jamais aucune de ses conquêtes ne l’avait vu bosser, seul et silencieux, concentré. La présence de l’Allemand ne le gênait absolument pas, qu’il soit loin dans son bain ou juste derrière lui à lui papouiller la nuque. Oui, même comme ça, focalisé sur ses notes de recherches, Quinlan arrivait à penser à ce genre de choses.

24/02/2007

Heureusement, Quinlan n’insista pas pour obtenir ce qu’il souhaitait. Clemens ne s’y était pas vraiment attendu, mais il se serait tout de même senti un peu forcé si son aîné lui avait étalé sa déception sous le nez. À la place, il accepta simplement le baiser puis se laissa tomber à ses côtés, maintenant uniquement le contact avec une douce caresse sur le bras. Profitant enfin du calme et du silence, les deux hommes se laissèrent aller dans l’eau chaude, apaisés par cette atmosphère humide à l’odeur de cèdre. L’Allemand soupira d’aise tandis que le vide l’envahissait peu à peu. Cette sensation était si rare chez lui, qu’elle aurait presque pu être inédite. Du moins, il était incapable de dire quand il avait éprouvé un tel relâchement pour la dernière fois. C’était un drôle de paradoxe que la personne capable de le faire brûler de plaisir et de douleur soit aussi celle qui le fasse basculer dans une sérénité si profonde. Les yeux fermés, silencieux, pour une fois, il ne pensait à rien.

Un bisou sur l’épaule le fit émerger doucement. Il laissa tomber la tête vers la gauche et ouvrit les yeux pour découvrir Quinlan l’observer avec ce sourire sincère, un brin amusé peut-être, que Clemens lui rendit spontanément. La journée n’avait pas été reposante, en effet, question productivité et avancées, ils ne s’étaient pas trop mal débrouillés, en revanche. Il acquiesça d’un simple clignement des yeux, semblable à ceux qu’ils avaient échangés la nuit précédente. Quelque part, tout s’était centré sur ce pacte de confiance dont avait découlé en cascade toute une série d’événements et de confidences complètement inattendus.

Son sourire changea un peu. Il n’aimait pas se baser sur la réputation de Quinlan, mais elle n’était de toute évidence pas née de nulle part. Savoir qu’il avait porte ouverte chez le guérisseur fit naître en lui des sensations ambivalentes. Néanmoins, la proposition venait confirmer l’existence de ce lien étrange et indéfinissable qui s’était établi entre eux.

“ Merci”

Sur le moment, il ne trouva rien d’autre à dire, et se contenta donc d’observer son aîné quitter la baignoire, puis la salle de bain. Rester seul dans une ambiance de calme lui permit enfin de se remettre un peu à réfléchir. Il n’avait pas envie de partir soudainement, surtout pas pour se jeter dans les couloirs de l’académie qui devaient être plein d’animation à cette heure-là. Enfin, quelle heure était-il ? Si ce n’était pas les couloirs, se serait de toute façon la salle commune de Sinistros, où quelqu’un ne manquerait pas de lui demander où il avait disparu toute la journée. L’excuse de la bibliothèque pourrait passer, mais pas avec Rowan, qui s’y trouvait bien trop souvent pour louper la présence inhabituelle de son colocataire dans ce haut lieu de la connaissance.

Le moment était donc venu de se lancer dans une petite analyse de lui-même et de ce qu’il venait de vivre. Un peu de réflexion avant de quitter cet appartement, de se jeter à nouveau dans le monde réel et de devoir — dans un futur plus ou moins proche — prendre position sur ce qui s’était passé. Son état d’esprit quand il était arrivé était raisonnablement simple. Il avait été fasciné par l’esprit ouvert et passionné de Quinlan, ce qui n’était en soi pas vraiment inhabituel. Clemens se liait volontiers à ce genre de personnes qui l’aidaient à grandir. Sans savoir exactement quelles étaient les pensées du guérisseur, il s’était rapidement douté qu’il n’était pas entièrement désintéressé. Le jeu des non-dits l’avait amusé et rendu curieux. Comme à chaque fois, il avait foncé tête baissée pour découvrir les limites plutôt que de faire attention à où il mettait les pieds… Et comme à chaque fois, il s’était fait prendre à son propre jeu.

Par contre, il n’aurait pas pu s’attendre à une telle résonance. Rowan, Isolde, Anna, Megan même… Tous étaient des esprits particuliers qui l’avaient poussé à se remettre en question et à percevoir différemment le monde qui l’entourait. Mais à aucun moment n’avaient-ils explosés dans une suite d’idées et de découvertes qui se répondaient parfaitement l’une à l’autre, faisant évoluer les deux partenaires dans une égalité parfaite. La métaphore du miroir était tellement pertinente, en ce qui concernait Quinlan… D’autant plus quand on songeait à la relation hiérarchique qui était sensée s’imposer entre eux. Ils l’avaient abolie d’un geste de la main, après quelques minutes seulement, mais l’Allemand ne parvenait pas à s’en défaire complètement. Par sa simple présence, Quinlan imposait une sorte de supériorité. Son expérience dans — presque — tous les domaines dépassait amplement la sienne. Il avait simplement cette stature de celui qui sait mais cherche encore… Exactement cette attitude qui avait fait naître un respect sincère et entier chez l’étudiant, lors du premier cours de médicomagie.

Ce mélange hétéroclite de sentiments plus ou moins contradictoires ne permettait néanmoins pas encore de définir exactement ce que son aîné avait déclenché. La révélation de son désir aurait pu faire fuir Clemens. Dans d’autres situations, ça aurait sans doute été le cas, mais l’enchaînement de confidences avait été tel que l’Allemand ne s’était simplement pas senti la force de rejeter le guérisseur. Et pourquoi l’aurait-il fait, au final ? A Poudlard, il avait été celui qui répétait ‘ femme ou homme, qu’importe, tant qu’un vrai lien vous unit?’. Et c’était précisément la situation dans laquelle ils s’étaient retrouvés, liés par quelque chose de complètement invraisemblable mais plus grand qu’eux. C’était presque apparu contre leur gré. Clemens s’était déjà senti trop dépendant de l’esprit de Quinlan pour le repousser sur la simple base d’une attirance… Et puis au fond de lui, il devait reconnaître que c’était flatteur.

C’était sans doute à partir de ce moment-là que ça s’était emballé. Savoir qu’il avait évoqué une certaine forme de désir chez cet homme qui le fascinait… l’avait fasciné encore plus. Son trouble s’était mué en curiosité. La curiosité l’avait poussé à accepter un baiser demandé si poliment. Ensuite il y avait eu ce massage strictement professionnel, qui était parvenu à le détendre bien plus qu’il ne l’avait été à aucun moment depuis… trop longtemps. Et il avait commencé à se rendre compte qu’il voulait plus. Sa relation avec Quinlan ne transcendait au point de faire naître une envie tellement plus grande que lui qu’il n’avait pu que s’y abandonner. Les cloches de sa raison n’avaient pas pu sonner assez fort pour le ramener sur terre. Finalement, ils avaient échappés à leur propre contrôle. Le souvenir enveloppa Clemens d’un voile de chaleur d’une telle intensité qu’il fut traversé d’un spasme.

Avec un soupir, il sortit de la baignoire et partit en quête d’une serviette. Il n’était pas beaucoup plus avancé sur l’avenir de cette relation? Fréquentation? Mais au moins, il était parvenu à comprendre le pourquoi de cette évolution, et cela le laissait en paix avec lui-même. Il aurait sans conteste besoin d’en parler avec Isolde, histoire de finir de faire le point. Il se sécha tranquillement puis regagna le salon, y découvrant un Quinlan concentré, penché sur ses notes, comme si le monde extérieur n’existait plus. Clemens resta planté dans l’embrasure de la porte pendant un moment, avant de se décider à se rhabiller. Il n’était pas du genre de ceux qui aiment se trimballer à poil toute la journée. Et sérieusement, il adorait ce pull.

Maintenant, il hésitait sur l’attitude à tenir. D’un côté, il n’avait pas envie de rejoindre ses camarades. La réalité un peu secondaire dans laquelle il flottait depuis plusieurs heures était beaucoup trop plaisante. D’un autre côté, il n’avait plus l’esprit à travailler, et se taper à somnoler dans un canapé alors que Quinlan était en train de travailler à quelques mètres… Lui paraissait être un comportement légèrement douteux. Tiraillé entre les deux solutions, il opta pour une troisième afin de se laisser encore un peu le temps de réfléchir. Clemens rejoint le guérisseur à la table et s’installa en face de lui, posant un regard interloqué sur les écrits qui s’étalaient devant lui.

“Tu cryptes tes notes ?”

Concentré sur ses notes, Quinlan évitait aussi de repenser à ce qu’il s’était passé. Le pourquoi du comment, il verrait ça plus tard. Il se considérait de toute façon trop bien loti pour vraiment y réfléchir seul. Au pire, il verrait ça avec Neal. Il allait sûrement manger avec lui ce soir… Si son frère était toujours disponible. Il préférait attendre que Clemens soit parti pour penser à ce qui se passerait après : cet homme était tellement plein de surprises que c’était dur de prévoir quoi que ce soit lorsqu’il était dans les parages. Pas que ça déplaise à Quinlan, soit dit en passant.

Profitant du moment de silence où Clemens méditait dans son bain, Quinn griffonna rageusement quelques mots, quelques dessins, tentant de se souvenir des quelques conversations sérieuses qu’ils avaient eues, tout en synthétisant cela pour que le code ne soit pas trop évident. Oui, car il était hors de question qu’il écrive ses notes de recherches en clair.

Il en fut presque surpris d’entendre la voix de Clemens : c’était à peine s’il l’avait vu s’installer en face de lui. Il releva la tête, et chercha un temps ses mots.

— Euh… oui. Oui, la paranoïa me guette. Tiens, si tu veux jeter un coup d’œil.

Le guérisseur eut un petit sourire en coin, et tendit son carnet de notes. Il gardait un parchemin avec lui où était gribouillé un autre message, ainsi qu’une autre feuille volante avec des dessins dessus. De là où Clemens était, il pouvait peut-être remarquer une rune ou deux.

De Nates Frangor Artis, page 3 a écrit:

En toute honnêteté, je pense qu’il faudrait se contenter de sources sûres, ne se basant que sur des faits vérifiables. Bien sûr ce serait un peu facile si la recherche fonctionnait ainsi. J’ai besoin de théorie appuyant le peu d’expérimentations que j’ai déjà pu mener auparavant. J’aimerais aussi pouvoir citer certains ouvrages, mais je redoute fortement les réactions de mes homologues. Scepticisme ? Les hommes sont parfois bien plus bornés et bêtes qu’on pourrait le penser. La bêtise humaine et l’univers sont infinis, disait Einstein. Et les humains n’en finissent de montrer leurs crocs les uns aux autres. Mais bon, ne soyons pas totalement pessimistes. Mes recherches sont, ou du moins je l’espère, un pas vers une meilleure compréhension des mécanismes de la chose formidable qu’est le corps humain. La question qui me travaille est celle-là même qui depuis des siècles hante la nature humaine : repousser l’ombre de la mort.

— Alors, tu en penses quoi ?

Il avait le sourire malicieux de ceux qui aiment mener la danse. Après tout, il pouvait être fier, même si son chiffre ne cassait pas trois pattes à un phénix. Ça devait faire mal ça, d’ailleurs.

— Ah au fait, j’ai pensé que ça pouvait t’intéresser. Le visuel, tout ça.

Quinlan tendit alors le parchemin aux dessins bizarres à Clemens. Il était sûr que l’ancien Serdaigle se ferait un plaisir d’essayer de déchiffrer ses notes. Et son écriture de chat, aussi.

HRP:

24/02/2007

Quinlan semblait si absorbé par ses recherches qu’il n’avait même pas perçu l’approche de Clemens. Visiblement, il en fallait beaucoup pour le déranger, ce qui rassura un peu l’étudiant. Sa présence dans l’appartement restait donc admise. Il avait eu un doute, quand il était sorti de la salle de bain et avait découvert ses affaires soigneusement rangées sur la table principale. Au fond de lui, il savait que le guérisseur lui aurait clairement indiqué la sortie si il avait désiré le voir partir dans la minute. Néanmoins, ça aurait également pu être un acte manqué pour le mettre dehors. Une espèce de “ j’ai besoin de travailler et je n’y arriverais pas si tu me traînes dans les pattes”. Cette hypothèse là au moins semblait être écartée. La réponse le fit sourire. Quand on tapait dans la fourmilière de la chasse à la lycanthropie, on développait sans doute un bon paquet de raisons de devenir méfiant.

Sa question s’était plutôt portée sur le parchemin couvert de dessins et de runes entremêlés de mots qu’il avait aperçu, mais Quinlan lui tendit simplement son carnet. Clemens s’y pencha avec un intérêt non feint, mais pour découvrir qu’il s’agissait d’un texte entièrement intelligible et tout à fait sensé quand on connaissait les recherches qu’elles décrivaient. Il fronça les sourcils puis jeta un oeil interloqué, voire même agacé, au guérisseur, avant de se replonger dans le texte. Pendant quelques instants, il marmonna pour lui-même, tout en laissant glisser un doigt sur le texte. La méthode était évidemment brillante; quiconque lirait ces notes le trouveraient bien trop claires pour même se poser la question d’un sens câché. Clemens s’était d’ailleurs probablement fait avoir par le passé… et il ne l’aurait jamais su, si ça n’avait été pour Quinlan. Finalement, il se redressa avec un sourire.

“ Quelle théorie ? ”

C’était plutôt sensé, du moins pour la fin de la phrase. Il pouvait la relier à ce dont ils avaient parlé durant l’après-midi, et ça correspondait plutôt bien à sa façon de considérer les essences. Ou en tout cas, si c’était un hasard, ça confirmait leur sentiment qu’ils étaient sur la même longueur d’ondes. Par contre, la référence à une théorie qui n’était pas explicitée plus que ça, n’avait pas manqué d’exciter sa curiosité/

Le reste l’intéressa également, peut-être même plus. Sa théorie avait été transposée de manière schématique mais très visuelle par le guérisseur. Clemens reconstruit mentalement chacune des étapes de leur discussion grâce au dessin qu’il avait sous les yeux, et qui lui permettait à présent de saisir ses propres idées d’une manière beaucoup plus globale. Les ajouts de Quinlan étaient évidememnt très précieux, grâce à ce point de vue de médicomage et à ces connaissances que l’Allemand ne possédait simplement pas. Le tout semblait être complet et plutôt fonctionnel, même si des interrogations persistaient. Au moins, le schéma avait le mérite de souligner clairement les points défectueux ou qui auraient vraiment besoin d’être vérifiés par l’expérimentation. Le dessin était évidemment clair, une seule question persistait néanmoins.

“ Pourquoi ce choix de runes ?”

L’ancien Serdaigle avait évidemment reconnu mannaz et purisaz, deux runes plutôt communes qu’il se souvenait d’avoir étudié à Poudlard. Si il pouvait extrapoler sur le lien de mannaz avec les recherches de Quinlan, purisaz était un peu opaque dans le contexte.

Quinlan avait une capacité de concentration assez forte pour pouvoir supporter la présence de Clemens alors qu’il travaillait, surtout maintenant qu’ils s’étaient plus ou moins envoyés en l’air et que la tension était retombée. Même sans ça, Quinn doutait qu’il aurait été assez perturbé pour lui demander de partir. C’était un guérisseur qui avait travaillé aux urgences : la concentration et la maîtrise de soi lui étaient fondamentales.

Et puis, il était plutôt flatté que Clemens s’intéresse à ses recherches, même si ce n’était que via son mode de chiffrement de ses notes. Avec un sourire, il lui tendit le peu qu’il avait déjà rédigé. Quelques minutes suffirent au Serdaigle pour craquer le code, et élargir le sourire sur le visage de Quinlan. De quelle théorie parlait-il ? Cette question fit naître une lueur de malice dans le fond de ses yeux, mêlée à un soupçon de fierté.

— La tienne. Celle des essences.

Il lui tendit alors le parchemin avec le schéma qui résumait justement cette théorie. Clemens ne manqua pas de remarquer les symboles qui étaient inscrits sur le papier, et notamment les runes.

— Mannaz, pour l’homme et Þurisaz pour le géant. Évidemment, par géant, j’entends surtout le côté animal et brutal. Le spirituel, l’esprit, versus les instincts primaires.

Quand on savait sur quoi portaient réellement les travaux de Quinlan, cela faisait sens. Et vu la dernière interrogation qu’il avait notée qui concernait le sens de la vie, celui qui va inexorablement vers la mort, de l’animé vers l’inanimé, sans réellement pouvoir en revenir, pour cette interrogation il aurait dû ajouter une troisième rune, Eihwaz. Elle symbolisait le changement, mais avait surtout comme signification le bois d’if, la mort, la renaissance. Et puis, les symboles, ça allait toujours mieux par trois.

Il remarqua cependant un peu tard un détail qui n’en était pas vraiment un. Il avait simplement nommé le schéma ‘Ax. NF’, comme par réflexe, mais ce choix pouvait être plus lourd de sens qu’il ne l’avait pensé. Il hésita un moment, avant de préciser à Clemens en pointant du doigt les deux lettres bizarrement entremêlées :

— J’ai accolé mon nom au tien, mais si tu préfères que ça reste simplement l’axiome Neubach, plutôt que Neubach-Fitzsimmons, il n’y a aucun problème.

Après tout, il n’avait pas vraiment l’impression d’avoir apporté sa pierre à l’édifice, qui restait principalement celui de Clemens. Si ce dernier souhaitait être le seul ‘héritier’ de cette partie des recherches, alors soit. Quinlan était déjà bien heureux d’avoir un tel outil à sa disposition, ce qui lui facilitait ses travaux. Tant pis si c’était basé sur du vent : c’était bien pour ça que s’appelait un axiome.

24/02/2007

Clemens ne put retenir une expression étonnée de s’afficher sur son visage. Quinlan n’avait pu entendre parler de ses problèmes d’essence que la nuit précédente, pourtant, sa théorie semblait déjà intégrée dans ses notes. Il en était à la fois touché et surpris. Après tout, il n’était qu’un étudiant de première année qui chipotait dans son coin à la recherche d’une méthode qui pourrait l’aider à devenir Animagus. Il était — pour le moment du moins — absolument impossible de déterminer si sa base était fonctionnelle et si de plus fines expérimentations ne meneraient pas à une contradiction pure et simple. Leurs idées se complètaient cependant, et leur avaient à chacun permis d’avancer significativement dans leurs recherches personnelles. Si il avait eu la sensation d’avoir plus de temps libre, l’Allemand se serait sans doute intéressé aux travaux du guérisseur pour le simple plaisir d’y mettre le nez. Pour le moment, ça lui semblait être un simple ajout de masse de travail… mais il finirait par le faire. À un moment ou à un autre.

Par contre, les runes avaient éveillé un intérêt qu’il avait mis de côté depuis la fin de sa scolarité à Poudlard. Les deux frères Fitzsimmons lui en avait parlé récemment, et l’étudiant commençait à leur trouver de nouvelles applications qui pourrait les lui rendre utiles au quotidien. Avec un sourire, il suivit le tracé de ces dessins si lourds de significations. Il n’aurait spontanément pas pensé à relier les instincts primaires au géant, et surtout pas dans le cadre des recherches de Quinlan. Ce choix d’opposition entre l’homme et le presque humain le laissait même franchement perplexe.

“D’accord, sous cet angle de vue là, je vois le lien avec tes travaux.”

Les géants étaient certes plus brutaux, rien qu’à cause de leur force considérable. Ça Clemens n’allait pas le nier. Néanmoins, il avait un peu de mal à considérer un géant comme étant moins qu’un homme, surtout après avoir passé sept années à Poudlard. Hagrid n’avait certes pas été son professeur, mais en tant que gardien des clés et garde chasse, on pouvait difficilement trouver mieux. Malgré son sang de géant, il était d’ordinaire considéré comme quelqu’un de confiance… quand on ne se fiait pas aux stéréotypes, en tout cas.

La question n’était certes pas centrale, mais elle l’intriguait tout de même un peu. Il préféra retenir l’idée pendant un moment, un peu inquiété par l’impact que sa réflexion pourrait avoir sur Quinlan. Après tout, si le choix avait été murement réfléchi avant d’être posé, sa question serait probablement écartée d’un sourire et d’une explication simple. Par contre, s’il n’avait lui-même pas réalisé qu’il était retombé dans ces mêmes stéréotypes qu’il voulait combattre, la surprise pourrait s’avérer mauvaise. Alors qu’il était perdu dans ses pensées, le guérisseur enchainait déjà sur un autre problème à régler. Clemens s’intéressa alors à ce sigle qu’il n’avait pas reconnu de prime abord, et compris soudainement qu’il s’agissait d’une façon stylisée de nommer leur axiome. Il souffla un rire.

“Si ça n’avait été pour toi, cette théorie n’aurait sans doute jamais eu de nom, et je ne sais même pas si je l’aurais mise sur papier un jour ailleurs que dans mes propres notes. Si elle nous est utile et peut être prouvée par tes propres résultats, elle peut bien porter nos deux noms.”

En réalité, savoir que sa théorie était à présent nommée et portait un autre nom que le sien, en partie du moins, ne le tracassait pas outre-mesure. Les résultats de leurs recherches comptaient bien plus à ses yeux, d’autant que s’ils finissaient par se rendre compte qu’ils s’étaient entièrement trompés… L’axiome Neubach-Fitzsimmons ne vaudrait rien. Le problème des runes en opposition continuait en revanche à lui tourner dans la tête, et il ne put retenir ses questions beaucoup plus longtemps. Après tout, il n’était pas un ancien Serdaigle pour rien: il avait ce besoin viscéral de comprendre.

“Je reste troublé par ton choix de rune. Ce n’est pas un peu paradoxal de choisir la rune d’un humanoïde déprécié de la société pour l’opposer à l’humain ? N’est-ce pas justement ce genre de biais que tu veux anéantir ? Pourquoi le géant serait-il plus animal que l’homme ?”

Clemens se redressa un peu, mais sans regarder Quinlan directement dans les yeux.

Il s’était peut-être un peu emballé, mais sur le moment, ça lui avait paru important d’ajouter son initiale à celle de Clemens pour nommer la théorie des essences. Peut-être se trompaient-ils sur toute la ligne, effectivement, mais s’ils tenaient quelque chose, ça valait la peine d’être noté et nommé. Ils auraient tout le temps de préciser ça plus tard. Et puis, c’était vraiment ce cadre qui les liait dans leurs recherches, sinon pourquoi travailleraient-ils ensemble ? Pour Quinlan, c’était naturel. Que Clemens n’y voit pas d’inconvénients le rassura.

— Hélas, tu auras sûrement plus de chances de résultats que moi, puisque je ne peux pas vraiment tester la pratique. Cela dit, j’irai quand même voir pour les registres cracmols et nés-moldus. On s’éloigne un peu du cœur du problème, mais en l’état je ne sais pas comment ordonner le spectre de l’humanité. Hmpf, je ne sais même pas s’il y a quoi que ce soit à ordonner, s’il y a des liens…

Il y avait forcément un lien entre sorciers et moldus mais pour le reste, ce serait difficile d’ordonner quoi que ce soit, effectivement. Et puis, c’était dangereux et contre-productif pour lui d’essayer de hiérarchiser. Il s’en rendit d’autant plus compte lorsque Clemens lui fit remarquer que Þurisaz pouvait être vue comme une autre forme d’humanité, et que l’opposer à l’homme prototypique était peut-être un de ces restes de réflexes sociétaux dont il cherchait justement à se débarrasser. Quinlan écarquilla les yeux, avant de froncer les sourcils dans une moue pensive.

— J’avoue que je n’y ai pas vraiment pensé. Le géant…

Il s’arrêta en plein milieu de sa phrase, se rendant compte de l’énormité qu’il allait dire. S’il avait remplacé le mot ‘géant’ par ‘loup-garou’ dans cette phrase avortée, il se serait sûrement foutu une mandale à lui-même.

— Þurisaz est aussi le symbole de l’épine et du dieu Thor. C’est vrai qu’elle veut dire ‘géant’, et que du coup, l’opposer à l’homme peut être vraiment considéré comme borderline mais… Sa signification va pour moi au-delà de son sens premier. C’est peut-être une façon un peu facile d’étouffer le problème que de dire ‘mais non, ça ne veut pas dire ça’ mais bon. Je comprends.

Quinlan se leva de sa chaise, et fit les cent pas dans son appartement, toujours en serviette. Le Docteur sentit sa nervosité, son effervescence intellectuelle à défaut d’être émotionnelle. Il était perplexe. Avait-il cédé à ses propres biais d’éducation…? Sûrement. Il avait hésité avec une autre rune lorsqu’il avait posé l’enchantement qui laissait une espèce de watermark sur les pages de son carnet. Peut-être n’était-il pas aussi bon en runes qu’il le pensait…?

Allant récupérer sa baguette, il la brandit fermement en direction de son carnet. Les pages de gauche changèrent alors. Þurisaz s’effaça pour laisser place à Uruz.

— Qu’est-ce que tu en penses ? Mieux ?

Uruz, l’auroch, la force indomptable. C’est vrai que c’était clairement mieux que Þurisaz, au final. Sur le coup, Quinn s’en voulut de ne pas y avoir pensé plus tôt, d’avoir eu besoin qu’on lui pointe du doigt, mais sans un regard extérieur, il n’y serait jamais parvenu tout seul. Malgré tous ses beaux discours, il savait qu’il n’était pas parfait. Il ne le serait jamais, tout simplement parce qu’il était toujours en contact avec cette société, en lutte avec elle et que parfois, elle gagnait. Il s’en voulait, mais il acceptait son sort. Il n’avait pas d’autre choix, au fond : accepter, comprendre son erreur, changer. C’était aussi simple que de formuler de véritables excuses, en fait.

— Merci de me l’avoir fait remarquer.

Oh, et bien sûr, remercier la personne qui avait eu le courage de lui dire qu’il avait fait de la merde sur ce coup-là. Franchement, si la moitié de l’humanité était capable de faire ça, le monde serait déjà bien meilleur.

24/02/2007

Clemens accueillit la réflexion d’un haussement d’épaule. Ce n’était que de la spéculation; dans l’état actuel de leurs avancées, ils étaient incapables de dire s’ils allaient avoir des résultats tout court. Même sans expérimentations techniques comme celles que Quinlan se refusait — avec raison — à entreprendre, il pouvait très bien tomber sur une information ou une association de preuves dérivées qui lui permettrait de vérifier la théorie des essences. En attendant, ils n’avaient rien d’autre à faire que de l’accepter comme base de travail et espérer qu’elle serait acceptée par la communauté des chercheurs magiques si ils venaient à la dévoiler un jour.

“C’est en cherchant qu’on finit par trouver. Pour le moment, tu me sembles un peu perdu sur le chemin qui te parait le plus direct, mais ce n’est pas toujours la meilleure solution. Faire ce qui s’apparente à un détour te permettra peut-être de trouver le déclic qui te manque.”

Sa remarque avait été accompagnée d’un sourire un peu désolée. L’Allemand avait conscience que ce n’était qu’une banalité, et ce genre de phrases était plutôt agaçant quand on butait sur un point précis. Il aurait lui-même tiqué sur Quinlan lui avait dit pareil quand il s’énervait en pleine nuit à la cafétéria. Néanmoins, avec un peu de recul, il restait convaincu que cette idée de détour n’était pas très éloignée de la vérité. Après tout, ils s’étaient mutuellement intéressés aux recherches de l’autre et cela leur avait permis de sortir de leurs propres impasses. Tout n’était qu’une question de point de vue et d’angle d’attaque, au final.

Un peu comme les runes, d’ailleurs. L’explication que le guérisseur déploya pour justifier son choix de Þurisaz faisait ressortir une logique que Clemens aurait tout à fait été capable d’accepter. Si on extrapolait au large du géant, et qu’on ne réfléchissait qu’à ses attributs et ce qu’il représentait dans l’imaginaire collectif, l’opposition avec Mannaz était beaucoup moins biaisée. Cependant, pour un esprit peu exercé ou simplement un regard extérieur qui ne disposerait pas du point de vue de son initiateur, le choix de cette rune précisément pouvait dévoiler une faille. La réflexion, toute fine soit-elle, serait alors une arme en faveur des détracteurs de Quinlan. Laisser les choses en l’état était donc peu envisageable. L’étudiant ne dit pas un mot de plus, et suivit simplement des yeux le guérisseur alors qu’il se lançait dans une réflexion un brin frustrée.

Un sourire se dessina sur son visage quand les pages du carnet cessèrent de voleter sous le sortilège de son aîné. La rune de la page de gauche s’était transformée et arborait maintenant Uruz. Il ne pouvait pas se targuer d’une grande maîtrise dans le domaine, car il considérait sa formation Poudlardienne comme effroyablement incomplète. Mais si il avait du faire une proposition, ça aurait sans doute été celle-là.

“Je trouve, oui. En tout cas, je n’aurais pas pensé à mieux.”

Même quand il voulait simplement démontrer un intérêt poli pour les recherches de Quinlan, il parvenait à jouer de son influence. Ca n’avait pas été son but, d’autant qu’il continuait à considérer l’expérience comme plus précieuse que la spontanéité irréfléchie. Il fut flatté — encore une fois — de voir sa remarque accueillie avec respect et intérêt par son aîné. Une envie soudaine et sauvage de se pencher par dessus la table pour l’embrasser monta en lui et il dut déployer toute sa maîtrise pour la contenir. L’après-midi avait été bien assez mouvementée et quelque chose lui disait que s’il restait plus longtemps, ils ne trouveraient pas le repos dont ils avaient besoin.

Clemens laissa passer quelques secondes, puis se leva et contourna la table pour rejoindre le guérisseur. D’une main douce, il redressa le menton de Quinlan et l’embrassa délicatement. Il se recula ensuite, arborant sa mine espiègle habituelle.

“Je crois qu’il est temps que j’y aille.”

Après un dernier sourire, il se détourna et alla récupérer son grimoire.

Faire des détours pour mieux comprendre le cœur d’un problème ? L’idée de Clemens n’était pas mauvaise. Quinlan commençait à s’inquiéter de trouver toutes ses remarques intéressantes : il était heureux d’avoir rencontré quelqu’un d’aussi intelligent, mais la facilité avec laquelle il buvait ses paroles lui faisait un peu peur. Ne pas perdre ton objectivité, Quinlan. Garder les pieds sur Terre… Facile à dire. À mettre en pratique, par contre, c’était un poil plus compliqué. Pourtant, le guérisseur n’était pas quelqu’un de parfait quand il s’agissait d’avoir un avis extérieur. La plupart du temps, il s’en contrefichait, à moins que la personne n’ait un véritable argumentaire en béton. Clemens, comme Neal, n’avait pas besoin de sortir l’artillerie lourde pour forcer Quinlan à se remettre en question. Le simple fait qu’il souligne que le choix de Þurisaz n’était peut-être pas judicieux suffit à faire changer d’avis Quinlan.

Effectivement, quand on se lançait dans une telle entreprise, le moindre détail était important. On aurait très bien pu retourner ce choix de rune contre lui, quand bien même elle se limitait au cadre très privé des notes de brouillon. Autant ne pas prendre le risque de voir son argumentaire entaché par ce qui serait vu comme une erreur et un paradoxe mortel pour sa thèse. Quinlan ne serait pas le premier militant idéaliste à ‘sélectionner’ ses combats de façon tout à fait arbitraire, mais il ne souhaitait pas entrer dans cette catégorie. Si les cases, c’était de la merde, alors c’était de la merde pour tout le monde. S’il laissait cette innocente Þurisaz dans ses travaux, il deviendrait alors ‘l’homme qui veut bien que les loups-garous soient humains, mais pas les géants, attendez faut pas déconner’. Ses justifications, personne ne voudrait les entendre, et personne ne voudrait les comprendre. Et même s’il essayait, ça ressemblerait un peu trop à ‘mais je ne suis pas anti-géant, j’ai un très bon ami géant d’abord…’ et il se tirerait une balle dans le pied. En plus de se détester d’avoir autant de mauvaise foi.

Donc, sans vraiment y réfléchir à deux fois, il changea de rune, abandonnant Þurisaz pour Uruz, beaucoup plus adaptée, et pour le coup, faisant vraiment référence à un animal. Et le choix semblait également plaire à Clemens. Ce détail n’était pas objectivement important, mais pour Quinn, ça changeait beaucoup de choses.

— Tant mieux alors.

Clemens n’était pas un spécialiste des runes, mais Quinlan ne pouvait simplement pas balayer son avis d’un revers de la main. Il n’y arriverait pas, même s’il essayait. Alors que le guérisseur se rasseyait pour continuer à chiffrer ses quelques notes, l’étudiant se leva, et fit le tour pour le rejoindre. À vrai dire, Quinlan ne s’était pas attendu à ce qu’il vienne lui donner un petit baiser avant d’annoncer son départ. Apparemment, ils en étaient déjà à s’embrasser en guise d’au revoir. Pourquoi pas ? Un sourire un peu stupide étira ses lèvres et ses yeux plongèrent dans les siens.

— D’accord. N’hésite pas à envoyer un hibou si tu as besoin qu’on se voie pour tes recherches.

…et pour le reste. Il n’avait pas besoin de le dire, le sous-entendu était bien trop fort. Et puis, il doutait de voir débarquer Clemens en mode ‘prends-moi sur la table’. Du peu qu’il savait de l’étudiant, ce n’était pas vraiment son style. Quinlan se leva alors pour aller raccompagner Clemens jusqu'à la porte : cela lui rappela d'ailleurs de modifier le sort pour que le Sinistros n'ait aucun problème pour entrer chez lui, même en son absence.

La fin de la journée s'annonçait calme et studieuse, du moins en apparence. Quand le guérisseur en aurait fini avec ses notes, il savait que son cerveau se remettrait en marche, et que ça n'allait pas être beau à voir. Il allait sûrement avoir besoin de cookies, finalement.

Les minutes passèrent moins vite qu’il ne l’avait prévu : chiffrer ses notes n’avait pas été aussi long qu’il aurait pu le croire. Une fois qu’on était lancé, c’était facile, peut-être même un peu trop. Un élan de paranoïa le prit alors qu’il se rendait compte que c’était justement un peu trop facilement craquable. Clemens avait réussi à lire à travers son code en quelques minutes seulement… Il soupira. Quoi qu’il fasse, il y revenait toujours. Une fois ses notes rédigées, il rangea son carnet et le grimoire sur lequel il travaillait, les remisant sur le bureau qui faisait le coin de son salon. Levant les yeux vers un tableau sorcier d’un ennui mortel — le paysage était beau mais ça restait un paysage — il se surprit à vouloir le remplacer par une reproduction tout ce qu’il y a de plus moldu du Saint Jean-Baptiste de Léonard de Vinci. En se remémorant ce tableau, Quinlan ne put s’empêcher d’y superposer une tête bien connue.

Je suis foutu.

Abandonnant tout espoir de rester aussi détaché qu’il aurait aimé l’être, Quinn retira sa serviette et la posa sur l’étendoir qui trônait à l’entrée de sa salle de bains. Puis, car c’était bien le genre à aimer se balader nu chez lui, il alla jusqu’à sa chambre pour s’habiller. Il aimait rester à poil, mais savait qu’il ne pourrait pas l’être bien longtemps : même si Neal ne venait pas le voir, ce qui l’étonnerait fort, il allait devoir descendre pour manger. Il passa un jean tout simple et un autre t-shirt, cette fois un peu plus distingué que le Slayer élimé qu’il avait porté en présence de Clemens. À ce propos, il fallait qu’il fasse un peu de rangement dans le salon. Un t-shirt qui traîne, ça passe, un boxer, un peu moins. Surtout vu la conversation qu’ils allaient avoir. Oui, il était déjà résigné.

Neal lui poserait sûrement des questions auxquelles Quinlan n’avait pas de réponse, et d’autres qu’il aurait juste voulu ignorer. Il prépara du thé, essayant de s’occuper l’esprit avec autre chose que les événements qui venaient de bouleverser sa vie et la vision qu’il en avait. L’euphorie était toujours présente, mais elle était teintée d’une appréhension qu’il n’arrivait pas à apaiser.

Une fois les deux tasses fumantes posées sur la table basse qu’il avait nettoyée au passage, il se posa dans le canapé, les yeux fermés et la tête tournée vers le plafond. Qu’est-ce qu’il était en train de foutre, exactement ? Dans quoi s’était-il lancé, plus ou moins sans le faire exprès ? Jusqu’où ça irait ? Jusqu’où ça pouvait aller ? Coucher ok, mais là c’était un peu plus quand même, non ? Les étudiants, c’est bon pour les plans cul, après ça devenait compliqué. Au-delà du plan cul, tout était compliqué pour Quinlan de toute façon. Et en plus un hétéro. Sérieux…? À quoi tu pensais, Quinlan ? Qu’est-ce que t’as foutu ?