Saloperies de Grimoires

Les grands esprits se rencontrent ! Quinlan avait toujours trouvé ça fascinant que certaines personnes se regroupent ainsi, comme si elles étaient connectées sans même le savoir. Des clusters d'esprit plus ou moins sur la même longueur d'onde… C'était quelque chose de précieux. En même temps, ça n'avait pas forcément quelque chose de mystérieux : leur point commun était d'aimer les esprits brillants, et ils l'étaient tous. Le seul petit souci avec Clemens et Quinlan, c'était qu'ils ne semblaient pas prêts de poser clairement les questions qui les taraudaient. Ils passaient toujours par des sous-entendus, et des regards mal interprétés. Pas étonnant qu'ils se galèrent à communiquer…! Heureusement, ce n'était pas le cas quand ils parlaient recherches.

Ce qu'ils ne faisaient d'ailleurs plus. En demandant si Clemens avait des allergies, Quinn avait ouvert la porte à une discussion qui promettait d'être drôle. Il y a très peu de cas où on se découvre une allergie sans y être directement confronté : vous connaissez beaucoup de monde qui passe chez l'allergologue, comme ça, pour le fun ? Ça voulait dire qu'un jour où l'autre, Clemens avait décidé de se faire tatouer un truc au henné noir — noir d'ailleurs, car le henné naturel n'était pas spécialement allergène. Bref.

L'étudiant commença par raconter l'anecdote du géranium, qui fit rire Quinlan. Ça lui rappelait des souvenirs assez épiques aussi : la botanique c'était parfois assez sportif.

— Tu parles, moi je me suis percé les tympans avec une Mandragore. J'ai fait croire que j'étais sourd pendant encore trois semaines après être guéri, c'était marrant de voir tout le monde mimer.

Restait à savoir comment l'allergie au henné s'était déclarée. Quinn avait déjà hâte de le découvrir… Et il ne fut pas déçu. Il éclata de rire, tout simplement.

— Sérieusement…? T'as failli te faire tatouer le logo de ton équipe ? Ça, c'est de la dévotion ! Heureusement que c'était pas un tatoueur classique, tu sais celui avec les aiguilles qui vibrent et tout…

Quinlan haussa un sourcil en souriant, appuyant presque imperceptiblement sur le mot 'vibrent'. Il était lui-même amateur de tatouages, même s'il n'en avait aucun. Il appréciait de temps en temps d'avoir une conquête tatouée, que ce soit magiquement ou à la façon moldue. Bien placé et bien dessiné, un tatouage pouvait être terriblement érotique. Peut-être qu'il s'en ferait un, un jour. Il avait même une petite idée…

En attendant, il fallait bien que quelqu'un s'occupe de la bouffe : Quinlan se leva et eut un de ces vertiges dont il avait l'habitude. Il remarqua que Clemens avait levé le bras au cas où, et le remercia silencieusement. Ce n'était pas la peine, mais ce genre de prévenance était exactement ce qui faisait craquer le guérisseur. Il lui sourit, et mit la table dans le même mouvement. Le Docteur libéra Clemens, qui vint s'asseoir à table. Il n'y avait que de l'eau, et tant mieux !

— Ouais, je n'aimerais pas que tu te réveilles demain avec le Docteur tatoué sur tes fesses.

Même si j'adorerais que tu sois tatoué. Ses yeux trahirent sa pensée, mais puisqu'ils étaient si doués pour communiquer silencieusement, il y avait une chance pour Clemens ne comprenne pas. Ou pas bien. Bref. Un motif imposant dans le dos, avec les muscles qui roulaient en dessous, ou des entrelacs sur la cuisse, des arabesques suivant les veines des bras, des traits soulignant les lignes de la nuque ou de la cheville… Calme tes hormones, Quinlan !

Ce qui fut d'autant plus facile que Clemens avait demandé pourquoi Quinlan était venu enseigner à Haveirson. Un peu par hasard, en fait, du moins ce fut ce que Quinn lui répondit. Ce que l'étudiant lui dit l'intriga vraiment par contre.

— Effectivement, c'est étrange. À creuser. Je le ferais bien, mais j'ai déjà pas mal à faire avec ce foutu bouquin…!

Cela dit, il trouverait bien le temps de se pencher là-dessus. Quinlan aimait bien les énigmes, surtout quand elles concernaient l'endroit où il vivait et la personne qui le payait. Bien sûr, en cas de problèmes, il pourrait toujours repartir aux urgences de Ste Mangouste, mais franchement…

— Je n'ai pas vu d'abrutis avec un tatouage foiré sur la tronche, mais une fois un mec s'est pointé avec le bout de son balai enfoncé dans le cul. 'Je suis tombé dessus.' Ouais genre. Comme quoi, y'a pas que toi qui est passionné de Quidditch au point de faire des trucs complètement cons.

Quinn rit doucement et les servit tous les deux. Sans attendre, il se mit à manger. Il avait vraiment les crocs, maintenant qu'il y pensait. Ah ah. Les crocs. C'était drôle, non ? Bon, d'accord.

24/02/2007

La botanique leur était donc une amie commune également. Clemens sourit volontiers à l'anecdote, il imaginait sans peine le jeune Quinlan faire marcher son entourage pour le simple plaisir de les voir mimer à longueur de journée. C'était d'ailleurs une idée qu'il aurait probablement eue s'il s'était retrouvé dans une situation semblable. Bon, peut-être pas pour trois semaines, mais quelques jours du moins… La suite de son historique allergène provoqua un éclat de rire chez son aîné, auquel il se joint rapidement, malgré une grimace dépitée. En soi, il adorait son équipe et les valeurs qu'elle transmettait, et il n'aurait rien eu contre un tatouage, mais il aurait clairement choisi un autre motif. Quelque chose de plus stylisé et discret qui ne l'aurait pas fait spontanément ressembler à un homme sandwich. Et en effet, il n'avait pas eu à se soumettre aux aiguilles, ce qui n'était pas pour lui déplaire… Clemens était un adepte des méthodes moldues pour beaucoup de choses, mais dans cet exemple précis, la magie remportait le duel haut la main.

A présent installé à table, détendu et de bonne humeur à la perspective de manger, il accueillit la pique avec un sourire espiègle. D'une part, le simple fait de s'imaginer un gros Maine Coon tatoué sur un postérieur était une perspective plutôt cocasse, d'autre part, Quinlan avait rapidement compris que son étudiant était plutôt fêtard. Clemens ne pouvait pas prétendre se traîner une réputation, mais avec une telle bande de camarades qui se connaissaient depuis leur onze ans, les possibilités de fiesta n'étaient pas rare… et le guérisseur n'avait pas toujours été en reste. Ils échangèrent un regard que l'Allemand se garda bien d'interpréter, sans pour autant louper la lueur intense qui brillait au fond de ces yeux noisettes.

« Tu as des plans pour ce soir dont tu ne m'as pas encore fait part, ou… ? »

Il détourna les yeux pour se servir un verre d'eau, un sourire en coin soulignant son espièglerie retrouvée. Plus le temps passait, plus il se sentait à nouveau lui-même dans ces appartements, il se sentait libre de laisser sa personnalité se déployer sans devoir contrôler ses mots et ses gestes, sans craindre de finir jugé. Après tout, que pouvait-il encore confier de plus personnel à Quinlan ? Entre les drames, les blessures et les anecdotes ridicules, ils commençaient à avoir fait le tour des situations créatrices de mal-aises. Bon, il leur restait toujours une possibilité, mais ce n'était sûrement pas en mangeant qu'elle allait refaire surface.

Les mystères de Haveirson ne semblaient pas avoir inquiété le professeur outre-mesure. A vrai dire, seuls peu d'étudiants s'en préoccupaient vraiment. L'essentiel de la population de l'académie était juste trop heureux d'avoir trouvé un lieu qui leur permettait de prendre un nouveau départ. Les circonstances qui avaient rendu cet état de fait possible n'entrait pour ainsi dire pas en ligne de compte. Pour lui non plus, à vrai dire, même s'il se posait de plus en plus de questions à mesure que le temps passait. Il haussa les épaules.

« Je ne m'en suis pas vraiment tracassé non plus, ce n'est pas comme si je n'avais rien de mieux à faire de mes journées… Je suis juste sûr que la question mérite d'être posée. Mais je n'ai pas vraiment de pistes, en fait. »

Et Quinlan n'allait pas lui en fournir. C'était dommage, mais Clemens ne s'y était pas vraiment attendu non plus. La conversation suivait son cours logique, tandis que l'étudiant entamait son verre d'eau d'un air distrait, sa curiosité était concentrée sur les paroles du guérisseur. Sa première gorgée n'était qu'à mi-chemin de sa bouche quand une révélation l'obligea à laisser son geste en suspens.

« Pardon !? Non, sérieusement, je sais que je peux me laisser emporter dans des initiatives stupides, mais pas à ce point-là tout de même. »

L'Allemand afficha un air faussement blessé. S'il n'avait pas été lui-même convaincu que se tatouer le symbole de son équipe sur le bras n'était pas une marque d'intelligence, il aurait peut-être été atteint par la remarque. Cependant, continuer sur ce filon était une perspective qui l'amusait déjà.

« Tu sais, ce tatouage, c'était parti en vrille mais… Ce n'était pas une si mauvaise idée. Enfin, je veux dire avec quelques modifications et un autre henné… »

Sa voix se voulait pensive et il masqua son hilarité en entamant sa lasagne. Quelques secondes plus tard cependant, un sourire carnassier était déjà de retour sur son visage et il jeta un coup d’œil par en dessous à Quinlan.

« Je suis même sur que j'aurais trouvé un truc pour te plaire. »

Insolent, joueur et provocateur. Il se laissa retomber contre le dossier de sa chaise, un sourire équivoque sur les lèvres, une lueur flamboyante dans les yeux. Le Clemens du quotidien était de retour.

Hmm, à vrai dire, d'habitude il en aurait eu, des plans. Quinlan prit la remarque un peu bizarrement, avec un court instant de doute. À force de se tendre des perches plus grosses qu'eux, l'un d'eux allait forcément en chopper une et ils se retrouveraient dans une situation délicate en deux temps trois mouvements. Le sourire revint sur le visage de Quinn, qui répondit finalement :

— Non, pour une fois. Je me suis toujours pas remis de cette nuit, et il m'en faudra sûrement plus d'une pour me remettre de cette après-midi… T'es plutôt du genre épuisant.

Il pouvait parler ! Mais il était clairement en train de plaisanter. Même si c'était la porte ouverte aux réflexions qui pouvaient les faire repasser illico en mode 'confessions intimes', se balancer des piques l'air de rien était le jeu favori de Quinlan. Il garda son sourire sur le visage, visiblement très heureux de revenir à une conversation légère.

Il y avait bien l'histoire d'Haveirson en elle-même : Quinlan devait bien avouer qu'il ne s'en était pas du tout préoccupé. Peut-être qu'il devrait, finalement ? Ce ne serait pas idiot… S'il avait le temps, bien sûr. Il faisait déjà tellement de trucs sur le campus, il doutait d'avoir encore quelques heures de sommeil à sacrifier à l'académie. Enfin, disons qu'il était prêt à sacrifier des heures de sommeil. Juste, pas pour ça.

La remarque sur ce que l'amour du Quidditch pouvait pousser à faire ne fut pas exactement prise comme Quinn l'aurait voulu. En même temps, vu la façon dont il l'avait formulée… Il allait rectifier le tir, quand Clemens ajouta quelque chose qui lui donna un frisson. C'était définitif, l'idée d'un Clemens tatoué était décidément trop excitante. Il déglutit, but une gorgée d'eau aussi — ouh, il fait chaud ici, non ? — et répondit avec un large sourire :

— Je n'en doute pas ! Après, si tu veux te faire tatouer l'emblème des Busards, vas-y. Mais pas en étant complètement bourré. Et tant qu'à faire, fais-en un vrai.

Quoi, on pouvait toujours tenter, non ? Cela dit, Quinlan comprenait vraiment Clemens sur ce coup : lui n'avait jamais eu aucune raison de se faire tatouer quoi que ce soit, mais en se mettant un peu à la place de l'ancien joueur, il avait vite saisi l'importance que ça pouvait revêtir.

— Je te vois bien avec un motif abstrait qui court de ton cou jusqu'au poignet, même si ce n'est pas discret… J'ai vu des tatouages sorciers qui se planquaient d'eux-mêmes sous les fringues et ressortaient quand son porteur le voulait bien. Si les moldus savaient ce qu'on pouvait faire, ils en seraient tellement jaloux !

Revint son idée de tatouage, impossible à faire de façon moldue. Cela dit, s'il passait à l'acte, ce serait clairement pas au henné : il voulait les aiguilles et tout le tralala, il voulait que ça soit définitif. Il lui faudrait juste trouver un bon tatoueur sorcier. Il avait cru voir une boutique à Avalon, planquée dans une ruelle. Hmm… Pourquoi pas ?

— Et moi, tu m'imagines avec quel genre de motifs ?

Là, il était vraiment curieux de voir ce que Clemens allait répondre. S'il se faisait tatouer un jour, ce serait avant tout pour lui-même, mais s'il pouvait y aller avec l'idée que ça plairait aussi à l'Allemand… Disons que c'était un bonus non-négligeable. Et à l'imaginer en train de retracer du bout des doigts les lignes d'un tatouage encore inexistant, poser ses lèvres dessus avant qu'elles ne glissent ailleurs… Quinlan cligna des yeux une demi-seconde de trop et souffla. Pense à une chaise, putain… Ouais sauf que si la chaise venait avec un Clemens nu dessus qui prenait la pose, ça ne servait pas à grand-chose. Franchement, être aussi physique et sexuel que Quinlan n'était pas toujours un cadeau. Il tenta de faire taire sa testostérone, au moins le temps de finir de manger. Alors qu'il avait presque terminé son assiette, il sentit quelque chose contre sa jambe. Clemens lui faisait du pied…? Quinn releva le regard vers lui, à la fois incrédule et amusé, avant d'entendre un miaulement satisfait. Ah. C'était juste le Docteur.

24/02/2007

Épuisant, on ne la lui avait encore jamais faite, celle là, mais ce n'était vraiment pas loin de la vérité. Il en fallait beaucoup pour que Clemens retrouve un sérieux plein et entier… outre dans des situations de danger ou de réflexions vraiment très intenses sur la métamorphose, ça ne devait pas arriver, en fait. Son esprit sautait toujours d'une idée à l'autre, passant par une pique au milieu avant de trébucher sur une pensée qui n'avait strictement rien avoir avec le sujet initial. Il était comme ça, en changement constant et s'ennuyait très vite. Du coup, ça devenait presque étonnant qu'on ne l'aie encore jamais taxé d'épuisant. L'étudiant adressa un sourire brillant à son interlocuteur ; il était amusé, et pour tout dire, il prit le commentaire comme un compliment.

Contrairement à ce qu'il avait cru, Quinlan ne releva pas le jeu dans son attitude soi-disant blessée – il sont de vraies tanches de la compréhension mutuelle, ndlr – et un voile traversa son expression. La remarque qui suivit était néanmoins à mi-chemin entre la pique et le réconfort, tout en entrant complètement dans son jeu. Clemens sourit et détourna les yeux pour masquer la lueur amusée qui pourrait le trahir. Il reconnaissait tout à fait l'aspect esthétique des tatouages, mais ne s'était jamais sérieusement imaginé tatoué lui-même. La perspective de se faire trouer la peau par des aiguilles ne lui apparaissait pas comme particulièrement excitante.

« Oui, ce serait une idée à creuser après tout. Mais les aiguilles... »

Il n'eut même pas le temps de finir sa phrase. Entièrement parti sur l'idée, Quinlan était en train de lui faire part de ses suggestions et de sa façon de voir les choses. Clemens s'accrocha au regard du guérisseur et ne put retenir un sourire devant la lueur qui y brillait. Visiblement, la discussion faisait vibrer une corde toute particulière chez son aîné.

« Ils vont bien finir par le savoir… »

Objectivement, les moldus avaient encore pas mal à découvrir sur le monde sorcier avant de s'intéresser aux tatouages. Mais nul doute que, lorsqu'ils connaîtraient les possibilités, ils seraient nombreux à venir faire la file chez les tatoueurs magiques. Clemens réfléchit un instant. Pourquoi pas se faire tatouer, au fond, même si le bras…

« Quitte à me faire tatouer, ce serait plutôt dans le dos, je pense. Quelque chose qui rappelle l'aérien… En une ligne d'Oghams, par exemple. »

Sa réflexion s'était étoffée tout en parlant. Il appréciait les runes, bien qu'elles soient plutôt absentes de son quotidien depuis son départ de Poudlard. Cependant, l'idée d'un symbole abstrait pour le plus grand nombre mais doté d'une signification concrète lui plaisait beaucoup. Il balaya tout de même l'idée d'un geste de la main, avant de continuer sa lasagne. Tout ça n'était que du vent, ce n'était pas demain qu'il allait prendre la décision de se faire tatouer, magiquement ou pas.

La question de Quinlan le surprit. L'Allemand releva les yeux et s'ancra dans son regard, cherchant d'abord à savoir à quel point l'interrogation était sérieuse. Il posa ensuite sa fourchette, sans décrocher des yeux de son aîné et laissa son imagination s'envoler. Clemens ne pouvait pas se targuer d'une grande connaissance des symboliques, mais il se souvint d'une conversation qu'il avait eue avec Rasmus, un de ses anciens coéquipiers. Danois, issu de Durmstrang, ils avaient un jour longtemps parlé des ancrages de leurs différentes cultures.

« Un dragon occidental, typé scandinave. Symbole d'un gardien ambivalent, en équilibre entre la renaissance et la destruction. »

Sa voix avait été douce et profonde, lissée de toute marque d'insolence ou de provocation. Il sourit à Quinlan avant de recommencer à manger. Lé guérisseur avait su lui raconter son histoire sans mélodrame, même sans être en paix avec ses souvenirs. Clemens avait simplement senti son respect grandir pour cette homme en équilibre si instable entre deux extrêmes. Parti sur cet ordre d'idée, l'atmosphère risquait cependant de retomber dans la solennité, or l'étudiant était d'humeur taquine.

« Enfin… Ou un bonobo. »

Il détacha son regard de son assiette pour jeter un coup d'oeil amusé à Quinlan. Quel emmerdeur.

En réalité, ce n'était pas que Quinlan n'avait pas relevé son jeu, c'était qu'il l'avait pris un peu trop au sérieux. Après tout, Clemens pouvait bien avoir envie de se faire tatouer le logo des Busards si ça représentait quelque chose de particulièrement important pour lui. Ça restait son corps : il en faisait ce qu'il voulait. Ce pourquoi Quinn se foutait ouvertement de sa gueule, c'était de l'avoir fait sur un coup de tête en étant torché. Heureusement que le henné était temporaire ! Même sans faire de réaction allergique, le motif, aussi honteux fut-il, aurait fini par disparaître. L'idée derrière le motif, cela dit… Elle n'était pas si idiote. Il y avait bien des gens qui se faisaient tatouer le visage de leur star préférée… Quinlan aurait pu se faire tatouer le Tardis de Doctor Who à une époque… À la place, il avait adopté un chat.

Cela dit, à la mention d'un véritable tatouage définitif, Clemens sembla plus frileux.

— Tu n'aimes pas les aiguilles ? Il paraît que si tu le fais à un endroit bien charnu comme les reins ou les cuisses, ça ne fait pas si mal. On m'a dit que ce qui faisait le plus mal c'était derrière les oreilles, les poignets et les chevilles : la peau est fine et l'aiguille fait vibrer les os.

Quinlan avait sorti tout ça avec un petit sourire, espérant à moitié que Clemens détestait assez les aiguilles pour être gêné, mais pas trop pour ne pas taper une crise d'angoisse rien à qu'à imaginer. Il doutait de la seconde solution : il aurait clairement dit à Quinn que c'était hors de question et n'aurait pas laissé planer le doute.

L'idée de se faire tatouer était plutôt séduisante pour Quinlan, qui avait l'habitude des douleurs plaisantes. Hahem. Mais ce n'était pas aussi séduisant que d'imaginer Clemens tatoué… L'exemple des reins et des cuisses parlait déjà de lui-même. Même si dans le fond, il pouvait toujours se faire un tatouage magique qui ondulerait partout sur son corps parfait… Quinn déglutit et fut incapable de répondre quelque chose d'intelligent au sujet des moldus. Il était bien trop occupé à fantasmer. Il en fit même part à Clemens, à demi-mots : il lui imaginait bien un tatouage qui irait de son cou au poignet, certes pas très discret mais qui mettrait ses muscles en valeur. Le premier concerné ne fut pas de cet avis. Lui préférait quelque chose dans le dos. Des… runes ? Quinlan esquissa un sourire. Il adorait les runes et utilisait même dans le cadre de son travail.

— Ce serait pas mal… même si je trouve ces runes un peu trop basiques, graphiquement. J'ai un faible pour les symboles celtiques : les noeuds sont particulièrement beaux et peuvent avoir un effet protecteur si tu les fais faire par un bon tatoueur magique. J'en ai déjà vu en action, c'est impressionnant.

Ses pensées s'égarèrent à nouveau, principalement sur Clemens. Maintenant qu'ils parlaient décoration corporelle, il était obligé de l'imaginer nu, et avec un tatouage dans le dos… L'image qui s'imposa à son esprit fut plutôt explicite.

Et voilà que Clemens lui faisait du pied ! Ah oui en fait non c'était le Docteur. Quel troll celui-là ! Bon, au moins Quinlan était-il revenu sur Terre. Il devait avoir rougi, mais il fit comme si rien ne s'était passé. Préférant renvoyer la balle à Clemens, il lui demanda avec quel tatouage il l'imaginait. L'idée du dragon n'était vraiment pas stupide. Quinn en fut même un peu secoué, tant la façon qu'avait Clemens de le mettre en mots était belle. Excitante aussi, la faute à la profondeur de sa voix et à son accent allemand. Si ça continuait, Quinn allait crever d'une combustion interne. Bon, se calmer, et répondre l'air de rien.

— L'idée n'est pas mal, mais je n'ai pas grand-chose d'un dragon.

Allait-il lui dire que son patronus était une nuée de papillons ? C'était des papillons de nuit plutôt flippants, mais ça restait des papillons… On fait plus badass quand même. Heureusement qu'il ne savait pas que le patronus et l'animagus était généralement le même animal. Se transformer en papillon ? Pratique pour espionner, un peu moins pour se battre quand même. M'enfin.

Non, il préférait penser que s'il était animagus, il se retrouverait en mode bonobo. Ce que Clemens ne manqua pas de lui rebalancer à la figure. Quinlan éclata d'un grand rire et ne put s'empêcher de lui répondre :

— Autant me faire tatouer une bite sur le front alors !

Victime d'un fou rire soudain, il se prit la tête dans les mains et ajouta :

— D'ailleurs aux urgences, j'en ai déjà vu un avec ce genre de tatouage sur la gueule. Tatouage sorcier évidemment, donc animé. C'était épique. T'imagines pas le self-control que j'ai dû déployer pour ne pas me foutre de lui !

Tout comme t'imagines même pas le self-control que je déploie pour éviter de me jeter sur toi…

24/02/2007

Là, c'était clairement de la provocation, et Clemens en était entièrement conscient. Ça ne l'aida malheureusement pas à retenir une grimace à l'évocation d'aiguilles qui faisaient vibrer ses os. Il n'avait pas peur de la douleur, il avait passé son adolescence à se prendre toutes sortes de coups et il ne comptait plus un seul endroit de son anatomie qui n'avait pas souffert un jour. La dernière exception en date avait été son nez, mais son sort avait été scellé par Megan quelques semaines plus tôt. Ça n'était par contre pas une raison suffisante pour se l'infliger de manière volontaire, et de toute façon, que pourrait-il bien faire d'un tatouage derrière les oreilles ?

« Les aiguilles, je préfère les transformer en allumettes, si tu veux tout savoir. »

Il avait lâché ça avec un sourire. Le Muto Acum était le premier sort de métamorphose enseigné par McGonagall et tout basique qu'il soit, ça avait été une révélation pour l'Allemand. La première mise en pratique d'une transformation. Il avait été fasciné d'entrée, d'autant que les allumettes lui étaient infiniment plus sympathiques que les aiguilles.

L'Allemand finit de manger et s'appuya avec nonchalance dans la profondeur de son fauteuil. Un genou ramené contre sa poitrine, un bras passé par dessus, il observait Quinlan dont le regard lointain flamboyait. Clemens commençait à se demander ce que cette discussions sur les tatouages pouvaient bien évoquer chez le guérisseur ; entre souvenirs et imagination, les possibilités étaient multiples. Et l'étudiant commençait à être curieux. D'autant que l'intérêt des runes commençait à dépasser le côte graphique qu'on leur connaissait de prime abord. Il les avait étudiées à Poudlard, mais ne se prétendait pas connaisseur et n'aurait pas osé les utiliser seul.

« J'aime ce côté épuré des Oghams justement, d'autant que rien n'empêche de les styliser un peu. Mais je t'avoue que ma connaissance des symboles celtiques et de leur utilité est particulièrement limitée… J'aime cette idée de joindre un élément esthétique à une protection magique. »

Il laissa ses pensées s'égarer à la recherche d'une idée, d'une supposition, sur la façon de les utiliser. Une protection dans des circonstances de vol ne lui serait peut-être plus tout à fait utile, mais la perspective de se lier de manière magique à des symboles aériens étaient particulièrement attirante. Son imagination, simplement était aérienne, il se sentait lié au vent et aux bourrasques, appréciait les courants d'air, il était fasciné par les oiseaux.

Tout comme le fait d'imaginer Quinlan en dragon. Il releva son bras pour appuyer son menton contre sa paume et sourit au guérisseur. Sa métaphore semblait avoir secoué un peu son aîné, ce qu'il pouvait aisément comprendre ; après tout, se faire comparer à une grande bestiole dotée d'ailes qui crache du feu n'était pas forcément positif. Clemens appréciait la notion de gardien entre deux extrêmes et trouvait le parallèle saisissant.

« Je trouve que ça t'irait bien, pourtant. C'est un concept tout en nuances et en entrelacs, mais qu'on ne remarque pas au premier abord. Drache. »

La traduction dans sa langue maternelle le poussa vers une autre idée, toute différente soudainement. Dans Drache, il y avait Rache, la vengeance. Quinlan était-il un être vengeur ? Difficile à dire, même si le concept se reliait aisément au dragon.

« Drache, le dragon, Rache, la vengeance. Non vraiment, j'aime cette idée qui ne se laisse pas interpréter d'une manière unique. »

Le bonobo lui plaisait évidemment beaucoup moins, pour son aspect plus brut et réducteur. Encore une fois, la réaction de Quinlan, malgré le rire, lui fit se demander si son aîné n'avait pas une image résolument négative de lui-même. Clemens se contenta d'un sourire. Ce n'était que de l'humour, bien sur, mais il s'en voulait presque un peu d'avoir ressorti cette image diablement limitée. L'anecdote, par contre, lui arracha un fou-rire. On pouvait dire ce qu'on voulait, les gens – lui le premier – pouvaient être sacrément cons parfois.

« Rassure-moi, il était bourré quand il a eu une idée pareille ? Même pour un pari c'est un peu trop énorme ! Enfin, même si sur un front, énorme… J'imagine bien qu'il a du te falloir une sacré maîtrise. Même si il vaut mieux traiter ce genre de cas, qu'un type avec le bide ouvert, je suppose. »

Quoique, c'était sans doute moins gratifiant d'aider quelqu'un avec une bite sur le front plutôt que de sauver la vie d'un autre. Mais bon, heureusement que la vie savait être légère de temps à autres.

« J'espère que vous avez réussi à l'en débarrasser ? C'est quand même flippant ce que certains peuvent faire subir à leurs corps. Même si je suis mal placé pour dire ça »

Il avait bien essayé de faire de son gagne-pain un sport qui consistait à se prendre des balles en fer dans la tronche. Même si son but avait été de les renvoyer sur les autres, il avait pris quelques sacrés beaux coups durant sa courte carrière. Enfin, ça n'avait pas été par plaisir… ou presque. Ça avait quand même un côté vachement jouissif de choper un poursuiveur adverse juste quand il armait son tir.

La réaction de Clemens était juste jouissive. Quinlan avait un grand sourire sur la tronche, trop content d'avoir réussi à l'emmerder assez pour que ça se voit mais pas trop pour ne pas le mettre mal à l'aise. Il répondit alors que les aiguilles, c'était vraiment pas son truc. Ok, soit. C'était un peu dommage quand même, d'autant plus que Quinn ne voyait vraiment pas l'intérêt de transformer une aiguille en allumettes, sérieusement. La métamorphose, c'était n'importe quoi.

Clemens finit de manger et se lova d'une façon particulièrement choupi dans son fauteuil. Quinlan lui, était tranquillement assis comme un roi sur son trône, tandis que l'étudiant se sentait obligé de se recroqueviller. Qui se défendait, maintenant ? Quinn esquissa un sourire et évoqua rapidement les tatouages protecteurs, puisque Clemens lui posait la question à demi-mots.

— Les Oghams peuvent aussi avoir un pouvoir, si on leur en donne. Tout dépend du tatoueur et de son talent, je pense.

Dans le fond, il n'en savait rien. Il pourrait toujours transplaner à Londres pour chercher quelqu'un qui s'y connaîtrait davantage. Il irait sûrement faire ça s'il voulait un tatouage sorcier qui ferait plus que juste bouger aléatoirement. Ou cracher du feu. Oui, un dragon c'était badass, mais Quinlan ne se retrouvait pas vraiment dans cet animal, il ignorait pourquoi. Clemens avait beau dire que ça lui allait bien, le tout en balançant de l'allemand au passage — oh oui, appelle-moi Drache — il était toujours aussi perplexe.

— C'est très profond, mais je ne me considère ni comme un gardien, ni comme un vengeur… Même si…

Il s'arrêta au milieu de sa phrase, réalisant soudainement pourquoi Clemens pensait ainsi, et surtout pourquoi lui ne pensait pas pareil. Il était guérisseur, et ses recherches avaient pour but de protéger et de réhabiliter toute une partie de la population sorcière. Et si c'était lui qui se dévalorisait ? Ce n'était pas dans ses habitudes de le faire à voix haute, mais avec ce que Clemens savait, il ne s'encombrait plus de ça. En apparence, Quinlan était un roc inébranlable de confiance et d'assurance. Mais ce n'était que de la poudre aux yeux : il était beaucoup plus fragile qu'il n'en avait l'air.

— Ouais. Un dragon, pourquoi pas. Mais alors façon Ouroboros, qui se bouffe lui-même, histoire d'ajouter le soupçon d'auto-destruction.

C'était peut-être un peu violent de le dire comme ça, mais Quinn n'avait plus besoin de prendre des gants avec Clemens. Quelque part, ça lui faisait un bien fou. Pouvoir parler sans s'attendre à ce que l'autre le juge…

— Ou alors façon 'Grand dragon rouge et la femme vêtue de soleil' de Blake, sur tout le dos. T'as lu Dragon Rouge ? Bon, c'est un roman moldu, mais on ne sait jamais…

Il partait un peu en vrille sur ce coup, mais changer de sujet n'était pas non plus une mauvaise idée. Du moins, selon lui. C'est aussi pour ça qu'il éclata de rire en entendant la réaction de Clemens à l'anecdote du mec avec un tatouage interdit aux moins de dix-huit ans sur le front.

— Il était bourré ouais, c'est pour ça : règle n°1, ne pas s'approcher d'un tatoueur quand on est en état d'ébriété. Et puis oui, ça me changeait du sang partout. On a réussi oui, mais ça figure en bonne place dans les perles des patients abrutis.

Quinn fut soudain pensif : Clemens avait évoqué tout ce qu'il avait fait subir à son corps avec le Quidditch, mais même sans être aussi sportif que lui, Quinlan comprenait. Danseur et nageur, il avait aussi un bon paquet de cicatrices qu'il ne devait qu'à lui-même. Sa température corporelle redescendant, Quinlan perdit son sourire et murmura simplement :

— Parfois, c'est simplement pour en récupérer le contrôle, ou pour dompter la douleur. Ou juste pour se sentir vivant. Je me trompe si je dis que c'est ce que tu ressens sur un balai ?

Ils ne parlaient clairement plus de tatouages stupides là. Quinn s'en voulu une demi-seconde de repartir en mode psychothérapie, mais il était vraiment curieux. Ça et puis maintenant qu'il y pensait…

— C'est peut-être aussi pour ça que tu dis t'être habitué à la douleur, non ?

Il extrapolait, et mettait sûrement les pieds dans le plat d'une façon qui ne plairait pas à l'Allemand mais… les questions sortaient toutes seules. Il voulait en savoir plus, même si techniquement il n'en avait aucun droit.

— T'es pas obligé de me répondre.

Quinn se leva et débarrassa magiquement la table d'un geste las avant de se gratter la tête distraitement.

— Désolé d'avoir encore une fois pourri l'ambiance.

D'une certaine manière, il valait mieux ça que de prendre le risque de sauter sur Clemens à la moindre évocation de tatouage ou au moindre mot allemand prononcé. Il respira profondément, et alla de nouveau s'affaler dans le canapé.

24/02/2007

Sa conception du tatouage venait de prendre une autre dimension. S'il en appréciait l'aspect esthétique, Clemens n'avait jamais vu l'intérêt de se faire tatouer. Il ne prenait pas un soin extrême à son apparence, prenant simplement garde à être propre sur lui. Il choisissait ses vêtements au hasard parmi une collection de pièces neutres aux tons interchangeables et ça s'arrêtait là. Rajouter de la sophistication par le biais d'un tatouage lui paraissait donc être clairement superflu, d'autant qu'il ne ressentait pas le besoin de se graver de la psychologie dans la peau. La dimension ensorcelée et protectrice d'un tatouage magique basé sur des runes, par contre… ça l'attirait beaucoup plus. Il rangea l'idée dans un coin de son esprit et se promit d'y revenir sérieusement plus tard.

Sa proposition de tatouage semblait peu à peu faire son petit bonhomme de chemin dans la tête de Quinlan. L'étudiant n'insista pas, conscient qu'une telle suggestion devait mûrir et être retournée dans tous les sens avant de pouvoir être acceptée. Après tout, il n'avait pas lancé une idée quelconque et dépourvue de signification, mais plutôt un symbole réfléchi qui en disait long sur son avis à propos du guérisseur. Au vu du doute qui se reflétait dans ses yeux noisette, Clemens comprit que ses propres suppositions étaient fondées. Quinlan ne se voyait simplement pas comme un être protecteur.

« Je n'aurais pas spontanément pensé à l'Ouroboros, mais c'est une idée. De toute façon, ce n'était qu'une suggestion, tu es forcément le plus à même de savoir ce qui te convient. »

L'Allemand avait peur qu'une insistance ne finisse par braquer son aîné et il préféra reprendre un peu de distance. Il était détendu et confortablement installé dans son fauteuil et ne tenait pas à ce que la situation ne se tende à nouveau.

« Non, je n'ai pas lu ce livre. Je me contente de littérature d'anticipation quand je touche à la littérature moldue et encore, ce n'est pas très fréquent. »

L'hilarité de Quinlan fut une nouvelle fois contagieuse, même si Clemens se contenta d'un simple sourire. Il l'avait bien compris que se faire tatouer en étant saoul était une idée stupide et ce dès qu'il s'était débarrassé de sa gueule de bois, d'ailleurs. De plus, il avait en règle générale une maîtrise de lui-même plutôt raisonnable pour quelqu'un d'alcoolisé et conservait un certain sens de la préservation. Se faire tatouer sur le visage – peu importe le symbole – aurait sans doute fait sonner une quelconque alarme dans sa tête. Rien ne servait néanmoins de se justifier à ce niveau-là, c'était toujours le genre de tirade qui paraît tellement assurée et peu fondée à la fois que l'interlocuteur doutait inévitablement de la véracité des propos.

Le retour du sérieux surprit l'étudiant, qui fronça légèrement les sourcils tout en jetant à son aîné un regard interrogateur. Qu'avait-il encore pu dire pour que la situation ne se retourne à nouveau à ce point ? Il ne fallut que quelques mots à Quinlan pour lui souffler sa bonne humeur, tandis que tout son corps se tendait à nouveau. Ils revenaient sur un terrain sensible, et même si Clemens ne comprenait pas vraiment ce qui les avait entraînés dans une telle association d'idée, il savait d'ores et déjà que la suite de la conversation n'allait pas lui plaire.

Il resta silencieux, se contenant de suivre le guérisseur des yeux, où toute lueur espiègle s'était envolée. Les deux questions, subites et personnelles, l'avaient pris de court, sans qu'il sache si il voulait y répondre et encore moins comment il devait s'y prendre. Quoique Quinlan en dise, l'étudiant se sentait obligé de répondre. Justifier un refus serait plus ou moins revenu à fournir une réponse, tandis qu'un rejet sec de l'interrogation aurait pu être mal perçu après la finesse et l'intimité dont ils avaient fait preuve durant l'après-midi.

Clemens soupira, puis laissa passer quelques secondes. Se relancer sur un sujet psychologique n'était pas vraiment le moyen de préserver leur bonne humeur et l'atmosphère légère mais… comment en vouloir au guérisseur ? Aucun des deux ne semblaient se satisfaire d'une discussion sans importance et même leurs piques faisaient inévitablement échos à une confidence. Le dos tourné à répondre et d'une voix un peu lasse, il se décida finalement à répondre.

« Je ne volais pas pour me sentir vivant, même si c'était assez le résultat final, oui. Ça a un côté transcendant de n'être plus attaché à rien, de se rendre compte de chacun des mouvements de son corps et de leurs impacts, de dépendre uniquement de soi-même. C'est un peu comme danser, en beaucoup plus intense. »

Le swing lui offrait une sensation similaire, tout en ajoutant la dimension de partage que le vol en lui-même ne pouvait pas lui offrir. Par contre, pour ce qui était de la douleur… Clemens laissa échapper un rire sarcastique et se leva pour faire face à Quinlan. Affalé dans le canapé, nonchalant, distancié, celui-ci n'avait pas l'air de celui qui pose une question délicate. Pourtant, l'Allemand n'était pas dupe. Il avait vu les cicatrices, le parallèle était trop gros pour être un hasard.

« J'ai toujours subi la douleur plus que je ne l'ai cherchée. Je suppose que tu ne t'aies jamais pris un cognard en plein vol, mais je t'assure que sur le moment, on ne se sent franchement pas plus vivant. »

Au contraire, c'était plus une sorte d'anesthésie. Pendant quelques secondes, tout était flou, incohérent et on ne sentait plus rien… Jusqu'au contre-coup, évidemment, mais en plein match, l'adrénaline était suffisante pour passer au dessus. Il se remit à marcher dans l'appartement.

« Je suis devenu batteur pour avoir de l'influence sur le cours du match. Un cognard bien placé peut faire basculer une rencontre complètement… les poursuiveurs et les attrapeurs n'ont rien de plus que leurs rôles à jouer, tandis que les batteurs ont l’œil sur tout et n'ont pas le droit de perdre la stratégie de vue. »

Les batteurs étaient souvent vus comme de grosses brutes qui envoyaient de la violence aux quatre coins du terrain. Ça pouvait paraître efficace à première vue, mais ce style de jeu ne tenait vraiment pas dans la longueur. Ils ne disposaient que de deux cognards pour quatorze joueurs. L'aléatoire n'était vraiment pas la solution. Clemens s'immobilisa, puis se tourna lentement vers Quinlan. Il planta ses yeux bleus, froids, dans son regard.

« Oui. C'est peut-être bien une question de contrôle. »

Un air de défi se dévoilait dans son attitude, une espèce de provocation défensive. Tu as tout ce que tu veux ? Il frissonna. Le Quidditch, le jeu, tant d'autres choses… Ce n'était jamais qu'une série de montées, de pertes de contrôle, de chutes récupérées par l'adrénaline.

Comment en était-on arrivés là ? Toujours en équilibre sur la ligne qui séparait la légèreté de quelque chose de plus profond, Clemens et Quinlan basculèrent à nouveau. Cette conversation rappelait au guérisseur une journée d'hiver à Stockholm : à peine le temps de dire bonjour au soleil que l'obscurité s'étendait de nouveau dans le ciel. Clemens avait un don pour appuyer exactement là où ça faisait mal, et Quinn était déjà lassé de lutter pour préserver sa façade d'homme inébranlable. Elle s'était déjà cassé la gueule de toute façon. Dépouillé de toute protection, il était exposé aux quatre vents.

Il n'avait pas répondu à Clemens à propos de l'Ouroboros, principalement parce qu'il n'y avait plus grand chose à dire. De même pour Dragon Rouge, un livre qu'il n'avait pas lu, et heureusement. La gravure qui avait inspiré le roman illustrait un passage de la Révélation selon Saint Jean, où un grand dragon rouge apparaissait dans les cieux en pleine apocalypse pour dévorer l'enfant à naître de la femme vêtue de soleil. Et le dragon rouge du roman n'était autre que le serial killer, qui se l'était fait tatouer dans le dos. Heureusement que Clemens ne savait pas vraiment de quoi Quinlan parlait, parce qu'on était loin du dragon protecteur là. Et si Neal était présent, il lui aurait sûrement foutu une tarte.

Non, à la place, il ne put s'empêcher de rebondir sur cette petite phrase innocente, celle de Clemens qui se posait la question rhétorique du rapport au corps, et surtout le fait qu'il était un peu mal placé pour en parler. Avec n'importe qui d'autre, Quinn aurait laissé filer cette interrogation et se serait tapi dans son inconscient en attendant que ça passe. Mais Clemens n'était décidément pas n'importe qui.

La douleur est un signal, et tout le monde le sait. Mais c'est aussi un moyen de ressentir quelque chose quand on a l'impression que tout le reste est anesthésié. L'espace d'un instant, Quinlan s'était demandé si Clemens voyait les choses comme lui, et si c'était pour ça qu'il était devenu batteur plutôt qu'attrapeur ou poursuiveur. Et réalisant soudainement à quel point il avait cassé l'ambiance avec ses questions indiscrètes, Quinn se réfugia dans le canapé après avoir précisé à Clemens qu'il n'était pas obligé de répondre. Il le fit quand même.

Quinlan écouta en silence, les yeux rivés sur le plafond. C'était à mille lieues de ce qu'il avait imaginé, et mis à part pour le chapitre sur la danse, il avait du mal à se mettre à la place de Clemens. Il n'avait jamais joué au Quidditch, donc il ne savait pas ce que ça faisait de se prendre un cognard. Du moins, pas concrètement, et pas dans le contexte d'un match. Les farces à base de cognards étaient monnaie courante pendant son époque à Poudlard. Et pour le couplet sur la stratégie au Quidditch, évidemment que Quinlan n'en savait strictement rien. Plus il écoutait Clemens et plus il se sentait con.

Il sentait alors qu'on le regardait, du coup il se tourna pour fixer des yeux Clemens, sans se détourner de cette attitude défiante qu'il avait. Il savait qu'il avait abusé, qu'il avait remué le couteau dans la plaie en pensant… en pensant quoi ? Que Clemens était comme lui ? Que tout le monde était comme lui ? Que quelque part, il n'était pas complètement cinglé ou anormal ? Ou du moins, pas le seul à l'être ? Son regard se teinta d'une lueur de tristesse : il était tellement habitué à se faire du mal que l'auto-flagellation était son premier réflexe.

Pourtant, la conclusion de l'étudiant rejoignait la sienne, de façon complètement inattendue. Quinlan fut pris d'un doute : l'étudiant avait-il bien saisi ce qu'il disait en parlant de contrôle ? Oui… Bien sûr que oui. Et la manière qu'il avait le dire, ce regard froid… Quinn détourna les yeux et plaqua sa main gauche dessus. Il chercha pendant un long moment quelque chose à dire, mais rien ne sonnait assez bien dans sa tête. Finalement, avant même qu'il ne s'en rende compte, il avait déjà murmuré.

— Pardon…

À quoi s'était-il attendu, vraiment ? Bouge-toi. Quinlan inspira un grand coup, et s'assit dans le canapé dans le même geste un peu soudain. S'il restait allongé, il allait finir par chouiner et ce n'était vraiment pas l'image qu'il souhaitait donner à Clemens. Il détestait qu'on le voie pleurer en règle générale. Les grands garçons, ça ne pleure pas.

— Et toi… Pas de plans pour ce soir ?

Vite, changer de sujet, même si c'était trop peu subtil pour passer inaperçu, et encore trop sujet aux sous-entendus. Et puis, ça lui faisait une porte ouverte s'il désirait partir. Pas que Quinn le veuille, bien sûr. Maintenant qu'il avait pris conscience de sa solitude, il n'avait pas envie d'y être confronté. Du moins, pas tout de suite.

— Ton épaule te fait mal ? Maintenant, je veux dire…

Encore une question sortie de nulle part, qui surprit Quinlan lui-même. Mais si Clemens devait partir, il ne pouvait pas le laisser faire sans au moins lui offrir du réconfort. Non, pas ce genre de réconfort, même si Quinn aurait été plus que partant. Mais il avait le sentiment qu'il l'avait blessé avec ses questions à la con, autant qu'il s'était blessé lui-même au passage. Ils n'avaient clairement pas le même rapport à la douleur, alors si Quinn pouvait l'en débarrasser, au moins pour quelques temps…

24/02/2007

En ce moment précis, il aurait été impossible de savoir lequel des deux hommes étaient le plus blessé par l'autre. Le pire, c'est qu'aucun des mots prononcés n'avait eu ce but. Peut on sincèrement en vouloir à quelqu'un qui vous a heurté sans intention ? Clemens n'en savait rien pour Quinlan, mais lui en tous cas, en était incapable. Il ne pouvait pas garder de vieilles rancunes, ces vieilles amies qui vous accrochaient les chevilles et vous tiraient en arrière à chaque vous que vous essayiez d'avancer. Il avait vu beaucoup de personnes être détruites par le passé et il avait déjà bien assez à gérer avec les événements du sien pour ne pas en plus se tracasser des mots.

Derrière son air de défi, il essayait de comprendre ce que sa réponse avait bien pu provoquer chez son interlocuteur. Affalé comme il l'était dans le canapé, il mettait une distance à laquelle l'étudiant ne croyait pas. Aucune de leurs questions n'avaient été innocentes ou étaient restées sans conséquences. Même sans se prétendre psychothérapeute, Clemens se doutait qu'un échos de ses réponses devaient tourner dans la tête de Quinlan, à la recherche d'un lien ou d'une ressemblance à laquelle se raccrocher. Le guérisseur était-il en train de s'interroger sur sa propre gestion de la douleur ? Il la lui avait présentée comme une ancre, une façon de s'accrocher à la réalité sans se laisser dériver dans un monde flou et anesthésié. Comme si la douleur était le spectre de son mécanisme anti-Roxanne.

Clemens se passa lui aussi une main sur le visage et haussa les épaules quand il entendit l'excuse. Les mots étaient tombés, les réponses aussi, c'était dit et trop tard pour s'excuser. Au fond, même s'il n'aimait pas en parler, le sujet en soi n'était pas tellement ce qui lui faisait mal. Se rappeler du pourquoi il avait commencé le Quidditch et ce que son rôle dans l'équipe avait évoqué en lui, ça, par contre… Son aîné aurait du s'en douter avant même de poser la question. Sauf qu'on ne commence à croire son miroir que quand il te met une claque et t'envoie une remarque salée en pleine tronche. Il profita du fait que Quinlan se redresse pour aller se laisser tomber à l'autre extrémité du canapé.

« Tu as le don de poser les questions qui dérangent. Mais je t'en remercierai sans doute dans quelques semaines. »

Le ton était sarcastique, mais la lueur de ses yeux bleus commençaient à s'adoucir. Être abandonné dans son confort fait de poudre aux yeux n'aidait personne à avancer. Clemens aimait être bousculé dans ses convictions profondes, c'était même exactement ce qu'il attendait de son entourage. Il appréciait certes vachement moins quand on le faisait sur base de son passé mais… Mais si Megan ne s'était pas permise de le faire après les événements du cimetière, l'étudiant serait encore coincé bien plus en amont de ses problèmes. Sa brutalité l'avait obligé à faire face. Ce n'était certes pas agréable, mais c'était au moins efficace.

« Rien de plus qu'une longue et éreintante discussion nocturne avec mon colocataire, je pense. »

Il sourit à cette idée. Tant lui que Rowan aurait probablement beaucoup de choses à dire, mais il était bien trop tôt pour cela, encore. Enfin, il était de toute façon bien trop tôt pour ça, encore et ce n'était en rien une obligation. Clemens ne savait même pas si il allait évoquer ses dernières vingt-quatre heures à son ami, et comment il le ferait, le cas échéant.

L'Allemand s'assit en tailleurs, lové dans son pull chaud et confortable. La seconde question de Quinlan l'avait surpris, mais il ne voulait pas le laisser paraître. Il avait le don de passer du coq à l'âne, comme s'il cherchait à s'excuser de son comportement intrusif par cette proposition. Le sous-entendu n'avait évidemment pas échappé à Clemens, mais il se demandait dans quelle mesure cela ne ferait pas autant de mal au guérisseur que ça pourrait lui faire du bien à lui. Ses yeux bleus cherchèrent le regard de son aîné dans un effort pour comprendre ce qui se passait derrière cette façade de plus en plus craquelée.

« J'ai presque toujours une gêne qui y traîne, oui. »

Il se redressa un peu, n'attendant qu'une confirmation pour briser à nouveau la distance. La réponse était sortie avant qu'il ne s'y attende. Il avait eu le sentiment de ne pas prendre la décision, mais ses yeux étaient tombés sur les bras de Quinlan. Et soudainement, il avait eu terriblement envie de s'y lover et de s'abandonner à ses mains expertes.

C'était quand même une belle paire d'abrutis. Le Docteur les regardait tourner en rond, passer du rire aux — presque — larmes en cinq secondes, perplexe. Il miaula et alla s'installer en hauteur sur une étagère vide. Le félin semblait fasciné par ces deux humains.

De l'autre côté de la pièce, Quinlan se frotta le visage dans les mains, essayant tant bien que mal de reprendre contenance. Il avait été stupide, et c'était bien normal qu'il s'excuse. Pourtant, Clemens semblait lui en vouloir moins qu'il ne l'aurait cru. Sa remarque lui arracha un petit sourire sans joie.

— Et tu as le don de me faire partir sur des trucs qui n'ont rien à voir…

La raison était simple. Quinn crevait d'envie de parler. Il attendait juste une excuse, même bidon, pour lâcher tout ce qu'il avait sur le coeur. Et paradoxalement, il se retenait de toutes ses forces. Il ne voulait pas juste pas accepter le fait qu'il avait besoin de se confier. Il avait déjà tout dit en long en large et en travers à Neal, mais là, c'était différent.

Le fait que Clemens s'approche et s'assoit dans le même canapé que lui rassurait Quinn plus que de raison. Il souffla à nouveau, et se tourna vers lui. Son regard était moins acéré, et il n'avait plus envie de le bouffer. C'était déjà ça. Il répondit même à sa question, faisant naître un sourire sur le visage de Quinlan. Au moins il avait quelqu'un à qui parler. Tant mieux. Peut-être que lui aussi irait empêcher quelqu'un de dormir : son frère commençait à lui manquer terriblement. Il y avait aussi que Neal serait particulièrement furieux s'il apprenait que son frère n'allait pas bien et qu'il n'était pas venu le voir.

Le guérisseur enchaîna de façon un peu étrange et automatique sur l'épaule de Clemens. S'il avait vraiment mal, et que Quinn pouvait faire quelque chose, c'était stupide de ne pas proposer. Il n'avait pas l'impression que ça le blesserait, au contraire. Au moins se sentirait-il utile, et aurait-il l'occasion de se racheter, même un peu.

Mais la réponse de Clemens n'était pas encore assez claire pour lui. Quinlan était du genre à avoir besoin d'un oui ou d'un non bien clairs, ce que Clemens semblait rechigner à lui donner. Le guérisseur avait bien vu que son regard s'était égaré du côté de ses mains, mais ce n'était pas assez.

— Tu veux un massage ? Je garantis rien, mais ça aidera peut-être.

Quinn lui en voulait presque d'être obligé de poser la question, mais il était hors de question pour lui de faire autrement.

24/02/2007

Ils avaient le don mutuel de se faire parler, de se forcer à cracher leurs âmes, en fait. Clemens parlait rarement aussi ouvertement, même avec ses amis les plus proches. Eux n'osaient pas le pousser aussi loin dans ses retranchements et un signe de main pouvait suffire à clore une discussion qui s'annonçait blessante. Ici, ça ne fonctionnait pas pareil. L'échange n'évoluait pas en douceur vers les sujets qui fâchaient ; les questions étaient directes et soudaines. Un coup de couteau que l'on avait pas vu venir et qu'on pouvait difficilement refuser ou repousser. Il n'aurait pas pu le jurer pour le cas de Quinlan, mais l'étudiant était presque convaincu qu'il ressentait les choses de la même façon.

Installé dans le canapé, il se sentait frémir à la perspective d'un massage. Il n'attendait que d'être libéré de cette tension qui pouvait le rendre fou. Ce n'était pas une douleur à proprement parler, juste une gêne dont il ne pouvait jamais vraiment se débarrasser lui-même. L'accumulation et la durée la rendait insupportable. Mentalement, c'était bien pire qu'une vraie douleur soudaine, vive et intense, mais qui s'évaporait au bout d'un temps.

Sa réponse n'avait pas été assez claire, mais il ne le réalisa que face à la contre-question de Quinlan. Pour un peu, Clemens se serait giflé. Après tous les discours sur le consentement, la demande d'autorisation pour l'embrasser, évidemment qu'un nouveau sous-entendu ne pouvait pas être suffisant ! C'était dingue d'ailleurs, qu'il ne soit pas capable de répondre franchement sans qu'on le lui demande, comme si une espèce de blocage latent restait présent. Comme si il avait besoin que son aîné prenne l'initiative et dirige les choses à sa place. L'Allemand soupira. Il n'était décidément pas encore en paix avec lui-même.

« Avec plaisir. »

Et il se décida à briser la distance. D'un geste fluide et délié, il vint s'installer auprès de Quinlan, son regard planté dans le sien. Pour un peu, il aurait pris la main du guérisseur et l'aurait installée dans sa nuque, mais il se retint au dernier moment. Toucher quelqu'un de sa propre initiative n'était pas pareil qu'accepter le contact, Clemens le savait très bien. Il en avait envie pourtant, et une lueur flamboyante dansait dans ses yeux bleus. Mais il s'abstint.

« Je suis sur que ça aidera. »

Encouragement maladroit. Pour le massage, et pour le reste. Il ne se sentait pas de poser une question directe, bien qu'elle lui brûlait. Il n'arrivait toujours pas à déterminer pourquoi Quinlan avait abordé à nouveau le sujet de la douleur et si un mal, physique ou mental était en train de le hanter, là, maintenant. Clemens crevait d'envie de demander, de l'encourager à parler, de lui promettre qu'il ne le jugerait pas. Mais en un sens, il était persuadé que son aîné savait tout cela et que s'il retenait quelque chose, ce n'était pas à l'étudiant de le pousser à la sortir. Il détestait trop être poussé au-delà de ses propres barrières, malgré le bien que ça pouvait lui faire dans le long terme.

Finalement, il céda. Il tourna la tête et laissa son front reposer contre l'épaule de son aîné le temps d'une seconde. Juste pour ressentir cette chaleur et cette proximité. Un sourire se dessina sur son visage, puis il se redressa et rendit l'initiative à Quinlan.

Cette fois au moins, la réponse avait été catégorique. L'espace d'un instant, Quinlan s'était demandé si Clemens n'allait pas en profiter pour se raviser. Ç'aurait été pour le mieux s'il avait hésité et avait finalement refusé. Il valait mieux regretter quelque chose que l'on n'avait pas fait plutôt que le contraire.

Quinlan allait faire un mouvement vers lui quand il se rendit compte que ce ne serait pas la peine. Clemens s'approcha de lui-même, le regardant d'une façon très… déstabilisante. Pour un peu, Quinn en aurait perdu tout son professionnalisme pour retomber dans ses fantasmes interdits aux mineurs. Il sentit sa poitrine se gonfler de chaleur, son coeur battre soudainement plus fort et ses mains trembler. Merde, ça n'allait pas être pratique ça.

— J'espère.

Ce n'était qu'un murmure, et on pouvait s'estimer heureux que Quinn ait réussi à sortir ne serait-ce qu'un seul mot, compte tenu de la situation. D'un geste rapide, il lança un accio sur sa boîte de barres de massage qui traînait dans sa chambre. Pourquoi pas dans sa salle de bains ? C'était loin d'être un mystère. Quinlan était certes médicomage, mais ce n'était pas pour le travail qu'il s'était intéressé aux massages et à comment on les faisait. Il avait aussi appris à confectionner lui-même ses barres, avec l'aide de son frère : l'effet de certaines plantes pouvait être surprenant. Bref, le petit coffre atterrit de lui-même sur la table, tout comme Clemens atterrit de lui-même sur l'épaule de Quinlan.

Euh, attendez ? Il était venu contre lui, comme un chat timide réclamant un câlin…? Le guérisseur n'arrivait pas à y croire. Ses yeux s'écarquillèrent, et sa bouche s'entrouvrit comme pour dire quelque chose. Cela dit son cerveau était trop grillé pour qu'il puisse articuler quoi que ce soit. Il resta alors figé comme un con, trop surpris pour réagir à temps : une seconde plus tard, et Clemens s'était déjà redressé.

— Euh… je… Je vais avoir besoin que tu te retournes…

Pas que la perspective de le prendre dans ses bras pour le câliner comme une peluche soit désagréable, mais s'il voulait lui masser l'épaule comme il fallait, il allait devoir faire face à son dos. D'une certaine manière, tant mieux : il n'aurait pas à être confronté à ce regard auquel il n'arrivait pas à résister.

Et donc il se retrouva face à un pull, certes très beau, assez sexy même, mais pas très pratique vu les circonstances. Quinlan déglutit et se décida à mettre son masque de guérisseur plus-pro-tu-meurs. Du moins, il essaya. Les mots ne sonnaient pas bien dans sa tête, les phrases ne se formaient plus. Il n'arrivait plus à faire 'comme si' en présence de Clemens. Il finit par soupirer :

— Ton pull…

Il ne fit aucun geste pour le retirer à la place de Clemens : ça lui donnait encore le temps de se rétracter s'il le souhaitait. Quinlan, parano ? Peut-être un peu. De toute façon, il fallait qu'il aille chercher la barre de massage. Le coffre était étrangement bien rangé : les 'barres' étaient en fait en forme d'oeufs, de couleur et d'odeur différentes. Il en prit une blanche, et la frotta doucement dans ses mains.

Lorsqu'il se retourna vers Clemens, ce dernier lui montrait un dos nu, musclé et plus qu'appétissant. La cicatrice qui courait sur son épaule droite n'arrivait même pas à le rendre moins sexy. Au contraire. Quinlan avait toujours eu des goûts assez bizarres côté sexe. Sauf que ! Le travail, souviens-toi.

Oubliant un temps son attirance déraisonnable pour Clemens, il posa doucement ses deux mains sur son épaule droite, glissant de son cou jusqu'à son bras, déliant ses muscles. Il plaça ensuite sa main gauche sur l'omoplate de Clemens, la droite restant au niveau du trapèze, remontant vers sa nuque pour la masser du pouce. Le mélange d'huiles qu'il avait choisi était censé apaiser la douleur et la tension musculaire, chauffer un peu et avait une odeur agréable et relaxante. Quinn n'utilisait pas souvent ce mélange, il espérait qu'il n'avait pas trop perdu en efficacité.

Ses doigts glissèrent du cou de Clemens jusqu'à la courbe de son bras, et revinrent jusqu'à atteindre sa colonne vertébrale. Normalement, il n'aurait pas fait ça, mais Quinlan décida de ne pas délaisser l'épaule gauche. Histoire de faire bonne mesure. Il passa un peu sur les cervicales, et en profita pour délier aussi les muscles de la nuque. Clemens était bien trop tendu… On se demandait bien pourquoi.

Le massage dura une quinzaine de minutes, concentré sur le haut du dos, le cou et les bras, rien de plus. Pendant ce laps de temps, Quinn en avait presque oublié qui il touchait, et alors qu'il s'arrêtait, la réalisation le frappa comme un boomerang. Ses mains positionnées sur les omoplates musclées de Clemens glissèrent le long de ses bras jusqu'à atteindre ses doigts qu'elles enlacèrent. Ce faisant, il s'était rapproché assez pour plaquer son torse contre lui et nicha sa tête au creux de son épaule gauche. Et avant même qu'il se rende compte de ce qu'il faisait, il y déposa un baiser.

Effectivement, très pro le guérisseur.

24/02/2007

Son geste affectueux n'avait provoqué aucune réaction chez Quinlan, du moins, aucune qu'il pouvait interpréter avec certitude. Ses commandements vinrent ensuite d'une voix à peine soufflée, sans que Clemens puisse dire si le guérisseur était troublé par son attitude ou simplement distancié et empreint de professionnalisme. Dans les deux cas, cela lui convenait. L'essentiel étant pour lui que son geste n'ait pas été perçu comme une intrusion. Il avait agi de manière si spontanée qu'il s'en était étonné lui-même et n'aurait pas pu s'en vouloir si son aîné l'avait repoussé. Après tout, un massage pour un guérisseur, c'était du quotidien, pas forcément un aveu d'attirance… Enfin, sauf que là, c'était Quinlan. Et qu'il n'était pas désintéressé. Pourtant, un doute subsistait.

Clemens obéit sagement à ce qu'on attendait de lui, offrant ses épaules dénudées à des mains tout aussi experte que ce à quoi il s'attendait. Les gestes étaient précis et maîtrisés, agissant aux points exacts où la tension le lançait depuis des mois. Il ne lui fallut que quelques instants pour parvenir à se détendre. Le contact, même attendu et autorisé, provoquait invariablement chez lui une certaine raideur, reste de ses mécanismes de défense. La confiance s'installa cependant rapidement, alors que Quinlan lui apportait la preuve de sa technique. Ses mains soulageaient ses tensions sans amplifier le mal. L'Allemand soupira d'aise et ferma les yeux, s'abandonnant complètement.

La chaleur, l'odeur agréable et le doux contact des mains sur sa peau l'envoya voguer dans un univers parallèle, alors que son esprit se mettait doucement en veille. Il en oublia presque l'endroit où il se trouvait, tandis que les tensions s'évaporaient peu à peu. Il avait rêvé ce genre de scènes des dizaines de fois, mais jamais de cette manière exacte. Jamais il ne s'était imaginer sentir les mains d'un de ses professeurs courir le long de son dos. Le simple fait que ce put être un homme avait été écarté de son esprit comme une perspective complètement irréaliste.

Et pourtant. Quinlan l'avait impressionné par son charisme et sa stabilité dès le premier cours. Ses questions tordues avaient été accueillies par le sourire de celui qui ne se laissera pas démonter. Il s'appuyait sur son expérience pour éveiller l'esprit de ses étudiants. C'était un de ces professeurs qui ne pouvait évoquer que du respect. Clemens s'était complètement accroché à cet esprit avec une intensité qu'il n'avait plus ressentie depuis longtemps. Cette sensation de résonance et de transcendance lui donnait l'impression de vibrer à l'unisson avec son aîné. Il était troublé, dépassé, certes, sa seule certitude étant simplement qu'il était déjà complètement dépendant de ce lien.

A ce moment-là, alors qu'il voguait à quatre cent lieues de toute réalité, il sentit les mains du guérisseur glisser le long de ses deux bras dans un geste tout différent. Leur contact se fit plus proche et plus intense alors qu'un grondement étrange grandissait dans sa poitrine. Clemens frissonna sous le baiser déposé à la naissance de sa nuque. Les yeux toujours fermés, il referma ses doigts autour de ceux de Quinlan, puis replia leurs bras contre son torse. Ainsi emprisonné dans l'étreinte du guérisseur, il tourna la tête vers la gauche et cueillit délicatement la lèvre inférieure de son aîné entre ses dents.

« Je crois vraiment que je vais devoir me dispenser de venir à tes cours. »

Il souffla un rire et son sourire resta gravé sur son visage. Néanmoins, les questions du guérisseur continuaient de lui tarauder l'esprit. Libéré à présent de son mal, il se demandait s'il ne devait pas rendre la pareille, d'une manière ou d'une autre, sans savoir pourtant comment s'y prendre. Clemens laissa sa tempe en appui léger contre la tête de Quinlan.

« Je… Merci. »

Non, vraiment, il en savait simplement plus quoi dire.

C'était un geste naturel, auquel il n'avait pas réfléchi. Alors qu'il achevait son massage, Quinlan se sentit l'envie d'un contact un peu plus intime. Serrer ses doigts dans les siens, se lover dans le creux de son épaule, il n'avait pas besoin de beaucoup plus. Pourtant, il réalisa un peu tard qu'il avait peut-être outrepassé les limites. La réaction de Clemens le rassura : il accepta son étreinte, venant même s'emmitoufler dans ses bras. Ça aurait pu rester sage, si Clemens n'était pas venu mordiller sa lèvre. Quinlan laissa échapper un gémissement.

— Dommage…, lui souffla-t-il à l'oreille. Mais je peux toujours te donner des cours particuliers.

Un petit rire monta de sa gorge, un poil désabusé mais tout de même ravi. Il était si bien comme ça qu'il n'avait pas envie de bouger. Il ferma les yeux et laissa sa respiration se calmer un peu. Peine perdue : l'odeur de Clemens qui transparaissait derrière celle de son mélange d'huiles le rendait fou de désir, le pire étant qu'il était assez proche de lui pour qu'il s'en rende bien compte. Pourtant Quinlan ne fit aucun mouvement pour se défaire de cette étreinte. Il resta là, le menton appuyé sur son épaule, les yeux dans le vague.

— De rien. C'est le moins que je puisse faire après t'avoir malmené à ce point-là.

Prenant à nouveau une grande inspiration et fermant les yeux, Quinlan posa ses lèvres sur la ligne de sa mâchoire avant de glisser jusqu'à son oreille. Perdant totalement pied, il la mordilla.

— Tu me rends fou…

Son professionnalisme s'était envolé depuis bien longtemps, mais son esprit rempli de fantasmes bien explicites n'était pas non plus revenu. Il n'y avait plus de place dans son cerveau pour des pensées rationnelles, qu'elles soient mises en mots ou en images. Il n'y avait plus que des sensations : la chaleur de Clemens contre lui, le bruit de sa respiration, son coeur qu'il sentait battre sous ses lèvres… Il ignorait combien de temps ils restèrent ainsi.

Et puis, toujours dans un état second, Quinlan laissa ses mains se séparer de celles de Clemens, glisser dans son dos et le faire basculer vers lui. Il redoutait toujours autant ce regard bleu acier qui semblait voir à travers lui, mais il savait aussi qu'il en avait besoin. Il plongea dedans et s'y noya, approchant ses lèvres des siennes jusqu'à les frôler à peine.

Sa main droite retraça alors la ligne de son épaule, jusqu'à se poser dans sa nuque. Il resta alors en suspens, attendant un geste de Clemens. Ce qui se passait là était si beau et intense que le coeur de Quinlan en était presque douloureux. En sept ans, il n'avait jamais eu mal comme ça, mais il ne s'était jamais senti aussi vivant.